Fièvre catarrhale ovine : l’Europe au carrefour de l’enzootie - Le Point Vétérinaire n° 290 du 01/11/2008
Le Point Vétérinaire n° 290 du 01/11/2008

Maladies réglementées

Mise à jour

LE POINT SUR…

Auteur(s) : Claude Saegerman*, Dirk Berkvens**, Philip S. Mellor***, Fabiana Dal Pozzo****, Sarah Porter*****, Stephan Zientara******

Fonctions :
*Département des maladies
infectieuses et parasitaires,
Faculté de médecine vétérinaire,
Université de Liège,
Bd de Colonster, 20, B42,
B-4000 Liège, Belgique
**Department of Animal
Health, Institute of Tropical
Medicine, Nationalestraat 155,
B-2000, Antwerp, Belgium
***Department of Arbovirology,
Institute for Animal Health,
Ash Road, Pirbright, Woking,
Surrey, GU24 0NF, UK
****Département des maladies
infectieuses et parasitaires,
Faculté de médecine vétérinaire,
Université de Liège,
Bd de Colonster, 20, B42,
B-4000 Liège, Belgique
*****Département des maladies
infectieuses et parasitaires,
Faculté de médecine vétérinaire,
Université de Liège,
Bd de Colonster, 20, B42,
B-4000 Liège, Belgique
******UMR 1161 Afssa/Inra/ENVA,
23, av. du Général-de-Gaulle,
94703 Maisons-Alfort,
France

Alors que 66 foyers mixtes à sérotypes 1 et 8 sont confirmés en France, un point sur la situation et sur des notions épidémiologiques s’impose, à la lumière des dernières avancées scientifiques.

En 10 ans, la fièvre catarrhale ovine (FCO) est passée d’un statut “exotique” à celui d’une maladie risquant de devenir enzootique (encadré 1). L’étude de son épidémiologie est liée à la compréhension de la virologie, de la pathogénie et de l’immunologie de son agent causal le bluetongue virus ou BTV [37].

Dix ans après son introduction dans l’Union européenne, un bilan épidémiologique est proposé dans cet article, assorti de références qui faisaient défaut dans les premières informations publiées. Cette synthèse permet de compléter les données sur les espèces sensibles, et d’exposer les notions de compétence et de capacité vectorielles. Les modes d’introduction du virus dans une région et les mécanismes épidémiologiques d’amplification virale sont aussi décrits [34].

FCO en Europe : une extension et des rencontres

1. Avant 2005, deux systèmes épidémiologiques méditerranéens

Entre 1998 et 2005, dans le bassin méditerranéen, deux systèmes épidémiologiques ont coexisté, surtout selon la prédominance du ou des types de vecteurs impliqués et l’origine des souches de BTV (encadré 2, tableau 1, figures 1 et 2 complémentaires, sur www.WK-Vet.fr).

• Dans la partie est, les sérotypes 1, 4, 9 et 16 sont identifiés. Les souches de BTV proviennent du Proche-, du Moyen- ou d’Extrême-Orient. Les vecteurs impliqués incluent Culicoides imicola, mais également d’autres espèces de Culicoides puisque la maladie a envahi des zones où C. imicola n’était pas présent (les Balkans et au-delà) [11]. L’apparition de nouveaux vecteurs a été confirmée lorsque le virus en cause a été isolé d’un pool de deux espèces, C. obsoletus (Meigen) et C. scoticus (Downes et Kettle), collectées dans le centre de l’Italie, et également de C. pulicaris (Linnaeus) en Sicile [7, 36].

• Dans la partie ouest, les sérotypes 1, 2, 4 et 16 sont identifiés. Le principal vecteur est C. imicola [23, 25, 35]. Les souches de BTV proviennent essentiellement d’Afrique. Toutefois, l’apparition du BTV-16 est le résultat d’une extension vers l’ouest de ce sérotype à travers l’Europe au départ du système “est” [23]. Ce sérotype revêt un intérêt particulier en raison de la possibilité de réversion vers la virulence à partir d’un vaccin atténué : en 2004, les souches de BTV-16 isolées sur le terrain en Corse et en Sardaigne étaient identiques au vaccin vivant utilisé dans les mêmes régions [25, 35].

2. Au centre et au nord après la mi-août 2006

La FCO a été identifiée la première fois au nord de l’Europe(1) en août 2006 après une vague de chaleur et de fortes pluies [9]. Elle peut être définie comme une maladie émergente dans cette zone. Entre la première déclaration (17 août 2006) et le 1er février 2007, 2 122 cas de FCO ont été enregistrés dans le système de notification des maladies animales de la Commission européenne (Animal Disease Notification System ou ADNS).

Dans cette zone, en 2006, de nouveaux vecteurs ont été identifiés en l’absence de C. imicola. Ainsi, un pool de 50 femelles non gorgées de C. dewulfi (Goetgheber) a été trouvé positif aux Pays-Bas. Plusieurs pools du complexe C. obsoletus (c’est-à-dire dont l’espèce n’a pas été déterminée) ont été trouvés positifs en Allemagne (par polymerase chain reaction ou PCR détectant l’ARN viral dans les deux cas). Plus récemment, il a été établi que C. chiopterus est aussi un vecteur compétent [8]. Aucun virus vivant n’a été isolé dans ces études, mais celles-ci concernent des régions où C. imicola n’est pas présent, ce qui confirme les précédentes observations réalisées par Mellor et Pitzolis en 1979. Ces auteurs ont isolé, à Chypre, le virus infectieux de la FCO chez des femelles non gorgées de C. obsoletus. Ils ont ainsi montré qu’une espèce européenne indigène de Culicoides peut être vectrice d’une épizootie de FCO. Comme les moucherons du complexe C. obsoletus et C. dewulfi sont présents partout en Europe centrale et du Nord, toute cette région doit être considérée comme à risque pour la FCO. De plus, les conditions climatiques de ces hivers ont été particulièrement clémentes, laissant présager une recrudescence de la maladie (encadré 3 et figure 3).

3. Recrudescence

Le passage à l’endémicité de la FCO est possible, comme le suggèrent sa recrudescence (BTV-8) en Belgique, en Allemagne, aux Pays-Bas, dans le nord de la France et dans le Grand-Duché de Luxembourg en 2007, son extension continue à d’autres pays (Danemark, République tchèque, Suisse, Italie, etc.), son incursion au Royaume-Uni et sa recrudescence en 2008, en particulier en France (tableau 2, figure 4, et figures 5 et 6 complémentaires, sur www.WK-Vet.fr).

À la différence du Sud, où les populations vectrices de C. imicola culminent à la fin de l’été et en automne (le nombre de cas de FCO est alors à son apogée), les populations de vecteurs indigènes dominent plus tôt dans l’année. Si le BTV-8 descend vers le sud, cela devrait modifier l’occurrence temporelle des cas de FCO.

4. Nouveaux foyers de BTV-1 et premiers foyers “mixtes”

En France métropolitaine, le BTV-1 est apparu pour la première fois dans les Pyrénées-Atlantiques. L’apparition récente de nouveaux foyers de BTV-1, due à une circulation virale en 2008 et à l’extension de la maladie vers le nord et l’est à partir des foyers initiaux, a conduit l’autorité compétente à prendre des mesures d’urgence destinées à prévenir une évolution rapide de ce sérotype [27].

Au 17 octobre 2008, parmi les 23 916 foyers de FCO “attribuables à une circulation virale en 2008” qui ont été confirmés, 20 551 impliquent le BTV-8, 3 299 le BTV-1 et 66 sont des foyers “mixtes” (figure 7 complémentaire, sur www.WK-Vet.fr) [2].

Hôtes sensibles : un virus à large spectre

En général, le virus de la FCO peut infecter un large spectre de ruminants domestiques et sauvages. Cependant, des signes cliniques sévères ont été observés seulement dans certaines races de moutons (dites “améliorées”) et pour un petit nombre de cervidés [20].

Les bovins et les chèvres sont atteintes habituellement d’infections subcliniques, et peuvent servir de réservoirs viraux pour les moutons [18]. Toutefois, le virus de la FCO (BTV-8) a récemment manifesté une action morbide plus importante chez les bovins en Europe [10, 14, 15, 33].

En France, le rapport entre le nombre de foyers bovins et le nombre de foyers ovins est deux fois plus élevé pour le BTV-8 que pour le BTV-1 (respectivement 2,11 et 1,06).

Durant cet épisode, un lynx ayant consommé des fœtus de ruminants et des animaux mort-nés a été trouvé infecté par le BTV-8, une contamination orale ayant été fortement suspectée [17].

Les signes cliniques sévères et les pertes économiques dans les espèces sensibles restent encore difficiles à évaluer (encadrés 4 et 5).

Vecteurs : les connaître pour une meilleure prédiction

1. Culicoides : d’autres espèces à découvrir

La plupart du temps, le virus de la FCO se transmet entre des hôtes ruminants exclusivement par des piqûres de moucherons qui appartiennent à des espèces vectrices de Culicoides. La distribution globale de la FCO est ainsi localisée aux régions où ces espèces sont présentes. De plus, la période de transmission virale est limitée à celle d’activité des vecteurs adultes. Selon l’espèce, l’activité vectorielle des adultes débute généralement au printemps. Elle est positivement corrélée aux conditions climatiques, avec un maximum entre 28 et 30 °C, une décroissance lorsque la température diminue et, pour C. imicola, une probable disparition en dessous de 10 °C [18].

Le risque d’infection de FCO est étroitement lié à la présence de femelles adultes des espèces vectrices de Culicoides. Jusqu’à récemment, C. imicola a été identifié comme le seul vecteur important de la FCO en Europe du Sud. Il est maintenant reconnu que plusieurs nouvelles espèces vectrices jouent également un rôle (par exemple, complexe C. obsoletus, C. dewulfi, C. chiopterus). D’autres restent à découvrir [8, 21, 22].

En période hivernale, l’activité d’adultes d’espèces vectrices potentielles a été observée dans les étables en 2006-2007 et en 2007-2008 [3, 19, 42]. Des captures ponctuelles réalisées tôt dans l’année ont aussi démontré que la période indemne (dite d’“inactivité vectorielle”) peut être très courte lors d’hivers doux [42]. La présence prépondérante des espèces vectrices dans la ferme et ses alentours, plutôt que dans les prairies pâturées, a été observée (photo). Cela suggère de promouvoir, au niveau de l’exploitation agricole, l’élimination des déchets organiques qui constituent des milieux de reproduction privilégiés des vecteurs [41].

2. Une compétence et une capacité à déterminer

La détermination de la compétence et de la capacité vectorielles sont essentielles pour :

- une estimation précise du taux de transmission vectorielle ;

- établir des prédictions d’établissement du virus de la FCO dans une région donnée ;

- puis évaluer les chances de réussite des plans de lutte (encadré 6).

Pour le BTV-8, de telles études ont été initiées en ce qui concerne la compétence, mais font encore défaut pour la capacité vectorielle. Celles-ci demandent des ressources financières et scientifiques, et le développement d’une approche interdisciplinaire [34].

Introduction et amplification : des conditions favorables

Aucune voie d’introduction préférentielle n’a été documentée dans le cadre de l’émergence actuelle de la FCO en Europe du Nord (encadré 7) [29].

L’établissement de la FCO dépend :

- de la présence d’un nombre suffisant de Culicoides vecteurs ;

- du nombre de Culicoides infectés par des repas de sang provenant d’hôtes virémiques ;

- du nombre de Culicoides survivant suffisamment longtemps dans le vecteur pour permettre l’achèvement de la période d’incubation (4 à 20 jours en fonction de la température ambiante) et la transmission du virus par piqûre à de nouveaux hôtes.

La période extrinsèque d’incubation est l’intervalle entre le moment d’infection d’un vecteur et celui auquel celui-ci devient capable de transmettre le virus de la FCO à un nouvel hôte.

Ces conditions ont clairement été remplies en Europe du Sud où le BTV a survécu en de nombreux endroits depuis la fin des années 1990.

Lors des changements climatiques, les conditions pour l’établissement du virus de la FCO dans beaucoup de pays de l’Europe du Nord et centrale peuvent maintenant être remplies comme le suggèrent :

- la recrudescence généralisée des infections à BTV-8 en 2007 affectant la Belgique, l’Allemagne, les Pays-Bas, le Luxembourg et la France ;

- la contamination de nouveaux pays (Danemark, Suisse, République tchèque, Italie, etc.) en 2007 et 2008 ;

- l’incursion du virus au Royaume-Uni en 2007 ;

- et la recrudescence observée en 2008.

Les autorités vétérinaires et législatives à travers l’Europe du Nord et du Centre devront tenir compte de ce fait dans la stratégie de lutte.

La vaccination : moyen de lutte efficace

Dans les régions où la FCO sévit à l’état enzootique, le contrôle des vecteurs est considéré comme illusoire (il permet seulement une réduction transitoire de leur nombre).

Les moyens principaux pour contrôler les foyers cliniques sont la vaccination des espèces sensibles, et la limitation du contact entre les espèces sensibles et les insectes vecteurs [18]. Les vaccins atténués sont utilisés depuis plusieurs années, ceux inactivés plus récemment, et des recombinants sont en développement. L’utilisation de vaccins inactivés est actuellement préférée (tableau 3 complémentaire, sur www.WK-Vet.fr) [32]. Des vaccins inactivés contre le BTV-8 et le BTV-1 sont actuellement commercialisés par différentes firmes productrices et largement utilisés.

1. Pas de plan européen

Les objectifs de la vaccination peuvent être :

- soit l’éradication de la FCO à sérotype 8 en Europe. Pour ce faire, une vaccination obligatoire visant l’ensemble des animaux des espèces réceptives et un approvisionnement suffisant en vaccins sont requis [1] ;

- soit une limitation de la maladie en ce qui concerne son étendue géographique, son incidence et/ou son impact économique.

En dépit d’une politique communautaire de lutte contre la FCO (avec cofinancement des plans notamment), aucun plan de vaccination européen n’existe. La raison principale en est que l’organisation des campagnes de vaccination relève de la seule compétence des États membres. Dès lors, la vaccination se pratique actuellement sur une base soit obligatoire (en Écosse par exemple), soit volontaire (comme aux Pays-Bas). Elle est réalisée par des vétérinaires.

2. Exemples de vaccination mi-volontaire, mi-obligatoire

• La France a opté pour une vaccination des espèces sensibles :

- volontaire dans les départements où sévit uniquement le BTV-8 ;

- obligatoire dans les départements du Sud-Ouest où sévit le BTV-1.

Pour la vaccination contre le BTV-8, 29,4 millions de doses ont ainsi été livrées pour les bovins et 10,6 millions pour les petits ruminants de mars à septembre 2008.

Pour le BTV-1, 4,5 et 6,7 millions de doses ont été fournies respectivement [28].

• La Belgique vaccine uniquement contre le BTV-8. Elle a opté pour une vaccination :

- obligatoire pour les ovins et les bovins (hors veaux d’engraissement), avec une priorité des jeunes animaux chez les bovins (sous-population la moins susceptible d’avoir rencontré le BTV-8 auparavant) ;

- facultative, mais fortement encouragée, pour les caprins, les cervidés et les veaux d’engraissement.

L’information sert l’épidémio-surveillance

Pour gérer l’émergence et la persistance d’une maladie dans une population animale, une bonne information sur tous les aspects liés à celle-ci est indispensable.

1. Communication interne

Les réunions d’informations sont à adapter au public cible (tous les acteurs des filières impliquées sont concernés).

Celles destinées aux éleveurs ont un impact positif sur l’épidémiosurveillance de la maladie en facilitant sa compréhension (incluant un état des lieux des connaissances et de la situation sanitaire, une évaluation des perspectives, une présentation des premières conséquences de l’affection au niveau de la rentabilité de l’exploitation). Le maintien de la motivation des acteurs de filière dans un tel plan de lutte nécessite le renouvellement régulier de ce type de réunions.

Pour répondre aux importantes questions soulevées en Europe du Nord par les vétérinaires sanitaires et des professionnels de santé animale, des brochures scientifiques ont été rédigées, par exemple un vademecum FCO(2) et une brochure scientifique sur la FCO(3).

2. Communication externe

La communication d’informations sanitaires validées en temps réel envers les autorités supranationales contribue à la lutte contre la propagation des maladies émergentes. Des efforts ont été réalisés à cette fin comme en témoignent les trois principaux systèmes interconnectés mis à disposition :

- les WAHIS (World Animal Health Information System) et WAHID (World Animal Health Information Data base, qui est l’interface du précédent) de l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE)(4) ;

- Notification des maladies animales de la Commission européenne(5) ;

- EU-BTNET(6).

Le système EU-BTNET est étroitement lié à l’ADNS pour les États membres de l’Union européenne et aux informations sanitaires de l’OIE pour les pays tiers. La véracité des informations dépend toutefois de la vitesse avec laquelle chaque État membre transmet des informations sanitaires validées concernant la FCO.

En complément de ces sites officiels, un autre est d’intérêt majeur dans le cadre des maladies émergentes : celui de l’International Society for Infectious Diseases(7).

Perspectives épidémiologiques

Les maladies animales émergentes ont pris une importance particulière ces dernières années, comme en témoigne l’apparition de l’influenza aviaire, de la maladie du Nil occidental (West Nile) ou de la FCO. Certaines d’entre elles sont d’origine vectorielle et étaient jugées exotiques.

En l’absence de détection clinique précoce, l’émergence d’une affection peut passer inaperçue jusqu’au moment où la multiplication et la transmission de l’agent pathogène en cause sont telles qu’elle devient patente, rendant ainsi sa maîtrise beaucoup plus difficile. Il est donc essentiel d’activer des systèmes d’informations rapides sur ces maladies et de maintenir une sensibilisation constante (et non ponctuelle) des vétérinaires praticiens. Ceux-ci ont en effet un rôle majeur à jouer dans la détection clinique précoce des maladies émergentes (rôle de sentinelles).

L’étude de l’épidémiologie de la FCO est intimement liée à la compréhension de l’infectiologie, de la pathogénie et de l’immunologie des maladies animales. À ce titre, les maladies émergentes constituent aussi des opportunités pour développer davantage l’enseignement dans ces matières et créer de nouveaux moyens de diffusion des données.

L’émergence de la FCO a généré une production importante de communications scientifiques et les acquis ont un impact direct sur la stratégie de lutte mise en place. La recherche scientifique (mécanisme de protection et de persistance) et la veille sanitaire restent des défis pour l’avenir, tout comme l’essor des agences d’évaluation scientifique reposant sur le principe de séparation des fonctions d’évaluation et de gestion du risque. De nouveaux mécanismes de transmission ont été mis en évidence (qui étaient de simples hypothèses auparavant), permettant de mieux expliquer la persistance du virus durant l’hiver.

De plus, l’extension radiale inexorable du BTV-8 à travers l’Europe couplée à la récente progression du BTV-1 dans le sud-ouest de la France augmente le risque de rencontre entre ces deux sérotypes, mais également entre ces sérotypes et d’autres (réassortiment génomique possible), en particulier avec ceux qui sévissent dans le bassin méditerranéen.

Des efforts de recherche sont nécessaires afin d’anticiper l’avenir et d’adapter la stratégie de lutte en conséquence, en particulier vaccinale. Un élément capital est l’enregistrement des vaccinations réalisées, qui permet d’évaluer la couverture vaccinale en fonction des espèces et l’efficacité de celle-ci. À l’initiative de la Direction générale de l’alimentation (DGAL), une enquête a été mise en œuvre avec pour objectif une appréciation précise de l’état d’avancement de la vaccination dans l’ensemble des départements français. De plus, une présentation régulière de la “situation FCO” (y inclus l’avancement de la vaccination lorsque celle-ci est disponible) est réalisée à l’échelon européen, et ce, notamment, au Comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale (Standing Committee on the Food Chain and Animal Health, SCFCAH), section de la Santé et du bien-être animal. Les rapports des différents États membres sont consultables à l’adresse URL suivante : http://ec.europa.eu/food/committees/regulatory/scfcah/animal_health/index_en.htm.

Une évaluation scientifique continue de la vaccination à l’aide de vaccins inactivés, dans le contexte particulier de l’Europe du Nord, constitue une autre priorité. Elle devrait tenir compte des résultats d’infections expérimentales, des vaccins disponibles sur le marché, des informations recueillies sur le terrain à la suite de l’application de différents protocoles de vaccination. Cela permettrait d’améliorer l’efficacité des protocoles pour les prochaines campagnes. De plus, des travaux de recherche sont en cours afin de différencier les animaux vaccinés et les animaux vaccinés infectés.

Encadré 1 : FCO : une maladie “notifiable” en raison des pertes engendrées

• La fièvre catarrhale ovine (FCO) affecte les ruminants domestiques et sauvages. L’agent causal est un virus à ARN segmenté du genre Orbivirus appartenant à la famille des Reoviridae. Il existe dans le monde 24 sérotypes connus de ce virus. La FCO est une maladie à déclaration obligatoire. Elle figure sur la liste des 93affections notifiables à l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) car elle induit de lourdes pertes socio-économiques et perturbe considérablement le commerce international d’animaux et de produits d’origine animale. En plus du sang, d’autres matériaux biologiques tels que la semence et les embryons peuvent être considérés à risque en ce qui concerne la dispersion du virus de la FCO. Lorsque les embryons sont manipulés correctement entre la collecte et la transplantation, comme indiqué dans le Manuel de la Société internationale de transfert d’embryons (IETS)(8), ce risque de transmission est négligeable.

• Un animal infecté peut excréter le virus de la FCO dans son sperme, mais uniquement durant la période de virémie [30]. Lors d’importation de semence ou d’embryons/ovules de ruminants provenant de régions possiblement infectées, les donneurs/donneuses doivent, soit être mis en quarantaine et protégés des vecteurs potentiels pour une période d’au moins 60 jours avant la collecte, soit être testés selon le protocole spécifié dans le Code zoosanitaire des animaux terrestres de l’OIE.

Encadré 2 : 1998-2005 : six souches en Europe méditerranéenne

• Avant 1998, la fièvre catarrhale ovine (FCO) était considérée comme une maladie exotique en Europe puisque seules des incursions sporadiques y étaient décrites, par exemple en Espagne et au Portugal de 1956 à 1960 [38].

• Entre 1998 et 2005, au moins six souches provenant de cinq sérotypes différents du virus de la FCO (bluetongue virus, BTV-1, -2, -4, -9 et -16) sont présentes en permanence dans plusieurs pays du bassin méditerranéen incluant des États membres de l’Union européenne. Cette émergence de la FCO dans cette partie de l’Europe qui n’avait jusqu’alors jamais été affectée a été attribuée essentiellement au changement climatique. Elle a été liée à la fois à l’expansion mondiale du principal et plus ancien vecteur, Culicoides imicola (travaux de Kieffer), dont l’origine est africano-asiatique, et à la participation, décrite pour la première fois, d’espèces de vecteurs indigènes de Culicoides appartenant aux complexes Obsoletus et Pulicaris [31].

Encadré 3 : Overwintering : la clé de l’enzootie

• Actuellement, l’important est de savoir si le virus de la fièvre catarrhale ovine (FCO) est capable de survivre régulièrement entre deux saisons d’activité vectorielle en Europe du Nord et centrale, et de devenir ainsi enzootique.

• La persistance du virus d’une saison d’activité vectorielle à la suivante (durant la période dite d’inactivité vectorielle) est communément appelée “phénomène d’overwintering”. Le virus pourrait persister :

- soit dans des vecteurs adultes qui survivent à l’hiver ;

- soit des vecteurs à leur progéniture par transmission transovarienne ;

- soit chez des animaux hôtes virémiques ou non virémiques.

• Le passage transplacentaire peut également jouer un rôle. C’est la raison pour laquelle des garanties sanitaires sont demandées avant d’échanger ou d’exporter des génisses ou des vaches gestantes (règlement européen (CE) n° 384/2008) [26].

Encadré 4 : Sévérité clinique : responsabilité du vecteur ou de la souche ?

L’augmentation des taux de morbidité et de mortalité en 2007 par rapport à 2006 suggère une sévérité clinique accrue de la fièvre catarrhale ovine (FCO) [Saegerman, données non publiées]. Cette hypothèse est corroborée par la hausse importante des enlèvements des cadavres de petits ruminants dans les exploitations par les services du clos d’équarrissage (figure 8 complémentaire, sur www.WK-Vet.fr). Toutefois, ces observations pourraient être expliquées, en tout ou en partie, par une augmentation de l’activité vectorielle, sans nécessairement que la souche virale soit plus pathogène.

Encadré 5 : Pertes économiques

Bien que difficiles à évaluer, les pertes économiques de la fièvre catarrhale ovine (FCO) sont importantes pour les filières [34]. En France, le rapport n° 460 (2007-2008) de la Commission des finances du Sénat mentionne 65 000 bovins et 32 000 petits ruminants morts depuis le début de l’épizootie de FCO à BTV-8, auxquels s’ajoutent des pertes indirectes :

- une diminution de la production laitière ;

- des troubles de fertilité et des avortements ;

- des pertes économiques liées aux restrictions de circulation et d’échanges d’animaux [6].

Encadré 6 : Ne pas confondre la compétence et la capacité vectorielles

La compétence vectorielle

La compétence vectorielle est la capacité (innée) d’un vecteur à acquérir un pathogène, à le maintenir et à le transmettre avec succès à une espèce hôte sensible [12]. Elle peut être déterminée expérimentalement en nourrissant des insectes d’une espèce donnée avec du sang contenant des doses connues de virus, puis en évaluant, après digestion du repas sanguin, les taux d’infection des insectes et de transmission à des hôtes réceptifs lors de nouveaux repas sanguins [34]. Elle est définie comme étant la proportion d’insectes nourris qui supportent la réplication virale et chez lesquels le virus est transmis après une période d’incubation adéquate. Quand la transmission est difficile à démontrer en raison des difficultés de réalimentation d’insectes tels que les Culicoides, la compétence vectorielle est admise si le virus peut être retrouvé dans les glandes salivaires.

La capacité vectorielle

La capacité vectorielle est le potentiel de transmission virale d’une population d’insectes. Elle tient compte non seulement des populations de vecteurs, mais également des populations d’hôtes et des variables environnementales incluant l’abondance et la survie des vecteurs, le taux de piqûres et de transmission, les préférences de ces derniers pour certains hôtes, l’abondance de ceux-ci, et ce sous une série de conditions externes (bioclimatiques, etc.). Elle peut être définie par le nombre de piqûres infectieuses qu’un vecteur infecté peut effectuer pendant sa durée de vie (deux à quatre semaines pour les Culicoides) [12, 34, 39].

Encadré 7 : Quatre voies d’introduction possibles

L’introduction du virus de la fièvre catarrhale ovine (FCO) d’une région dans une autre peut se réaliser :

- par des mouvements d’animaux (ruminants domestiques ou sauvages) ou le transport de produits animaux (semences, embryons) ;

- par des Culicoides vecteurs infectés transportés par des moyens vivants (plantes, animaux) ou inanimés (par avion ou par bateau) ;

- par un vol actif de Culicoides vecteurs infectés (propagation locale de quelques centaines de mètres) ;

- par un vol passif de Culicoides vecteurs infectés via le vent (responsable de la dissémination sur une longue distance, jusqu’à quelques centaines de kilomètres) [16, 34].

POINTS FORTS

• La FCO peut devenir endémique.

• Le virus de la FCO peut infecter de nombreux ruminants domestiques et sauvages.

• Les bovins et les chèvres sont des réservoirs viraux possibles pour les moutons.

• Aucune voie d’introduction préférentielle du virus n’est connue à ce jour.

• Dans les régions où la FCO est enzootique, le contrôle des vecteurs est illusoire.

Remerciements au Dr P.P.C. Mertens de l’Institute for Animal Health, Pirbright, United Kingdom, pour l’accès aux données concernant l’épidémiologie moléculaire de la fièvre catarrhale ovine.

Références

  • 2 - AFSSA. Point sur la situation de la fièvre catarrhale ovine (FCO) à sérotypes 8 et 1, en France et dans l’Union européenne, au 16 septembre 2008.
  • 6 - Bricq N. La gestion de l’épizootie de fièvre catarrhale ovine (FCO) : tirer des enseignements pour l’avenir. République française, 2008. Rapport du Sénat n° 460.
  • 10 - Elbers AR, Backx A, Mintiens K, Gerbier G, Staubach C, Hendrickx G, Van der Spek A. Field observations during the Bluetongue serotype 8 epidemic in 2006. II. Morbidity and mortality rate, case fatality and clinical recovery in sheep and cattle in the Netherlands. Prev. Vet. Med. 2008 ; 87(1-2): 31-40.
  • 24 - Mellor PS, Pitzolis G. Observations on breeding sites and light-trap collections of Culicoides during an outbreak of bluetongue in Cyprus. Bulletin of Entomological Research. 1979 ; 69 : 229-234.
  • 28 - Ministère de l’Agriculture et de la Pêche. FCO : le ministère de l’Agriculture et de la Pêche confirme la vaccination générale contre la FCO à partir de la fin de l’année et mobilise tous les vaccins disponibles. Communiqué de presse du 18 septembre 2008.
  • 40 - Wilson A, Darpel K, Mellor PS. Where does bluetongue virus sleep in the winter ? PloS Biol. 2008 ; 6(8): 1612-1617.
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