Comprendre les babésioses bovines pour mieux les gérer - Le Point Vétérinaire n° 290 du 01/11/2008
Le Point Vétérinaire n° 290 du 01/11/2008

INFESTATION PAR LES HÉMOPARASITES

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FOCUS

Auteur(s) : Jacques Devos

Fonctions : Cabinet vétérinaire
Chez Mathy, 42360 Panissières

Des mécanismes permettent d’espérer des vaccins, d’expliquer l’anémie, la résistance des veaux et le maintien d’une prémunition.

Chaque année, au printemps et à l’automne, les piroplasmoses reviennent de façon plus ou moins importante suivant les régions et le climat. La pathogénie étant fortement liée aux réactions immunitaires, une meilleure connaissance de ces dernières permet d’adapter le traitement et de conseiller des mesures de prévention. Deux niveaux de réactions sont disponibles : en premier intervient une réponse innée, aspécifique, en second a lieu la réaction spécifique ou acquise faisant intervenir entre autres la production d’anticorps spécifiques. Le parasite limite l’efficacité de la réponse immunitaire pour effectuer son cycle, tout en maintenant son hôte en vie.

Différents travaux récents permettent de mieux comprendre les mécanismes en jeu, pour le parasite avec une meilleure compréhension des phénomènes de variation antigénique, et pour l’hôte, avec la modulation des réactions immunitaires. La question sous-jacente est de savoir pourquoi certains animaux développent la maladie clinique alors que la majorité de leurs congénères sont des porteurs sains.

Invasion : vers des vaccins ?

• Les interactions moléculaires entre les babésies et les hématies ne sont pas encore totalement élucidées (figure). Les Babesia ont développé une importante diversité antigénique pour éviter les réactions immunitaires. Il convient de comprendre ces phénomènes pour développer des mesures préventives, en particulier de nouveaux vaccins (encadré complémentaire “Babesia bovis livre quelques secrets” sur www.WK-Vet.fr).

• Dans l’hématie, les acides sialiques joueraient un rôle de récepteur. Différents essais in vitro avec des neuraminidases, ou en préincubant les mérozoïtes avec une mixture d’acides sialiques, ont révélé une diminution du taux d’invasion des érythrocytes. D’autres études ont montré le rôle de protéines sensibles à la trypsine ou à la chymotrypsine, et de glycosylaminoglycanes (dont l’héparine) [10].

• Les protéines de surface qui sont liées par une extrémité à une structure baptisée “ancre GPI” auraient un rôle dans la phase initiale d’invasion. Elles sont présentes sur les mérozoïtes, mais également sur les sporozoïtes, ce qui en fait de bons candidats pour le développement de vaccins recombinants. Différents essais d’immunisation active ou passive contre Babesia divergens ou B. bigemina ont mis en évidence une protection contre la souche homologue. En revanche, la protection hétérologue est moins efficace, voire inexistante, probablement car peu d’anticorps reconnaissent les épitopes communs et que ceux-ci ne sont pas immunodominants [4].

• Les données expérimentales suggèrent que les babésies requièrent deux protéines MSA distinctes pour l’invasion de l’hématie. Toutes ne sont pas encore identifiées. Mais la plupart semblent codées par des familles de gènes multiples, favorisant ainsi “l’évasion immunitaire” [10].

Expliquer l’anémie

• Après une primo-infection guérie, soit naturellement, soit par chimiothérapie, le système immunitaire fait baisser la parasitémie, sans toutefois éliminer complètement le parasite. Les animaux deviennent des porteurs chroniques, qui résistent à la maladie clinique. Le contrôle de l’infection est effectué par des macrophages spléniques qui s’attaquent aux hématies infectées et par des anticorps neutralisants dirigés contre les mérozoïtes extracellulaires et les antigènes parasitaires exprimés à la surface des hématies (VESA) [4].

• Vis-à-vis d’une infestation, un animal naïf a une réponse innée forte. Les macrophages, essentiellement spléniques, sont activés par les éléments parasitaires, l’interféron σ (IFN-σ) et l’interleukine 12 (IL-12). Ils tuent les parasites par phagocytose et production de métabolites toxiques, dont l’oxyde nitrique (NO), le TNF-α (tumor necrosis factor α) et des radicaux oxydatifs. Ces métabolites s’attaquent aux hématies saines et infectées. Ils sont donc responsables de l’anémie observée en phase clinique [12]. Les différentes cytokines interagissent pour favoriser la mobilisation des défenses immunitaires et augmenter la production de ces métabolites. La réponse humorale intervient avec la production d’anticorps spécifiques, mais aussi d’anticorps dirigés contre les hématies saines. Ce phénomène, démontré récemment chez les bovins, explique aussi pourquoi une anémie importante est observée en phase clinique, alors que le nombre d’hématies infectées est relativement faible [6].

Pourquoi le veau résiste mieux…

• Les jeunes veaux sont plus résistants que les adultes aux babésioses (photo 1). Cette résistance n’est pas due aux anticorps colostraux (elle dure plus longtemps qu’ils ne persistent et est observée également chez des veaux nés de mères indemnes).

• Comparée à celle de l’adulte, une primo-infection du veau entraîne un pic de parasitémie plus rapide, mais à un niveau plus faible, une anémie moins marquée et une récupération plus prompte. La raison de cette résistance est à chercher dans l’équilibre entre les différents facteurs pro- et anti-inflammatoires et leur vitesse d’apparition à la suite d’une primo-infection. Chez le veau, la réponse immune est plus rapide et s’effectue essentiellement dans les organes lymphoïdes dont la rate. Les taux d’IL-12 et d’IFN-σ augmentent rapidement. Les pics sont observés trois à six jours après l’infection, soit environ trois jours plus tôt que chez les adultes. Puis intervient une brève hausse des enzymes synthétisant le métabolite toxique pour les babésies qu’est l’oxyde nitrique. Cette libération précoce de niveaux élevés de NO est rapidement régulée par celle d’IL-10 et de TGF-Β (transformation growth factor-Β) et par un effet feed-back négatif du NO lui-même [1, 2].

• Chez l’adulte, la primo-infection provoque une immunodépression transitoire par libération à des taux plus élevés et plus durables, d’IL-10, qui a un effet anti-inflammatoire. Une diminution des taux d’IL-12 et d’IFN-σ se produit donc en début d’infection quand le parasite est le plus vulnérable. La production de NO est alors retardée et plus faible. Elle a lieu alors que le parasite est plus répandu dans l’organisme et plus diffus. Les hématies saines sont donc plus atteintes par l’effet toxique de NO [1, 12].

Maintien de la prémunition chez l’adulte

• Chez les animaux porteurs sains, les lymphocytes T CD4+ antigènes spécifiques jouent un rôle central. Ils permettent, via la production d’IFN-σ, l’activation des macrophages, l’augmentation de la production d’IgG2 neutralisants, d’IL-4 et d’IL-10.

• Le maintien de la prémunition est un processus complexe qui évolue dans le temps. Une primo-infection entraîne la production d’anticorps neutralisants non cytophiles dirigés spécifiquement contre la souche concernée, ainsi que l’activation du complément. Avant même l’apparition des premiers anticorps, quelques parasites (taux de mutation : de 10-2 à 10-4 par génération) expriment un autre gène codant pour une nouvelle spécificité antigénique et échappent ainsi à l’action des anticorps [7].

• À la suite des multiplications intra-érythrocytaires, des mérozoïtes sont libérés. Ceux-ci sont reconnus par les IgG qui déclenchent la réaction dite “ADCI” (pour antibody-dependent cellular inhibition). Celle-ci est non spécifique et active la production de substances capables de bloquer la multiplication intra-érythrocytaire : TNF-α, IFN-σ, NO notamment. Ces molécules agissent également contre les Babesia qui expriment un autre antigène que celui qui a provoqué la production d’IgG. La diminution du nombre de mérozoïtes circulants entraîne une baisse de l’activité des monocytes. De plus, chez toutes les souches, certaines régions antigéniques restent constantes et deviennent probablement la cible privilégiée des anticorps, permettant ainsi une protection hétérologue.

• L’ensemble de ces mécanismes permet le maintien de B. divergens de 18 mois à quatre ans sans nouvelle réinfestation et un tel cycle durerait environ trois semaines, d’après les étalements sanguins effectués (photo 2) [3, 7, 8, 9].

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