Hématurie rénale idiopathique chez un chiot - Le Point Vétérinaire n° 289 du 01/10/2008
Le Point Vétérinaire n° 289 du 01/10/2008

Urologie du chien

Pratique

CAS CLINIQUE

Auteur(s) : Carole Bokobza*, Julien Bazelle**, Dominique Fanuel-Barret***

Fonctions :
*3, rue Aumont
75013 Paris
**ENV de Nantes
Unité de médecine
Atlanpôle, La Chantrerie
BP 40706
44307 Nantes Cedex 03
***ENV de Nantes
Unité de médecine
Atlanpôle, La Chantrerie
BP 40706
44307 Nantes Cedex 03

L’hématurie rénale idiopathique est une cause rare d’hématurie chez le chien. Lors d’atteinte unilatérale, le pronostic est bon après néphrectomie.

Une chienne croisée labrador de trois mois est référée pour une hématurie qui persiste depuis un mois.

Cas clinique

1. Commémoratifs et anamnèse

Le chiot n’est pas vacciné et vit avec des chevaux. Il est présenté à un premier vétérinaire le jour qui suit l’apparition de sang dans les urines. Après l’exclusion d’une cause traumatique ou toxique, un traitement per os à base de marbofloxacine (Marbocyl®, 2 mg/kg, une fois par jour) et de phloroglucinol (Spasmoglucinol®, 1 comprimé, deux fois par jour) est mis en place pendant quatre jours.

Aucune amélioration n’est constatée. Le propriétaire présente la chienne à un second vétérinaire une semaine après. Un examen échographique abdominal révèle une légère pyélectasie gauche, mais aucun diagnostic n’est émis. Un nouveau traitement est instauré. Il comporte une injection sous-cutanée d’étamsylate (Hémoced®) associée à de l’amoxicilline/acide clavulanique (ClavaseptinP®, 20 mg/kg, par voie orale deux fois par jour pendant deux semaines), à de la vitamine K1 (5 mg/kg, deux fois par jour, pendant trois semaines) et à un diurétique doux à base de Lespedeza capitata, d’artichaut et d’orthosiphon (Phytophale®, 1 comprimé par jour pendant une semaine).

Le chiot est présenté de nouveau un mois après le début des signes car l’hématurie n’a pas régressé.

2. Examen clinique

Le chiot est en bon état général. Hormis des muqueuses buccales et oculaires pâles, l’examen clinique ne révèle rien d’anormal.

Le propriétaire décrit des urines teintées de sang à chaque miction et pendant toute la durée de celle-ci. Ni dysurie, ni strangurie, ni pollakiurie, ni pertes sanguines en dehors des mictions ne sont rapportées.

3. Hypothèses diagnostiques

Il convient tout d’abord de distinguer au sein de l’appareil urinaire, une atteinte basse (urètre, vessie) d’une atteinte haute (uretère, rein) (figure).

Chez un chiot, les principales causes d’hématurie sont des lésions post-traumatiques (la chienne vit au milieu de chevaux), une origine infectieuse, une anomalie congénitale (polykystose rénale, malformation vasculaire, etc.) ou un trouble de l’hémostase. La présence de calculs (notamment en cas de shunt portosystémique) est à considérer dans un deuxième temps et, bien que plus rare chez un jeune, un néoplasme peut être envisagé.

Après exclusion de toutes ces causes, un diagnostic d’hématurie idiopathique est émis.

4. Examens complémentaires

Examen urinaire

Un examen des urines (bandelette, test de Heller, centrifugation et observation du culot au microscope) obtenues par cystocentèse met en évidence des hématies et des protéines en grande quantité, ainsi que quelques coques et cellules inflammatoires. Ces anomalies confirment une atteinte de l’appareil urinaire et orientent le diagnostic vers une atteinte glomérulaire associée à une infection bactérienne.

Examen sanguin

Une coagulopathie ne peut cependant pas être exclue. Une mesure du temps de saignement gingival (dans les normes, c’est-à-dire inférieur à 2,5minutes) ainsi qu’un bilan hématologique sont pratiqués (tableau).

Ce dernier exclut une trombocytopénie et confirme l’anémie, qui n’est que modérée selon les normes chez le chiot. Celle-ci est normochrome, normocytaire et régénérative.

Un bilan biochimique révèle une hypoprotéinémie et une hypoalbuminémie. Cette fuite protéique confirme l’hypothèse d’une atteinte des glomérules rénaux.

Examen échographique

L’examen échographique de l’appareil urinaire met en évidence un contenu vésical hétérogène qui peut correspondre à la présence de caillots sanguins, ainsi qu’une légère dilatation de la portion intrapariétale de l’uretère droit. Une urographie intraveineuse confirme cette dernière observation. À ce stade, une malformation congénitale de l’abouchement urétéral droit ne peut être exclue (photos 1 et 2).

Examen cystoscopique

Afin de visualiser les abouchements urétéraux et la muqueuse vésicale, un examen cystoscopique est réalisé sous anesthésie générale. Pour compenser les pertes sanguines et augmenter l’hématocrite, une transfusion à un débit de 10 ml/kg/h pendant deux heures est mise en place la veille de l’anesthésie. Un bilan sanguin préanesthésique révèle une glycémie de 1,3 g/l, un hématocrite de 31 % et des protéines totales de 52 g/l. Seuls ces trois paramètres sont recherchés car ils fluctuent très vite et sont nécessaires au choix du protocole anesthésique (nature et concentration des molécules). En prévention d’une hypoxie liée au faible taux d’hématies circulantes, une préoxygénation de 30 minutes est pratiquée. La procédure anesthésique comporte une prémédication par du diazépam (Valium®(1), 0,25 mg/kg, par voie intraveineuse), une induction au propofol (Rapinovet®, 4 mg/kg, par voie intraveineuse) et un maintien à l’isoflurane via un circuit ouvert. L’analgésie peropératoire est assurée par des injections de Morphine Aguettant®(1) par voie intraveineuse à la dose de 0,1 mg/kg. Une antibioprévention est mise en place à l’aide d’une injection de céphalexine (Rilexine®, 30 mg/kg, par voie intraveineuse). Le chiot est perfusé avec du chlorure de sodium (NaCl) 0,9 % selon un débit de 10 ml/kg/h.

La présence de sang en grande quantité, malgré un “flushing” vésical, est un obstacle à une bonne exploration de la vessie. Cependant, l’hématurie semble provenir de l’uretère droit.

Un épillet de 1 cm de long est retrouvé fortuitement à l’extrémité distale du vagin. Sa présence ne peut cependant justifier l’hématurie observée.

À ce stade, une laparotomie exploratrice est décidée afin d’observer macroscopiquement l’aspect de l’appareil urinaire et de réaliser des biopsies rénales. Cette intervention est retardée de 48 heures pour éviter de poursuivre une anesthésie déjà longue (1 h 30), des difficultés ayant été rencontrées au cours de l’examen cytoscopique.

5. Exploration chirurgicale

Le protocole anesthésique mis en œuvre est le même que celui de l’examen cystoscopique.

Une laparotomie par la ligne blanche est pratiquée. Lors de l’exploration des organes abdominaux, le rein droit apparaît de taille, de forme et de consistance normales, mais de petites hémorragies sous-capsulaires sont présentes.

Une cystotomie est effectuée et aucune lésion de la muqueuse vésicale n’est découverte. La cathétérisation des deux uretères par des sondes urinaires pour chat (1 x 130 mm) confirme que l’hématurie provient de l’uretère droit (photo 3). L’urine prélevée directement à la sonde qui cathétérise l’uretère droit est centrifugée dans un tube à micro-hématocrite. Elle contient 3 % de sang. Sur la base d’une diurèse de 3 ml/kg/h, cela correspond à une perte de sang de 17,3 ml/j pour un volume sanguin total estimé à 650 ml.

L’exérèse du rein et de l’uretère droits est réalisée. Ces derniers sont conservés dans du formol 10 % en perspective d’une analyse histopathologique. Une sonde urinaire de Foley est mise en place afin de contrôler la diurèse. Les plans musculaire et sous-cutané sont suturés par des surjets simples avec du fil monofilament résorbable 2/0. Un surjet cutané simple associé à des points en U est mis en place avec du fil monofilament irrésorbable 2/0.

6. Soins postopératoires

Selon l’évaluation des scores de douleur, l’analgésie est entretenue par des injections répétées de Morphine Aguettant®(1) par voie intraveineuse à la dose de 0,1 mg/kg à 3, 4 et 6 heures postopératoires. L’antibiothérapie est réalisée à l’aide de céphalexine (Rilexine®) par voie intraveineuse à la dose de 15 mg/kg, matin et soir pendant deux jours.

La sonde urinaire est retirée 24 heures plus tard. La chienne est en bon état général et ne présente plus d’hématurie au lendemain de la néphrectomie. Les paramètres biochimiques (urée, créatinine et protéines totales) et l’hématocrite sont dans les normes et constants pendant toute la période d’hospitalisation. Les dosages sont réalisés cinq heures après l’intervention (J0), à J + 1 et à J + 5. L’urémie et la créatininémie permettent d’évaluer le fonctionnement du rein restant. Le suivi de l’hématocrite et des protéines sanguines totales rend compte de l’arrêt des pertes rénales sanguines et protéiques. La chienne est rendue à ses propriétaires huit jours plus tard, avec une prescription de phloroglucinol (Spasmoglucinol®, 1 comprimé per os, deux fois par jour pendant cinq jours, en prévention des spasmes consécutifs à la cystotomie et au sondage urétral) et de céphalexine (Rilexine®, 15 mg/kg per os, deux fois par jour pendant une semaine). Un contrôle est réalisé 10 jours plus tard. L’animal est en bon état général et ne présente pas d’hématurie.

7. Résultats de l’analyse histopathologique

À l’analyse histopathologique, le rein présente une dilatation (ectasie) multifocale modérée des capillaires sanguins associée à des hémorragies sous-capsulaires punctiformes. L’aspect histologique des néphrons et des vaisseaux est normal. Aucun élément ne permet d’expliquer l’hématurie attestée par la présence d’hématies dans les tubes collecteurs.

Discussion

Deux groupes d’hématurie sont distingués :

– les hématuries rénales telles que les malformations congénitales (polykystose rénale, dysplasie rénale, anomalie vasculaire), les traumatismes, les glomérulonéphrites, les intoxications, les néphrolithiases et les néoplasies ;

– les hématuries extrarénales qui comprennent les vascularites, les thrombocytopénies, les coagulopathies et les atteintes vésicales et/ou urétrales (lithiase/tumeur/infection) [5].

Le cas décrit correspond à une hématurie rénale idiopathique. Cette terminologie désigne une hématurie macroscopique continue ou intermittente dont la cause demeure inconnue. Il s’agit d’un diagnostic d’exclusion qui repose sur l’absence de commémoratif de traumatisme, d’intervention chirurgicale rénale ou de radiothérapie et d’anomalie (hormis l’hématurie) décelée à l’examen clinique ou lors des examens complémentaires (exploration de la fonction rénale, urographie intraveineuse, etc.) [5, 8, 10]. Dans le cas de cette chienne, qui vit au milieu de chevaux, l’hypothèse traumatique ne peut pas être exclue malgré l’absence de signes qui s’y rattachent (lésion cutanée, hématome, etc.).

Cette entité pathologique est rare. Seule une vingtaine de cas sont décrits [1, 2, 5, 6, 7, 10, 11]. Les animaux touchés sont essentiellement des chiens de races de grande taille (danois, labrador, boxer, etc.). Ils sont âgés de 2 mois à 11 ans, avec une médiane de 21 mois, et présentent pour la plupart une hématurie rénale unilatérale. Le pronostic rapporté après exérèse du rein atteint est bon. En effet, d’après les données sur l’hématurie essentielle humaine, la néphrectomie unilatérale est curative et n’engendre pas de complications sur le rein adelphe [5, 8]. Chez l’homme, l’hématurie rénale idiopathique représente environ 10 % des hématuries. Seuls sont connus les mécanismes qui conduisent aux lésions et à la destruction des glomérules rénaux, mais leur origine reste encore à identifier. Les atteintes sont pour la plupart immunologiques (dépôts de complexes immuns, d’anticorps circulants ou d’anticorps spécifiques dirigés contre les structures glomérulaires) [3, 4].

Une alternative à la néphrectomie existe afin de conserver le maximum de fonction rénale. Mishina et coll. ont décrit une méthode d’occlusion partielle de l’artère rénale [10]. Après détermination du rein atteint par cathétérisation des uretères, une dissection du hile rénal suivie d’une occlusion temporaire et successive des différents rameaux de l’artère rénale à l’aide de clamps est pratiquée. En cas d’intégrité de la zone dont la vascularisation afférente est interrompue, l’hématurie subsiste. Sinon, elle disparaît. Le rameau de l’artère rénale qui irrigue la zone défectueuse est ensuite ligaturé et la vascularisation collatérale prend le relais. Ainsi, 75 % de la fonction du rein peuvent être conservés.

En médecine humaine, Kumon et coll. établissent la zone responsable de l’hématurie à l’aide d’un urétéropyéloscope [9]. La ligature de l’artère défaillante est alors réalisée.

Les complications décrites lors d’hématurie idiopathique rénale sont de quatre types :

– la formation de caillots sanguins qui obstruent partiellement ou complètement les uretères et/ou l’urètre, soit 11 cas sur 21 [2, 5, 7] ;

– une anémie régénérative (14 cas sur 21), voire une anémie par carence en fer lors d’hématurie chronique [8, 10] ;

– le développement d’infections urinaires bactériennes ascendantes (le sang reste un excellent milieu de culture) ;

– une intoxication des reins par l’hémoglobine libérée lors de la dégradation des hématies dans l’urine.

Une surveillance régulière de l’animal est donc requise si l’hématurie persiste.

Dans le cas décrit, les complications observées sont une anémie régénérative et une infection urinaire (présence de coques dans le culot urinaire).

L’hématurie rénale idiopathique du chien est une entité rare mais qui doit être incluse dans le diagnostic différentiel de l’hématurie. Il s’agit d’un diagnostic d’exclusion.

En cas d’atteinte unilatérale, une néphrectomie est recommandée afin d’éliminer la source de l’hémorragie et de prévenir les complications (obstruction urinaire, anémie, infection bactérienne) [5, 10]. Le pronostic est bon. Il est sombre lors d’atteinte bilatérale [7].

  • (1) Médicament humain.

Références

  • 1 - Batamuzi EK, Kirstensen F, Basse A et coll. Idiopathic renal hematuria in a dog. Vet. Rec. 1994 ; 135(25): 603.
  • 2 - DiBartola SP, Myer CW, Boudrieau RJ et coll. Chronic hematuria associated with renal pelvic blood clots in two dogs. J. Am. Vet. Med. Assoc. 1983 ; 183(10): 1102-1104.
  • 3 - Droz D, Noel LH. Classification des glomérulonéphrites primitives. Méd. Thér. 1999 ; 5(5): 532-562.
  • 4 - Fourcade J. Néphropathies glomérulaires. Cours de la faculté de médecine de Montpellier-Nîmes, 2006.
  • 5 - Hawthorne JC, DeHaan JJ, Goring RL et coll. Recurrent urethral obstruction secondary to idiopathic renal hematuria in a puppy. J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 1998 ; 34(6): 511-514.
  • 6 - Hitt E, Straw RC, Smith C et coll. Idiopathic hematuria of unilateral renal origin in a dog. J. Am. Vet. Med. Assoc. 1985 ; 187(12): 1371-1373.
  • 7 - Holt PE, Lucke VM, Pearson H. Idiopathic renal hemorrhage in the dog. J. Small Anim. Pract. 1987 ; 28 : 253-263.
  • 8 - Kaufman AC, Barsanti JA, Selcer BA. Benign essential hematuria in dogs. Comp. Contin. Educ. Pract. 1994 ; 16(10): 1317-1322.
  • 9 - Kumon H, Tsugawa M, Matsumura Y. Endoscopic diagnosis and treatment of chronic unilateral hematuria of uncertain etiology. J. Urol. 1990 ; 143(3): 554-558.
  • 10 - Mishina M, Watanabe T, Yamamura H et coll. Idiopathic renal hematuria in a dog : the usefulness of a method of partial occlusion of the renal artery. J. Vet. Med. Sci. 1997 ; 59(4): 293-295.
  • 11 - Stone EA, DeNovo RC, Rawlings CA. Massive hematuria of nontraumatic renal origin in dogs. J. Am. Vet. Med. Assoc. 1983 ; 183(8): 868-871.

POINTS FORTS

• L’hématurie rénale idiopathique doit être incluse dans le diagnostic différentiel de l’hématurie.

• L’hématurie s’accompagne souvent d’une anémie régénérative, d’infections et/ou d’obstructions de l’appareil urinaire.

• Le diagnostic repose sur l’exclusion des autres causes d’hématurie.

• Une laparotomie exploratrice associée à une cystotomie et à la cathétérisation des deux uretères permet de préciser si l’atteinte est uni- ou bilatérale.

• Lors d’atteinte unilatérale, la néphrectomie s’accompagne d’un bon pronostic.

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