Les maladies à transmission vectorielle - Le Point Vétérinaire n° 287 du 01/07/2008
Le Point Vétérinaire n° 287 du 01/07/2008

Parasitologie canine et féline

Mise à jour

AVIS D’EXPERTS

Auteur(s) : Lénaïg Halos*, Frédéric Beugnet**

Fonctions :
*Unité de parasitologie,
ENV d’Alfort
7, avenue du Général-Leclerc
94700 Maisons-Alfort
**Merial
29, avenue Tony-Garnier
69348 Lyon

L’émergence ou la réémergence, que ce soit chez l’homme ou l’animal, des maladies à transmission vectorielle, les replacent au centre des challenges médicaux du XXIe siècle.

L’expression de maladies vectorielles dépend du “rendez-vous” entre les membres d’un système tripartite qui regroupe l’hôte, l’agent pathogène et le vecteur. Sous une influence environnementale forte, cette “rencontre” est également conditionnée par des facteurs propres à chacun des protagonistes. Cela explique la complexité et la diversité des maladies induites.

Qu’est-ce qu’un vecteur ?

Frédéric Beugnet : La notion de maladie à transmission vectorielle se fonde sur la définition de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui désigne un vecteur comme « un arthropode hématophage qui assure la transmission biologique (ou mécanique) active d’un agent infectieux d’un vertébré à un autre vertébré ». La transmission active signifie que c’est le vecteur qui établit le contact entre l’agent pathogène et le vertébré. De plus, ce vecteur assure la survie, la transformation et, parfois, la multiplication avant la transmission d’un agent pathogène. Par extension, certains métazoaires non arthropodes ont été inclus dans la liste des vecteurs, comme les sangsues, mais la majorité de ceux-ci sont soit des insectes, soit des acariens (représentés presque uniquement par les tiques).

Si les arthropodes et de nombreux agents pathogènes (bactéries, protozoaires, filaires) sont connus depuis longtemps, l’Antiquité pour certains d’entre eux, l’existence des vecteurs n’est établie que depuis la fin du XIIIe siècle. L’érudit Avicenne a suspecté, dès l’an 1034, le rôle des moustiques dans la transmission des maladies des marécages, mais les démonstrations scientifiques sont beaucoup plus récentes. Les moustiques ont été les premiers étudiés. En 1717, Lancisi a supposé leur intervention dans la transmission de la malaria (Plasmodium sp.), la preuve en a été apportée en 1884 par Laveran. La transmission de la leishmaniose par des “moucherons” a été étudiée dès 1786 par l’Italien Scopoli, mais le rôle des phlébotomes n’a été clairement établi qu’après les travaux des frères Sergent de 1901 à 1904. La transmission de Leishmania infantum, chez le chien ou chez l’homme, a été démontrée par Parrot et Donatien en 1926. La reconnaissance du pouvoir vectoriel des puces est encore plus récente, bien que la peste soit un fléau depuis l’Antiquité et qu’elle ait tué plus de la moitié des Européens entre 1348 et 1350. Leur rôle dans la transmission de Yersinia pestis a été démontré par Paul Louis Simond en 1897. La connaissance de la transmission d’autres agents pathogènes comme les Bartonella date de la fin du XXe siècle et c’est à la fin du XIXe que l’importance des tiques en tant que vecteurs a été prouvée.

Comment s’effectue la transmission ?

FB : Les vecteurs assurent la “récupération” des agents pathogènes chez un hôte, puis leur transport et généralement leur évolution, et, ensuite, leur transmission à un ou à plusieurs nouveaux hôtes. La transmission n’est pas seulement mécanique et les vecteurs la favorisent par l’action immunomodulatrice qu’ils entretiennent au cours de leur repas, notamment par leur salive.

Durant leur séjour au sein des vecteurs, les agents pathogènes peuvent se transformer. C’est le cas des filaires qui évoluent du stade d’embryon (ou microfilaire) à celui de larve 3 infestante. Cette transmission est dite “évolutive”. Parfois, les agents infectieux ne font que se multiplier chez leur vecteur. C’est le cas des transmissions propagatives observées avec les virus et les bactéries, qui ne sont d’ailleurs parfois pas dénués de pouvoir infectieux pour le vecteur lui-même. En ce qui concerne les bactéries, par exemple du genre Borrelia, le passage chez le vecteur se solde par des modifications antigéniques qui favorisent sa transmission et l’échappement immunitaire vis-à-vis de la réponse de l’hôte. Enfin, certains agents pathogènes, telle la majorité des protozoaires (Plasmodium, Theileria, Babesia, Leishmania), se multiplient et se transforment pour acquérir leur pouvoir infectant chez le vecteur. C’est une transmission cyclo-propagative. Dans certains cas, la phase sexuée du cycle des protozoaires a lieu chez le vecteur, tels que les agents du paludisme, des babésioses ou des theilérioses. Les vecteurs sont alors aussi les hôtes définitifs des protozoaires, tandis que les vertébrés en sont les hôtes intermédiaires.

Qu’il s’agisse de virus, de bactéries ou de protozoaires, certains agents infectieux peuvent se transmettre verticalement chez leur vecteur, via les gonades puis les œufs, et y rester présents durant plusieurs générations. C’est le cas notamment de couples tiques-Babesia. Les vecteurs deviennent alors également des réservoirs d’agents pathogènes.

Pourquoi les maladies vectorielles sont-elles tant d’actualité ?

Lénaïg Halos : Les maladies à transmission vectorielle font parler d’elles car leur impact en santés humaine et animale a augmenté ces dernières années. Elles sont considérées comme émergentes dans la plupart des pays de l’hémisphère Nord. Cela est expliqué par différents phénomènes. L’épidémiologie des maladies vectorielles n’est pas figée, mais sujette à des évolutions, au gré du temps et de nombreux facteurs. Des modifications en profondeur des écosystèmes qui découlent notamment des activités humaines ou des changements climatiques sont observées. Elles influent sur la répartition des arthropodes, donc sur celle des maladies transmises qui peuvent alors “émerger” dans des zones où elles étaient jusqu’alors absentes. Ainsi, certaines constructions ou aménagements, ou réserves peuvent se révéler propices aux cycles vecteurs/faune sauvage. Il en est ainsi de la création de parcs. Les actions de sauvegarde de la faune sauvage et l’augmentation des populations animales, par exemple des Cervidés et des sangliers hôtes de tiques, favorisent également l’émergence d’affections. En ce qui concerne les changements climatiques, la réduction des périodes hivernales augmente le nombre de générations et la période d’activité des arthropodes vecteurs, donc le risque de transmission des maladies vectorielles. Le réchauffement engendre également des variations dans les distributions géographiques des vecteurs, par exemple la propagation d’espèces méditerranéennes vers le nord de l’Europe (Rhipicephalus sanguineus) ou d’espèces tempérées vers l’est (Dermacentor reticulatus en Allemagne et aux Pays-Bas).

En outre, le comportement humain évolue. Le développement récent des activités de loisirs en plein air est, par exemple, considéré comme un des facteurs explicatifs de l’augmentation de l’incidence des maladies à tiques humaines. La “fuite” de la population des centres villes vers la grande banlieue, associée à la création de zones pavillonnaires avec de nombreux jardins est propice à la multiplication de vecteurs comme les phlébotomes vecteurs des leishmanies, mais également des hôtes sauvages ou péridomestiques (rongeurs) de certains agents pathogènes. La rénovation d’anciennes bâtisses, bordées de murs en pierre, dans le sud de la France, est un facteur important d’extension des phlébotomes et de la leishmaniose (dans la Drôme et l’Ardèche par exemple).

La mobilité et l’augmentation des échanges sont également en cause. L’envahissement progressif du globe terrestre par le moustique tigre Aedes albopictus, vecteur du chikungunya et de la dengue, est ainsi lié au commerce et au transport de pneus d’occasion depuis l’Asie. Cette mobilité concerne aussi les animaux domestiques hôtes, et l’introduction d’animaux hôtes porteurs d’agents pathogènes dans une zone indemne est un facteur d’émergence. Ainsi, un foyer de surra à Trypanosoma evansi a été déclaré dans l’Aveyron en 2006 à la suite de l’introduction de dromadaires porteurs du parasite en provenance des îles Canaries. Enfin, l’intérêt porté aux “maladies à tiques” augmente en proportion de notre capacité à les détecter.

Les infections par les agents pathogènes à transmission vectorielle sont-elles suivies d’une immunité ?

FB : Il existe une réaction immunitaire à toute infection, y compris aux maladies transmises vectoriellement. La réponse, humorale et cellulaire, est différente et spécifique de chaque agent pathogène transmis.

La bartonellose féline à B. henselae est suivie, après la phase de bactériémie, d’une immunité protectrice probablement durant toute la vie de l’animal. À l’opposé, l’ehrlichiose comme la babésiose canines ne sont pas suivies d’une immunité protectrice. Les chiens peuvent donc présenter plusieurs fois la maladie. Aucune immunité protectrice n’est acquise même si une réponse en anticorps vis-à-vis de Dirofilaria immitis est notée. C’est d’ailleurs l’accumulation des filaires à la suite de multiples infestations qui conduit à une insuffisance cardiorespiratoire. La réponse immunitaire lors de leishmaniose est bien connue. Dans une population de chiens, il existe de “bons et de mauvais répondeurs”, ce qui aboutit ou non à la maladie et à la variété des signes cliniques observés.

Dans tous les cas, le fait d’identifier les types de réponse protectrice (souvent à médiation cellulaire) est un élément favorable au développement de vaccins de nouvelle génération contre les infections les plus graves.

Quels sont les principaux agents pathogènes du chien et du chat à transmission vectorielle en France ?

FB : Les maladies vectorielles dominantes chez les carnivores domestiques en France métropolitaine sont celles transmises par les tiques, et ce sur l’ensemble du territoire (tableau). Les moustiques ne jouent qu’un rôle mineur, à l’inverse de ce qui est observé dans les pays tropicaux. Les phlébotomes ne transmettent que la leishmaniose. Les puces interviennent dans la transmission des bartonelloses.

Un très large spectre d’agents pathogènes est à transmission vectorielle. Il existe notamment un grand nombre de protozoaires parasites. Il s’agit en particulier de parasites hémotropes comme les piroplasmes (Babesia sp. et, dans une moindre mesure, Theileria sp.) et les Hepatozoon sp (photo1). Ils sont transmis par les tiques dures. Si la piroplasmose à Babesia canis est fréquente sur l’ensemble du territoire, en revanche, l’hépatozoonose ne se retrouve que dans le sud de la France.

Les leishmanies (Leishmania infantum) sont transmises par les phlébotomes (photos 2a et 2b). Leur répartition reste limitée au tiers sud de la France, même si leur zone de présence a tendance à s’élargir.

Certains virus peuvent être transmis au chien et au chat par des vecteurs, même si les agents viraux sont rares en zone tempérée. Le virus de l’encéphalite à tiques est surtout présent à l’est de l’Europe. Il s’agit d’un agent qui affecte principalement les hommes, mais une petite vingtaine de cas canins ont été documentés en Autriche, en Hongrie et en Slovaquie.

Un très grand nombre de bactéries à transmission vectorielle sont responsables de maladies chez le chien et/ou le chat. La plupart de ces bactéries sont transmises par les tiques. Il s’agit des ehrlichioses, à Anaplasma phagocytophilum chez le chat et le chien et à Ehrlichia canis et platys chez le chien (photo 3). Le chien est concerné par la maladie de Lyme à Borrelia burgdorferi sensu lato. Les puces transmettent Bartonella sp., et potentiellement Yersinia pestis au chien et au chat.

Un certain nombre d’helminthes parasites des canidés peuvent également être transmis par des vecteurs. Il s’agit de filaires appartenant soit au genre Dirofilaria (avec Dirofilaria imitis, agent de la dirofilariose cardiaque du chien, et Dirofilaria repens, agent d’une dirofilariose cutanée) transmis par des moustiques culicidés, soit au genre Dipetalonema transmis par les tiques (photo 4).

Quels sont les outils de diagnostic des maladies à transmission vectorielle du chien et du chat ?

LH : Le diagnostic des maladies infectieuses à transmission vectorielle repose sur une première approche épidémioclinique qui prend en compte la probabilité d’expression de la maladie suspectée en fonction de la saison, de la zone géographique, de l’animal hôte et des signes exprimés. Les signes cliniques dans le cas de ces affections sont souvent peu spécifiques et polymorphes. Un diagnostic différentiel solide et une confirmation de laboratoire sont souvent nécessaires à l’obtention du diagnostic de certitude. Le diagnostic de laboratoire repose principalement sur trois types d’outils : des outils de diagnostic direct parasitologique ou bactériologique, des outils de diagnostic immunologique par analyse sérologique et des outils de recherche d’ADN par des techniques de biologie moléculaire.

La plupart des agents pathogènes à transmission vectorielle possèdent une localisation sanguine pour l’ensemble ou un seul de leurs stades évolutifs chez l’hôte. Ils sont présents dans les compartiments qui entrent en contact avec leur vecteur hématophage. Le diagnostic direct est donc principalement hématologique. Par extension est incluse dans le diagnostic hématologique l’analyse du système lymphatique pour les leishmanies (qui ne présentent pas de stade sanguin). Le diagnostic hématologique repose principalement sur la réalisation d’un frottis sanguin de sang périphérique coloré au May-Grünwald-Giemsa (MGG) ou en coloration rapide. Le prélèvement de sang périphérique (pratiqué par scarification du pavillon de l’oreille) plutôt que central se justifie par une concentration plus élevée des agents pathogènes recherchés dans le sang capillaire. Pour certains d’entre eux, comme les microfilaires de Dirofilaria sp., il est même recommandé de réaliser la prise de sang lors du pic d’activité des vecteurs culicidés, c’est-à-dire au crépuscule. L’observation à fort grossissement du frottis coloré permet de mettre en évidence des agents pathogènes intra- ou extracellulaires. Dans un frottis sanguin, il convient de chercher les hématies infectées en bordure et en queue de prélèvement, dans les zones où des globules blancs sont également mis en évidence. La limite de l’examen direct est principalement sa sensibilité qui dépend aussi de l’expérimentation du vétérinaire.

Des tests sérologiques directs (mise en évidence d’antigène) ou indirects (observation d’une réponse immunitaire de l’hôte) sont commercialisés pour le diagnostic de certaines maladies à transmission vectorielle. Les tests de dépistage font appel à des méthodes classiques d’Elisa, de Western Blot ou d’immunofluorescence indirecte. La limite des tests indirects est souvent leur faible spécificité et l’interprétation difficile qu’elle génère.

Les techniques de biologie moléculaire se développent, mais leur utilisation en routine est encore rare en médecine vétérinaire.

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