Obturateur de trayon en période sèche : quelle utilité ? - Le Point Vétérinaire n° 286 du 01/06/2008
Le Point Vétérinaire n° 286 du 01/06/2008

Prévention des infections mammaires

Mise à jour

Le point sur…

Auteur(s) : Nathalie Bareille

Fonctions : UMR Bioagression
épidémiologie et analyse
de risques
ENVN-INRA,
Atlanpole la Chantrerie
BP 40706, 44307 Nantes

L’obturateur de trayon, médicament inerte, est peu prescrit en France par méconnaissance, mais surtout en raison d’une croyance démesurée aux vertus préventives de l’antibiotique.

Pour prévenir les infections de la période sèche, un obturateur interne de trayon peut être intéressant. En effet, depuis une dizaine d’années, l’utilisation massive des antibiotiques est combattue en médecines humaine et vétérinaire. Le traitement systématique des vaches au tarissement avec des antibiotiques paraît peu justifié chez les vaches non infectées au tarissement (il est pratiqué en prévention des nouvelles infections pouvant intervenir lors de la période sèche). En agriculture biologique, le traitement systématique des vaches au tarissement est même interdit par le cahier des charges.

En France, Orbeseal® est le premier et reste le seul obturateur interne de trayon à disposer d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) comme médicament vétérinaire. Sa qualité, son innocuité et son efficacité ont été évaluées et approuvées préalablement à son usage.

Cet obturateur est mis en place le jour du tarissement et est retiré à la première traite (, et ). Après huit ans de commercialisation en France, un point peut être proposé sur l’efficacité préventive de ce type de produit, notamment par comparaison à celle des antibiotiques.

Quelle est son efficacité préventive ?

Divers essais ont été réalisés chez des vaches considérées comme saines au tarissement, c’est-à-dire avec une concentration en cellules somatiques inférieure à 200 000 cellules/ml ( à ). Toutes les données suggèrent que la durée d’action préventive de l’obturateur interne de trayon est plus longue que celle de l’antibiotique. Cela a été confirmé dans l’essai de Berry et Hillerton : l’efficacité préventive de l’association d’un obturateur interne de trayon et d’un antibiotique a tendance à être d’autant plus marquée que la durée de tarissement est longue [4].

L’efficacité de l’obturateur est exprimée par un risque relatif (RR) d’infection (ou de mammite clinique), par rapport à un non-traitement ou à un traitement antibiotique (encadré). En effet, les traitements appliqués au tarissement visent à prévenir les nouvelles infections pendant tout ou partie de la période sèche et leurs conséquences (mammites cliniques en début de lactation).

Classiquement, la mise en évidence des nouvelles infections s’effectue à l’aide de deux examens bactériologiques du lait de chaque quartier, l’un réalisé le jour du tarissement et l’autre dans les cinq jours suivant le vêlage. Dès qu’une bactérie est mise en évidence au vêlage alors qu’elle ne l’était pas le jour du tarissement, ce quartier est considéré comme nouvellement infecté.

Depuis plusieurs années, il a été montré que ces infections contractées pendant la période sèche pouvaient s’exprimer de façon clinique en début de lactation. Ainsi, l’occurrence de mammites cliniques pendant les 60, voire les 100 premiers jours de lactation est en partie due à des infections de la période sèche. En moyenne, une infection sur deux contractée en période sèche donne lieu à une mammite clinique en début de lactation.

Quelles infections sont prévenues ?

L’efficacité de ce produit varie en fonction du type d’infection. Sans entrer dans le détail de chacune des publications vues précédemment, la meilleure activité est obtenue par ordre décroissant contre :

- Streptococcus uberis (RR par rapport au non- traitement : 0,2 en moyenne) ;

Staphylococcus aureus et Corynebacterium bovis (RR : 0,35) ;

- des bactéries à Gram- (RR : 0,5) ;

- des staphylocoques coagulase-négatifs pour lesquel la prévention est très modeste (RR : 0,9).

Ainsi, lors de risque d’infection élevé par des bactéries à réservoir environnemental, l’efficacité préventive de l’obturateur interne de trayon est grande.

Quelle efficacité chez les génisses ?

Récemment, deux études ont été réalisées en Nouvelle-Zélande afin d’évaluer différentes stratégies de prévention des mammites des génisses [10, 11]. Les génisses en fin de gestation sont élevées en grands groupes dans des enclos extérieurs. Les risques d’infection par des bactéries à réservoir environnemental sont donc importants. L’obturateur (et/ou l’antibiotique) a été administré environ 35 jours avant le vêlage et retiré à la première traite après vêlage. Quelle que soit la comparaison réalisée (), l’obturateur de trayon réduit fortement le risque d’infection en fin de gestation (risque divisé par 3). Il en est de même pour le risque de mammite clinique lors des 14premiers jours (risque divisé par 4).

Dans ces essais, le nombre de traitements pour mammite clinique en début de lactation n’a pas été réduit dans les groupes traités par l’obturateur : des mammites cliniques ont été détectées par les éleveurs, mais pour une très grande partie d’entre elles, aucune bactérie n’a pu être mise en évidence, faisant suspecter une surdétection lors de traitement par l’obturateur interne. En France, comme ailleurs en Europe, les infections contractées par les génisses autour du vêlage sont en grande majorité à staphylocoques coagulase-négatifs [1, 2]. Dans nos systèmes de production, compte tenu de l’efficacité modeste de l’obturateur vis-à-vis de ces infections, son activité est donc a priori beaucoup plus limitée.

Quel risque de non-guérison des infections ?

• Le choix entre obturateur et antibiotique intramammaires ne dépend pas seulement de leur efficacité préventive respective. Leur efficacité curative vis-à-vis des infections présentes le jour du tarissement doit aussi être prise en compte.

Hors lactation, les antibiotiques actuels à large spectre permettent des taux de guérison moyens des infections de :

- 60 % pour Staphylococcus aureus ;

- 85 % pour Streptococcus uberis et pour les staphylocoques coagulase-négatifs ;

- 98 % pour des infections à Corynebacterium bovis et les bactéries à Gram-.

• L’obturateur interne de trayon n’a aucune efficacité curative propre. Toutefois, les taux de guérison spontanée lors de la période sèche sont loin d’être négligeables ; pour les infections présentes le jour du tarissement, ils sont en moyenne de :

- 35 % pour les infections à Staphylococcus aureus ;

- 45 % pour Streptococcus uberis ;

- 60 % pour Corynebacterium bovis ;

- 70 % pour les staphylocoques coagulase-négatifs ;

- 80 % pour des infections à bactéries à Gram-.

Le taux de guérison des infections présentes au tarissement avec l’obturateur est bien inférieur à celui obtenu à l’aide d’antibiotiques. Ce médicament est donc recommandé chez des vaches présumées saines. Celles-ci sont sélectionnées en pratique sur la base d’une concentration en cellules somatiques (CCS) de moins de 150 000 à 250 000 cellules/ml. Elles sont soit non infectées, soit infectées avec des agents pathogènes mineurs, tels que Corynebacterium bovis et les staphylocoques coagulase-négatifs. Le taux de guérison spontanée attendu chez ces vaches est ainsi assez élevé.

Dans quels troupeaux le prescrire ?

• Le choix d’une stratégie de traitement au tarissement doit d’abord s’envisager à l’échelle du troupeau, avant de choisir les individus à traiter. En effet, les bénéfices du traitement au tarissement peuvent non seulement être mesurés chez les vaches traitées (moins d’infections et de mammites cliniques que les vaches non traitées), mais aussi sur le reste du troupeau en lactation exposé à une pression d’infection moins forte.

• Pour évaluer correctement les effets à moyen terme d’une stratégie de traitement au tarissement, il est nécessaire d’avoir recours à la modélisation de la propagation des infections au sein d’un troupeau et à la simulation de différentes stratégies de traitement au tarissement sur plusieurs années. Cette approche a été retenue récemment dans un programme collaboratif entre l’Institut de l’élevage, l’ENV de Nantes, la Filière blanche, les chambres d’Agriculture de Bretagne et des Pays-de-la-Loire [12]. Cependant, les stratégies intégrant l’utilisation de l’obturateur interne de trayon n’ont pas encore été évaluées (résultats disponibles dans les prochains mois). Quelques pistes peuvent toutefois être utilement évoquées.

Dans les situations où la prévalence des infections au tarissement est faible (CCS sur lait de mélange inférieure à 150 000 cellules/ml) et où le risque de nouvelles infections pendant la période sèche à venir est faible à moyen, l’arrêt total des antibiotiques au tarissement peut se justifier. Lorsque la prévalence est plus élevée, des traitements antibiotiques doivent être maintenus afin de guérir les infections.

Lorsque le risque de nouvelles infections est plus élevé, une prévention par traitement antibiotique ou par obturateur interne doit être mise en place. L’utilisation d’un obturateur interne est préférable à celle de l’antibiotique au-delà de 25 % de nouvelles infections (pourcentage de vaches dont la CCS est inférieure à 300 000 cellules/ml au tarissement qui passent au-dessus de ce seuil au premier contrôle après vêlage). En effet, des bactéries à Gram- sont alors souvent impliquées, et les antibiotiques, même ceux à forte efficacité préventive, ont un effet préventif de courte durée vis-à-vis de ces bactéries.

• La difficulté est d’évaluer le risque de nouvelles infections pendant la période sèche à venir, sachant que la situation d’un élevage est généralement connue alors que les vaches sont traitées avec des antibiotiques. Le taux de nouvelles infections de la campagne de tarissement précédente et les risques associés aux modalités de conduite des vaches au tarissement doivent être évalués [12].

• La dernière question à examiner pour la prescription de l’ensemble du troupeau est celle de l’arrêt ou du maintien du traitement antibiotique lors d’utilisation d’un obturateur. Deux raisons techniques peuvent justifier son maintien :

- limiter le risque d’infection consécutif à un défaut d’hygiène dans la réalisation des traitements chez des éleveurs insuffisamment méticuleux ;

- guérir les infections présentes au tarissement dans des élevages à concentration cellulaire du lait de mélange supérieure à 200 000 ou 250 000 cellules/ml.

Chez quels animaux lors de période sèche à risque ?

• L’obturateur interne peut être choisi pour faire face à un fort risque de nouvelle infection pendant la période sèche. Il convient alors de l’administrer chez toutes les vaches et de réserver les antibiotiques aux seules vaches infectées. Désormais, Orbeseal® peut être administré chez toutes les vaches (dans une première version de son AMM les indications étaient limitées aux vaches saines, avec l’idée de maintenir le traitement antibiotique chez les autres vaches).

• L’efficacité de l’association obturateur-antibiotique est démontrée. En outre, les vaches déjà infectées au tarissement sont aussi celles dont la sensibilité individuelle vis-à-vis des nouvelles infections est la plus élevée. Rien ne justifie donc de ne pas les traiter avec l’obturateur. D’un point de vue pratique, l’antibiotique est administré en premier, et, après massage de la mamelle pour bien faire pénétrer l’antibiotique dans la glande mammaire, l’obturateur est déposé dans le sinus du trayon.

• Pour les génisses, les deux essais réalisés sont peu adaptés pour éclairer l’intérêt de l’obturateur en France. Lors de soucis de mammites cliniques de génisses au vêlage ou en tout début de lactation, son utilisation pourrait être envisagée. Toutefois, l’implication de bactéries à réservoir environnemental doit être au préalable confirmée. Ce traitement n’est pas aisé à administrer trois semaines avant vêlage dans de bonnes conditions d’asepsie.

Chez quels animaux pour de bonnes pratiques ?

Si le choix de l’obturateur interne est affectué afin de réduire l’usage des antibiotiques, la logique est de ne traiter que les vaches présumées infectées avec des antibiotiques. Des réticences existent en France à laisser les vaches, même présumées saines, sans aucun traitement : l’antibiotique hors lactation est souvent appelé “crème à tarir”, comme s’il était incontournable. L’obturateur interne, également injecté dans le trayon, est alors un bon candidat, inerte, pour remplacer l’antibiotique. Dans ce contexte, la question se pose de l’intérêt économique d’administrer un obturateur aux vaches présumées saines par rapport à l’absence de traitement.

Si le recours à l’obturateur permet d’éviter une partie des infections à la période sèche et surtout des mammites cliniques de début de lactation, les coûts de traitement par l’obturateur pourraient être compensés par les pertes et coûts épargnés. Cette approche simple a été retenue par Berry et coll. : dans les conditions anglaises, l’utilisation d’un obturateur interne chez les vaches non infectées se révèle moins intéressante économiquement que l’antibiothérapie hors lactation, mais cela vaut mieux que de ne rien faire [5]. Ce résultat est toutefois obtenu avec des paramétrages d’efficacité discutables : le taux de nouvelles infections est ainsi de 20 % en l’absence de traitement et de 7 % pour les deux autres types de traitement, alors qu’un petit avantage existe pour l’obturateur. Les calculs mériteraient d’être renouvelés pour un risque de nouvelles infections pendant la période sèche très bas en l’absence de traitement (moins de 10 %).

L’efficacité préventive de l’obturateur de trayon est ainsi démontrée dans tous les essais réalisés chez des vaches au tarissement. Ce médicament inerte permet de réduire le risque d’infection et de mammite clinique en début de lactation. En France, son utilisation reste toutefois limitée par comparaison aux États-Unis ou au Royaume-Uni. La crainte d’arrêter les antibiotiques est en effet manifeste.

Les conditions d’utilisation de l’obturateur seul ou en association avec l’antibiotique au tarissement méritent d’être plus précises, afin que la prescription du praticien soit davantage sécurisée. L’emploi pour les génisses en fin de gestation ne paraît pas justifié dans la grande majorité des élevages.

POINTS FORTS

• La durée d’action préventive de l’obturateur interne de trayon est plus longue que celle de l’antibiotique.

• L’obturateur est plus efficace pour prévenir les infections à Streptococcus uberis.

• En France, l’efficacité attendue de l’obturateur est a priori relativement limitée chez les génisses.

• En cas de fort risque de nouvelle infection pendant la période sèche, la logique est de traiter toutes les vaches avec l’obturateur et seulement les vaches infectées avec des antibiotiques.

Encadré : Définition du risque relatif d’infection (ou de mammite clinique)

Le risque relatif d’infection est le rapport entre la fréquence d’infection (ou de mammite clinique) dans le groupe des quartiers traités par l’obturateur, par rapport à ceux non traités, ou traités avec un antibiotique. Plus le risque relatif est faible, plus l’efficacité comparée de l’obturateur est élevée.

Un risque relatif de 0,33 signifie, par exemple, que le risque est divisé par trois lors d’utilisation de l’obturateur.

Références

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  • 2 - Bareille N, Djabri B, Magras C et coll. Fréquence et bactéries impliquées dans les infections mammaires des vaches primipares autour du vêlage. Rencontres Recherches Ruminants, Paris, France. 4-5 décembre 2002;9:49.
  • 3 - Berry EA, Hillerton JE. The effect of an intramammary teat seal on new intramammary infections. J. Dairy Sci. 2002;85:2512-2520.
  • 4 - Berry EA, Hillerton JE. Effect of an intramammary teat seal and dry cow antibiotic in relation to dry period length on postpartum mastitis. J. Dairy Sci. 2007;90:760-765.
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