Le contrat d’entreprise versus le contrat de soins - Le Point Vétérinaire n° 284 du 01/04/2008
Le Point Vétérinaire n° 284 du 01/04/2008

Responsabilité et obligations

Pratique

Législation

Auteur(s) : Christian Diaz

Fonctions : 7, rue Saint-Jean, 31130 Balma

La responsabilité d’un prestataire de service non vétérinaire peut être engagée même si la faute n’est pas prouvée, mais seulement présumée, sur la base du contrat d’entreprise.

Les faits : déchirure rectale constatée chez une jument

Monsieur J, propriétaire d’une jument, a conclu avec un éleveur-étalonnier un contrat de saillie dans lequel l’étalonnier s’engage à garder la jument et à ce que l’un de ses étalons la couvre. À la suite de la seconde saillie, un examen vétérinaire révèle une déchirure de l’ampoule rectale avec contamination abdominale. La jument est euthanasiée. Avant cette saillie litigieuse, un vétérinaire en charge du suivi gynécologique de la jument a pratiqué un examen échographique, lequel, selon son attestation, s’est déroulé sans incident. Monsieur J porte donc plainte contre l’étalonnier, avec lequel il est lié par contrat, pour manquement à son obligation de sécurité devant le tribunal de grande instance, l’affaire venant ensuite en appel.

Le jugement : erreur de lieu retenue et indemnisation du préjudice

Attendu que la perforation qui a entraîné la décision d’euthanasie de l’animal ne peut être due qu’aux examens médicaux ou à la saillie elle-même, il est retenu que c’est une erreur de lieu (le pénis aurait pris le chemin non pas du vagin, mais du rectum) qui est à l’origine du sinistre. La responsabilité civile de l’étalonnier est par conséquent engagée.

Le préjudice est indemnisé sur la base suivante :

- le prix d’achat de la jument ;

- les frais de pension ;

- les frais d’autopsie ;

- les frais de saillie ;

- le préjudice moral.

Dans cette affaire, les “généreux” juges ont accordé un préjudice moral équivalent à la moitié de la valeur de la jument, ce qui est élevé eu égard aux usages, mais qui relève de l’appréciation souveraine des magistrats.

Pédagogie du jugement : responsabilité civile de l’étalonnier

• L’arrêt de la cour d’appel de Caen du 5 juin 2007 précise la nature juridique des obligations d’un étalonnier dans le cadre d’un contrat de saillie, ce dernier étant ici également dépositaire de la jument.

• Les obligations de l’étalonnier relèvent traditionnellement du contrat d’entreprise, dont les caractéristiques sont jurisprudentielles. Ce type de contrat implique une obligation de sécurité de l’animal. Cette dernière correspond à une obligation de moyens, qui nécessite une faute pour que soit engagée la responsabilité, selon une jurisprudence de 1988.

• En l’espèce, la faute de l’étalonnier (erreur de lieu) n’est pas prouvée mais présumée. Les lésions n’ont pu être provoquées que lors de l’examen échographique pratiqué par le vétérinaire ou lors de la saillie sous contrôle de l’étalonnier, les deux interventions ayant été réalisées le même jour.

Faute de preuve tangible sur l’origine des lésions, la cour d’appel retient la seule responsabilité de l’étalonnier, sur la base d’une obligation de moyens assortie d’une présomption de faute, dont l’étalonnier ne pouvait s’exonérer qu’en prouvant le comportement irrésistible et imprévisible de l’animal.

• La responsabilité du vétérinaire aurait également pu être invoquée. Cependant, le praticien qui intervient dans le cadre d’un contrat de soins (et non d’entreprise) relève d’une obligation de moyens simple. La faute doit être prouvée et non présumée. De plus, et fort astucieusement, le propriétaire n’avait engagé que la responsabilité de l’étalonnier. En effet, comment l’étalonnier aurait-il pu fournir la preuve contraire, la jument n’ayant pas eu de comportement imprévisible ou irrésistible ? À l’inverse, si le recours avait été exercé contre le vétérinaire, il aurait appartenu au propriétaire de prouver une faute de la part du praticien.

• Cet arrêt confirme la plus grande sévérité des magistrats à l’égard des prestataires de service non vétérinaires, ceux-ci se voyant appliquer une obligation de moyens renforcée dans le domaine de la sécurité de l’animal. Toutefois, l’obligation de moyens renforcée est déjà invoquée dans le cadre de l’activité vétérinaire pour les actes simples ou ceux effectués par un spécialiste. Assisterons-nous à une extension et à une généralisation de cette notion dans le cadre de notre activité professionnelle pour satisfaire les velléités indemnitaires de nos magistrats ?

Source : Cour d'appel de Caen du 5 juin 2007.

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