La thélaziose : une helminthose oculaire émergente - Le Point Vétérinaire n° 284 du 01/04/2008
Le Point Vétérinaire n° 284 du 01/04/2008

Parasitologie du chien et du chat

Mise à jour

Le point sur…

Auteur(s) : Guillaume Cazalot*, Ludovic Siméon**

Fonctions :
*Clinique vétérinaire
150, rue Edmond-Rostand
31200 Toulouse
**Clinique vétérinaire
247, route d’Angoulême
24000 Périgueux

Une étude récente décrit les premiers cas de thélaziose d’origine autochtone chez le chien et le chat en France. Dans un contexte d’épidémiosurveillance, le diagnostic est nécessaire.

Les thélazioses sont des helminthoses des culs-de-sac conjonctivaux et de l’appareil lacrymal transmises par des arthropodes. Plusieurs espèces sont décrites dans le genre Thelazia. Certaines possèdent un large spectre d’hôtes définitifs : T. callipaeda, T. californiensis, parasites des carnivores domestiques et sauvages, des lapins et de l’homme, alors que d’autres sont plus spécifiques : T. gulosa, T. rhodesi et T. skrjabini, parasites des bovins, T. lacrymalis, parasite du cheval, T. subgenus Thelaziella spp., parasite des oiseaux [2, 8, 10, 12 à 14, 16, 24, 25, 27, 43, 44].

Chez l’homme, le chien et le chat, l’infestation par Thelazia callipaeda est la plus fréquente alors que celle par Thelazia californiensis demeure plus exceptionnelle.

Thelazia callipaeda a été décrit pour la première fois par A. Railliet et A. Henry chez l’homme et, en 1910, chez le chien, en Thaïlande. Seules des femelles ont pu alors être caractérisées. La description des mâles a été effectuée en 1928 par E. C. Faust. Depuis, d’autres cas d’infestation sont rapportés en Indonésie, en Afrique, en Asie, en Europe et en Amérique du Nord [39].

Thelazia californiensis a été décrit pour la première fois en 1930 par E. W. Price chez le chien, en 1935 par C. A. Kofoid et O. L. Williams chez l’homme. Il demeure à ce jour exclusivement localisé dans l’Ouest américain [1, 9].

Thelazia callipaeda

1. Parasite de la famille des nématodes

Souvent appelé “oriental eyeworm”, T. callipaeda est un nématode spiruridé thélaziidé (encadré 1). Il se présente comme un ver blanchâtre de 0,75 x 13 mm pour les mâles et de 0,85 x 17 mm pour les femelles. Les mâles du genre Thelazia sont aisément identifiables par l’incurvation ventrale de leur terminaison postérieure (). L’espèce T. callipaeda possède 8 à 10 paires de papilles précloacales contre 6 ou 7 dans l’espèce T. californiensis.

Les femelles sont reconnaissables par la présence d’une vulve ventrale centrale, rostrale à la jonction œsophago-intestinale chez T. callipaeda et caudale chez T. californiensis () [1, 4, 33].

2. Cycle biologique

• Les adultes, mâles et femelles, vivent dans le cul-de-sac conjonctival de l’hôte définitif ( et ). Les femelles sont vivipares et donnent directement naissance à des larves de premier stade L1 [41]. Il existe une saisonnalité dans leur reproduction, liée à la présence ou non du vecteur. En effet, de novembre à mai, les femelles sont en “hypobiose”. Leur utérus contient des œufs embryonnés. Cette période correspond à celle d’inactivité du vecteur. Ainsi, quand celui-ci reprend son activité, les T. callipaeda femelles reprennent leur cycle reproductif et donnent à nouveau naissance à des L1. Ces dernières sont ainsi présentes dans les sécrétions lacrymales de juin à juillet [30, 31].

• L’hôte intermédiaire ou vecteur, décrit en Italie, est la mouche Phortica variegata (F. drosophilidae, F. steganinae) [26] (encadré 2 et ). Cet insecte vecteur, et plus particulièrement les mâles, absorbe les L1 lors d’un repas lacrymal. En trois jours (J3), les L1 migrent dans l’hémocoele de l’arthropode jusqu’aux gonades chez le mâle ou le tissu graisseux chez la femelle. Puis les L1 s’encapsulent et réalisent deux mues successives, en L2 puis en L3. Ces dernières sont les éléments infestants. En effet, les L3 sortent de leur capsule et gagnent la trompe (ou proboscis) de l’insecte dès J14 pour être déposées à la surface de l’œil de l’hôte définitif [31].

• Lors d’un repas lacrymal, les L3 infestantes gagnent le cul-de-sac conjonctival de l’hôte définitif et réalisent une mue en L4, après une semaine (S1/J7-9). Les L4 sont observées de mars à avril (début du printemps) et d’août à octobre (fin de l’été, début de l’automne) chez l’hôte définitif, en deux cycles principaux d’infestation [30]. Ces deux périodes correspondent aux périodes d’activité maximale des vecteurs. Les L4 effectuent une dernière mue pour donner les adultes : les mâles à S2 (J13-14) et les femelles à S3 (J22-25). Les adultes peuvent vivre jusqu’à un an chez l’hôte définitif.

Un “portage hivernal” des larves de T. callipaeda est probable chez l’hôte intermédiaire : une diapause larvaire autoriserait alors la survie du parasite pendant l’hibernation de P. variegata. Cela pourrait expliquer les deux cycles d’infestation précédemment décrits.

Caractéristiques épidémiologiques

Historiquement, Thelazia callipaeda est un parasite observé chez l’homme, le chien, le chat, la vache, le blaireau, le lapin, le renard et le singe en ex-URSS et en Asie [29, 45]. Bien que mal connu, l’hôte intermédiaire responsable des infestations dans ces régions semblait être des mouches du genre Phortica spp. (anciennement Amiota sp.) et Musca spp. [29, 46].

En 1989, l’apparition de foyers dans le Piémont et le sud de l’Italie signe le point de départ d’une extension de la parasitose sur L’Ancien Continent : l’Allemagne, les Pays-Bas, la Suisse et la France [5,15,29, 39]. L’analyse de la variabilité génétique entre les spécimens d’Europe et d’Asie a récemment permis de conclure au caractère autochtone des T. callipaeda européens. En effet, une partie du gène cox1 (codant pour la subunité 1 de la cytochrome oxydase c), utilisé comme marqueur d’identification par polymerase chain reaction (PCR) pour T. callipaeda, a permis de distinguer plusieurs haplotypes : l’haplotype 1 (h1) est caractéristique de l’Europe, tandis que l’haplotype 2 (h2) et d’autres se trouvent en Asie [35, 36, 37].

Cet Thelazia h1 est observé en Europe chez le chien, le chat, le lapin, le renard, et, depuis 2007, chez le loup [27].

Les observations effectuées en Italie permettent d’identifier Phortica variegata comme un vecteur du parasite, avec une prévalence d’infestation par Thelazia callipaeda de 1,34 % [28]. De plus, il est démontré que Musca domestica, vecteur d’autres Thelazia sp. chez les ruminants et les équidés, n’est pas celui de la thélaziose à Thelazia callipaeda [14, 32, 34, 43].

Phortica variegata est principalement actif entre 20 et 25 °C et sous une humidité relative de 50 à 75 % [26]. Ces conditions correspondent aux périodes de fin de printemps et de début d’automne propices à l’ingestion de larves L1 de T. callipaeda présentes dans les larmes.

De plus, grâce aux collectes d’insectes en Italie, les habitudes alimentaires des mouches ont pu être précisées. Autour des yeux des cobayes, uniquement des mâles sont capturés alors que les femelles ne le sont qu’à proximité des fruits [28]. Ainsi, seuls les mâles se nourrissent de sécrétions oculaires. De plus, seule la dissection des mâles a permis d’identifier T. callipaeda, ce qui démontre le rôle majeur des mâles dans la transmission de la thélaziose. Cependant, en plus de la mise en évidence des larves de T. callipaeda dans les gonades de P. variegata mâles, des études russes plus anciennes ont déjà révélé leur présence dans le tissu graisseux de P. variegata femelles [18, 19, 29]. Ce dernier élément est confirmé par une étude italienne qui montre que les P. variegata femelles peuvent expérimentalement être infestés par des larves L1 et développer en leur sein des L3 infestantes, si elles sont forcées de se nourrir de sécrétions lacrymales infestées [31]. Ainsi, ce serait non une dissemblance anatomique, mais une différence dans les habitudes alimentaires entre les mâles (larmes) et les femelles (fruits) de P. variegata qui expliquerait cette spécificité des mâles en tant que vecteurs de la thélaziose des carnivores domestiques [26].

En conclusion, les conditions climatiques et alimentaires décrites ci-dessus (climat tempéré et présence d’arbres fruitiers) peuvent être retrouvées largement en Europe. Ainsi, bien que cela n’ait pu encore être démontré, Phortica variegata devrait vraisemblablement demeurer le vecteur des cas récemment observés en France, plus précisément en Dordogne. En effet, l’analyse moléculaire du gène cox1 des parasites collectés chez les chiens et les chats inclus dans une étude (ces animaux n’ayant jamais quitté la Dordogne) permet de conclure à la présence dans cette région de l’h1, caractéristique de la thélaziose européenne. Le rôle de la faune sauvage (renards) est envisagé dans l’essaimage des foyers transalpins jusque dans le Périgord où la culture des fraises serait notamment propice au développement de l’hôte intermédiaire [11].

Signes cliniques

Lorsqu’elle s’exprime cliniquement, la thélaziose se traduit par l’un ou plusieurs de ces symptômes : épiphora, conjonctivite, kératite, opacité cornéenne voire ulcère cornéen [38].

En effet, les infestations par T. callipaeda peuvent mimer la présence d’un corps étranger oculaire. L’animal examiné présente unilatéralement ou bilatéralement un blépharospasme et une photophobie plus ou moins marqués ( à ). Un épiphora peut être observé et fréquemment se transformer en chassie en cas de surinfection bactérienne. À l’examen rapproché, une conjonctivite est diagnostiquée grâce à l’observation d’une hyperhémie conjonctivale marquée, parfois associée à la présence de follicules lors d’infestation chronique. L’exploration des culs-de-sac conjonctivaux, et en particulier derrière la membrane nictitante, permet de mettre en évidence les vers adultes.

Cependant, chez le chien, une étude italienne démontre que dans presque un cas sur deux (45 %) la thélaziose est asymptomatique [21].

Traitement

1. Traitement mécanique

Le retrait mécanique des T. callipaeda avec une pince mousse peut se faire sous anesthésie locale, mais se révèle souvent laborieux, sans garantir une efficacité à 100 %, notamment vis-à-vis des formes non adultes (œufs et larves).

2. Traitement médical

L’administration hors autorisation de mise sur le marché (AMM) d’une présentation de moxidectine à 2,5 % et d’imidaclopride à 10 % en spot-on (Advocate® Bayer) est efficace à 90 % en cinq jours et à 95 % en neuf jours. Un seul chien traité dans l’étude n’a pas répondu au traitement ; cependant, son pelage était trempé lors de l’application du spot-on, ce qui pourrait expliquer le défaut d’efficacité [3]. La paralysie puis la mort des nématodes sont liées aux effets de la moxidectine sur le système GABA. Ce mode d’action étant commun aux lactones macrocycliques, des essais thérapeutiques à base de milbémycine oxime ou d’avermectines, déjà employées avec succès dans le traitement des thélazioses bovines, pourraient être envisagés : dans les cas autochtones français, les animaux ont été traités avec succès avec une présentation hors AMM de milbémycine oxime et de praziquantel en comprimé (Milbemax® Novartis) [11, 23].

L’instillation locale hors AMM d’une goutte de moxidectine 1 % (Cydectine 1 %® Fort Dodge, préparation injectable pour bovins) présente également une efficacité de 100 % en moins de deux minutes [21].

Prophylaxie

Aucune rechute n’est généralement observée après traitement ou exérèse mécanique des adultes, mais la rémanence et l’utilisation préventive de la présentation de moxidectine à 2,5 % et d’imidaclopride à 10 % en spot-on (Advocate® Bayer) n’ont pas encore été étudiées. Son action rapide et efficace pourrait être bénéfique aux animaux qui vivent dans les zones infestées, dans le cadre d’une prophylaxie saisonnière, de mars à octobre, période d’activité intense de Phortica variegata.

De plus, une présentation d’imidaclopride et de perméthrine en spot-on avec AMM vétérinaire (Advantix® Bayer) possède pour indication une « activité répulsive contre les mouches, Stomoxys calcitrans, pendant quatre semaines ». Son éventuel pouvoir répulsif vis-à-vis de P. variegata mériterait d’être étudié dans les zones infestées.

Diverses pistes sont donc ouvertes dans la lutte contre cette maladie émergente. Son large spectre d’hôtes définitifs et son caractère zoonotique, particulièrement décrit chez les enfants et les personnes âgées en Asie, confèrent au vétérinaire un rôle central d’épidémiosurveillance [6, 7, 11, 17, 20, 22, 40 à 42, 47]. La prise de conscience du risque d’enzootie en France permettra de limiter l’apparition d’infestations humaines.

Encadré 1 : Classification de Thelazia callipaeda

Embranchement : Némathelminthes

Classe : Nématodes

Ordre : Spirurida

Superfamille : Thelazioidea

Famille : Thelaziidae

Genre : Thelazia

Espèce : T. callipaeda

Encadré 2 : Classification de Phortica variegata

Embranchement : Arthropodes

Classe : Insectes

Ordre : Diptera

Famille : Drosophilidae

Sous-famille : Steganinae

Genre : Phortica

Espèce : P. variegata

POINTS FORTS

• Thelazia callipaeda est un helminthe parasite des culs-de-sac conjonctivaux et de l’appareil lacrymal.

• L’infestation par T. callipaeda n’est pas spécifique, et concerne les carnivores domestiques (chien, chat) et sauvages (renard, loup), le lapin et l’homme.

• Phortica variegata est le vecteur de T. callipaeda en Europe.

• Seules les mouches mâles semblent transmettre la thélaziose.

• P. variegata est surtout active de mars à octobre.

• Les vers adultes sont observés au début du printemps et de l’automne.

• La thélaziose se présente comme une conjonctivite, éventuellement surinfectée, mais elle peut être asymptomatique.

Remerciements au Pr Otranto de l’université vétérinaire de Bari (Italie) et à son équipe, aux Drs Mazière et Bongrain, et aux Drs Ameslant, Filleul, Petit et Dulaurent pour le prêt de leurs photographies.

Références

  • 3 - Bianciardi P, Otranto D. Treatment of dog thelaziosis caused by Thelazia callipaeda (Spirurida, Thelaziidae) using a topical formulation of imidacloprid 10 % and moxidectin 2.5 %. Vet. Parasitol. 2005;129(1-2):89-93.
  • 11 - Dorchies P, Chaudieu G, Simeon LA, Cazalot G, Cantacessi C, Otranto D. First reports of autochthonous eyeworm infection by Thelazia callipaeda (Spirurida, Thelaziidae) in dogs and cat from France. Vet. Parasitol. 2007;149(3-4):294-297. Epub, 2007.
  • 26 - Otranto D, Brianti E, Cantacessi C, Lia RP. The zoophilic fruitfly Phortica variegata : morphology, ecology and biological niche. Med. Vet. Entomol. 2006;20(4):358-364.
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