Inversion du cæcum chez un jeune bouledogue anglais - Le Point Vétérinaire n° 284 du 01/04/2008
Le Point Vétérinaire n° 284 du 01/04/2008

Gastro-entérologie du chien

Pratique

Cas clinique

Auteur(s) : Julien Labruyère*, Hervé Brissot**

Fonctions :
*Animal Health Trust
Lanwades Park, Kentford,
Newmarket, Suffolk, CB8 7UU
Royaume-Uni
**Dick White Referrals
Six mile Bottom Speciality
Centre
London Road, Suffolk, CB8 0UH
Royaume-Uni

L’intussusception cæco-colique est peu fréquente chez le chien. Le diagnostic fait appel à des techniques d’imagerie médicale. L’intervention chirurgicale est curative dans la majorité des cas.

Une intussusception se définit comme l’invagination d’une portion du système gastro-intestinal dans la lumière d’un segment adjacent. Le segment invaginé est appelé intussusceptum tandis que celui qui le recouvre est appelé intussuscupiens. L’intussusception iléo-colique chez le chien est largement documentée. Cependant, l’inversion du cæcum dans le côlon, ou intussusception cæco-colique, est une affection peu fréquente.

Cas clinique

1. Anamnèse

Un chien mâle de race bouledogue anglais âgé de sept mois est présenté pour des épisodes intermittents de diarrhée depuis un mois. Son état général est bon et aucune perte d’appétit n’est signalée. Quelques rares épisodes de vomissements et de léthargie, qui précèdent pour la plupart l’émission de selles à consistance muqueuse dans lesquelles des traces de sang frais sont visibles, sont remarqués par le propriétaire. L’animal est nourri avec une alimentation industrielle prescrite par le vétérinaire traitant. Il est à jour de ses vaccinations et de ses vermifugations. Son poids (20,2 kg) ainsi que sa condition physique sont bons. Le propriétaire signale que son chien joue souvent avec des os et des cailloux.

2. Examen clinique

La température, la couleur des muqueuses et le rythme respiratoire sont normaux. Aucune augmentation de taille des nœuds lymphatiques n’est notée. La palpation abdominale, non douloureuse, révèle une masse médio-abdominale en position ventrale, d’aspect cylindrique et qui mesure approximativement 5 cm de longueur.

3. Hypothèses diagnostiques

Ce chien présente les symptômes d’une diarrhée chronique muco-hémorragique provenant du côlon. Les causes suspectées en premier lieu chez un jeune chien en bon état général sont une colite d’origine alimentaire, idiopathique ou infectieuse (parasitaire). La masse abdominale peut être expliquée par la présence d’un corps étranger, d’une intussusception ou d’un polype. Un processus tumoral, bien que très peu probable, ne peut toutefois pas être exclu.

4. Examens complémentaires

• Les résultats de la numération-formule et de la biochimie sanguines sont dans les limites des valeurs de référence. La coproscopie ne met en évidence aucun parasite.

• Un examen radiographique est réalisé. Les clichés abdominaux révèlent une structure de densité liquidienne ayant la forme d’une saucisse recourbée sur elle-même dans la lumière du côlon proximal, du côté gauche.

Le côlon est modérément distendu par du gaz sur le reste de sa longueur. La silhouette cæcale est absente (, , et ). Les clichés du thorax ne présentent pas d’anomalies.

• Lors de l’examen échographique abdominal, apparaît une lésion circulaire composée de couches multiples disposées de manière concentrique et adjacente à une anse intestinale. Cet aspect en pelure d’oignon est confirmé par l’obtention d’images selon des plans tranverses et longitudinaux, suggérant un diagnostic d’intussusception. Le Doppler couleur indique la présence de vaisseaux sanguins invaginés dans la partie centrale de la lésion ().

Une cavité anéchogène anormale qui s’étend sur plusieurs centimètres est également observée ().

Le cæcum n’est pas visible. Les nœuds lymphatiques mésentériques sont proéminents, jusqu’à 1 cm de diamètre. Ils présentent un centre hyperéchogène et des bords bien définis.

Une intussusception cæco-colique est donc suspectée et un traitement chirurgical est proposé.

5. Traitement chirurgical

Le chien est admis pour correction chirurgicale. Il reçoit en prémédication 0,3 mg/kg de méthadone (Physeptone®(1)), 4 mg/kg de médétomidine (Domitor®), 0,005 mg/kg d’acépromazine (Calmivet®). L’induction est réalisée par voie intraveineuse avec du propofol (Rapinovet®) et l’anesthésie est maintenue à l’aide d’isoflurane.

Après la mise en place d’une antibioprophylaxie par voie intraveineuse (Augmentin®(2) à la dose de 20 mg/kg lors de l’induction, renouvelée six heures après la première injection), une préparation chirurgicale de l’abdomen est effectuée (tonte large, chlorhexidine en savon : Hibiscrub®, puis en solution alcoolique : Hibitan®).

Une laparotomie exploratrice xyphopubienne est réalisée. L’examen de la cavité abdominale permet d’observer une intussusception colique par inversion du cæcum (). Une manipulation douce de ce dernier et du côlon permet de réduire l’intussusception. À ce stade, une invagination de l’extrémité libre du cæcum sur lui-même, sans protrusion dans la lumière colique, est observée. Le côlon semble normal et d’une viabilité satisfaisante. Le canal digestif apparaît libéré de tout obstacle entre l’iléon et le côlon descendant, y compris après clampage de la base du cæcum ().

Après section et hémostase des vaisseaux de l’apex du cæcum, une typhlectomie mécanique est réalisée à l’aide d’une agrafeuse thoraco-abdominale (TA) de 55 mm avec des agrafes de 3,5 mm ( et ).

Après section du cæcum, la plaie intestinale est inspectée pour s’assurer de son étanchéité ().

Un patch séreux est mis en place en enveloppant et en suturant directement l’épiploon à la plaie de typhlectomie avant fermeture classique de la laparotomie.

6. Phase postopératoire

Après un réveil sans difficulté, un retour précoce à une alimentation en plusieurs repas de faible volume au cours de la journée est pratiqué.

Une antibiothérapie de cinq jours est prescrite en complément de l’antibioprophylaxie.

L’analgésie postopératoire est assurée par la prise orale de carprofen (Rimadyl®), à la dose de 20 mg/kg, deux fois par jour pendant cinq jours.

Cliniquement, une récupération complète est observée dès les premières heures postopératoires. Aucun trouble digestif n’est noté au cours des semaines suivantes. Les sutures cutanées sont retirées douze jours après l’intervention.

Discussion

1. Étiopathogénie

Les résultats histopathologiques du tissu réséqué montrent une légère typhlite chronique lymphoplasmocytaire avec un œdème marqué des couches muqueuse et sous-muqueuse ( et ). Cet état inflammatoire du cæcum est probablement la cause d’une hypermotilité localisée, résultat de son inversion. La cause primaire demeure souvent inconnue. Le parasitisme intestinal à Trichuris vulpis et les tumeurs des muscles lisses sont cités comme des facteurs prédisposants [3, 4, 6, 8, 9]. Aucun parasitisme ou processus néoplasique n’est mis en évidence dans le cas décrit.

2. Incidence

L’inversion du cæcum, ou intussusception cæco-colique, est la forme d’intussusception la moins fréquemment rapportée en médecine vétérinaire. Elle affecte particulièrement les chiens mâles de races de grande taille [3, 4, 6, 8, 9].

Une étude montre que, sur dix cas rapportés d’inversion du cæcum, huit chiens sont des mâles de grandes races (labrador, braque de Weimar, berger allemand, croisé) avec une fourchette d’âge s’étalant de huit mois à trois ans [4, 8]. Un cas d’inversion du cæcum est rapporté chez une femelle braque de Weimar de huit ans [6].

3. Signes cliniques

La présentation clinique d’une intussusception cæco-colique est souvent peu spécifique comme dans ce cas : hématochésie chronique et intermittente, perte de poids sans perte d’appétit. Vomissements, ténesme et dégradation de l’état général sont peu fréquents et rapportés seulement lorsqu’une obstruction complète de la jonction iléo-colique est présente.

Les résultats d’analyses sanguines sont généralement normaux, une hypoalbuminémie est rapportée dans les cas où la fonction de la muqueuse intestinale est compromise [3, 4, 6, 8, 9].

4. Diagnostic

Le diagnostic définitif d’intussusception est établi grâce aux examens radiographiques, coloscopiques et échographiques.

L’intussusception se traduit par une masse d’opacité liquidienne située centralement dans l’abdomen [3]. Cette masse a souvent une forme recourbée en raison de la tension que produit le mésentère, restreignant sa longueur à une dizaine de centimètres [4]. De fines lignes de gaz sont parfois disposées autour de l’intussusception. En réalité, ce gaz repose entre l’intussuscupiens et l’intussusceptum [3].

Dans le cas décrit, les récents épisodes de diarrhée ont probablement contribué à l’accumulation d’une quantité importante de gaz dans le gros intestin, ce qui a permis l’obtention d’un pneumocôlon naturel délimitant clairement les bords de l’intussusception.

La disparition de la silhouette cæcale est un signe radiographique spécifique en cas d’intussusception cæco-colique [5, 6]. Ce dernier est constaté dans le cas décrit. Cependant, la longueur de la masse laisse présager qu’un segment intestinal relativement long se trouve invaginé.

Le temps chirurgical a montré que l’inversion du cæcum a été compliquée par une intussusception iléo-colique. L’obtention de clichés radiographiques après administration d’un lavement à base de barium permet de visualiser une inversion du cæcum [3].

L’aspect échographique d’une intussusception en coupe transversale est décrit comme la superposition de couches concentriques hypoéchogènes et hyperéchogènes [4]. Il est fréquent qu’une portion de mésentère soit invaginée avec ses vaisseaux sanguins, ces derniers étant aisément identifiés avec l’aide du Doppler couleur. Dans le cas décrit, la présence d’une cavité anéchogène au sein de la lésion est inhabituelle. Il s’agit probablement du cæcum invaginé distendu par une accumulation de fluides.

La coloscopie est un outil diagnostique intéressant. Le cæcum inversé est visualisé dans le côlon ascendant avec un sphincter iléo-colique intact. Cet examen complémentaire offre la possibilité de réaliser des biopsies du côlon. Pour le cas décrit, il n’a pas été nécessaire d’y avoir recours ni au lavement baryté car les examens radiographiques et échographiques ont été suffisants pour établir le diagnostic.

5. Choix des sutures mécaniques

Lors de chirurgie intestinale, l’utilisation de sutures mécaniques est décrite depuis de nombreuses années [3]. Elles sont employées en suture digestive pour réaliser des anastomoses, des résections terminales (comme dans le cas décrit) ou des pyloroplasties [1]. Elles sont d’usage courant en chirurgie humaine, mais elles restent assez marginales en pratique vétérinaire en raison de leurs coûts élevés et du matériel nécessaire. Elles présentent de nombreux avantages : une résistance mécanique supérieure à celle des sutures manuelles, une diminution de la réaction inflammatoire, un respect de la vascularisation locale des tissus et une rapidité de réalisation [2, 3].

L’agrafage transverse par l’agrafeuse thoraco-abdominale permet de mettre en place une triple rangée d’agrafes qui assurent solidité, étanchéité et hémostase. Ces sutures sont sensiblement éversantes, ce qui nécessite de mettre en place un patch séreux pour limiter les risques d’adhérences postopératoires [2]. Leur utilisation dans le cadre des typhlectomies totales est recommandée [1].

Pour ce cas d’inversion du cæcum, compliqué d’une intussusception iléo-colique, le diagnostic a été établi grâce à l’accumulation de gaz dans le côlon, à l’origine d’un pneumocôlon naturel, facilitant la mise en évidence de l’intussusception à l’examen radiographique. L’échographie a confirmé le diagnostic et a montré aussi la présence d’une cavité anéchogène inhabituelle, probablement liée à l’accumulation de fluides dans le cæcum inversé. À notre connaissance, cette image échographique n’a encore jamais été rapportée. L’ablation chirurgicale du cæcum inversé s’avère curative dans la majorité des cas.

  • (1) Non disponible en France sous forme injectable.

  • (2) Médicament à usage humain.

POINTS FORTS

• L’inversion du cæcum dans le côlon est une affection du système gastro-intestinal peu fréquente chez le chien.

• La radiographie abdominale et l’échographie sont deux techniques d’imagerie de choix et complémentaires.

• L’ablation chirurgicale du cæcum inversé s’avère curative dans la majorité des cas.

• L’utilisation de sutures mécaniques permet de réaliser une résection rapide et sûre d’un segment intestinal anormal.

Références

  • 1 - Clark GN. Gastric surgery with surgical stapling instruments. Vet. Clin. North Am. Small Anim. Pract. 1994;24:279-303.
  • 2 - Clark GN, Pavletic MM. Typhlectomy in dogs using a stapling instrument. J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 1992;28: 511-571.
  • 3 - Clark GN, Wise LA. Stapled typhlectomy via colotomy for treatment of cecal inversion in a dog. J. Am. Vet. Med. Assoc. 1994;204:1641-1643.
  • 4 - Guffy MM, Wallace L, Andeson NV. Inversion of the cecum into the colon of a dog. J. Am. Vet. Med. Assoc. 1970;156:183-186.
  • 5 - Kealy JK, McAllister H. Diagnostic Radiology and Ultrasonography of the Dog and Cat. 4th ed. WB Saunders, Philadelphia. 2005:83-90.
  • 6 - Leighton RL. Cecal inversion in dogs. Vet. Med. Small Anim. Clin. 1983;78:521-524.
  • 7 - Mannion P. Diagnostic ultrasound in small animal practice. Ed. Blackwell Publishing, Oxford. 2006;344:95-97.
  • 8 - Miller WW, Dillon AR. Cecal Inversion in eight dogs. J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 1984;20:1009-1013.
  • 9 - Neiffer DL, Klein EC, Becker-Courtney C et coll. Cecal inversion and subsequent colocolic intussusception in a red wolf (Canis rufus gregoryi). J. Zoo. Wildl. Med. 1999;30:119-125.
  • 10 - Pavletic MM, Schwartz A. Stapling instrumentation. Vet. Clin. North Am. Small Anim. Pract. 1994;24:247-278.
  • 11 - Ullman SL. Surgical stapling of the small intestine. Vet. Clin. North Am. Small Anim. Pract. 1994;24:305-322.
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