Photopériode : un paramètre influant et influençable - Le Point Vétérinaire n° 279 du 01/10/2007
Le Point Vétérinaire n° 279 du 01/10/2007

Production et santé de la vache laitière

Mise à jour

LE POINT SUR…

Auteur(s) : Francis Serieys

Fonctions : Filière blanche
12, quai Dugay-Trouin
35000 Rennes francis.serieys@wanadoo.fr

Manipuler la photopériode au cours de la lactation et au tarissement semble intéressant pour optimiser la production et la santé des vaches, dans différents contextes d’élevage laitier.

De nombreux facteurs influencent le nombre total de cellules sécrétrices mammaires et leur renouvellement. Il s’agit notamment de facteurs physiologiques comme le stade de gestation, le stade et le rang de lactation, et de facteurs zootechniques comme la vitesse de croissance des génisses, la durée de la période sèche ou la fréquence des traites.

L’influence de ces paramètres et les applications qui en découlent ont été exposées dans un premier volet consacré aux avancées en physiologie mammaire chez la vache laitière(1).

Le développement de la mamelle est aussi influencé par des facteurs purement environnementaux, la photopériode étant le plus important. Cet article constitue un second volet centré sur la photopériode, exposant ses effets et les répercussions pratiques des découvertes récentes.

Effets connus de la photopériode en lactation

Il est établi depuis 1978 que les jours longs pendant la lactation augmentent la production laitière [29]. Cet effet a été précisé par une dizaine d’études : une exposition à la lumière de 16 à 18 heures par jour versus moins de 12 heures, se traduit par une augmentation d’environ 2 kg de lait par vache et par jour. Cette réponse se développe graduellement et devient en général significative après trois à quatre semaines d’exposition. Elle persiste tant que l’exposition aux jours longs est maintenue, pendant 20 semaines au moins [13]. Ce qui est plus nouveau, ce sont les effets de la photopériode pendant la période sèche.

Découvertes chez la vache tarie

• Des vaches soumises artificiellement à des durées d’éclairement journalier pendant la période sèche de 16 et de 8 heures respectivement ont été comparées dans différentes études. Les vaches des deux groupes recevaient toutes après le vêlage un éclairement journalier de 16 heures ou retournaient à l’éclairement naturel avec des jours de 12 ou 15 heures [5, 25, 31].

De manière inattendue, un effet positif et important des jours courts pendant la période sèche a été prouvé : plus de 3 kg de lait supplémentaire ont été obtenus par jour en moyenne pendant les 13 premières semaines de la lactation suivante et 2 kg environ de plus par jour pendant les 40 premières semaines (photo) [5, 25, 31].

Cette production laitière plus élevée chez les vaches soumises aux jours courts pendant la période sèche n’est pas due à un effet dépressif des jours longs, puisque la comparaison entre la production des lactations précédant et suivant l’exposition aux jours longs ne montre pas de différence [25]. Elle correspond à une stimulation de la production de lait (figure 1).

• Une autre confirmation de l’importance de la photopériode pendant la période sèche sur la production pendant la lactation suivante ressort de l’examen des lactations selon le mois de vêlage. Les vaches qui vêlent en juillet et en août dans l’hémisphère nord, c’est-à-dire quand la longueur du jour et la température sont près de leur maximum, produisent moins de lait que les vaches vêlant en novembre et en décembre. Cette influence de la saison de vêlage est traditionnellement attribuée à des facteurs alimentaires et, plus spécifiquement, à la dépression de l’ingestion sous l’influence de températures élevées.

Toutefois, un examen détaillé des enregistrements portant sur plus de 2 000 vaches a montré que cette variation saisonnière est pour l’essentiel associée à la longueur du jour pendant la période sèche [1]. Les mécanismes hormonaux en cause font intervenir la prolactine, mais de manière différente pendant la lactation et la période sèche (encadrés 1 et 2).

Influence de la photopériode chez la génisse

La photopériode exerce également une forte influence sur le développement corporel, et mammaire en particulier des génisses. Comparativement aux jours courts, les jours longs hâtent la puberté et augmentent le développement squelettique et le poids vif sans accumulation excessive de graisse [35].

Le plus souvent, une stimulation de la croissance mammaire avant et après la puberté est observée [30]. Celle-ci est probablement due à l’augmentation de la sécrétion de prolactine et d’IGF-1 (insulin-like growth factor) [12]. Un essai récent a comparé la production laitière de génisses soumises artificiellement avant leur puberté à des jours longs ou à des jours courts, puis retournant, après leur puberté, aux conditions naturelles d’éclairement. Les génisses exposées aux longues durées d’éclairement pendant leur jeune âge ont produit 750 kg de lait en plus au cours de leur première lactation [36].

Photopériode et santé des vaches

La photopériode a aussi un effet plus inattendu sur l’immunité et la santé des vaches. Par comparaison à des jours longs, des jours courts pendant la période sèche augmentent la prolifération des lymphocytes de 65 % et le chimiotactisme des neutrophiles de 25 % [6]. La prolactine, hormone synthétisée par l’antéhypophyse, ne joue pas seulement un rôle dans le développement du tissu mammaire et l’entretien de la lactation. Elle est aussi produite par les lymphocytes B et T qui, de plus, expriment des récepteurs de prolactine sur leur membrane. C’est donc aussi une cytokine qui module la réponse immunitaire. Des jours courts pendant la période sèche diminuent sa concentration dans le sang, ce qui a pour effet d’augmenter l’expression et la réactivité de ses récepteurs sur les lymphocytes [5]. Ainsi, l’immunité pourrait être stimulée au moment déterminant du péripartum où elle est particulièrement défaillante chez la vache laitière. Un seul essai concernant les effets de la photopériode pendant la période sèche sur les paramètres de santé de la vache laitière a été rapporté à ce jour [4]. Il porte sur un nombre limité d’animaux. Ses résultats indiquent toutefois un effet favorable des jours courts pendant la période sèche sur l’incidence des rétentions placentaires, des infections mammaires au vêlage et des mammites cliniques en postpartum (tableau).

Applications pratiques

• Ces découvertes physiologiques ont conduit à proposer un schéma de gestion de la photopériode sur le cycle complet de vie de la vache laitière :

- des jours longs sont imposés pendant la phase allant du sevrage jusqu’à la puberté ;

- puis les génisses retournent à l’éclairement naturel ;

- des jours courts sont imposés pendant les deux mois précédant le premier vêlage et pendant les périodes sèches successives.

Les vaches retournent à l’éclairement naturel après chaque vêlage (figure 2) [15].

• Un tel schéma est particulièrement adapté à des systèmes de zero-grazing intégral qui sont pratiqués notamment dans de grands troupeaux d’Amérique et d’Europe du Nord. Il est alors possible d’appliquer à l’ensemble des vaches et des génisses de remplacement qui restent à l’étable toute l’année le programme d’éclairement voulu, comme pour les volailles ou les porcs.

• Il existe aussi des possibilités de prise en compte de la photopériode dans des systèmes d’élevages plus habituels en France.

Au cours de leur période sensible de deux à dix mois, les jeunes femelles, nées le plus souvent en automne-hiver, bénéficient de plusieurs mois de jours longs qu’elles passent généralement au pâturage. En dehors de cette période, elles devraient être logées dans un bâtiment éclairé. La majorité des vaches en France est tarie pendant la belle saison en plein air, c’est-à-dire dans des conditions défavorables au regard de la photopériode. Leur maintien dans des conditions d’obscurité prolongées, avant le vêlage nécessite d’aménager un bâtiment équipé de volets pour occlure à volonté les ouvertures, donc de renoncer à la conduite en plein air intégral au pâturage, qui est largement répandue pour cette catégorie d’animaux. Il n’existe pas d’études de terrain sur l’intérêt zootechnique et économique de ce mode de conduite. Une autre possibilité a été envisagée : mimer les effets biologiques des jours courts par l’administration de mélatonine. L’intérêt est d’obtenir les effets recherchés sans investissement en aménagement de bâtiment, ni de modification du mode de conduite en plein air.

Pendant longtemps, les paramètres du cycle de production des vaches ont été considérés comme des invariants (un vêlage par an, dix mois de lactation, deux traites par jour, deux mois de tarissement), et la zootechnie limitait ses objectifs à adapter la génétique et l’alimentation à ce modèle. En fait, ces paramètres influencent la production individuelle, mais aussi la forme de la courbe de lactation en termes de pic et de persistance, l’ingestion en début de lactation, le bilan énergétique, les troubles métaboliques, la fertilité et la longévité. Le producteur laitier peut donc faire varier certains de ces paramètres sur tous les animaux du troupeau, sur un groupe défini ou sur quelques individus, selon les objectifs qu’il se fixe, par exemple adapter les lactations à une ressource alimentaire bon marché, ou encore réduire les risques de troubles métaboliques en début de lactation chez des animaux particulièrement exposés. De la même manière, la photopériode constitue un levier utilisable de conduite zootechnique des troupeaux laitiers. Il n’est pas nécessaire de renoncer à toute conduite en plein air, mais l’éleveur peut appliquer quelques restrictions ou aménagements pendant la période sensible de deux à dix mois chez la génisse (jours longs) et pendant les deux mois précédant chaque vêlage (jours courts).

  • (1) Voir l’article “Lactation et tarissement : nouvelle donne”, du même auteur, dans le Point Vétérinaire n° 275, pages 33-38.

POINT FORTS

- Les jours longs entre le sevrage et la puberté hâtent le développement corporel, et notamment mammaire, de la génisse.

- L’élément déterminant qui explique l’effet favorable des jours courts pendant la période sèche est une augmentation de la sensibilité des lactocytes à la prolactine.

- La prolactine est aussi une cytokine. Par son intermédiaire, l’immunité pourrait être stimulée au moment déterminant du péripartum par les jours courts pendant la période sèche.

- La manipulation de la photopériode est pratique dans les systèmes “hors sol” recherchant la productivité individuelle.

Encadré 1 : Médiations hormonales entre photopériode en lactation et production

Les effets de la photopériode sur la production laitière, opposés selon qu’ils s’exercent pendant la lactation ou la période sèche, mettent en jeu diverses hormones. Les mécanismes ne sont que partiellement élucidés.

• La première étape de la cascade endocrinienne en réponse aux variations de la photopériode est toujours associée à la sécrétion de mélatonine qui est inhibée par l’exposition à la lumière. La concentration relative de mélatonine à des moments critiques du rythme circadien endogène de l’animal détermine l’interprétation physiologique de la longueur du jour et module, dans une seconde étape, la sécrétion d’autres hormones ayant des influences sur la lactation, la croissance et la santé [15].

• Pendant la lactation, les jours longs augmentent les concentrations de prolactine et d’IGF-1 (Insulin-like growth factor 1) circulants, sans augmentation de l’hormone de croissance.

La prolactine n’a pas d’effet galactopoïétique direct lorsque la lactation est bien établie [14]. Un effet galactopoïétique direct de l’IGF-1 est sujet à controverse [41]. Le plus probable est une interaction entre la prolactine et l’IGF-1, comme cela a déjà été démontré chez les rongeurs et chez la chèvre [18]. Lorsque la concentration de prolactine augmente, l’expression de l’IGF binding protein 5 (IGFBP-5), protéine se liant à l’IGF-1 et l’inactivant, diminue, ce qui entraîne une baisse de l’apoptose des cellules mammaires et une meilleure persistance de la lactation.

Encadré 2 : Médiations hormonales entre photopériode en période sèche et production

• Chez les vaches taries, les jours courts entraînent une diminution de la sécrétion de prolactine, y compris une diminution de moitié du pic observé juste avant le vêlage qui est réputé jouer un rôle essentiel dans la différenciation finale des lactocytes et le déclenchement de la sécrétion lactée [15]. La prolifération cellulaire est plus élevée et l’apoptose plus réduite chez les vaches taries en jours courts que chez celles taries en jours longs, d’après des observations radiographiques et histologiques [43]. Cela est cohérent avec la production laitière plus élevée des vaches taries en jours courts mais paraît paradoxal au regard de la sécrétion diminuée de prolactine. L’élément déterminant qui explique l’effet favorable des jours courts pendant la période sèche est une augmentation de la sensibilité des lactocytes à la prolactine. Celle-ci résulte :

- de l’augmentation de l’expression des récepteurs de la prolactine à la surface des lactocytes en relation inverse avec la concentration de prolactine circulante [5] ;

- d’une transduction plus efficace du signal hormonal qui pourrait résulter à la fois d’une augmentation de la forme longue, plus réactive, des récepteurs de prolactine et d’une diminution de l’expression des suppressors of cytokine signaling (SOCS) qui altèrent la transduction [42].

• Les jours courts pendant la période sèche aboutiraient à la formation de lactocytes plus nombreux entièrement différenciés, mais aussi plus sensibles à l’action de la prolactine, faisant plus que compenser la diminution du pic de prolactine au moment du vêlage, d’où un effet à long terme sur la production de lait de la lactation suivante. En outre, cette phase de jours courts pendant la période sèche éviterait que la mamelle ne devienne réfractaire à l’effet des jours longs pendant la lactation, comme cela est observé lorsque les vaches sont soumises en permanence à des jours longs. La chronologie de jours courts pendant la période sèche, puis de jours longs pendant la lactation apparaît donc déterminante.

Références

  • 1 - Aharoni Y, Brosh A, Ezra E, Vinet M, Roy G, Lacasse P. Prepartum photoperiod effect on milk yield and composition in dairy cows. J. Dairy Sci. 2000 ; 83 : 2779-2781.
  • 4 - Auchung TL, Morin DE, Mallard CC, Dahl G.E. Photoperiod manipulation during the dry period : effects on general health and mastitis occurrence. In : Proceedings of the 42nd annual national mastitis meeting, Fort woth, TX. Ed. National mastitis council, Madison, WI. 2003 : 278-279.
  • 5 - Auchung TL, Rius AG, Kendal PE, MacFadden TB, Dahl GE. Effects of photoperiod during the dry period on prolactin, prolactin receptor and milk production of dairy cows. J. Dairy Sci. 2005 ; 88 : 121-127.
  • 6 - Auchung TL, Salak-Johnson JL, Morin DE, Mallard CC, Dahl GE. Effects of photoperiod on general health and cellular immune function during the dry period. J. Dairy Sci. 2004 ; 87 : 3681-3689.
  • 12 - Capuco AV, Wood DL, Baldwin R, Macleod K, Paape MJ. Mammary cell numbers, proliferation and apoptosis during a bovine lactation ; relation to milk production and effect of bST. J. Dairy Sci. 2001 ; 84 : 2177-2187.
  • 13 - Dahl GE, Buchanan BA, Tucker HA. Photoperiodic effects on dairy cattle : a review. J. Dairy Sci. 2000 ; 83 : 885-893.
  • 14 - Dahl GE, Elsasser TH, Capuco A, Erdman RA, Peters RR. Effects of a long daily photoperiod on milk yield and circulating concentrations of insulin-like growth factor. J. Dairy Sci. 1997 ; 80 : 2784-2789.
  • 18 - Flint DJ, Tonner E, Khnight GH, Whitelaw C.B.A, Webster J, Darber M, Allan G. Control of mammary involution by insulin-like growth factor binding proteins. Role of prolactin. Livest. Prod. Sci. 2001 ; 70 : 115-120.
  • 25 - Miller ARE, Erdman RA, Douglass LW, Dahl GE. Effects of photoperiodic manipulation during the dry period of dairy cows. J. Dairy Sci. 2000 ; 83 : 962-967.
  • 29 - Peters RR, Chapin LT, Leining KB, Tuker HA. Supplemental lighting stimulates growth and lactation in cattle. Science (Washington DC). 1978 : 199-211.
  • 30 - Petitclerc D, Kineman RD, Zinn SA, Tucker HA. Mammary growth response of holstein heifers to photoperiod. J. Dairy Sci. 1985 ; 68 : 86-90.
  • 31 - Petitclerc DC, Vinet M, Roy G, Lacasse P. Prepartum photoperiod and melatonin feeding on milk production and prolactin concentrations in heifers and cows. J. Dairy Sci. 1998 ; 81(Suppl.1) : 251.
  • 35 - Rius AG, Connor EE, Capuco AV, Kendal PE, Auchung-Montgommery TL, Dahl GE. Long-day photoperiod that enhances puberty does not limit body growth in Holstein heifers. J. Dairy Sci. 2005 ; 88 : 4356-4365.
  • 36 - Rius AG, Dahl GE. Exposure to long-day photoperiod prepubertally may increase milk yield in first-lactation cows. J. Dairy Sci. 2006 ; 89 : 2080-2083.
  • 41 - Tucker HA. Hormones, mammary growth and lactation. A 41-year perspective. J. Dairy Sci. 2000 ; 83 : 874-884.
  • 42 - Wall EH, Auchung TL, Dahl GE, Ellis SE, McFadden TB. Short-day photoperiod during the dry period decreases expression of suppressors of cytokine signaling in mammary gland of dairy cows. J. Dairy Sci. 2005 ; 88 : 1994-2003.
  • 43 - Wall EH, Auchung-Montgommery TL, Dahl GE, Mac Fadden TB. Exposure to short day photoperiod during the dry period enhances mammary growth in dairy cows. J. Dairy Sci. 2005 ; 88 : 3145-3148.
Abonné au Point Vétérinaire, retrouvez votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr