Traitement par épiploïsation d’une plaie chronique et atone - Le Point Vétérinaire n° 278 du 01/09/2007
Le Point Vétérinaire n° 278 du 01/09/2007

Chirurgie cutanée du chat

Pratique

CAS CLINIQUE

Auteur(s) : Frédéric Meige*, Aurélie Jechoux**

Fonctions :
*Clinique vétérinaire
98, avenue Yves-Brunaud
31500 Toulouse
**Clinique vétérinaire
1, rue Pierre-Loti
31830 Plaisance-du-Touch

Une plaie étendue et atone localisée au pli de l’aine est traitée chirurgicalement par l’association de lambeaux monopédiculés et d’une épiploïsation.

Une chatte âgée d’un an et demi est référée à la consultation pour une plaie chronique située sur le pli de l’aine gauche. Celle-ci est apparue trois mois auparavant à la suite d’un accident de la voie publique.

Cas clinique

1. Anamnèse

La plaie, largement souillée, est débridée puis suturée sur un drain par le vétérinaire traitant. Une déhiscence complète de la première suture est apparue quelques jours après sa mise en place. Une nouvelle déhiscence se produit quatre jours après la seconde tentative de suture. Une cicatrisation par seconde intention est alors encouragée.

Après deux mois et demi de pansements, la cicatrisation ne progressant plus, la chatte est référée à la consultation.

2. Examen clinique

La chatte présente une hyperthermie (39,5°C). Le membre pelvien droit est chaud et œdématié. La plaie, d’une longueur de 11 cm et d’une largeur de 9 cm, intéresse la région inguinale et l’aine gauches (). Elle s’étend, cranialement, en arrière de la quatrième mamelle gauche et, caudalement, jusqu’au tiers proximal de la face médiale de la cuisse gauche. Cette plaie est recouverte par un tissu de granulation chronique exsudatif. Ses marges caudale et latérale droites sont “rétractées” et décollées sur plusieurs centimètres de la paroi abdominale inguinale, formant ainsi une cavité ou “poche” (pocket wound) remplie d’exsudat. La mamelle M5 gauche est absente.

3. Traitements médical et chirurgical

Une antibiothérapie à base d’amoxicilline et d’acide clavulanique à la dose de 12,5 mg/kg est administrée par voie intramusculaire à l’animal. Ce dernier est anesthésié et positionné en décubitus dorsal. Une tonte large est réalisée. La peau est désinfectée classiquement et la plaie est nettoyée à l’aide d’une solution isotonique de polyvidone iodée tiédie et diluée à 1 %.

•  Les marges de la plaie, ainsi que la couche superficielle du tissu de granulation sont parées. En vue de la réalisation éventuelle d’un lambeau épigastrique caudal, le vaisseau épigastrique caudal droit est recherché par dissection fine au niveau de l’anneau inguinal. Ce dernier n’est pas mis en évidence. Cette option est donc abandonnée. Il est alors décidé de réaliser un lambeau modifié du pli de la cuisse droite.

•  Une incision cutanée est effectuée depuis le bord cranial gauche de la plaie jusqu'à la troisième mamelle. Une seconde incision est réalisée en V sur le pli de la cuisse droite, depuis le bord cranial droit de la plaie jusqu’au tiers moyen de la cuisse droite. La largeur du V est évaluée de façon à minimiser toute tension cutanée après reconstruction. Ainsi, l’incision médiale du V passe latéralement à la mamelle M5 droite.

Ces deux incisions permettent de créer un lambeau cutané monopédiculé qui est décollé sous le muscle peaucier. Ce lambeau est avancé cranialement et latéralement à gauche afin de recouvrir la plaie. Ce lambeau ne permet toutefois pas de recouvrir sans tension excessive la partie caudale de celle-ci. C’est pourquoi un lambeau de translation, comprenant la cinquième mamelle droite, est réalisé sur la face médiale de la cuisse droite. Un lambeau d’avancement est prélevé à partir du bord caudal de la face médiale de la cuisse gauche jusqu’au tiers distal de cette dernière. Ces trois lambeaux monopédiculés permettent de recouvrir la totalité de la plaie sans tension excessive (). Un espace mort sous-cutané persiste cependant en région inguinale, qui risque de compromettre fortement la survie des lambeaux.

•  Une laparotomie médiane supra-ombilicale est effectuée sur 4 cm, afin d’accéder à la cavité abdominale. L’épiploon est alors saisi et extériorisé cranialement, afin de libérer son feuillet dorsal de ses attaches sur le lobe gauche du pancréas et de la rate. Le lambeau omental ainsi créé est alors appliqué en plusieurs couches sur toute la surface de la plaie afin de constituer un “lit” pour combler l’espace mort sous-cutané observé en région inguinale (). Une attention particulière est apportée à ne pas vriller ni étirer les vaisseaux épiploïques. Ce lambeau est fixé par des points simples à chaque coin de la plaie. L’incision de laparotomie est fermée partiellement afin de ne pas comprimer les vaisseaux épiploïques, mais suffisamment pour éviter la formation d’une hernie abdominale iatrogénique.

• Les lambeaux sont réunis par quelques points simples intradermiques d’appui à l’aide d’un fil résorbable monofilament de décimale 1,5. La suture cutanée est effectuée par points simples sur les zones de tension et par des surjets sur les autres régions, à l’aide d’un fil irrésorbable de décimale 2 () ().

• Un pansement renforcé (matelassé) est disposé sur la plaie afin de limiter l’extension des cuisses. Une collerette est mise en place. L’antibiothérapie est poursuivie pendant quinze jours.

4. Suivi

Le pansement est renouvelé 48 heures après l’intervention chirurgicale. La peau apparaît congestionnée aux coins des trois lambeaux. Le membre pelvien droit n’est plus œdématié. Cinq jours après l’intervention, une nécrose cutanée de 1 à 2 cm est observée de part et d’autre des sutures à chaque coin des lambeaux. Une cicatrisation par seconde intention à l’aide de pansements hydrocolloïdes (Urgotulle®) est favorisée.

• Les points sont retirés trois semaines après l’intervention. La cicatrisation par seconde intention au niveau des zones de nécrose progresse lentement. Après cinq semaines de pansements hydrocolloïdes, la plaie est complètement cicatrisée.

• La chatte est revue en contrôle quatre mois après la reconstruction cutanée. Le résultat esthétique est excellent, et aucune récidive n’est observée (). La palpation de la paroi abdominale ne révèle aucune hernie abdominale.

Discussion

1. Épidémiologie

Les plaies chroniques sont rares chez le chien et le chat. Elles intéressent essentiellement les régions inguinales, le pli axillaire et l’aine [1, 10, 11]. Lorsque les traitements conventionnels (parage et suture primaire sur des drains ou cicatrisation dirigée à l’aide de pansements) ont échoué, de telles plaies constituent alors un véritable défi thérapeutique [1, 5]. Les tentatives de sutures primaires de ces plaies se soldent souvent par des déhiscences ou des nécroses cutanées plus ou moins complètes [5]. Ainsi, dans une étude récente portant sur dix plaies chroniques du pli axillaire chez le chat, chacune avait, en moyenne, fait l’objet de trois tentatives préalables de traitement chirurgical [6]. Malgré les reprises chirurgicales et les tentatives de cicatrisation par seconde intention, elles évoluent alors en plaies chroniques atones exsudatives [5]. Avec le temps, le tissu de granulation de ces plaies devient progressivement plus fibreux, moins vascularisé et exsudatif [2]. En raison des tensions permanentes, les marges de la plaie peuvent se soulever du lit de celle-ci pour former une “poche”, ou cavité (comme dans le cas décrit), qui empêche ainsi toute contraction et toute épithélialisation de la blessure par manque de contact avec le tissu de granulation.

L’utilisation de techniques de reconstruction cutanée telles que les lambeaux d’avancement simples, les lambeaux de rotation, les plasties en V-Y ou les lambeaux d’avancement en H, qui permettent de diminuer les tensions sur les sutures, peut aussi conduire à des échecs (encadré et ( ) [5, 6].

2. Étiopathogénie

L’origine des difficultés de cicatrisation observées pour de telles plaies n’est pas encore clairement identifiée. Plusieurs facteurs semblent être en cause [2 5, 6, 7]. Ces plaies, en raison de leur localisation, sont soumises à des mouvements permanents qui génèrent des conditions défavorables à la cicatrisation : tensions élevées sur les marges de la blessure, inhibition par friction de l’épithélialisation, défaut d’apposition de la peau au tissu sous-jacent (plaie cavitaire ou dite “poche”). À ces endroits, la peau est plus fine, pauvre en tissu sous-cutané, qui est la principale source de la vascularisation cutanée, donc de la cicatrisation. Enfin, lors de la reconstruction cutanée, il existe souvent un espace mort sous-cutané assez conséquent qui constitue un facteur non négligeable de retard de cicatrisation, contribuant ainsi à la chronicité de la plaie. Les autres causes qui peuvent interférer avec la cicatrisation, comme une infection par le FIV ou le FeLV, un diabète, un hypercorticisme, une hypoprotéinémie, la présence d’un corps étranger, un traitement immunosuppresseur, une infection bactérienne ou mycosique, doivent être recherchées.

3. Technique d’omentalisation cutanée

Les nombreux échecs du traitement de telles plaies ont conduit à développer des techniques qui permettent d’améliorer la cicatrisation. Ainsi, plusieurs études récentes font état de l’usage de l’omentum pour des plaies étendues, récidivantes ou atones [1, 2, 5, 6, 9]. Celui-ci est une membrane mésothéliale, particulièrement vascularisée, qui a des fonctions immunologiques, et des propriétés d’angiogenèse, d’adhérences et de drainage [3]. Pour cette raison, il est de plus en plus utilisé en chirurgie vétérinaire pour le traitement des abcès ou des kystes (prostate, pancréas), du chylothorax, des pertes de substances pariétales (paroi thoracique, diaphragme, etc.) ou lors de renforcement ou de protection de sutures (anastomoses intestinales, pose d’une sonde abdominale, etc.). En médecine humaine, l’omentum est employé depuis de nombreuses années en chirurgie cutanée reconstructrice, notamment pour préparer le lit receveur des greffes cutanées [12].

Chez le chien et le chat, l’omentum est constitué d’un double feuillet qui se replie en partie caudale de l’abdomen, juste en avant de la vessie, pour former ainsi un feuillet ventral et un feuillet dorsal. Il s’attache, ventralement, à la grande courbure de l’estomac et, dorsalement, au pancréas et à la rate. Lors de sa mise en place, il convient de le manipuler avec précaution, afin de préserver sa vascularisation et d’éviter toute tension ou torsion du lambeau omental. Ainsi, lors d’utilisation extra-abdominale, un allongement de l’omentum est souvent requis. Le principe consiste à libérer le feuillet dorsal en sectionnant ses attaches pancréatiques, puis à créer (si la longueur est insuffisante) un lambeau en “L inversé”((1)) [8]. Ce lambeau omental permet ainsi d’atteindre par un trajet sous-cutané n’importe quelle partie du corps.

La plaie est débridée et recouverte d’un ou de plusieurs feuillets d’omentum. Puis elle est, soit refermée par une suture conventionnelle, un lambeau d’avancement ou un lambeau axial, soit recouverte d’un pansement non adhérent stérile jusqu'à l’apparition d’un tissu de granulation en vue d’une greffe cutanée [1, 2, 5, 6, 9].

4. Résultats et complications

• Chez le chat, lors de plaies chroniques non cicatrisantes, l’utilisation de l’omentum permet d’obtenir une cicatrisation complète dans 70 à 100 % des cas, selon les séries publiées [1, 2, 5, 6].

Les complications rapportées sont une déhiscence des sutures, une nécrose des extrémités des lambeaux, un sérome ou une hernie abdominale à travers le trou de sortie de l’omentum. L’une des plus fréquentes est la survenue d’une déhiscence de plaie, qui peut alors nécessiter une ou plusieurs nouvelles sutures ou pansements avant d’obtenir une cicatrisation définitive. Ainsi, dans les deux premières études qui portent sur 15 plaies chroniques traitées par omentalisation, une déhiscence partielle de la suture a été observée quelques jours après dans 60 % des cas (9/15) [1, 5]. Malgré cela, une cicatrisation complète a été obtenue dans 80 % des cas (12/15). D’après Lascelles et coll., ce fort taux de déhiscences partielles s’explique par le fait que si l’omentum améliore le processus (cicatrisation obtenue même lors de déhiscences partielles), en aucun cas il ne diminue les tensions sur les sutures [5]. Par conséquent, il convient d’associer à cette technique des méthodes de reconstruction cutanée qui permettent de réduire les tensions sur le site chirurgical. De meilleurs résultats sont rapportés dans le traitement des plaies axillaires chroniques par omentalisation lorsqu’un lambeau axial thoracodorsal est utilisé [6]. En effet, dans cette étude, toutes les plaies ont cicatrisé en moins de 15 jours et seulement deux chats sur 10 ont dû faire l’objet d’une seconde intervention chirurgicale (déhiscences partielles de la plaie).

• Dans le cas décrit, le procédé idéal aurait été d’employer un lambeau épigastrique caudal superficiel pour limiter toute tension excessive sur la plaie. Cependant, pour une raison inconnue (traumatisme initial, débridement initial, fibrose, etc.), aucune vascularisation épigastrique caudale n’a pu être mise en évidence. Aussi le recours à trois lambeaux monopédiculés afin de pouvoir refermer la plaie est-il décidé : un lambeau modifié du pli de la cuisse droite, un lambeau de translation à partir de la cuisse droite et un lambeau d’avancement de la cuisse gauche. Le lambeau du pli de la cuisse est très utile pour fermer de larges pertes de substances en zones inguinale et abdominale caudale [4, 7]. L’intérêt de ce lambeau réside dans l’importance du prélèvement : la surface de peau obtenue est plus importante que pour un lambeau d’avancement simple, car il est irrigué par la branche ventrale de l’artère circonflexe iliaque profonde et peut donc être considéré comme une variation du lambeau axial de la branche ventrale de l’artère circonflexe iliaque profonde [4, 7]. L’omentalisation de la plaie permet de combler l’espace mort inguinal, en constituant un lit vasculaire nécessaire à la néovascularisation des lambeaux mis en place, et, probablement, de drainer l’exsudation et de lutter contre l’infection. Des déhiscences sont apparues sur les zones de tension les plus élevées, mais une cicatrisation par seconde intention a permis de traiter cette plaie avec succès.

Lors de plaies chroniques étendues atones et exsudatives du pli de l’aine ou de la cuisse, l’association d’une technique de reconstruction cutanée (lambeau axial ou monopédiculé) et d’un lambeau omental constitue le traitement de choix. L’utilisation d’un lambeau omental permet d’augmenter localement l’apport vasculaire et lymphatique, de combler les espaces morts, de lutter contre l’infection et de drainer d’éventuels exsudats. En revanche, l’omentum ne réduit pas les tensions sur les marges de la plaie. Il convient donc dans ce cas de mettre en œuvre des techniques de reconstruction cutanée adéquates.

  • (1) Voir la technique développée par Ross et Pardo dans l’article de P. Belin et coll. “Transposition omentale transdiaphragmatique” dans le Point Vétérinaire n° 215, page 65.

Encadré : Différents lambeaux cutanés

Les lambeaux locaux

Les lambeaux locaux sont prélevés au contact ou à proximité de la zone receveuse. Leur vascularisation, et donc leur survie, dépend du plexus sous-dermique qui pénètre à leur base. Celle-ci est communément appelée “pédicule”. Selon qu’ils conservent une ou deux bases cutanées, il s’agit de lambeaux mono- ou bipédiculés. Ils sont classés en fonction de la façon dont ils sont déplacés. Ainsi, les lambeaux d’avancement () sont bougés vers l’avant, les lambeaux de rotation sont pivotés et les lambeaux de translation ou de transposition () sont “translatés”.

Les lambeaux à distance

Les lambeaux à distance sont prélevés dans une zone éloignée de la plaie. Tout comme les lambeaux locaux, leur vascularisation dépend du plexus sous-dermique de leur pédicule. Ils sont utilisés presque exclusivement pour les plaies des extrémités des membres. La technique de “tunnellisation” est un exemple de lambeau à distance bipédiculé.

Les lambeaux axiaux

La particularité des lambeaux axiaux réside dans leur vascularisation. En effet, ces derniers incorporent dans leur pédicule une artère cutanée directe et sa veine. Cette vascularisation permet la survie d’un lambeau cutané dont la surface peut dépasser de 50 % celle d’un lambeau local fondé sur la vascularisation du plexus sous-dermique. Ces lambeaux sont classés en fonction du nom de l’artère cutanée directe correspondante : lambeau épigastrique caudal superficiel (), lambeau thoraco-dorsal, etc.

• POINTS FORTS

• Rares chez le chien et le chat, les plaies chroniques intéressent surtout les régions inguinales, le pli axillaire et l’aine.

• Chez le chat, l’utilisation de l’omentum lors de plaies cutanées chroniques permet d'obtenir une cicatrisation complète dans 70 à 100 % des cas.

• Lors de la mise en place de l’omentum, le manipuler avec précaution afin de préserver sa vascularisation et d’éviter toute tension.

• Afin de réduire les tensions, il convient d’associer des méthodes de reconstruction cutanée à l’omentalisation.

Références

  • 2 - Gray MJ. Chronic axillary wound repair in a cat with omentalisation and omocervical skin flap. J. Small Anim. Pract. 2005;46(10):499-503.
  • 6 - Lascelles BD, White RA. Combined omental pedicle grafts and thoracodorsal axial pattern flaps for the reconstruction of chronic, nonhealing axillary wounds in cats. Vet. Surg. 2001;30(4):380-385.
  • 8 - Ross WE, Pardo AD. Evaluation of an omental pedicle extension technique in the dog. Vet. Surg. 1993;22(1):37-43.
  • 10 - White RAS. Feline “pocket” wounds. Slatter D. In : Textbook of Small Animal Surgery. 3rd ed. Saunders eds. Philadelphia. 2003:347-348.
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