Physiopathologie des barrières hémato-rétiniennes - Le Point Vétérinaire n° 278 du 01/09/2007
Le Point Vétérinaire n° 278 du 01/09/2007

Ophtalmologie du chien et du chat

Infos

FOCUS

Auteur(s) : Patrick Lazard

Fonctions : 80, rue Péreire
78100 Saint-Germain-en-Laye

Les barrières hémato-rétiniennes forment une structure complexe de l’œil dont le dysfonctionnement a des répercussions majeures sur certaines maladies “cécitantes”.

La rétine est un tissu d’origine ectodermique hautement différencié et très fragile. À l’image du cerveau, elle est isolée du sang par deux structures tissulaires qui la maintiennent dans un milieu filtré et constant, nécessaire à son bon fonctionnement [19]. Ces dernières forment les barrières hémato-rétiniennes [37].

L’épithélium pigmenté d’origine ectodermique constitue la barrière hémato-rétinienne externe (BHRE). Il sépare les couches externes de la rétine de la couche vasculaire de l’œil (choroïde) [42].

La microvascularisation issue des artères rétiniennes, d’origine mésodermique, forme la barrière hémato-rétinienne interne (BHRI). Elle se situe à l’intérieur même de la rétine.

La physiologie de chaque BHR est étroitement dépendante du réseau vasculaire contigu et de la pression intra-oculaire [16, 34].

Jonctions intercellulaires serrées

Les BHR présentent un dispositif de jonctions intercellulaires serrées (tight jonctions-zonula occludens) qui contrôle les flux de liquides et de métabolites, et contribue à moduler le micro-environnement rétinien [8, 37]. Le rôle de ce dispositif est de bloquer les flux paracellulaires et de s’opposer à la diffusion des liquides, des lipides et des protéines dans la rétine. Il contribue au maintien de la transparence rétinienne.

Ces jonctions sont présentes entre les cellules endothéliales des capillaires rétiniens et celles de l’épithélium pigmenté. Elles sont composées de fibrilles de protéines [11, 34, 37, 41].

L’ontogenèse des jonctions serrées dépend de facteurs neurotrophiques sécrétés par la neurorétine et de facteurs sanguins pour la BHRE. Elles se forment, pour la BHRI, par contact direct entre la paroi vasculaire et les astrocytes, ou par l’intermédiaire d’un facteur diffusé par ces derniers [4, 18].

Fragiles, elles sont fréquemment détruites lors de variations importantes de la pression intra-oculaire (PIO) ou d’affections métaboliques ou inflammatoires [41].

Barrière hémato-rétinienne externe

• L’épithélium pigmenté (EP) influence le fenestrage des capillaires de la choriocapillaire [21]. Il en est séparé par la membrane de Bruch [27]. L’ensemble joue le rôle de membrane sélective vis-à-vis des constituants sanguins (ENCADRÉ). Cette barrière permet l’oxygénation et la nutrition des photorécepteurs [7, 51, 52, 54, 55].

L’extraction de l’oxygène du sang artériel est faible (de l’ordre de 3 %). Cela est compensé par le débit très important de la choroïde (85 % du débit oculaire total) [56].

La paroi des capillaires choroïdiens laisse largement diffuser les petites et les grosses molécules dans l’espace extravasculaire suprachoroïdien. Les petites molécules diffusent très facilement : plus de 50 % des molécules de la taille du glucose ou des acides aminés quittent la lumière vasculaire en un seul passage artério-veineux. Ainsi, le glucose se trouve dans le liquide extravasculaire à une concentration qui approche 90 % de celle du plasma. Les grosses molécules passent la paroi des capillaires choroïdiens facilement si leur rayon n’excède pas 3,8 nm. La pression oncotique de l’espace extravasculaire est très supérieure à celle de la rétine. Cela entraîne un flux liquidien de la rétine vers la choroïde qui empêche, en association avec les transports actifs de l’eau par les cellules de l’EP, la formation des œdèmes et des décollements rétiniens [16, 38].

• Dans les conditions physiologiques, le fonctionnement de la BHRE dépend de la régulation de la circulation choroïdienne. Toute perturbation de celle-ci modifie les échanges métaboliques précédemment décrits. Ainsi, le débit sanguin choroïdien est directement fonction du niveau de la PIO. La diminution du débit choroïdien est proportionnelle à l’élévation de la tension oculaire [16]. De même, toute variation brutale de la pression artérielle systémique a des répercussions importantes sur le fonctionnement de l’EP [20].

L’endothélium vasculaire choroïdien participe très activement au contrôle du tonus vasculaire. Il joue un rôle majeur dans le contrôle de la fluidité sanguine, de l’agrégation plaquettaire, de l’immunité, de l’inflammation locale et de la sécrétion d’endothéline, d’oxyde nitrique (NO) et de nombreuses amines vaso-actives [13, 43, 50].

Une autre cause d’atteinte de la BHRE est la dénaturation de la protéine de jonction lors du stress oxydatif [2].

Barrière hémato-rétinienne interne

La BHRI est étroitement liée au réseau vasculaire rétinien. Ce dernier présente des particularités anatomiques et fonctionnelles.

• Les capillaires rétiniens forment un réseau richement anastomosé, s’étendant dans le plan de la rétine interne avant de se drainer dans les veinules postcapillaires. Selon les espèces et les régions de la rétine, il existe généralement deux réseaux superposés de capillaires, l’un dans la couche plexiforme interne et l’autre, plus profond, dans la couche plexiforme externe. Ils sont reliés par des capillaires communiquants perpendiculaires aux réseaux () [36].

L’oxygène diffuse librement à travers les parois vasculaires indépendamment de la barrière hémato-rétinienne. La circulation rétinienne fournit 40 % environ de la quantité nécessaire au fonctionnement rétinien [6, 51, 52].

La frontière entre l’apport d’oxygène provenant des vaisseaux choroïdiens et rétiniens se situe au niveau de la couche nucléaire interne [6]. Cette zone joue un rôle important dans les affections vasculaires rétiniennes. En effet, l’apport métabolique de cette région de jonction est probablement sous la double dépendance des réseaux artériels rétiniens et choroïdiens. Lors de dysfonctionnement de l’un d’entre eux, les cellules de cette zone de jonction deviennent hypoxiques et synthétisent des facteurs angiogéniques responsables de l’apparition de néovaisseaux qui migrent dans le vitré [54].

Le débit sanguin est modulé par de nombreux facteurs qui tendent à “lisser” ses variations liées à celles des conditions de perfusion. il s’agit de l’autorégulation du débit sanguin rétinien [54]. Cette particularité rétinienne a été démontrée vis-à-vis des modifications de la pression artérielle systémique et de la PIO. Lorsque la pression artérielle systémique augmente, une vaso­constriction artérielle se produit. À l’inverse, lorsque la PIO s’élève, une vasodilatation apparaît.

• Les échanges métaboliques entre le tissu et les capillaires rétiniens sont régulés par la BHRI. Les jonctions serrées très étanches présentes entre les cellules endothéliales rendent impossible le passage de molécules aussi petites que le sodium. La physiologie des échanges métaboliques entre le sang et le tissu nerveux est connue depuis peu de temps. De nombreux marqueurs spécifiques de la BHRI ont été mis en évidence [18].

Les jonctions serrées ne présentent pas pour autant une structure fixe : elles peuvent s’ouvrir et se refermer, se déplacer dans la paroi cellulaire sous l’influence de stimuli encore peu caractérisés.

• L’altération de la BHRI entraîne le passage anormal des constituants plasmatiques dans la rétine et le vitré. Chez l’homme, elle est responsable de l’apparition et de la persistance d’un œdème maculaire. Dans les modèles animaux, le passage des constituants plasmatiques est identique [14].

Quelques affections associées à la rupture des BHR

Rupture mécanique

• Lors de l’opération de la cataracte, l’hypotonie peropératoire ne compense plus la pression normale de l’espace suprachoroïdien, qui a donc tendance à se dilater. L’hypotonie entraîne également une augmentation de la pression de perfusion dans la choriocapillaire, donc une hausse de la transsudation. L’élévation de la pression jugulaire due à la position déclive se transmet aux veines vortiqueuses et choroïdiennes. Elle n’est pas contrebalancée par la PIO. Ces trois phénomènes concourent à augmenter le volume choroïdien et à pousser le vitré vers le segment antérieur. En cas d’hypertension artérielle, une hémorragie expulsive peut se produire par rupture des artères choroïdiennes.

• Lors d’hypotonie oculaire persistante (traumatisme oculaire, tentative de contrôle d’une hypertension oculaire par mise en place d’un cathéter), les BHR sont rompues. Il s’ensuit des hémorragies rétiniennes, vitréennes et des décollements rétiniens [16].

Lors d’hypertension artérielle, chez les chats âgés, les modifications histologiques observées dans les parois des artères choroïdiennes et rétiniennes, ainsi que la rupture des BHR expliquent les lésions notées en clinique (décollements séreux multifocaux et hémorragies rétiniennes).

Rupture métabolique

La rétinopathie diabétique est due à l’élévation de la glycémie dont les conséquences sur la rétine sont complexes [18]. Histologiquement, l’épaississement de la membrane basale des capillaires et la disparition des cellules endothéliales entraînent la rupture de la BHR, responsable d’une hyperperméabilité des capillaires rétiniens [1, 8, 41]. Par l’intermédiaire de facteurs de croissance, l’ischémie rétinienne est à l’origine de la néovascularisation intravitréenne caractéristique de la rétinopathie proliférante chez le chien atteint d’un diabète spontané au long cours ou provoqué par l’ingestion d’une nourriture enrichie en galactose [10, 11, 14, 15, 17, 22-25, 30, 32, 33, 35, 45, 49].

Rupture inflammatoire

De nombreuses affections systémiques sont responsables d’atteintes inflammatoires oculaires. Les uvéites sont fréquentes. Les médiateurs de l’inflammation entraînent une rupture des barrières hémato-rétiniennes internes et externes, avec, pour conséquence, l’accumulation extravasculaire de liquides et de cellules inflammatoires [26]. Ils s’accumulent dans la rétine et le vitré. La destruction des photorécepteurs conduit à la cécité.

Les barrières hémato-rétiniennes font l’objet de nombreuses recherches. La physiopathologie de la destruction des jonctions serrées est encore peu connue. Leurs ruptures affectent le métabolisme du tissu rétinien. L’altération de la vision, et parfois la cécité, en est la conséquence immédiate.

Encadré : Rôles métaboliques de l’épithélium pigmenté

• Absorption des photons non utilisés par les photorécepteurs (mélanosomes).

• Stockage et relargage des métabolismes de la vitamine A (cycle visuel).

• Phagocytose régulière des portions dégradées des articles externes des photorécepteurs (granules de lipofuschine).

• Régulations des transports ioniques, de la régulation du volume de la cellule épithéliale, du transport de l’eau et maintien d’un gradient de potentiel transmembranaire entre l’espace sous-rétinien et la cellule épithéliale.

• Régulation de la composition en potassium et en neurotransmetteurs de l’espace sous-rétinien.

• Reflux des xénobiotiques en direction du sang.

D’après [38, 42].

Abonné au Point Vétérinaire, retrouvez votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr