Dysplasie folliculaire chez un cane corso - Le Point Vétérinaire n° 278 du 01/09/2007
Le Point Vétérinaire n° 278 du 01/09/2007

Dermatologie du chien

Pratique

CAS CLINIQUE

Auteur(s) : William Bordeau

Fonctions : Consultant en dermatologie vétérinaire
Clinique vétérinaire
3, avenue Foch
94700 Maisons-Alfort
bordeauwilliam@yahoo.fr

Une dysplasie folliculaire stricto sensu est décrite, pour la première fois, chez une chienne cane corso. Aucun traitement efficace n’a encore été décrit pour cette affection.

Une chienne cane corso, de robe noire, stérilisée et âgée de onze mois, est présentée en consultation pour une perte de poils anormale depuis plusieurs mois.

Cas clinique

1. Commémoratifs

La chienne vit en appartement avec un chat qui ne présente aucune dermatose.

Elle n’a pas de contact avec d’autres animaux.

Elle côtoie toutefois d’autres chiens lors de ses promenades.

Aucune contagion humaine n’est relatée.

Aucun traitement antiparasitaire n’est réalisé, aussi bien chez la chienne que chez le chat.

La chienne mange des croquettes achetées en grande surface.

Elle ne reçoit aucun traitement, pour cette dermatose ou pour un autre motif. Ses vaccins sont à jour.

Précédemment, la chienne a été mise sous lévothyroxine (Levothyrox®), par un confrère, à la dose de 10 µg/kg, matin et soir, pendant plusieurs semaines (sans évaluation endocrinienne préalable), sans résultat.

2. Anamnèse

Cette dermatose est apparue à l’âge de six mois. Elle s’est initialement manifestée par une alopécie diffuse rétro-auriculaire. Ni érythème, ni prurit n’étaient associés.

3. Examen clinique

Examen général

La chienne, qui pèse 35 kg, est en bon état général. Elle ne présente aucune anomalie en dehors des lésions cutanées.

Examen dermatologique

•À l’examen à distance, cette dermatose, bilatérale et symétrique, est localisée en région temporale, sur la face externe des oreilles, dans les zones latérale et ventrale de l’encolure, sur les côtés du thorax et sur la face interne des membres postérieurs (FIGURE).

•À l’examen rapproché, toutes les lésions sont identiques. Une alopécie complète à diffuse du centre à la périphérie est observée, ce qui correspond au front de progression de la dermatose. Sur l’abdomen, quelques lésions de folliculite sont notées ( ).

Le bilan dermatologique est celui d’une dermatose alopéciante multifocale, localisée en région temporale, sur et autour des oreilles, sur le thorax et sur la face médio-caudale des cuisses.

4. Hypothèses diagnostiques

Les hypothèses diagnostiques qui sont envisagées après le recueil de l’anamnèse, des commémoratifs et l’examen clinique sont une démodécie, une dysplasie folliculaire, une alopécie en patron(1), une alopécie d’origine dysendocrinienne.

5. Examens complémentaires

Raclages cutanés>

Des raclages cutanés sont effectués sur diverses localisations lésionnelles. Ils ne permettent pas de mettre en évidence de Demodex.

Trichogramme

Un trichogramme est réalisé à partir d’un prélèvement de poils sur les zones lésionnelles et saines. Aucune différence n’est notée entre les poils, et il n’est pas mis en évidence d’agrégats de mélanine au sein des tiges pilaires. Ceux-ci peuvent être observés lors de dysplasie folliculaire.

Analyse histologique

•Après anesthésie générale (association zolazépam/ tilétamine), des biopsies cutanées sont pratiquées à l’aide d’un trépan de 6mm. Leur analyse anatomopathologique montre qu’elles ont toutes un aspect lésionnel similaire ().

L’épiderme a une épaisseur normale, sans mélanocyte gorgé de mélanosome.

Une hyperkératose orthokératosique est notée, ainsi que des follicules pileux primaires et secondaires, avec ébauche et développement discret à modéré d’images en pied de sorcière.

Au sein de l’infundibulum, discrètement kystique et hyperkératosique, des tiges pilaires avulsées grêles sont observées.

Certaines montrent des anomalies discrètes de la répartition du pigment mélanique sous forme de petits amas pigmentaires. En régions isthmique et infundibulaire basse de ces follicules pileux, la gaine épithéliale folliculaire externe présente un contour relativement sinueux, avec une hypergranulose régulière et parfois une mélanisation. Au sein des unités annexielles follicule-glandes sébacées, une majorité de follicules pileux primaires et secondaires en phase anagène est notée. Certaines biopsies révèlent néanmoins d’assez nombreux follicules pileux secondaires en phases télogène et parfois catagène, mais sans jamais indiquer de nette augmentation de la kératinisation trichilemmale (pas de follicule pileux en flamme). Les annexes sébacées et sudorales sont normalement représentées. Le derme n’est pas inflammatoire. Sur un des prélèvements, des lésions ponctuelles de folliculite suppurée sont observées.

•Il s’agit donc d’une dermatose alopéciante caractérisée par des follicules pileux au contour sinueux discrètement dysplasique, une hyperkératose orthokératosique des follicules pileux primaires et secondaires et des tiges pilaires grêles avulsées qui présentent de discrètes anomalies de la répartition du pigment mélanique.

Cet aspect lésionnel suggère une dysplasie folliculaire. D’un point de vue strictement lésionnel, les anomalies de la répartition du pigment mélanique sont trop discrètes pour envisager une dysplasie des follicules pileux noirs (DFPN).

•Comme la chienne est stérilisée, et qu’elle ne présente aucun symptôme sur son état général, l’exploration endocrinienne, coûteuse, n’a pas été réalisée. L’examen histopathologique est aussi un argument fortement en défaveur d’une dysendocrinie.

6. Diagnostic

L’anamnèse, les commémoratifs, les manifestations cliniques et les résultats histologiques permettent de conclure à une dysplasie folliculaire stricto sensu.

7. Traitement

Aucun traitement efficace n’est connu pour le contrôle de la dysplasie folliculaire stricto sensu. Toutefois, comme la mélatonine semble donner des résultats pour d’autres dysplasies folliculaires telle l’alopécie des robes diluées, une administration est décidée à la dose de 6 mg/j, par voie orale, pendant deux mois. Ce traitement n’a donné aucun résultat, et l’alopécie est toujours présente plusieurs années après avoir effectué le diagnostic, sans toutefois avoir évolué.

Discussion

1. Dysplasies folliculaires

Les dysplasies folliculaires constituent un groupe hétérogène de génodermatoses, caractérisées par une anomalie structurale du follicule pileux [1, 2].

Certaines sont liées à la couleur de la robe : l’alopécie des robes diluées et la DFPN. Ce sont probablement des expressions cliniques différentes d’une même génodermatose, même si cela n’a jamais été prouvé. D’autres ne sont pas liées à la couleur de la robe. Dans ce dernier cas, elles peuvent être cycliques ou non.

Dans le premier cas, il s’agit de l’alopécie canine récurrente des flancs, qui apparaît généralement tous les ans, pour régresser spontanément en quelques mois. Dans le second cas, il s’agit de la dysplasie folliculaire stricto sensu. Ce type de dysplasie, bien plus rare que les autres, évolue et ne disparaît pas spontanément [5].

2. Épidémiologie

La dysplasie folliculaire stricto sensu est une dermatose rare qui apparaît chez le chiot ou le jeune adulte. Elle a été décrite dans diverses races, du husky sibérien au labrador, en passant par le pinscher. À notre connaissance, elle n’a jamais été décrite chez le cane corso.

3. Étiopathogénie

La cause de la dysplasie folliculaire stricto sensu est inconnue. Du fait de la présence de follicules dysplasiques, les poils qui poussent sont anormaux et fragilisés. Ils vont alors spontanément se casser, ce qui entraîne une alopécie.

4. Diagnostic

Le diagnostic différentiel comprend notamment [2] :

- la démodécie ;

- les dermatoses d’origine dysendocrinienne, essentiellement les dermatoses sexuelles ;

- l’alopécie X ;

- l’alopécie canine récurrente des flancs ;

- l’alopécie en patron ;

- l’alopécie des robes diluées.

Le diagnostic est clinique et histopathologique. L’examen histopathologique des biopsies cutanées révèle :

- une hyperkératose orthokératosique épidermique et folliculaire marquée ;

- des follicules pileux tordus et sinueux, avec une présence de kératinocytes apoptotiques ;

- des amas de mélanine dans les poils et dans les bulbes pileux ;

- des poils fracturés avec des amas de mélanine libres dans la lumière du follicule pileux ;

- des mélanophages en position péribulbaire [3, 6].

L’existence de follicules pileux dysplasiques ne suffit pas à diagnostiquer une dysplasie folliculaire puisqu’ils peuvent également être observés lors de dermatose d’origine dysendocrinienne. Des follicules dysplasiques sont retrouvés dans 76 % des cas lors de dysplasie folliculaire et dans 46 % des cas lors de dysendocrinie [8]. Les tiges pilaires dysplasiques et les agrégats de mélanine au sein de ces tiges sont, en revanche, uniquement observés lors de dysplasie folliculaire et doivent donc servir à différencier ces deux groupes de dermatoses [8]. Chez cette chienne, une exploration endocrinienne n’a pas semblé judicieuse pour les raisons suivantes :

- elle est stérilisée ;

- les lésions sont apparues à l’âge de six mois ;

- elle n’a pas répondu à un traitement à la lévo­thyroxine ;

- elle ne présentait aucun symptôme général.

La dysplasie folliculaire présente parfois des similarités cliniques avec l’alopécie X, et ces deux dermatoses peuvent être à l’origine d’un pelage de mauvaise qualité, d’un changement de coloration pilaire, de difficultés de repousse du pelage après la tonte, de l’apparition progressive d’une alopécie et d’une atteinte préférentielle de la région tronculaire. Cependant, ces deux dermatoses présentent diverses différences histologiques, permettant de les distinguer. Toutefois, chez le husky, elles ont de nombreuses similarités histologiques, non expliquées [2].

Dans le cas décrit, la DFPN a été écartée. L’alopécie reste localisée aux zones temporales, rétro-auriculaires, aux ars et à l’arrière des cuisses, alors qu’elle devrait être généralisée, dans le cas de DFPN, à l’âge d’un an. Les résultats histopathologiques sont peu compatibles (). Peu d’anomalies de répartition pigmentaire pilaire, épidermique et folliculaire sont notées.

Cette dysplasie folliculaire pourrait être rapprochée de celle décrite chez l’épagneul de Pont-Audemer. Quelques ressemblances cliniques sont observées, notamment l’âge à l’apparition des lésions, l’alopécie auriculaire et thoracique, ainsi que des similarités histologiques, comme l’hyperkératose orthokératosique folliculaire, les images en pied de sorcière, l’hypergranulose folliculaire, l’infundibulum sinueux et tordu, et les rares amas de mélanine dans les tiges pilaires [4].

5. Traitement

Aucun traitement efficace n’a été décrit jusqu’à présent. Il convient d’éviter d’aggraver l’alopécie par des brossages intensifs ou des shampooings trop agressifs.

La mélatonine a été proposée pour contrôler l’alopécie des robes diluées, mais elle n’a pas été efficace dans ce cas. Elle a auparavant été administrée, sans succès également, dans deux cas de dysplasie folliculaire de l’épagneul de Pont-Audemer [4]. Un boxer présentant une dysplasie folliculaire a récemment été traité avec de la mélatonine [7]. Une repousse du pelage a été constatée, mais comme le traitement n’a pas été interrompu pour surveiller l’apparition d’une rechute, il est impossible de certifier que la mélatonine a été efficace.

La dysplasie folliculaire fait partie des génodermatoses. Comme pour l’ensemble de ces maladies, les études en cours permettront peut-être d’établir un traitement pour les années à venir.

  • (1) Voir l’article “Résolution spontanée d’une alopécie en patron chez un chien”, du même auteur dans le Point Vétérinaire. 2007 ;(38)272 : 68-71.

POINTS FORTS

•Les dysplasies folliculaires sont des génodermatoses.

•Il existe plusieurs types de dysplasie folliculaire. La dysplasie folliculaire stricto sensu est plus rare que les autres.

•Le diagnostic est établi à l’aide des signes cliniques et de l’examen histologique.

•Aucun traitement n’est efficace.

Remerciements aux docteurs Christian Cousin et Frédérique Degorce (LAPVSO).

Références

  • 1 - Alhaidari Z. Les alopécies. Prat. Méd. Chir. Anim. Comp. 1991;26:285-300.
  • 2 - Gross TL, Ihrke PJ, Walder EJ, Affolter VK. Skin diseases of the dog and cat. 2nd ed. Blackwell Science, Oxford, UK. 2005:522-524.
  • 3 - Guaguère É. Les alopécies d’origine génétique chez le chien. Point Vét. 1996;28:543-548.
  • 4 - Guaguère É. Genetic follicular dysplasia in Pont-Audemer spaniel dogs : a report of eight cases. Vet. Dermatol. 2000;11: 53.
  • 5 - Laffort-Dassot C, Beco L, Carlotti DN. Follicular dysplasia in five Weimaraners. Vet. Dermatol. 2002;13:253-260.
  • 6 - Miller WH Jr, Scott DW. Follicular dysplasia of the Portuguese Water Dog. Vet. Dermatol. 1995;6:67-74.
  • 7 - Rachid MA, Demaula CD, Scott DW. Concurrent follicular dysplasia and interface dermatitis in Boxer dogs. Vet. Dermatol. 2003;14:159-166.
  • 8 - Rothstein E, Scott DW, Miller WH. A retrospective study of dysplastic hair follicles and abnormal melanization in dogs with follicular dysplasia syndroms or endocrine skin disease. Vet. Dermatol. 1998;9:235-241.
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