Ichtyose cutanée chez un golden retriever - Le Point Vétérinaire n° 277 du 01/07/2007
Le Point Vétérinaire n° 277 du 01/07/2007

Dermatologie du chien

Pratique

CAS CLINIQUE

Auteur(s) : Noëlle Cochet-Faivre*, Frédérique Degorce-Rubiales**, Pascal Prélaud***

Fonctions :
*Advetia
5, rue Dubrunfaut
75012 Paris
**LAPVSO
129, route de Blagnac
31201 Toulouse Cedex 2
***Advetia
5, rue Dubrunfaut
75012 Paris

L’icthyose cutanée est une maladie héréditaire qui altère la cornéogenèse. Elle touche plusieurs espèces, mais est en recrudescence chez le golden retriever.

Un chiot golden retriever mâle de quatre mois () est présenté pour un squamosis étendu rebelle. Ce trouble est présent depuis l’âge de deux mois (adoption du chiot) et n’est pas prurigineux.

Cas clinique

1. Examen clinique

L’état général est bon. Les lésions dermatologiques sontgénéralisées : un squamosis pityriasiforme (petites squames) blanc, dense, est présent sur le tronc et la face. Il est le plus souvent occulté par le pelage dense ; un squamosis psoriasiforme brun est présent sur les membres.

Il apparaît plus intense en face interne des membres antérieurs et postérieurs, notamment à leur racine. (). La peau est hyperpigmentée sur les grands plis ().

2. Hypothèses diagnostiques

Les causes de squamosis généralisé chez le chiot sont assez peu nombreuses : cheylétiellose, trouble primaire de la cornéogenèse, malnutrition. L’absence de prurit, l’âge et l’état général de l’animal font privilégier l’hypothèse d’un trouble primaire de la cornéogenèse et notamment une ichtyose, maladie fréquente dans cette race [2].

3. Examens complémentaires

Les raclages cutanés ne permettent pas de mettre en évidence des éléments parasitaires et l’examen cytologique de surface ne démontre pas de signe d’infection. Des biopsies cutanées sont réalisées après une tonte partielle. En effet, une tonte classique enlève la couche cornée, élément majeur du diagnostic lors de suspicion d’ichtyose. L’examen histopathologique montre la présence d’une hyperkératose orthokératosique tantôt alvéolaire, tantôt compactée en alternance (). Cette hyperkératose intéresse aussi les infundibula folliculaires (). La couche granuleuse est diffuse (). Le derme est très discrètement inflammatoire. Les annexes épidermiques et glandulaires sont normales.

4. Diagnostic

L’aspect lésionnel macroscopique et microscopique confirme l’hypothèse d’ichtyose.

5. Pronostic

Le pronostic de cette génodermatose dépend de la gravité de l’atteinte. S’il n’existe pas de rémission spontanée, l’évolution peut être cyclique et les lésions s’atténuent avec les années dans certains cas. Souvent, le contrôle des lésions nécessite la mise en œuvre de soins permanents [2].

6. Traitement

Le traitement de l’ichtyose suit deux objectifs : la réhydratation cutanée et la diminution de l’épaisseur de la couche cornée par la limitation du turn-over de la cornéogenèse. Le rétablissement de l’intégrité de la fonction de barrière de l’épiderme est primordial pour limiter les risques d’infection et de développement d’allergies [2, 7]. Il fait appel à des soins topiques émollients (shampooings ou sprays) et à des apports alimentaires riches en acides gras essentiels, voire en composés de vitamines du groupe B et des acides aminés, connus pour leur effet bénéfique sur le rétablissement de la fonction de la barrière cutanée [3, 13].

Dans ce cas, des compléments d’acides gras poly­insaturés sont prescrits (Vivavet Derm®), associés à des shampooings émollients et kératomodulateurs (Sebomild P). Après trois mois de traitement, l’état de l’animal est jugé satisfaisant par son propriétaire, bien qu’il subsiste un squamosis encore assez important.

Discussion

D’un point de vue étymologique, ichtyose vient du grec ikhtus qui signifie poisson, les lésions cutanées observées dans ce groupe de maladies rappelant les écailles d’un poisson. Les ichtyoses sont des troubles héréditaires de la cornéogenèse. Elles apparaissent lors du développement fœtal ou dans les premiers semaines, mois ou années de vie. Elles forment un groupe de maladies caractérisées par l’accumulation de squames avec ou sans prolifération épidermique ou inflammation du derme.

1. Espèces concernées

Les ichtyoses sont décrites chez l’homme, la souris, les bovins, le chien, le chat [11]. La prévalence de la maladie varie chez l’homme selon le type d’ichtyose, de 1/300 pour l’ichtyose autosomique dominante, ou ichtyose vulgaire, à 1/300 000 pour l’ichtyose lamellaire [6]. Elle est rare chez le chien, mais la prévalence a nettement augmenté ces dernières années chez le golden retriever. Ainsi, le nombre de diagnostics d’ichtyose dans cette race, au LAPVSO, est passé d’un cas diagnostiqué par an jusqu’en 2003 à six en 2004, 17 en 2005 et plus de 30 en 2006.

2. Pathogénie

• L’épiderme est un épithélium stratifié qui joue un rôle primordial de barrière mécanique pour lutter contre les agressions extérieures et la déshydratation. À la suite de phénomènes moléculaires, biochimiques et morphologiques, les kératinocytes de la couche basale se transforment progressivement en cellules anucléées cornées appelées cornéocytes () [12]. Ce processus de différenciation s’appelle la cornéogenèse (parfois improprement dénommée kératogenèse). Le stade ultime de différenciation (différenciation terminale) de l’épiderme correspond à la fabrication de la couche cornée qui ressemble schématiquement à un mur constitué de briques (cornéocytes riches en protéines), entourées d’un ciment (couches lipidiques multilamellaires) [5, 9]. Apposée à la face interne des briques se trouve l’enveloppe cornée, qui correspond à une matrice dense constituée de protéines hautement résistantes à la protéolyse et à la dégradation chimique [2]. Lors du processus de différenciation terminale, trois étapes sont importantes :

- la déphosphorylation de la profilaggrine (elle est transformée en filaggrine, la matrice protéique du cornéocyte, qui permet la fixation des filaments de kératine) ;

- la constitution de l’enveloppe cornée ;

- la genèse de structures lipidiques hautement spécialisées et complexes. Les ichtyoses sont la conséquence d’une anomalie d’une ou de plusieurs étapes de la cornéogenèse.

• Chez l’homme, les trois principales ichtyoses décrites lors d’anomalies de la différenciation terminale de la cornéogenèse sont [6] :

- l’ichtyose vulgaire, secondaire à une déficience en filaggrine ;

- l’ichtyose récessive liée au sexe, due à une anomalie dans le compartiment lipidique (un déficit en stéroïde-sulfatase engendre une accumulation de sulfate de cholestérol, un inhibiteur des enzymes protéolytiques qui permettent la séparation des cellules cornées et leur chute) ;

- l’ichtyose lamellaire, qui regroupe un ensemble hétérogène d’ichtyoses congénitales définies par un même phénotype dit “lamellaire” (grandes squames de couleur brune et atteinte constante des grands plis). Elle apparaît principalement lors de la mutation de la transglutaminase kératinocytaire, une enzyme qui intervient dans la fabrication de l’enveloppe cornée.

Des ichtyoses sont décrites lors d’anomalies sur les gènes codant pour les kératines K1, K10, K2e.

• Chez le chien, les anomalies moléculaires impliquées dans ce groupe de maladies ne sont pas clairement définies [6].

3. Classification

Chez l’homme

La classification est actuellement difficile chez l’homme en raison de la diversité des critères qui peuvent être utilisés :

- la date d’apparition (naissance : ichtyose congénitale, ou au cours des premières années de vie : ichtyose vulgaire) ;

- l’extension de la maladie (localisée à la peau ou atteinte viscérale : ichtyose complexe) ;

- la transmission génétique (autosomale, liée au sexe, dominante, récessive) ;

- la morphologie histologique et ultrastructurale (hyperkératose de prolifération, de rétention, agranulose, etc.) ;

- le mécanisme moléculaire (déficit en transglutaminase kératinocytaire, déficit en stéroïde-sulfatase).

La classification se simplifiera avec l’amélioration des connaissances sur les mécanismes moléculaires en jeu.

Chez le chien

La classification est actuellement histopathologique, mais évoluera avec la connaissance du mode d’hérédité et des mécanismes impliqués () [4].

Elle repose sur la distinction ichtyose épidermolytique et ichtyose non épidermolytique. Les formes non épidermolytiques se caractérisent par une hyperkératose orthokératosique lamellaire à compacte épidermique, parfois infundibulaire. Les formes épidermolytiques se différencient des précédentes par une atteinte des couches malpighiennes ou granuleuses (vacuolisation et lyse des kératinocytes).

4. Symptômes

La localisation, la gravité, l’extension des lésions varient selon le type d’ichtyose. La majorité des cas rapportés décrivent la présence d’un squamosis abondant. Les squames sont plus ou moins adhérentes, souvent de grande taille. Les cas observés chez le golden retriever se caractérisent, généralement, par la présence de grandes squames adhérentes au poil de coloration brunâtre, surtout visibles en région déclive. L’état général n’est pas affecté. Aucun prurit n’est observé, sauf si une autre maladie est associée (dermatite atopique canine ou pyodermite). Chez l’homme, 35 % des cas d’ichtyose vulgaire sont associés à une dermatite atopique [6]. Certaines ichtyoses se manifestent par une érythrodermie sévère et des zones alopéciques en plus de l’épaississement de la peau. Des anomalies des ongles et des fissures des coussinets secondairement infectés sont alors décrites.

5. Diagnostic

Animal jeune

Le diagnostic différentiel est restreint chez le chiot. En effet, un squamosis non prurigineux généralisé évoque en première intention une ichtyose.

Animal adulte

En l’absence de commémoratifs, l’ichtyose entre dans le diagnostic différentiel des dermatites séborrhéiques et exfoliatives : cheylétiellose, démodécie, dermatophytose, leishmaniose, lymphome cutané épithéliotrope, séborrhée idiopathique, troubles de la cornéogenèse liés à une endocrinopathie, adénite sébacée granulomateuse.

Le diagnostic de confirmation est histologique.

6. Traitement

Les traitements sont symptomatiques, ils ont pour objectif de limiter la xérose cutanée parfois responsable de prurit et de pyodermite secondaire, éventuellement de limiter l’hyperkératose.

Soins topiques

L’utilisation d’émollients (sprays ou shampooings) est particulièrement indiquée et, dans le cas d’ichtyose bénigne, est même le seul traitement recommandé [2]. L’emploi de shampooings kératomodulateurs (à base de soufre, d’acide salicylique) apporte une amélioration dans certains cas.

Nutraceutiques

En première intention, les acides gras essentiels sont recommandés [2, 10]. L’utilisation d’aliments enrichis en pantothénate, choline, nicotinamide, histidine proline, pyridoxine et inositol pourraît être intéressante, parce qu’elle limite les pertes hydriques cutanées [13]. Toutefois, leur efficacité dans le cadre du traitement de l’ichtyose n’est pas démontrée.

Rétinoïdes de synthèse

Les rétinoïdes de synthèse sont indiqués lors d’ichtyose grave. Ils modulent la différenciation de l’épiderme pathologique en réduisant ses capacités prolifératives et en induisant une diminution de la différenciation. La dose recommandée pour l’acitrétine (Soriatane®) est de 0,5 à 1 mg/kg/j avec un repas. Un suivi biochimique bimensuel est nécessaire les premiers mois de son utilisation, puis mensuel (risque d’hyperlipémie et d’accroissement des ALAT) [3]. Les rétinoïdes de synthèse augmentent également la sécheresse des muqueuses et favorisent l’apparition d’une kératoconjonctivite sèche. L’arrêt du traitement s’accompagne d’une réapparition des lésions. Parfois, une aggravation des lésions est observée chez l’homme lors d’utilisation des rétinoïdes de synthèse [6]. Une étude chez des souris transgéniques montre qu’il est parfois important de laisser les squames, qui sont une modalité réactionnelle de la peau pour lutter contre la déshydratation lors d’ichtyose [12]. Par conséquent, l’intérêt d’un tel traitement peut être discuté, tant par ses effets secondaires directs que par son effet sur la cornéogenèse qui aboutit parfois à une aggravation de la maladie.

7. Pronostic

Le pronostic est variable selon l’atteinte, localisée ou généralisée, légère ou sévère de l’ichtyose. L’ichtyose actuellement décrite chez le golden retriever n’a pas de conséquence sur le pronostic vital de l’animal.

L’ichtyose est une maladie méconnue chez le chien jusqu’en 1984, date à laquelle les premiers cas rapportés en France sont décrits chez le cavalier king charles [1]. De nombreux chiots golden retriever sont présentés en consultation avec un squamosis important, compatible avec un diagnostic d’ichtyose. Ce squamosis est souvent négligé par les éleveurs. Mais la maladie n’étant pas toujours bien tolérée ni par le chien ni par son propriétaire, et face à la recrudescence des cas, il paraît important de découvrir le mode de transmission de ce type d’ichtyose, le ou les gènes impliqués. Des recherches sont actuellement effectuées au CNRS de Rennes (http://www-recomgen.univ-rennes1.fr/doggy. html) qui permettront à terme de reconnaître les animaux porteurs, de les retirer de la reproduction, voire d’envisager une thérapie génique qui pourrait servir de modèle à l’homme.

POINTS FORTS

• L’ichtyose cutanée est une maladie héréditaire devenue fréquente chez le golden retriever.

• Elle est souvent diagnostiquée dans les premiers mois de vie du chien.

• Elle se manifeste par un squamosis étendu, voire une hyperpigmentation de la peau, mais elle est souvent asymptomatique.

Remerciements au laboratoires Purina et Vétoquinol partenaires du résidanat ECVD du Dr Cochet-Faivre.

Références

  • 4 - Guaguère E, Bensignor E. Troubles génétiques de la cornéogenèse : deux exemples : ichtyoses et kératodermie naso-plantaires. In:XXe Journées annuelles du GEDAC, 2006, Marne-la-Vallée, AFVAC.
  • 5 - Haftek M. Stratum corneum. Ann. Dermatol. Venereol. 2002;129:117-122.
  • 7 - Irvine AD, McLean WH. Breaking the (un)sound barrier: filaggrin is a major gene for atopic dermatitis. J. Invest. Dermatol. 2006;126:1200-1202.
  • 13 - Watson AL, Fray TR, Bailey J, Baker CB, Beyer SA, Markwell PJ. Dietary constituents are able to play a beneficial role in canine epidermal barrier function. Exp. Dermatol. 2006;15:74-81.
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