Choix éclairé d’une stratégie de traitement au tarissement - Le Point Vétérinaire n° 276 du 01/06/2007
Le Point Vétérinaire n° 276 du 01/06/2007

Infections mammaires des vaches laitières

Mise à jour

CONDUITE À TENIR

Auteur(s) : Philippe Roussel*, Francis Serieys**, Marylise Le Guenic***, Hervé Baudet****, Vincent Heuchel*****, Nathalie Bareille******, Henri Seegers*******

Fonctions :
*Institut de l’élevage
149, rue de Bercy
75595 Paris Cedex 12
**Filière blanche
12, quai Duguay-Trouin
35000 Rennes
***Chambres d’agriculture
de Bretagne, Technopôle
Atalante-Champeaux, CS 14226
35042 Rennes Cedex
****Contrôle laitier Sarthe
CLASEL. 72, 126, rue de Beauge 72018 Le Mans Cedex 2
*****Institut de l’élevage
149, rue de Bercy
75595 Paris Cedex 12
******UMR 708 ENVN-Inra,
Gestion de la santé animale,
BP 40706, 44307 Nantes Cedex 03
*******UMR 708 ENVN-Inra,
Gestion de la santé animale,
BP 40706, 44307 Nantes Cedex 03

Au tarissement, une antibiothérapie systématique, un traitement sélectif ou l’arrêt de tout traitement peuvent être conseillés, assortis de recommandations zootechniques.

De plus en plus d’éleveurs se posent la question de la stratégie du traitement antibiotique au tarissement, remettant en cause son utilisation systématique. Les raisons en sont multiples : développement des exploitations agrobiologiques (dont le cahier des charges n’autorise les antibiotiques qu’à des fins curatives), inquiétude croissante vis-à-vis de l’antibiorésistance, et, enfin, recherche de l’optimisation économique en matière sanitaire.

Dans ce contexte, il est nécessaire pour le prescripteur d’appuyer l’éleveur dans sa prise de décisions, en appréciant avec lui la faisabilité de telle ou telle stratégie et en précisant les enjeux sur le plan tant technique qu’économique.

Des travaux récents menés conjointement par l’Institut de l’élevage, l’École nationale vétérinaire de Nantes, Filière blanche, les chambres d’agriculture Pays-de-la-Loire et Bretagne ont permis de préciser les stratégies de traitements envisageables au tarissement (antibiothérapie systématique, traitement sélectif, arrêt de tout traitement) sur la base d’éléments :

- économiques obtenus par modélisation et simulations [4] ;

- sanitaires comme les taux de guérisons, de nouvelles infections et la situation épidémiologique des troupeaux [3] ;

- zootechniques à travers les conduites d’élevage pouvant influer sur le risque de nouvelles infections au cours de la période sèche.

L’objectif de cet article est de préciser les critères à considérer (quatre premières étapes) pour le choix d’une stratégie de traitement adaptée au contexte épidémiologique de l’élevage (dernière étape).

Étape 1 : Prévalence des infections au sein du troupeau

Dans le premier temps du relevé de critères permettant le choix raisonné d’une stratégie de traitement au tarissement, le niveau d’infection du troupeau est évalué, et qualifié de faible, moyen, élevé ou très élevé. Pour cela, a minima, les concentrations cellulaires de tank (CCT) fournies par la laiterie sont analysées. Toutefois, la prévalence réelle des infections risque ainsi d’être sous-estimée car le lait de certaines vaches n’est pas livré.

Dans le cas d’éleveurs adhérents au contrôle laitier, il est préférable d’utiliser les données portées sur les “bilans mammites annuels” si leur édition est récente (moins de trois mois) ou de synthétiser les résultats des documents (valorisés) mensuels. L’analyse est fondée, selon leur disponibilité, sur les concentrations cellulaires du troupeau calculées par le Contrôle laitier (CCTCL) à partir des concentrations individuelles, ou sur le pourcentage de concentrations cellulaires individuelles (CCI) inférieures à 300 000 cellules/ml (tableau 1).

Étape 2 : Situation épidémiologique du troupeau

Pour apprécier la situation épidémiologique du troupeau, il convient de rechercher s’il existe un type d’infection dominante dans le troupeau (par exemple Staphylococcusaureus ou Streptococcus sp.) ou si plusieurs espèces sont en cause sans dominance nette.

En l’absence d’analyses bactériologiques représentatives, l’infection dominante est caractérisée en utilisant les documents d’élevage. Les données de concentrations cellulaires et les mammites cliniques sont confrontées, et, en parallèle, une recherche des facteurs de risque présents dans l’élevage est réalisée [6]. Cette méthodologie déjà décrite et sans grande évolution n’est pas détaillée dans cet article.

Les résultats d’analyses bactériologiques éventuellement disponibles peuvent participer à la validation d’un diagnostic établi sur documents d’élevages.

Étape 3 : Risques de nouvelles infections au tarissement

Le choix de la stratégie à adopter doit également tenir compte du niveau de risque de nouvelles infections au cours de la période sèche à venir, en l’absence de traitement au tarissement à visée préventive.

Ce risque est qualifié de faible si moins de 15 % de vaches sont atteintes, de moyen si entre 15 et 25 % de vaches sont atteintes, ou d’élevé au-delà de 25 % de vaches atteintes.

Pour cette évaluation, sont pris en compte à la fois :

- les résultats de la campagne de tarissement précédente ;

- les modalités de conduite du tarissement ;

- la sensibilité individuelle des animaux.

1. Analyse des résultats de la campagne de tarissement précédente

Pour un élevage suivi par le Contrôle laitier, l’indice de nouvelles infections de la campagne de tarissement précédente est étudié (pourcentage de vaches à moins de 300 000 cellules/ml au dernier contrôle qui passe à plus de 300 000 cellules/ml au premier contrôle de la lactation suivante). Celui-ci figure sur le “bilan mammites”. Il existe une certaine répétabilité de cet indice d’une année sur l’autre (tableau 2) : les élevages dont la situation est bonne (indice supérieur à 15 % en 2005) présentent majoritairement une situation bonne (56 % des élevages) ou moyenne (37 % des élevages) l’année suivante.

À l’inverse, les élevages dont la situation est mauvaise (indice supérieur à 25 %) ne le restent que dans trois cas sur dix environ, une proportion équivalente passant dans la catégorie “situation bonne”.

2. Observations sur la conduite du tarissement et du péripartum

Différentes observations sur la conduite du tarissement et du péripartum permettent d’apprécier les facteurs de risque d’infection au cours de la période sèche (tableau 3).

3. Sensibilité individuelle des vaches

L’évaluation de la sensibilité individuelle des vaches complète le diagnostic et participe au choix des animaux à traiter ou non (photo 1). Sont pris en considération :

- l’âge, car les vaches jeunes sont moins sensibles aux nouvelles infections que les vaches ayant effectué plusieurs lactations ;

- la conformation de la mamelle. Les mamelles dont le plancher descend sous le jarret sont plus sensibles aux infections ;

- l’état des trayons, en particulier les lésions au niveau du corps ou de l’extrémité des trayons ;

- la taille du trayon. Les vaches avec des trayons courts présentent plus de risque de nouvelles infections pendant la période sèche que celles dont les trayons sont normaux ou longs [1] ;

- la perte de lait fréquente entre les traites ;

- la génétique. La sensibilité aux infections mammaires est plus élevée chez les vaches dont les index cellules sont les plus négatifs.

Étape 4 : Traitements précédents au tarissement

Les effets d’un changement de stratégie sur le plan tant économique (marges brutes) que sanitaire (nombre de mammites cliniques, nombre de traitements antibiotiques en plus ou en moins, évolution des CCT) dépendent des caractéristiques des spécialités de traitement au tarissement qui ont été utilisées précédemment, en particulier en ce qui concerne l’efficacité préventive vis-à-vis de telle ou telle bactérie. Ces données sont renseignées pour la commercialisation et/ou dans les dossiers fournis par les entreprises du médicament (tableau 4).

Étape 5 : Choix de stratégie et conséquences

• Différentes stratégies de traitement au tarissement ont été définies sur la base des valeurs prédictives du statut infectieux des vaches obtenues avec différentes règles de décision fondées sur les concentrations cellulaires individuelles au cours de la lactation précédente [2]. Ainsi, l’arrêt du traitement des vaches à CCI inférieure à 100 000 cellules/ml ou à 200 000 cellules/ml et l’arrêt total des traitements ont été envisagés. L’efficacité sanitaire, économique et la consommation totale d’antibiotiques ont ensuite été évaluées pour chaque stratégie [5].

1. Choix en fonction de la situation épidémiologique

• Dans les situations épidémiologiques où la prévalence des infections au tarissement est très élevée (CCT supérieure à 350 000 cellules/ml) et où le risque de nouvelles infections en période de tarissement est élevé, la recommandation est de maintenir le traitement antibiotique systématique (en dehors du recours à une stratégie utilisant l’obturateur de trayon).

• À l’opposé, dans les situations épidémiologiques où la prévalence des infections au tarissement est faible (CCT inférieure à 150 000 cellules/ml ou pourcentage de CCI inférieures à 300 000 cellules/ml supérieur à 90 %) et où le risque de nouvelles infections pendant la période sèche à venir a été évalué de faible à moyen (moins de 25 %), l’arrêt total des traitements au tarissement peut se justifier, et ce quelle que soit la stratégie de tarissement antérieure.

• Lorsque la prévalence est moyenne ou élevée (CCT comprise entre 150 000 et 350 000 cellules/ ml ou pourcentage de CCI inférieures à 300 000 cellules/ml compris entre 70 et 90 %) et que le risque de nouvelles infections intramammaires est évalué de faible à moyen, ce qui correspond aux situations les plus répandues dans les troupeaux français, le traitement sélectif (une partie seulement des animaux recevant un traitement antibiotique) est envisageable. Dans la majorité des cas, les répercussions économiques sont limitées, voire nulles, en revanche, le bénéfice en nombre de traitements antibiotiques (écart entre le nombre de traitements au tarissement en moins et le nombre de traitements pour mammites cliniques en plus) est positif.

Le choix des vaches traitées et non traitées peut s’appuyer sur un seuil allant de 100 000 à 200 000 cellules/ml (tableaux 5 et 6).

2. Choix en fonction du traitement précédent

• Dans les élevages où le traitement systématique est mis en œuvre avec un antibiotique à forte efficacité préventive, un traitement sélectif peut être préconisé en cas de prévalence moyenne, quelle que soit la situation épidémiologique rencontrée (photo 2). Dans le cas où le niveau de prévalence est élevé, la stratégie du traitement sélectif ne peut se justifier que dans les situations ou S. aureus est prédominant.

• Si, en revanche, les stratégies de tarissement antérieures incluent une antibiothérapie à faible efficacité préventive, le traitement sélectif n’est à privilégier que dans les situations où S. aureus est dominant avec des prévalences moyenne à élevée.• Dans les autres cas de figure, la stratégie antérieure doit être poursuivie.

Dans le cas où des éléments de l’analyse seraient manquants ou difficiles à interpréter, il convient d’opter pour une prise de risque minimale et de privilégier une logique de traitement systématique.

3. Suivi du traitement choisi

Il est également important de mettre en place avec l’éleveur des indicateurs d’évolution des résultats (nombre de mammites cliniques au cours de la période sèche ou après le vêlage, dégradation des CCT, accroissement du nombre de nouvelles infections au cours de la période sèche, pourcentage de CCI inférieures à 300 000 cellules/ml avant et après tarissement), ainsi que des étapes régulières de réévaluation de la stratégie. Cela permet de réajuster les préconisations si le besoin s’en faisait sentir.

Les simulations ayant permis d’arriver à dégager des stratégies alternatives au traitement systématique ont montré qu’il existe une variabilité plus forte des trajectoires et des résultats cumulés pour les troupeaux de petite taille que pour les grands. Cela autorise donc, notamment pour des troupeaux de plus de 50 vaches, à étendre les résultats. Pour les petits troupeaux (moins de 30 vaches) à niveau de production élevé, le prescripteur doit rester plus prudent. Il peut mettre en place un traitement systématique ou alors privilégier une règle permettant de limiter au minimum le nombre de vaches infectées non traitées, c’est-à-dire de choisir pour seuil de traitement 100 000 cellules/ml plutôt que 200 000 cellules/ml).

Sur un plan pratique, le choix d’une stratégie de traitement dans un élevage tient compte d’éléments intrinsèques à l’élevage (niveau d’infection du troupeau, maîtrise par l’éleveur des facteurs de logement, de traite, etc., influençant les nouvelles infections), mais aussi du rapport coût/bénéfice du traitement, et de l’image du lait à promouvoir et/ou de réglementations à venir restreignant l’usage des antibiotiques à des fins préventives.

• Les motivations de l’éleveur doivent être appréciées par le prescripteur. Les éléments suivants sont discutés conjointement :

- son intérêt économique à réduire l’utilisation des antibiotiques ;

- l’image du lait véhiculée par les nouvelles stratégies ;

- sa capacité à changer (une gestion sanitaire différenciée dans le cas du traitement sélectif, par exemple, est nécessaire dans certains cas : tarissement progressif pour les vaches ne recevant aucun traitement et brutal pour les autres).

Les stratégies intégrant l’usage d’un obturateur n’ont pas été présentées.

Or elles sont vraisemblablement favorables pour les situations de risque élevé de nouvelles infections intramammaires.

Des situations épidémiologiques particulières, à risque important de nouvelles infections intramammaires par les bactéries Gram- par exemple, n’ont pas non plus été prises en compte.

L’apport protecteur du traitement antibiotique dit à forte efficacité préventive est alors probablement modeste en raison de la durée généralement courte de son efficacité préventive sur ce type de bactéries.

Les stratégies intégrant l’usage d’obturateurs peuvent alors avoir leur place.

Références

  • 1 - Robert A, Ribaud D, Bareille N et coll. Facteurs de risque de nouvelles infections intramammaires pendant la période tarie chez des vaches laitières en traitement sélectif. Renc. Rech. Ruminants. 2005:263-266.
  • 2 - Roussel P, Bareille N, Ribaud D et coll. Utilisation des concentrations cellulaires du lait pour le choix des vaches à traiter au tarissement. Renc. Rech. Ruminants. 2006:427-430.
  • 3 - Roussel P, Robert A, Poutrel B et coll. Épidémiologies descriptives des infections mammaires des vaches laitières en période sèche dans les troupeaux pratiquant le traitement sélectif au tarissement. Renc. Rech. Ruminants. 2005:259-262.
  • 4 - Seegers H, Robert A, Billon D et coll. Évaluation de règles de traitement sélectif au tarissement selon les contextes épidémiologiques de santé des mamelles en troupeaux laitiers : étude par simulation. Renc. Rech. Ruminants. 2006:435-438.
  • 5 - Seegers H, Billon D, Roussel P et coll. Aspects économiques et indications du traitement non systématique au tarissement des vaches laitières. Recueil des conférences des journées nationales des GTV. 2007:753-763.
  • 6 - Sérieys F. Le point sur les mammites des vaches laitières. Collection Le point sur. Éd. Institut de l’élevage, Paris. 1995:54-60.
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