Déplacement de caillette à gauche chez un taurillon - Le Point Vétérinaire n° 275 du 01/05/2007
Le Point Vétérinaire n° 275 du 01/05/2007

Affections digestives chez les bovins

Pratique

CAS CLINIQUE

Auteur(s) : Guillaume Belbis*, Yves Millemann**, Bérangère Ravary***, Renaud Maillard****, Alain Mayer*****, Dominique Rémy******

Fonctions :
*ENV d’Alfort
7, avenue du Général-de-Gaulle
94700 Maisons-Alfort
**ENV d’Alfort
7, avenue du Général-de-Gaulle
94700 Maisons-Alfort
***ENV d’Alfort
7, avenue du Général-de-Gaulle
94700 Maisons-Alfort
****ENV d’Alfort
7, avenue du Général-de-Gaulle
94700 Maisons-Alfort
*****Clinique vétérinaire
5, rue du Chemin-Salé
08400 Vouziers
******ENV d’Alfort
7, avenue du Général-de-Gaulle
94700 Maisons-Alfort

Un jeune bovin mâle de race laitière présente un retard de croissance et un ballonnement marqué à gauche et à droite. Une laparotomie exploratrice permet le diagnostic et le traitement.

Le déplacement de caillette est une affection courante chez la vache laitière haute productrice dans le mois qui suit le vêlage, mais il est également observé chez des vaches de race allaitante, des mâles adultes et de jeunes bovins, mâles ou femelles. Dans ces catégories de production, il semble souvent diagnostiqué tardivement, ou bien il constitue une découverte nécropsique [4]. Un cas de déplacement de caillette exploré et traité chez un jeune mâle de race laitière est présenté dans cet article. Il permet d’illustrer une cause peu fréquente de dilatation du flanc chez un bovin mâle, donc un piège diagnostique pour le praticien.

Cas clinique

1. Anamnèse et commémoratifs

Un taurillon prim’ holstein âgé d’un an est référé à l’ENV d’Alfort pour un retard de croissance. Les commémoratifs n’évoquent pas d’autres signes cliniques.

Aucun traitement ne lui a été administré.

2. Examen clinique

Le taurillon présente une hauteur au garrot de seulement 105 cm. Son appétit est diminué et un léger ballonnement ventral et bilatéral est noté. La fréquence cardiaque est de 60 battements par minute et la température rectale de 38,8 °C. La percussion et la succussion des flancs gauche et droit ne permettent de déceler aucune anomalie.

L’animal reste hospitalisé pour préciser le diagnostic. Lors des examens cliniques réalisés pendant les dix jours suivants, il présente une température rectale légèrement diminuée (comprise entre 37 et 37,9 °C). Le ballonnement s’accentue après cette période, tant à gauche qu’à droite, donnant un profil pomme-poire, caractéristique d’une indigestion chronique ou d’un syndrome d’Hoflund (photo 1) [2]. Le flanc gauche, ballonné, présente dorsalement une consistance de ballon caoutchouteux. À la percussion, celui-ci engendre un son tympanique. À l’auscultation-percussion dans le creux de ce flanc, un “ping” est entendu de manière inconstante au cours de l’hospitalisation. De même, des sons tintinnabulants sont audibles defaçon intermittente lors de l’auscultation-succussion du côté gauche.

En raison de l’âge et de la taille de l’animal, aucune exploration transrectale ne peut être réalisée.

3. Hypothèses diagnostiques

La distension abdominale dorsale à gauche, la succussion positive et le “ping” à gauche peuvent évoquer un déplacement de caillette à gauche, une péritonite (localisée ou généralisée), une dilatation ruminale (associée ou non à un syndrome d’Hoflund) ou encore un abcès de grande taille (figure 1).

La présence de symptômes habituellement associés à l’indigestion vagale (profil abdominal en pomme-poire, retard de croissance) conduit à envisager en premier lieu, dans ce cas clinique, une indigestion chronique (ou syndrome d’Hoflund) [14].

4. Examens sanguins

Dès le premier jour d’hospitalisation, un profil biochimique et une numération et une formule sanguines sont réalisés. La numération sanguine est normale. L’examen biochimique met en évidence une augmentation modérée du taux d’aspartate aminotransférase sérique (Asat : 205 UI/l ; norme : 30 à 104 UI/l). Ce paramètre est toutefois peu spécifique et sa hausse peut être liée au transport de l’animal la veille du prélèvement.

Afin d’explorer le retard de croissance du bovin, une prise de sang a aussi été effectuée pour une recherche d’antigénémie vis-à-vis du virus BVD (virus de la maladie des muqueuses). L’antigénémie BVD obtenue quelques jours après est négative, ce qui permet d’exclure une infection permanente avec une immunotolérance vis-à-vis de ce virus.

5. Laparotomie exploratrice

Afin d’identifier la cause de la distension abdominale, une laparotomie exploratrice par le flanc gauche est réalisée après trois semaines d’hospitalisation. Elle vise à rechercher en particulier d’éventuelles adhérences dans la région du réseau qui peuvent être en relation avec le syndrome d’Hoflund suspecté et à déterminer la nature du contenu ruminal. À l’ouverture de la cavité abdominale, la caillette, extrêmement dilatée, est visible dans le creux du flanc gauche (photo 2). Un diagnostic de déplacement de caillette à gauche est donc établi. Aucune adhérence sur le réseau, ni aucun abcès qui pourraient être à l’origine d’un syndrome d’Hoflund ne sont détectés.

6. Traitement

Une fois l’ouverture de la cavité abdominale pratiquée sur le flanc gauche, il est décidé de procéder à une abomasopexie chirurgicale par ce côté (encadré, photo 3). Une antibiothérapie postopératoire est mise en place, à base d’amoxicilline (Clamoxyl® LA, à la dose de 15 mg/kg par voie intramusculaire, en une seule injection), associée à un traitement anti-inflammatoire (carprofène, Rimadyl®, à la dose de 1,4 mg/kg par voie sous-cutanée).

7. Suivi postopératoire

Dès le lendemain de l’intervention, l’animal retrouve de l’appétit. L’ingestion revient à la normale dans les jours qui suivent. Le ballonnement abdominal disparaît (photo 4). La température rectale est à nouveau située dans les normes usuelles.

Discussion

1. Prévalences relatives du déplacement de caillette

Sexe

Peu d’études décrivent la prévalence du déplacement de la caillette chez les bovins mâles, mais cette affection semble relativement rare dans ce sexe. Constable et coll. montrent que les femelles présentent 29 fois plus de risque d’avoir un déplacement de caillette à gauche (DCG) que les mâles et 3,3 fois plus de risque de souffrir d’un volvulus abomasal (à droite) [3]. Leur étude porte sur 7 695cas de DCG et 1 036 cas de volvulus en dix ans. Sur les 7 695 cas de DCG rapportés, seulement 47 ont été diagnostiqués chez des mâles. Concernant les volvulus, parmi les 1 036 cas recensés, 50 l’ont été chez des mâles. Si les DCG dominent largement chez la femelle (environ 80 %), la prévalence du DCG chez le mâle semble être la même que celle du volvulus à droite [6].

En revanche, chez les veaux laitiers, la majorité des cas de déplacement de caillette se rencontre chez les mâles, le plus souvent à l’engraissement [8]. Le volvulus abomasal et le tympanisme sont décrits chez des veaux laitiers mâles et femelles. Ces cas semblent plus fréquents chez les mâles [5].

De même, chez les bovins allaitants, les déplacements de caillette seraient plus nombreux chez les mâles que chez les femelles : la proportion de mâles affectés est de 68,5 % d’après Roussel et coll. [13]. Il est cependant possible que les femelles atteintes soient moins souvent référées que les mâles pour ce type de maladie, en raison de leur valeur bouchère plus faible. Le cas de DCG décrit dans cette étude concerne un bœuf de race brahma âgé de 13mois, examiné en raison d’une distension abdominale qui évolue depuis trois jours. Une tachycardie et un “ping” à l’auscultation-percussion du flanc gauche étaient présents dans ce cas.

Catégorie de production

Le cas décrit concerne un bovin laitier. Peu de cas de déplacements et de volvulus de la caillette sont rapportés chez les bovins de race allaitante [3, 13]. Sur une période de 11 ans, seuls 19 cas de déplacement et de volvulus de la caillette ont ainsi été recensés à l’université du Texas [13]. Le volvulus et la simple dilatation à droite semblent être plus fréquents, et le déplacement à gauche serait plus anecdotique [13]. Parmi les races allaitantes présentes en France, la blanc-bleu-belge et la charolaise sont notamment rapportées dans la littérature pour être affectées [17]. La charolaise semble relativement plus sujette au volvulus [13].

Âge

Le déplacement de la caillette peut survenir chez des animaux de tous âges. Le risque est maximal chez la vache laitière entre quatre et sept ans, mais les jeunes bovins paraissent de plus en plus souvent touchés [6]. Chez les bovins allaitants de moins d’un an, le déplacement de caillette à droite (DCD) semble plus fréquent que le DCG. Un cas de DCD a même été diagnostiqué chez un bœuf âgé de 12 ans [6, 7, 13]. Le risque de volvulus abomasal (à droite) n’augmente pas entre la naissance et l’âge de deux ans, alors que le risque de DCG devient graduellement plus important pendant cette période [3].

La proportion relative des différents déplacements chez le jeune bovin varie en fonction des études. Selon certains auteurs, les proportions entre les déplacementsdecaillette chez le jeune sont proches de celles retrouvées chez la vache laitière (52 % de DCG, 24,5 % de DCD et 22,6 % de volvulus chez le jeune [a]). Toutefois, le DCG semble rare chez le veau : il ne représenterait que 1,1 % des affections de la caillette du jeune. Le déplacement à droite paraît être plus fréquent chez le veau.

2. Orientation diagnostique vers le DCG chez le jeune bovin

• Bien que le DCG soit souvent qualifié de rare chez les jeunes bovins, sa découverte lors d’autopsie de ces animaux conduit à s’interroger sur sa fréquence réelle [4]. Selon les observations de terrain, lorsqu’un veau ou un jeune bovin présente des troubles de l’appétit, un retard de croissance, un amaigrissement et, surtout, une météorisation récidivante, un DCG doit être envisagé entre autres causes et il convient de le confirmer [4, 16].

• La présence d’un “ping” à l’auscultation-percussion et éventuellement de sons liquidiens à l’auscultation-succussion du flanc gauche doit faire suspecter les affections suivantes :

- un déplacement de caillette à gauche ;

- un tympanisme ruminal associé à une météorisation (type syndrome d’Hoflund) ;

- une péritonite généralisée ou localisée ;

- un abcès volumineux ;

- éventuellement, un pneumopéritoine (figure 2).

• Les bruits ruminaux sont fréquemment faibles ou absents lors de DCG. Un sondage ruminal permet d’effectuer le diagnostic différentiel avec le tympanisme et la distension d’origine ruminale. Un syndrome d’Hoflund ou une réticulo-péritonite traumatique peut être exploré à l’aide d’un examen échographique du réseau.

• La distension du flanc gauche est fréquente lors de déplacement de la caillette chez les jeunes bovins, mais d’autres causes de distension abdominale existent [9, 16]. L’analyse du profil abdominal de l’animal permet d’orienter le diagnostic.

• Le DCG chez le veau est souvent associé à des adhérences secondaires à des ulcères perforants de la caillette [9, 11]. Lors de signes de colique et/ou de tympanisme abdominal chez un veau, en plus des ulcères de caillette et des affections intestinales comme la torsion mésentérique, l’invagination intestinale, le volvulus du jéjunum, l’incarcération ou l’étranglement intestinal, le diagnostic différentiel doit donc inclureun déplacement de caillette, associé (ou non) à des ulcères [10].

• Lalaparotomie exploratrice est souvent un tempsindispensablepour établir le diagnostic. Elle permet d’observer d’éventuelles complications et de mettre en œuvre le traitement chirurgical.

• L’examen échographique explore la motricité du réseau et recherche la présence d’adhérences sur cet organe, ou des signes de péritonite localisée éventuellement associée [1]. La paracentèse abdominale permet aussi d’approfondir la piste de la péritonite. Ces examens n’ont pas été effectués chez le taurillon présenté ici et la laparotomie exploratrice a été privilégiée en première intention, pour des raisons pratiques.

• Le diagnostic de déplacement de caillette chez un jeune bovin reste difficile à établir. Les signes cliniques retrouvés chez le mâle sont proches de ceux observés chez la vache laitière. Ce cas clinique suggère la possibilité d’une chronicité : le retard de croissance, qui évolue depuis un certain temps chez ce taurillon, est probablement lié à cette seule affection (en effet, ni adhérence ni abcès n’ont été mis en évidence, l’antigénémie BVD est négative et la croissance a repris après abomasopexie).

Le déplacement à droite et le volvulus abomasal sont généralement associés à une évolution plus aiguë, avec une distension modérée [a].

• Dans le cas décrit, l’évolution postopératoire a été satisfaisante et la guérison a été obtenue. En l’absence de complications (péritonite, adhérences, ulcères de la caillette), il convient d’être optimiste sur l’avenir en production de cet animal, même si le retard de croissance pris ne peut pas être totalement comblé [4, 13]. Le pronostic du DCG chez le jeune dépend de la précocité du diagnostic. Il est bon si l’animal est traité avant l’apparition de complications (ulcères abomasaux, péritonite) [13, a].

Il convient donc de rester vigilant vis-à-vis des déplacements de caillette pour des bovins qui ne répondent pas aux critères habituels (vache laitière haute productrice après vêlage).

L’incidence apparemment croissante ces affections chez les jeunes bovins traduirait une augmentation de la vigilance des praticiens face à ces atypies du déplacement de caillette [6].

POINTS FORTS

• Lors de symptômes évocateurs d’une indigestion vagale, l’hypothèse d’un syndrome d’Hoflund en première intention est privilégiée.

• Les déplacements de caillette sont rares chez des bovins mâles laitiers. Ils semblent plus fréquents chez le mâle que chez la femelle en race allaitante.

• Le caractère chronique des symptômes a induit à la fois le motif de consultation (retard de croissance) et l’hypothèse diagnostique initiale (indigestion vagale).

Encadré : Abomasopexie chirurgicale par le flanc gauche

Objectif

Après ouverture du flanc gauche, la caillette est fixée à saposition anatomique à l’aide d’une pexie en région paramédiane ventrale (légèrement à droite si possible). L'objectif est d’induire la formation d’adhérences entre la paroi de la caillette et le péritoine en région ventrale afin que la caillette ne se déplace plus lors de dilatation.

Réalisation

• Deux sites de peau sont préparés chirurgicalement (tonte, savonnage, désinfection) et anesthésiés localement :

- dans la zone paramédiane droite, deux repères sont déterminés pour la sortie des fils de pexie, le premier, 5 à 10 cm (selon la taille de l’animal, ici, petite) en arrière de l’appendice xiphoïde et 5 cm à droite de la ligne paramédiane, le second, 6 à 8 cm en arrière du premier point ;

- dans le creux du flanc gauche, plus ou moins près des côtes et plus ou moins bas selon la taille de l’animal et la longueur des bras du chirurgien.

• Après ouverture du flanc, la grande courbure de la caillette (déplacée) est visible par la plaie de laparotomie après incision du péritoine incisé. La caillette est fixée à 3 cm de l’attache du grand omentum, au milieu de la grande courbure. Un surjet non perforant à points passés y est réalisé avecun filnon résorbable de gros diamètre (déc. 6 à 8) sur une longueur de 6 à 8 cm, en prenant soin de passer dans la paroi de la caillette, et non pas à travers, et de conserver deux grandschefs longs àchaque extrémité de la suture. Il convient ensuite d’identifier le chef avant et le chef arrière pour ne pas les confondre. Une fois le surjet réalisé, la caillette est ponctionnée avec une aiguille montée sur une tubulure. Le fil avant constitue le point de fixation leplus cranial. Il est monté sur une grande aiguille droite qui facilite la traversée de la paroi abdominale en regard exact du point de repère extérieur. Le fil et l’aiguille sont amenés par le chirurgien en position ventrale dans la cavité abdominale, en protégeant le biseau de l’aiguille. Un aide guidele chirurgien de l’extérieurpour sortir le fil à l’endroit voulu (pointde repère le plus cranial). Le praticien traverse alors la paroi abdominale et l’aide récupère le fil. La même procédure est réalisée pour le fille plus caudal, qui est extériorisé ventralement sur le point de repèrele plus caudal. L’aide garde la tension sur les fils, le temps que le chirurgien replace, par un mouvement du plat de la main, la caillette en position abdominale ventrale (il la fait repasser entre le réseau et le rumen, puis sous le rumen). Les deux chefs sont ensuite nouésensemble sur un paquet de compresses glissé entre le nœud et la peau. Avant d’attacher les deux chefs ensemble, la caillette doit être bien positionnée contre la paroi abdominale, et aucune structure (par exemple, les anses intestinales) ne doit rester entre cet organe et la paroi abdominale, ni les fils s’entrecroiser. Les fils de transfixation sont coupés 10 à 14 jours après l’abomasopexie.

Abonné au Point Vétérinaire, retrouvez votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr