Conduite à tenir face à une insuffisance rénale aiguë - Le Point Vétérinaire n° 274 du 01/04/2007
Le Point Vétérinaire n° 274 du 01/04/2007

NÉPHROLOGIE CHEZ LE CHIEN ET LE CHAT

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CONDUITE À TENIR

Auteur(s) : Nicolas Gay*, Isabelle Goy-Thollot**, Jeanne -Marie Bonnet***

Fonctions :
*SIAMU, ENV de Lyon1,
1, avenue Bourgelat
69280 Marcy-L’Etoile
**SIAMU, ENV de Lyon1,
1, avenue Bourgelat
69280 Marcy-L’Etoile
***Service de physiologie
ENV de Lyon

Le pronostic d’une insuffisance rénale aiguë dépend, entre autres, de la rapidité de la mise en place d’un traitement approprié. La fluidothérapie raisonnée est le pilier du traitement.

L’insuffisance rénale aiguë (IRA) est un syndrome clinique correspondant à la brusque détérioration de la fonction rénale. Dans un contexte d’évolution aiguë, la perte de la capacité du rein à assurer l’excrétion des déchets azotés et à participer efficacement au maintien de l’équilibre hydro-électrolytique et acido-basique de l’organisme se traduit par un tableau clinique grave.

Les symptômes sont variés, en relation avec l’affection causale, l’accumulation des toxines urémiques et les déséquilibres hydrique et électrolytiques. Un état d’abattement domine. Une oligo-anurie survient le plus souvent, une polyurie étant moins fréquente.

Biologiquement, une augmentation progressive et rapide de l’urémie, de la créatininémie, des phosphates sanguins et, de façon moins systématique, de la kaliémie, est notée. L’acidémie est variable, mais fréquente [3].

L’IRA est potentiellement réversible, si les lésions rénales ne sont pas trop importantes [3]. Cette capacité des reins à recouvrer partiellement ou totalement leur fonction justifie un traitement précoce, “agressif”, et, si possible, étiologique, afin de limiter l’étendue de ces lésions.

Il convient également de pallier la défaillance des reins par des soins intensifs dans l’attente, parfois longue, de leur guérison.

Première étape  préciser le diagnostic et le pronostic

Dès l’admission de l’animal, un maximum d’éléments anamnestiques, cliniques et biologiques doivent être rassemblés afin de classer l’IRA, d’en établir si possible l’origine, et d’émettre un pronostic (voir le TABLEAU complémentaire “Étiologie de l’insuffisance rénale aiguë” sur planete-vet.com).

Les échantillons biologiques doivent être recueillis avant d’effectuer tout traitement (voir le TABLEAU “Examens complémentaires à réaliser à l’admission” et la FIGURE “Prise en charge de l’insuffisance rénale aiguë”).

L’urine est prélevée stérilement par cystocentèse et une partie du prélèvement est conservée dans un récipient stérile en vue d’un éventuel examen cytobactériologique (ECBU).

Le sang est prélevé à la veine jugulaire afin de préserver les veines céphaliques et saphènes, très sollicitées pour la fluidothérapie au cours d’un traitement parfois long.

Les échantillons sanguins sont collectés sur tubes EDTA (acide éthylène diamine tétra-acétique), secs et héparinés.

Il est souvent difficile de définir la cause de l’IRA. L’examen histologique d’un fdsq échantillon prélevé par biopsie rénale, effectuée si l’état de l’animal l’autorise, permet de connaître la nature exacte de la lésion et d’émettre un pronostic précis, sinon un diagnostic étiologique systématique [11].

Trois types d’IRA peuvent être distingués.

1. L’IRA prérénale ou fonctionnelle

Secondaire à une diminution du débit sanguin rénal, l’IRA prérénale ou fonctionnelle est la conséquence d’une baisse de la filtration glomérulaire. Toute hypovolémie absolue ou relative, toute augmentation de la résistance vasculaire rénale peuvent entraîner une IRA prérénale, également qualifiée de fonctionnelle en l’absence de lésions organiques.

La densité urinaire (DU) apporte une excellente orientation. Une DU élevée (supérieure à 1,040 chez le chien et à 1,045 chez le chat), associée à des signes cliniques et biologiques de déshydratation, témoigne d’une réponse rénale adaptée au déficit hydrique, donc d’un trouble fonctionnel. Toutefois, il existe des exceptions  une DU inférieure à 1,030 peut être observée lors d’IRA prérénale si l’animal a reçu une injection inappropriée de diurétiques, ou lors de maladies telles qu’un hypoadrénocorticisme, une insuffisance hépatique ou un diabète insipide hypophysaire [1, 3].

L’urémie est en règle générale proportionnellement plus élevée que la créatininémie car un rein sain réabsorbe une partie de l’urée filtrée, et plus encore lors de flux tubulaire réduit, ce qui n’est pas le cas pour la créatinine.

Le pronostic est favorable si l’hypovolémie est corrigée rapidement et efficacement.

2. L’IRA rénale ou organique

L’IRA rénale ou organique est la conséquence d’une lésion du parenchyme rénal.

Les causes ischémiques et toxiques, qui affectent principalement la partie tubulaire, les glomérulopathies et les atteintes tubulo-interstitielles représentent l’essentiel des affections parenchymateuses.

• La présence de cylindres (plus de cinq cylindres hyalins et/ou plus d’un cylindre granuleux par champ microscopique au grossissement x 100), une diminution de la densité urinaire, une glycosurie en l’absence d’hyperglycémie sont autant d’indices en faveur d’une atteinte tubulaire.

Une protéinurie importante (bandelette urinaire  deux croix ou plus à interpréter en fonction de la densité urinaire, test de Heller avec présence d’un disque floconneux à l’interface urine/acide nitrique grossièrement proportionnel à la concentration des protéines urinaires, rapport protéines urinaires/créatinine urinaire supérieur à 5), en l’absence de culot de centrifugation inflammatoire, est caractéristique d’une glomérulopathie (glomérulonéphrite, amyloïdose rénale).

Un culot urinaire, riche en cellules inflammatoires et mettant en évidence une bactériurie intracellulaire, doit inciter à pratiquer une échographie rénale et un examen bactériologique urinaire pour explorer l’hypothèse d’une pyélonéphrite.

• Les données épidémiologiques, indépendamment du statut vaccinal de l’animal, sont essentielles lors de suspicion d’une leptospirose, maladie probablement sous-diagnostiquée, responsable d’une néphropathie tubulo-interstitielle. La confirmation est apportée par la réalisation d’une PCR (polymerase chain reaction) sanguine et urinaire, systématiquement associée à un examen sérologique. Le port de gants est obligatoire pour la manipulation des animaux suspects de leptospirose, car il s’agit d’une zoonose.

• L’hypercalcémie est une cause rare d’IRA, comme elle peut être l’une de ses conséquences [9]. En comprendre l’origine permet de mieux la corriger et de limiter les lésions rénales.

• Plus généralement, il convient de rechercher une maladie systémique associée à l’IRA, parfois évidente (babésiose, péritonite infectieuse féline), mais parfois plus pernicieuse (myélome multiple).

• Le diagnostic de l’insuffisance rénale chronique (IRC) décompensée est parfois difficile à établir. Une anamnèse rigoureuse associée aux examens clinique et biologique ainsi qu’à l’imagerie peut permettre d’identifier un épisode d’IRA parenchymateuse qui apparaît au cours de l’évolution d’une IRC non diagnostiquée. Le pronostic est alors sombre.

• Le pronostic d’une insuffisance rénale parenchymateuse est très réservé. Les causes infectieuses (leptospiroses) ont cependant un pronostic moins défavorable [3].

3. L’IRA postrénale

L’IRA postrénale est rencontrée lors d’obstruction ou de rupture des voies excrétrices.

Le diagnostic étiologique est en général évident, mais l’imagerie est souvent utile lors de rupture des voies urinaires.

Lors d’épanchement péritonéal, les concentrations en créatinine et en potassium de ce dernier sont supérieures à leurs concentrations sanguines. Le pronostic est bon si les lésions des voies excrétrices sont traitées avant l’installation de lésions du parenchyme rénal et/ou du muscle vésical.

Deuxième étape  rétablir l’homéostasieet traiter la cause

Le rétablissement de l’homéostasie est initié immédiatement après les prélèvements sanguins et urinaires, très souvent en l’absence de diagnostic étiologique. Il consiste à rétablir une hydratation, une kaliémie et un pH sanguin physiologiques. Un monitorage précis est indispensable  surveillance régulière des paramètres cliniques (température rectale, poids, quantification de la diurèse par recueil des urines dans une poche à urines, éléctrocardiogramme, pression artérielle, pression veineuse centrale), hématologiques et biochimiques (hématocrite, protéines totales, urée, créatinine, phosphore, sodium, chlore, potassium, calcium ionisé, gaz du sang). La mise en place d’une voie veineuse centrale est indispensable dans le cas d’un animal cardiaque ou oligo-anurique afin de contrôler la pression veineuse centrale au cours de la fluidothérapie.

Le syndrome urémique étant associé à une diminution des défenses immunitaires, la mise en place des voies veineuses et urinaires doit s’effectuer avec toutes les mesures d’asepsie requises. Un prolongateur muni d’un robinet à trois voies est utile pour permettre la perfusion de plusieurs solutés différents [3].

• Le déficit hydrique est compensé en priorité, sans créer de surcharge volumique (voir l’encadré “Fluidothérapie pendant les 12 premières heures”). Celle-ci peut être irréversible dans le cas d’une anurie, à moins de pouvoir pratiquer une dialyse. La déshydratation est appréciée selon les critères cliniques classiques. Le déficit hydrique du secteur extracellulaire se calcule en multipliant le pourcentage de déshydratation évalué par le poids corporel en kg. Les pertes secondaires aux vomissements et à la diarrhée doivent être ajoutées.

Le soluté de perfusion, du NaCl à 0,9 % ou du Ringer lactate est administré en quatre à six heures. Les pertes hydriques insensibles (pertes non mesurables, principalement par évaporation respiratoire) sont compensées à l’aide d’un soluté glucosé à 5 % au débit de 1ml/kg/h.

Un hématocrite et une protéinémie normalisés, une disparition des signes cliniques de déshydratation extracellulaire, un gain de poids sont autant d’éléments qui permettent d’apprécier le retour à l’équilibre hydrique. La mesure de la pression veineuse centrale (PVC) permet de prévenir une hypervolémie fréquente au cours de la fluidothérapie mise en œuvre lors d’IRA oligo-anurique. Elle doit rester inférieure à 7cm d’eau [3].

• La correction de la kaliémie est entreprise, si nécessaire, dans le même temps. Une hyperkaliémie modérée (entre 6 et 7mEq/l), sans anomalie du tracé électrocardiographique (ECG), n’est pas traitée de façon spécifique. La réhydratation (NaCl 0,9 %) et, quand elle est effective, la reprise de la diurèse contribuent efficacement à la normalisation de la kaliémie. Chez le chat, son évolution est suivie très régulièrement afin d’anticiper la survenue d’arythmies cardiaques, de très mauvais pronostic.

En présence d’anomalies du tracé de l’ECG ou d’une kaliémie supérieure à 8 mEq/l, il est possible d’agir rapidement, mais fugacement, en s’opposant à l’effet arythmogène du potassium par l’injection intraveineuse lente de gluconate de calcium 10 % à la dose de 0,5 à 1 ml/kg, sous contrôle ECG. L’administration de bicarbonate de sodium (1 à 2 mmol/kg), en augmentant le pH extracellulaire, a un effet hypokaliémiant qui se manifeste après 15 à 30 minutes. L’insulinothérapie (®Actrapid® (1) par voie intramusculaire, 1 UI/kg, associée à 2 g/kg de glucose à 30 %) favorise la pénétration intracellulaire du potassium et présente un délai d’action comparable à celui du bicarbonate de sodium.

• L’acidémie, responsable de graves troubles cardiaques et neurologiques, est traitée uniquement si le pH sanguin est inférieur à 7,1 et/ou si la réserve alcaline est inférieure à 11 mEq/l, grâce à une perfusion de bicarbonate de sodium dont la quantité à injecter se calcule selon la formule suivante 

HCO3- (mmol/l) à injecter = 0,3 x PV (kg) x (24 - [HCO3-]) dans laquelle PV représente le poids de l’animal.

La moitié de la dose est injectée en six heures, puis le pH et la réserve alcaline sont réévalués. Si besoin, une nouvelle alcalinisation sanguine est réalisée selon le même protocole.

Une alcalémie peut également être rencontrée, iatrogène ou secondaire aux vomissements. Il n’existe pas de traitement spécifique.

• traitement causal, lorsqu’un diagnostic étiologique est établi, est entrepris dès que possible, parallèlement au rétablissement de l’homéostasie. Toutefois, si une intervention chirurgicale s’impose, elle ne doit pas être entreprise, sauf exception, avant correction des déséquilibres majeurs.

Le traitement est souvent évident lors d’IRA pré - et postrénale, et en général efficace lorsqu’il est initié avant l’installation de lésions du parenchyme rénal.

Lors d’insuffisance organique, un diagnostic et un traitement étiologiques sont rarement possibles dès l’admission. En cas de forte suspicion d’infection leptospirosique, une antibiothérapie (amoxicilline 10 mg/kg par voie intraveineuse, matin et soir ) est entreprise avant confirmation du laboratoire.

L’administration de substances potentiellement néphrotoxiques est suspendue.

Le plus souvent, en l’absence de traitement étiologique, le praticien se contente des seules mesures de soutien développées par ailleurs.

Troisième étape  traiter l’oligo-anurie et les complications

La guérison des lésions rénales peut demander quelques jours à plusieurs semaines. L’objectif du traitement est de pallier la défaillance rénale pour maintenir l’animal en vie, le temps que cette guérison devienne effective.

1. Rétablissement de la diurèse

Dans le cas d’une IRA oligo-anurique (diurèse inférieure à 1 ml/kg/h après correction de la déshydratation), le rétablissement d’une diurèse normale est l’objectif prioritaire.

Dans un premier temps, la fluidothérapie est poursuivie quatre à six heures après correction de la déshydratation initiale, à l’aide d’un soluté glucosé à 5 % perfusé au débit de 1 ml/kg/h pour remplacer les pertes insensibles. Ce soluté glucosé est associé à un soluté cristalloïde isotonique, administré de façon à provoquer une légère surhydratation équivalente à 3 à 5 % du poids de l’animal [9]. Si la diurèse reste inférieure à 1ml/kg/h, les diurétiques sont alors utilisés (voir le TABLEAU “Comparaison des molécules utilisées dans le protocole de diurèse forcée” et la FIGIRE “Protocole d’utilisation des diurétiques dans le cadre d’une insuffisance rénale aiguë”).

• À condition d’être administrés précocément, les diurétiques peuvent stimuler la diurèse sans toutefois augmenter systématiquement le débit de filtration glomérulaire. Ils contribuent à l’élimination des débris tubulaires (cellules, cylindres, cristaux). L’usage du furosémide est actuellement controversé en médecine humaine. Selon plusieurs études, cette molécule n’apporte pas de bénéfice clinique dans la prévention et le traitement de l’IRA [6].

L’utilisation de la dopamine à une dose spécifique (dose “rénale”, 0,5 à 3 µg/kg/min dans du glucose 5 %) a été largement préconisée pour son action bénéfique sur le flux sanguin rénal et la filtration glomérulaire. Chez l’homme, des études ont prouvé que la dopamine n’apporte aucun bénéfice dans le traitement d’une IRA, et qu’elle peut avoir une action délétère sur le tubule rénal [12]. En médecine vétérinaire, l’intérêt de cette molécule reste à démontrer dans le cadre de l’IRA. Elle est utilisée en dernier recours chez le chien, mais pas chez le chat (absence de récepteurs rénaux dopaminergiques DA1), en association avec le furosémide, après échec du protocole mannitol-furosémide. Son emploi, même à dose “rénale”, est fortement contre-indiqué chez l’animal hypertendu.

Le fénoldopam(1), un agoniste des récepteurs DA1, fait actuellement l’objet de recherches qui montrent, chez le chat et le chien sains, une efficacité supérieure à la dopamine sur l’augmentation de la diurèse, de l’excrétion sodée et de la filtration glomérulaire [5, 13]. Son efficacité chez l’animal malade n’est pas encore démontrée.

• En cas d’échec du traitement diurétique, seule la dialyse péritonéale ou l’hémodialyse permet de maintenir l’animal en vie [3, 4, 8].

La dialyse péritonéale nécessite une équipe expérimentée pour gérer, d’une part, la pose et l’entretien du cathéter péritonéal ainsi que les temps de dialyse, et d’autre part, ses fréquentes complications (défaut de perméabilité du cathéter, péritonite, déséquilibres hydro-électrolytiques) [8]. L’hémodialyse requiert un matériel onéreux, une hygiène rigoureuse de la voie veineuse et fait appel à un personnel spécialisé.

L’hémodialyse, pratiquée par le service de physiologie de l’ENV de Lyon, a été retenue par les auteurs comme une technique d’épuration extrarénale (PHOTO). Les principaux critères d’inclusion sont l’âge et le pronostic de l’affection rénale. Ainsi, un jeune chien atteint de leptospirose est un bon candidat à l’hémodialyse à l’inverse d’un animal âgé qui souffre d’une décompensation aiguë d’une insuffisance rénale chronique.

L’hémodialyse est aussi une technique efficace d’élimination de certains toxiques (éthylène glycol) ou de réduction d’une surcharge hydrique, particulièrement lors d’échec des traitements diurétiques. Elle permet de corriger des déséquilibres électrolytiques majeurs.

2. Prévention et traitement du syndrome urémique

Le syndrome urémique se définit comme l’ensemble des manifestations cliniques secondaires à l’augmentation des concentrations plasmatiques de molécules appelées toxines urémiques. L’eau en excès (surcharge hydrique secondaire à une réhydratation mal conduite) est considérée par certains auteurs comme une toxine urémique [4]. Des symptômes digestifs (anorexie, stomatite, vomissements, diarrhée, saignements), pulmonaires, neurologiques ainsi qu’une sensibilité accrue aux infections, secondaires à une dépression du système immunitaire, sont fréquemment rencontrés.

• L’anorexie oblige à recourir à une alimentation entérale, en l’absence de vomissements, ou parentérale dans le cas contraire. Il s’agit de limiter le catabolisme protéique intense et ses effets délétères. Le gavage est à proscrire au profit de la pose d’une sonde naso-œsophagienne, d’œsophagostomie, voire de gastrostomie percutanée si un délai de traitement plus long est requis.

La nutrition parentérale totale (lipides, glucides et acides aminés) couvre conplètement les besoins nutritionnels, mais impose le recours à des solutés hypertoniques qui ne peuvent être administrés que par une voie veineuse centrale [10]. Cela implique des contraintes importantes d’asepsie, de monitorage et de coûts. La voie veineuse périphérique peut être utilisée pendant quelques jours (cinq jours au maximum) pour l’administration de solutés glucidiques et protéiques isotoniques (nutrition partielle), en général en complément d’une alimentation entérale. En cas d’oligo-anurie, la voie parentérale peut être contre-indiquée en raison du risque de surcharge volumique.

Le besoin énergétique au repos (BER) est évalué selon la formule 

BER (kcal/j) = 70 x PV (kg)0,75

Dans le cas d’une alimentation parentérale, les besoins en acides aminés (AAtot) sont évalués par la formule suivante 

AAtot (g) = 1,5 x PV pour le chien, et 3,3 x PV pour le chat [10].

Lors d’alimentation entérale, un aliment spécifique (formulé pour l’insuffisance rénale chronique), à haute valeur énergétique mais à teneur réduite en protéines de haute qualité, en potassium et en phosphore, est conseillé [2, 3]. Une présentation liquide de convalescence (®Fortol) peut être adaptée à l’aide d’une dilution avec du glucose 30 %, afin de faciliter son administration par la sonde naso-œsophagienne [2].

• Les lésions buccales (inflammation, ulcères) sont traitées à l’aide de rinçages à la chlorhexidine diluée à 0,1 ou 0,2 %.

• Le traitement antiémétique de choix est le métoclopramide en bolus de 0,1 à 0,5 mg/kg toutes les six heures ou en perfusion continue à la dose de 0,04 à 0,08 mg/kg/h.

Le métoclopramide est éliminé par le rein. Sa dose d’administration est modulée en fonction de l’urémie, ce qui est la règle pour toutes les molécules à élimination rénale prescrites lors d’IRA. Le métopimazine (Vogalène® (1)) à 1mg/kg/j peut être une solution alternative.

• L’hypergastrinémie est à l’origine d’une hyperacidité gastrique qui est traitée par l’injection de ranitidine (Azantac® (1), antagoniste des récepteurs H2) à la dose de 0,5 à 1 mg/kg, toutes les 12 à 24 heures, par voie intraveineuse. Le sucralfate (0,5 à 1®g per os toutes les six heures) est un sel d’aluminium qui peut être utilisé pour le traitement des ulcères gastriques.

• Les lésions pulmonaires (œdème par surhydratation, bronchopneumonie par fausse déglutition, pneumopathie urémique) sont traitées de manière symptomatique par 

- une administration de diurétiques, voire par une dialyse en cas d’anurie 

- une antibiothérapie à large spectre 

- une oxygénothérapie et si besoin, une ventilation assistée.

• Des convulsions peuvent être observées lors d’urémie importante. Elles sont traitées à l’aide d’anticonvulsivants (diazépam(1) 0,5 à 2 mg/kg par voie intraveineuse, phénobarbital 2 à 5mg/kg par voie intramusculaire) et avec une oxygénothérapie de soutien (150 ml/kg/min).

• La température rectale est prise toutes les quatre heures. L’hypothermie fait partie du syndrome urémique et nécessite des mesures de réchauffement. Une hyperthermie doit faire suspecter en premier lieu une infection iatrogène. Une hygiène rigoureuse des voies veineuses et de la sonde urinaire, ainsi qu’un changement régulier des voies veineuses périphériques, au minimum tous les trois jours, sont indispensables. Un culot de centrifugation est réalisé chaque jour pour détecter les signes d’une infection du tractus urinaire (bactériurie), en particulier si la sonde urinaire est laissée à demeure.

• La phase de guérison est associée fréquemment à une polyurie et à une hypokaliémie. Il convient d’adapter les perfusions aux pertes urinaires. Une administration de potassium à un débit supérieur à 0,5 mEq/kg/h peut entraîner des modifications du rythme cardiaque parfois létales. Il est donc conseillé de ne supplémenter que le soluté d’entretien.

La gestion d’une IRA est très complexe et ne peut être entreprise efficacement qu’avec un monitorage adapté et une équipe soignante expérimentée.Le pronostic de l’atteinte parenchymateuse, en dehors de certaines causes infectieuses, est très réservé. Il est étroitement lié à la précocité du diagnostic et à la mise en place d’une fluidothérapie massive et appropriée. Le retour rapide à une diurèse normale est l’objectif prioritaire.

En l’absence d’un accès banalisé aux différentes techniques de dialyse, l’utilisation des diurétiques, bien que controversée en médecine humaine, reste encore la seule issue thérapeutique si la fluidothérapie n’a pu rétablir la diurèse. L’échec des protocoles diurétiques, constaté après un court délai de huit à dix heures, est d’un pronostic très sombre.

  • (1) Médicament à usage humain.

Fluidothérapie pendant les 12 premières heures

T0 à T0 + 6 heures

• Corriger la déshydratation extracellulaire et compenser les pertes hydro-électrolytiques urinaires et digestives (diarrhée, vomisssements).

- Perfusion d’un soluté cristalloïde isotonique  NaCl 0,9 % ou Ringer lactate (RL) volume horaire (ml) = Q1 /6 + Q2 + Q3

- Estimation de la déshydratation extracellulaire Q1 (ml) = % déshydratation x poids (kg) x 1000

- Compensation des pertes urinaires mesurées toutes les heures dans la poche à urines Q2 (ml)

- Compensation des pertes digestives évaluées par pesée (alèzes) Q3 (ml)

• Compenser les pertes insensibles (perte de vapeur d’eau par voie respiratoire) par perfusion de glucose 5 %  1 ml/kg/h

De T0 + 6 heures à T0 + 12 heures

• Diurèse > 1 à 2 ml/kg/h

- perfusion d’entretien (pertes urinaires et pertes insensibles) NaCl 0,45 % - glucose 2,5 %  2 ml/kg/h

- compensation des pertes hydriques digestives  NaCl ou RL

• Diurèse < 1 ml/kg/h

- expansion volumique modérée  NaCl 0,9 % ou RL  Q (ml) = 5 % x  (PV) kg x 1> 000 en 6 heures (inclut les pertes urinaires et digestives)

- compensation des pertes insensibles  glucose 5 % 1 ml/kg/h

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