Résolution spontanée d’une alopécie en patron - Le Point Vétérinaire n° 272 du 01/01/2007
Le Point Vétérinaire n° 272 du 01/01/2007

DERMATOLOGIE CHEZ LE CHIEN

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CAS CLINIQUE

Auteur(s) : William Bordeau

Fonctions : Consultant en dermatologie
vétérinaire
Clinique vétérinaire
3, avenue Foch
94700 Maisons-Alfort

Une alopécie en patron est observée chez un teckel. Une résolution spontanée de cette dernière après plusieurs années amène à se poser des questions sur l’efficacité potentielle de la mélatonine, habituellement utilisée.

L’alopécie en patron est une dermatose assez commune, mais mal connue. Elle est surtout décrite chez le chien. Un seul cas a été décrit chez le chat [4]. Seule la mélatonine semble intéressante pour contrôler cette dermatose, qui est essentiellement inesthétique. Cependant, le cas décrit ici pourrait faire douter de son utilité.

Cas clinique

Un teckel mâle âgé de trois ans est présenté à la consultation en raison de la survenue, quelques années auparavant, d’une alopécie rétro-auriculaire bilatérale.

1. Commémoratifs

• Ce chien habite en pavillon. Il s’agit du seul animal présent dans la maison. Il n’a pas de contact avec d’autres animaux. Aucune contagion humaine n’est relatée. L’animal ne part pas en voyage avec ses maîtres, mais il est gardé à son domicile.

• La prévention contre les puces est assurée par l’application mensuelle de fipronil sous forme de spray (Frontline® spray 250 ml). Cette application est toutefois assez irrégulière et essentiellement effectuée du printemps à l’automne. En revanche, aucun traitement environnemental n’est réalisé.

• Le chien est nourri avec une alimentation industrielle composée de conserves. Il ne reçoit aucune friandise. Il ne prend actuellement aucun traitement, que ce soit pour cette dermatose ou pour un autre motif. Il est à jour de ses vaccinations.

• Aucun trouble comportemental n’est rapporté par ses propriétaires.

2. Anamnèse

• La dermatose est apparue vers l’âge de dix mois. Elle s’est initialement manifestée par une alopécie diffuse et bilatérale, localisée à la base des oreilles. Puis cette alopécie a gagné les zones temporales.

Elle a progressé lentement pendant plus de deux ans. Ni rémission ni amélioration n’ont été observées.

• Cette dermatose n’a jamais été prurigineuse et aucun érythème n’a été remarqué sur ces zones alopéciques.

3. Examens général et dermatologique

Le chien pèse 7 kg. Il ne présente pas de symptôme général et ni d’anomalie en dehors de la dermatose.

Examen dermatologique à distance

La dermatose est observée sur une surface qui s’étend de la base des oreilles jusqu’aux zones temporales, en passant par le dessus de la tête.

Examen rapproché

• Sur cette localisation, une alopécie diffuse, bilatérale et symétrique est observée. Elle est plus prononcée à la base des oreilles et en région rétro-auriculaire (PHOTOS 1, 2 ET 3). Les poils y paraissent plus fins. Sur la zone alopécique, quelques rares papules et un fin squamosis sont également notés. Il n’existe aucune hyperpigmentation.

• En dehors de la zone alopécique, le pelage est d’aspect normal et les poils ne s’arrachent pas facilement.

• Aucune lésion secondaire à un prurit n’est observée.

4. Synthèse clinique

Il s’agit donc d’une dermatose alopéciante, bilatérale et symétrique, non prurigineuse, qui se localise de manière exclusive aux zones temporales, auriculaires et sur le dessus de la tête chez un animal de trois ans, en parfait état général (voir la FIGURE “Silhouette dermatologique”).

5. Hypothèses diagnostiques

Les hypothèses diagnostiques envisagées après recueil de l’anamnèse, des commémoratifs et de l’examen clinique sont :

- une alopécie en patron ;

- une alopécie des robes diluées ;

- une alopécie d’origine dysendocrinienne ;

- une démodécie ;

- une alopecia areata.

6. Examens complémentaires

• Des raclages sont réalisés sur diverses régions du corps, jusqu’à la rosée sanguine, à l’aide d’une lame de bistouri. Le prélèvement est ensuite déposé dans du lactophénol et examiné au microscope aux objectifs 4 et 10. Aucun Demodex n’est mis en évidence.

• Un trichogramme est ensuite réalisé. Des poils sont prélevés en périphérie et au cœur des zones d’atteinte. Ils sont déposés dans du lactophénol et sont observés au microscope aux grossissements 4, 10 et 40. Aucune anomalie de répartition des pigments mélaniques au sein de la tige pilaire n’est observée et les poils ne sont pas particulièrement en phase télogène.

• Quatre biopsies sont effectuées, sous anesthésie générale avec une association de zolazépam et de tilétamine (Zolétil®), au sein des lésions, à l’aide d’un trépan de 6 mm de diamètre. Les prélèvements sont ensuite déposés dans du formol et envoyés dans un laboratoire d’anatomopathologie vétérinaire.

L’analyse histopathologique des prélèvements révèle que l’aspect histologique de l’épiderme est normal. Il existe néanmoins quelques rares foyers d’exocytose de cellules mononucléées et une discrète hyperkératose orthokératosique. Les follicules pileux et les glandes annexes sont normalement représentés. Les follicules pileux sont majoritairement en phase anagène et de petite taille. Un infiltrat périvasculaire discret, superficiel, ponctuel et constitué de quelques cellules mononucléées est parfois présent.

Le tégument présente donc un aspect presque normal (PHOTO 4).

• Lors de lésions alopéciques symétriques qui atteignent la base de l’oreille, cet aspect histologique d’un tégument presque normal oriente le diagnostic vers une alopécie en patron, pour laquelle la race teckel semble prédisposée. Ces lésions histopathologiques ne sont pas en faveur d’une dysendocrinie, d’une alopécie des robes diluées ou d’une alopecia areata (absence d’inflammation bulbaire et péribulbaire, de poils dysplasiques et d’incontinence pigmentaire). Aucune exploration endocrinienne n’est donc réalisée.

7. Traitement

Dans l’attente des résultats histologiques, aucun traitement n’est prescrit.

À la réception des résultats, de la mélatonine est prescrite, mais elle est achetée ultérieurement à l’occasion d’un voyage aux États-Unis. Le contrôle n’a donc lieu que cinq mois plus tard. L’ensemble des poils a alors repoussé spontanément, et non uniquement sur les sites de biopsie, comme c’est le cas lors d’alopécie X (PHOTOS 5, 6 ET 7).

L’animal n’a, à ce jour, présenté aucune rechute.

Discussion

1. Quatre syndromes

• Dans l’espèce canine, trois, voire quatre syndromes, selon les auteurs, sont regroupés sous le terme “d’alopécie en patron” [2, 4].

• Le premier se manifeste par une alopécie auriculaire. Il concerne essentiellement les mâles de race teckel. D’autres races sont aussi concernées, notamment le chihuahua, le boston terrier, le whippet, la levrette d’Italie et le yorkshire. Les animaux commencent à perdre leurs poils sur les deux oreilles à partir de l’âge de six à huit mois, jusqu’à l’obtention d’une alopécie complète, vers l’âge de huit à neuf ans. Dans le cas décrit, la dermatose a démarré vers l’âge de dix mois. Plus cette alopécie progresse, plus une hyperpigmentation est observée. En dehors des oreilles, le pelage est normal.

• Le deuxième syndrome survient chez les chiens de race american water spaniel et chez les chiens d’eau portugais. Dans ces races, l’alopécie apparaît vers l’âge de six mois, et affecte la région ventrale de l’encolure, la partie caudo-médiale des membres postérieurs et la queue. Chez le chien d’eau portugais, cette dermatose doit être différenciée de la dysplasie folliculaire qui est parfois observée et qui se manifeste par une alopécie essentiellement localisée aux régions péri-oculaires, aux flancs et à la région dorso-lombaire. Cette dernière dermatose apparaît vers l’âge de deux ans. Elle régresse souvent spontanément (à la différence de l’alopécie en patron) et les lésions histopathologiques sont nettement différentes, avec une dysplasie folliculaire, une mélanisation anormale des unités pilo-sébacées, une apoptose des kératinocytes des gaines épithéliales internes et externes et une dissolution de la matrice pilaire des follicules en phase anagène [3].

• Le troisième syndrome est décrit chez le greyhound. L’alopécie affecte la région caudale des membres. Le diagnostic différentiel doit alors être fait avec le syndrome d’alopécie des cuisses (“bald thigh syndrome”) décrit chez le greyhound, qui concerne la face latérale des membres postérieurs. À la différence de l’alopécie en patron, elle pourrait avoir une cause endocrinienne qui reste indéterminée [1, 4]. Lors de cette dernière dermatose, une repousse du poil est constatée lorsque l’animal ne travaille plus, ce qui n’est pas le cas lors d’alopécie en patron.

• Le dernier syndrome est le plus commun. Il est essentiellement décrit chez le teckel, mais aussi chez le boston terrier, le chihuahua, le whippet, le terrier du Manchester et le greyhound. Il est surtout observé chez les femelles. À partir de l’âge de six mois, une alopécie apparaît en région rétro-auriculaire, puis elle s’étend en région ventrale de l’encolure, du thorax, de l’abdomen et sur la face caudo-médiale des membres postérieurs. Cette alopécie reste localisée à ces zones. Il pourrait s’agir d’une forme plus sévère du premier syndrome, éventuellement liée au sexe.

2. Diagnostic

• Le diagnostic est fondé sur l’anamnèse, les commémoratifs et les résultats de l’examen dermatologique et de l’analyse histopathologique de biopsies cutanées. Histologiquement, l’alopécie en patron se manifeste par une miniaturisation des follicules, avec des annexes glandulaires, sébacées et sudoripares normales. Les follicules sont plus courts, plus fins, avec de petits bulbes et des tiges pilaires très fines.

• Le diagnostic différentiel inclut les dysendocrinies telles que l’hypothyroïdie et l’hypercorticisme, la dermatophytose, la démodécie, les dysplasies folliculaires et l’alopecia areata. Cette dernière dermatose est très proche, épidémiologiquement et cliniquement, du cas décrit. Elle affecte les chiens adultes, âgés en moyenne de cinq ans, et le teckel serait une race prédisposée. Elle se caractérise par une alopécie inflammatoire non cicatricielle, bien circonscrite, qui débute au niveau de la face (chanfrein, babines, régions temporale et péri-orbitaire) dans 92 % des cas environ, de manière symétrique et bilatérale. Plus rarement, cette alopécie affecte les membres et le tronc. Une hyperpigmentation peut apparaître avec le temps. Cette dermatose régresse spontanément dans près de 60 % des cas. Dans le cas décrit, elle a été écartée en raison de l’existence d’une alopécie non pas complète et circonscrite, mais diffuse, qui a débuté au niveau des oreilles et non de la face, et de lésions histologiques incompatibles, notamment une inflammation bulbaire.

3. Traitement

Aucun traitement véritablement efficace n’existe. Cette dermatose présente surtout un aspect inesthétique et ne gêne pas l’animal.

Il ne semble donc pas opportun d’employer des traitements potentiellement toxiques. Certains auteurs ont proposé d’administrer de la mélatonine. Lors d’une étude pilote, une repousse du poil partielle ou totale a en effet été observée dans les six semaines chez onze chiens affectés auxquels de la mélatonine a été administrée par voie injectable ou orale [a]. Depuis cette étude, la mélatonine est un traitement classiquement recommandé lors d’alopécie en patron. Chez les animaux étudiés, cette dermatose évoluait depuis au moins six mois, et depuis au moins deux ans dans 80 % des cas.

Dans le cas décrit, l’alopécie a disparu spontanément près de deux ans et demi après le début de l’alopécie, ce qui correspond à l’intervalle de temps d’apparition d’une rémission chez les chiens de l’étude pilote.

L’observation d’une repousse spontanée remet en question l’efficacité potentielle de la mélatonine lors d’alopécie en patron. En effet, quelle peut être l’utilité de ce traitement si une repousse peut survenir spontanément après plusieurs années ? Il semble opportun d’attendre qu’une étude menée en “double aveugle” vienne confirmer l’efficacité réelle de la mélatonine. D’ici là, il semble intéressant de n’engager ce traitement qu’après une évolution d’au moins trois ans, puisque, dans le cas décrit, ainsi qu’au cours de l’étude pilote, une repousse est apparue dans un délai de deux à trois ans.

Points forts

L’alopécie en patron est une dermatose relativement commune, observée dans certaines races comme le teckel.

Elle se manifeste par une alopécie bilatérale, plus ou moins complète, d’apparition spontanée, au niveau des oreilles, de l’encolure, et des faces caudo-médiales des membres postérieurs.

Le diagnostic est à la fois épidémiologique, clinique et histologique.

Il n’existe actuellement aucun traitement garantissant la repousse du pelage.

La mélatonine est habituellement recommandée, mais certains cas pourraient régresser spontanément.

Remerciements au Dr Frédérique Degorce.

Congrès

a - Paradis M. Melatonin in the treatment of canine pattern baldness. Advances in veterinary dermatology : vol. 3. Proceedings of the Third World Congress of Veterinary Dermatology. Edinburgh, Scotland. 1998 : 511-512.

  • 1 - Cowan LA, Refsal KR, Nachreiner R. Thyroid hormone and testosterone concentrations in racing greyhounds with and without bald thigh syndrome. J. Vet. Intern. Med. 1997 ; 11 : 142.
  • 2 - Guaguere E. Les alopécies d’origine génétique chez le chien. Point Vét. 1996 ; 28 : 543-548.
  • 3 - Miller WH, Scott DW. Follicular dysplasia of the portugese water dog. Vet. Dermatol. 1995 ; 6 : 67-74.
  • 4 - Scott DW, Miller WH, Griffin CE. Muller and Kirk’s small animal dermatology. 6th ed. WB Saunders Eds, Philadelphia. 2001 : 965-966.
  • 5 - Shoning PR, Cowan LA. Bald thigh syndrome of greyhound dogs : gross and microscopic findings. Vet. Dermatol. 2000 ; 11 : 49-51.
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