Obligation de résultat pour un dentiste équin non vétérinaire - Le Point Vétérinaire n° 272 du 01/01/2007
Le Point Vétérinaire n° 272 du 01/01/2007

EXERCICE ILLÉGAL ET OBLIGATION DE SÉCURITÉ

Pratiquer

LÉGISLATION

Auteur(s) : Christian Diaz

Fonctions : Clinique vétérinaire, 7, rue Saint-Jean, 31130 Balma

L’exercice illégal de la médecine vétérinaire ne peut à lui seul donner lieu à réparation si la victime en a conscience au préalable.

1. Les faits : Fracture de la mâchoire lors de soins dentaires

M. Hara, professionnel du cheval, fait appel pour les soins dentaires des animaux de son haras, à un dentiste équin, M. Dentiste, en sachant pertinemment que ce dernier n’est pas vétérinaire.

Lors des soins, la pose de l’ouvre-bouche et la mise en route d’un appareil électrique entraînent une violente réaction de l’animal, lequel est victime d’une fracture de la mâchoire.

M. Hara assigne M. Dentiste en responsabilité.

2. Le jugement : Exercice illégal et obligations

• Il n’existe pas de statut juridique spécifique du dentiste équin. Cette pratique n’est pas sanctionnée par un diplôme et ne comprend pas de formation reconnue. La dentisterie équine ne bénéficie pas des dérogations à l’exercice illégal de la médecine vétérinaire. Cette activité ne peut donc être pratiquée que par des personnes habilitées à exercer la médecine et la chirurgie des animaux en France.

M. Dentiste reconnaît ne pas être vétérinaire et pratiquer la dentisterie équine.

M. Hara est un professionnel de l’élevage de chevaux et a choisi librement de s’adresser à un dentiste équin plutôt qu’à un vétérinaire. De plus, il ne démontre pas avoir été floué.

L’exercice illégal de la médecine vétérinaire ne constituant pas en soi une faute contractuelle, il convient de vérifier si M. Dentiste, dans le cadre du travail qui lui a été confié, a failli à ses obligations.

• En acceptant d’effacer les dents du cheval, M. Dentiste s’est engagé à soigner l’animal et à le garder pendant le temps de l’intervention. Par analogie avec le travail du maréchal-ferrant, le dentiste équin a l’obligation de rendre l’animal dont il s’est chargé dans le même état d’intégrité physique qu’au moment où il lui a été confié. Il pèse donc sur lui une obligation de sécurité, véritable obligation de résultat, entraînant en cas de non-exécution une responsabilité dont il ne peut s’exonérer qu’en rapportant la preuve d’un cas fortuit ou de force majeure.

Dans le cas décrit, c’est la réaction de l’animal qui a provoqué la fracture de sa mâchoire. Elle était prévisible en raison du stress et du bruit, et aurait pu être neutralisée à l’aide d’un dispositif approprié.

Il ne s’agit pas d’un cas de force majeure, étant donné notamment qu’aucun comportement caractériel particulier de la part du cheval n’est invoqué.

En conséquence, M. Dentiste doit être déclaré responsable de l’accident survenu à l’animal pendant l’intervention de dentisterie.

Concernant le préjudice, le dentiste et son assureur sont condamnés à verser des dommages et intérêts au titre des frais vétérinaires, du transport, des pertes de chance de gain et de l’invalidité du cheval qui a fait diminuer son prix de vente.

3. Pédagogie du jugement : Obligation de sécurité

• Le tribunal n’a pas retenu l’exercice illégal, bien que pénalement répréhensible en vertu des articles L 243-1 et L 243-2 du Code rural, en tant que faute contractuelle, se positionnant exclusivement sur le terrain civil.

En revanche, il a retenu contre M. Dentiste un manquement à son obligation de sécurité, celle-ci étant analysée comme une obligation de résultat, par analogie avec celle du maréchal-ferrant.

• Le vétérinaire, dans le cadre d’un contrat de soins, est tenu à une obligation de moyens, laquelle consiste non pas à guérir le malade, mais à lui apporter des soins consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la science. Il s’agit des prescriptions de l’arrêt Mercier (1936), étendues à la profession vétérinaire en 1941.

Dans le cadre d’une obligation de moyens, il appartient au demandeur (le patient ou le client) d’apporter la preuve de la faute du praticien.

Dans un tel cas de figure, et si M. Dentiste avait été vétérinaire, le tribunal aurait pu retenir l’absence de mise en œuvre de moyens propres à neutraliser les réactions prévisibles du cheval pour engager la responsabilité du professionnel, sur la base d’une faute par manquement à son obligation de moyens. De la même manière, il aurait pu tenir compte du fait que M. Dentiste n’avait pas mis en œuvre les moyens propres à assurer la sécurité de l’animal dont il avait la garde, non pas dans le cadre d’un contrat de soins, le dentiste n’étant pas vétérinaire, mais dans celui d’un contrat d’entreprise. Il appartenait alors au propriétaire du cheval d’apporter la preuve de la faute dans l’exécution de l’obligation.

• Dans ce cas, le tribunal n’a pas appliqué à M. Dentiste cette notion d’obligation de moyens. « Par analogie avec le maréchal-ferrant », il a considéré qu’il appartenait au dentiste de prendre toutes dispositions pour rendre le cheval au moins dans l’état où il lui avait été confié.

Il s’agit-là d’une obligation de résultat dont le dentiste ne pouvait s’exonérer qu’en prouvant le cas fortuit ou la force majeure, définie comme un événement extérieur, imprévisible, irrésistible.

Cette solution peut paraître sévère en ce sens qu’elle met à la charge du seul dentiste équin l’intégralité du préjudice, alors même que le tribunal n’a pas reconnu l’exercice illégal comme faute contractuelle, au motif que M. Hara avait choisi librement et en toute connaissance de cause de faire appel à un non-vétérinaire.

De plus, elle exonère le propriétaire/victime de la charge de rapporter la preuve de la faute du dentiste équin.

• À ce titre, un partage des responsabilités entre M. Hara et M. Dentiste aurait pu paraître équitable, le tribunal considérant que M. Hara, en choisissant de contracter avec un individu qui n’était pas un professionnel de santé, a pris des risques, et ce d’autant plus qu’il n’est pas novice dans le domaine équin. Ainsi, la propre responsabilité de M. Hara dans la mauvaise exécution du contrat aurait pu aboutir à ce partage.

La frontière est donc particulièrement ténue entre l’obligation de moyens et l’obligation de résultat.

Sources

- Tribunal de grande instance de Mâcon, 6 mars 2006. - Juridequi n° 43. Institut du droit équin, 13, rue de Genève, 87100 Limoges.

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