Bursite suppurative dans la région de l’épaule - Le Point Vétérinaire n° 272 du 01/01/2007
Le Point Vétérinaire n° 272 du 01/01/2007

ORTHOPÉDIE BOVINE

Pratiquer

CAS CLINIQUE

Auteur(s) : Karl Nuss

Fonctions : Département des animaux de
ferme, Faculté Vetsuisse,
Université de Zurich, Suisse

Une inflammation fibrineuse de la bourse subtendineuse du muscle infra-épineux est diagnostiquée à l’examen échographique sur la base d’une boiterie évocatrice et d’une distension locale.

Chez les bovins, les affections de l’épaule sont souvent suspectées, mais elles sont difficiles à confirmer en raison de la complexité de cette région anatomique. L’examen échographique élargit les possibilités diagnostiques [1, 9].

Cet article décrit un cas d’infection de la bourse subtendineuse du muscle infra-épineux chez une vache, qui a engendré une boiterie.

Cas clinique

Une vache croisée holstein-frisone est référée à l’hôpital de la faculté vétérinaire de Zurich (Suisse) pour une boiterie du membre antérieur gauche apparue de façon brusque neuf jours auparavant, et qui s’est progressivement aggravée. La vache est gestante, et le vétérinaire de l’élevage suspecte une boiterie de l’épaule, mais il n’a aucun moyen de l’objectiver.

1. Commémoratifs et anamnèse

La vache est âgée de six ans, en lactation, et gestante de six mois et demi. Elle provient d’un élevage en stabulation libre. Aucun traitement ne lui a été administré à la suite de la boiterie constatée dans l’élevage. Le jour de l’examen à la faculté, elle présente un assez bon état général malgré des signes de douleur évidents, et garde une note d’état corporel correcte.

2. Examens cliniques et paracliniques généraux

Un examen clinique général et des examens sanguins (comptage leucocytaire, dosage de la créatine-kinase, et de l’aspartate amino-transférase) sont mis en œuvre. Ils ne révèlent que quelques anomalies minimes : une température rectale de 39,3°C, et une fréquence respiratoire élevée à 48 mouvements par minute (signe possible de douleur ou de répercussion d’une infection).

Le temps de coagulation au test avec le glutaraldéhyde (voir l’ENCADRÉ “Test au glutaraldéhyde”) est d’une minute, alors qu’il devrait être supérieur à 15 minutes.

La boiterie est toujours présente.

3. Examen locomoteur

Cette boiterie est modérée (3/5), avec un raccourcissement de la phase de soutien du membre antérieur droit et une diminution de la phase antérieure de la foulée. Au repos, la vache maintient son membre affecté légèrement en abduction, mais elle continue de s’appuyer dessus lorsqu’elle change de position. Elle conserve une légère abduction du membre à l’examen dynamique. L’animal semble mobiliser au minimum l’articulation de l’épaule, et compenser en exagérant l’amplitude de la mobilisation des articulations du coude et du carpe au pas. Une douleur s’exprime à la mobilisation passive de l’articulation de l’épaule, particulièrement lorsqu’un mouvement d’adduction est imposé.

Une zone distendue mal définie est observée et palpée dans la région de l’épaule. Cette “masse” fluctuante ne peut pas être mobilisée. Elle est douloureuse à la compression.

D’autres causes de boiterie des parties plus distales du membre sont écartées à l’examen clinique. En particulier, les sabots et les articulations distales ne présentent aucune anomalie, tout comme l’articulation du coude.

La zone inflammatoire douloureuse sur la face médiale de l’épaule reste donc la principale découverte clinique. La taille et l’étendue de cette grosseur en profondeur ne peuvent être déterminées à la palpation, et il est difficile de savoir si elle est directement associée à l’articulation de l’épaule.

4. Diagnostic différentiel

Parmi les causes de boiterie de l’épaule, les affections suivantes peuvent être envisagées :

- une fracture de l’épine scapulaire, mais aucun crépitement ni douleur ne sont perçus en regard de ce relief osseux ;

- une luxation de l’humérus, mais l’examen visuel et la palpation ne sont pas en faveur de cette cause, rare, de boiterie ;

- une inflammation ou une infection de la gaine tendineuse du muscle biceps, mais la lésion serait située sur la face craniale de l’articulation de l’épaule ;

- une arthrite septique de l’articulation scapulo-humérale pourrait donner un tableau clinique semblable, c’est-à-dire une zone enflée située cranialement et caudalement au tendon du muscle infra-épineux, mais la boiterie serait plus importante.

Un examen échographique est planifié pour préciser le diagnostic.

5. Examens d’imagerie

• Des clichés radiographiques de l’articulation de l’épaule gauche en incidence médio-latérale et caudo-craniale oblique sont réalisés. Ils ne révèlent aucune anomalie.

• L’examen échographique avec une sonde de 5 MHz pour la bourse et 3,5 pour l’articulation de l’épaule permet de visualiser une structure anormale remplie de liquide et de matériel hyperéchogène, sur la face latérale de l’humérus et de la scapula (PHOTO 1). Cette “masse” est située sur le muscle infra-épineux, tout près du tubercule majeur de l’humérus et de l’articulation de l’épaule. Elle est toutefois séparée de ces structures et des tissus voisins par une capsule. Elle mesure environ 10 cm proximo-distalement et 10 cm cranio-caudalement. L’articulation de l’épaule ne paraît pas impliquée.

Un diagnostic d’inflammation de la bourse subtendineuse du muscle infra-épineux est établi.

6. Traitement

Anesthésie

La vache est traitée chirurgicalement sous anesthésie générale. Une prémédication antalgique est administrée, à base de ketoprofen (Ketofen®, à la dose de 3 mg/kg) par voie intraveineuse, 30 minutes avant l’anesthésie générale. En raison de la gestation, 200 mg d’isoxsuprine sont administrés par voie intramusculaire (Duphaspasmin®) 30 minutes avant l’induction. Après injection de xylazine (Rompun® : 0,15 mg/kg à raison d’1/8e de dose par voie intraveineuse et le reste par voie intramusculaire), l’anesthésie est induite avec un bolus de kétamine (Imalgène® ou Kétamine® 1000, à la dose de 2 mg/kg) et de diazépam (Valium®(1), à la dose de 10 mg/vache). La vache est intubée et placée en décubitus latéral droit. L’anesthésie est maintenue à l’aide d’isoflurane dans un mélange de 50 % d’oxygène et de 50 % d’air. De la kétamine est injectée à nouveau par voie intraveineuse pour accroître la profondeur de l’anesthésie si nécessaire.

Lavage et drainage chirurgical

La peau est incisée longitudinalement depuis l’extrémité distale de l’épine scapulaire. L’incision est poursuivie en profondeur à travers la partie craniale du muscle deltoïde. La bourse est incisée le long de la face craniale du muscle infra-épineux et de son tendon. Une grande quantité de synovie s’écoule, jaunâtre, opaque, inodore, peu visqueuse, avec beaucoup de fibrine (PHOTO 2). La fibrine est extraite par incision avec une curette. La bourse est entièrement rincée avec plusieurs litres de solution de Ringer lactate additionnée de gentamicine (à la dose de 800 mg/l). Les muscles sont ensuite suturés au-dessus de la bourse incisée (surjet à l’aide de polyglactin 910). Un surjet sous-cutané est réalisé avec le même fil, puis un surjet cutané avec un fil irrésorbable (polyamide). Un drain est laissé en place (Easyflow®(2)). Il sort par un point d’incision réalisé près de la ligne de suture précédente et est fixé à la peau par un point en “U” avec un fil non résorbable (polyamide). Il est protégé par une simple compresse et un pansement adhésif. L’injection intraveineuse d’anti-inflammatoire est renouvelée (Ketofen®, 3 mg/kg), et complétée par une injection intramusculaire d’amoxicilline (Clamoxyl® à la dose de 7 mg/kg), une fois par jour pendant cinq jours.

Analyse du liquide de ponction

Un comptage cellulaire sur la synovie prélevée montre un taux de leucocytes de 54 000/µl (norme : 500/µl). Le pourcentage de granulocytes neutrophiles est de 92 % (norme : inférieur à 10 %). Le dosage des protéines totales est de 4,2 g/l (norme : inférieur à 2 g/l).

La bursite peut donc être qualifiée de purulente. Aucune culture bactérienne pour détecter un éventuel caractère septique n’a été effectuée.

7. Évolution

Dès les premiers jours après l’intervention, l’état général de la vache s’améliore, elle reporte davantage de poids sur le membre opéré. Le drain est retiré trois jours après l’opération. La plaie cicatrise correctement. La vache est tarie. Elle sort de la clinique au bout de sept jours. La boiterie est alors faible (1/5). Un suivi par téléphone six et neuf mois après l’intervention révèle que la boiterie a totalement disparu. La vache est en bonne santé et a vêlé sans complications.

Discsussion

1. Pathologie comparée

L’inflammation de la bourse subtendineuse du muscle infra-épineux est une cause rapportée, mais rare, de boiterie chez les chevaux, mais elle n’a pas été décrite, à notre connaissance chez les bovins [5, 12].

La bourse tendineuse est physiologiquement accessible, située médialement au tendon du muscle infra-épineux [13]. Le tendon du muscle court le long du grand tubercule de l’humérus et s’insert distalement sur une zone arrondie de la face latérale de l’os [3, 7]. Chez le bovin adulte, la bourse mesure environ 8 cm de long et est dotée d’une paroi fine. Elle débute dans la zone de transition entre le tendon et le muscle et couvre la face latérale du tubercule majeur de l’humérus jusqu’à l’insertion du tendon [13].

Des chutes, des tensions répétées sur le tendon ou une blessure peuvent engendrer une bursite. Le membre affecté est maintenu en abduction pour soulager la pression sur la bourse tendineuse enflammée. Le traitement conseillé par certains auteurs chez le cheval pour une inflammation aseptique de cette bourse est une ponction associée à un drainage de la bourse, une injection intrasynoviale de corticostéroïde et une mise au repos du membre [5, 14].

2. Une origine inexpliquée

Dans le cas de cette vache, nous n’avons pas pu déterminer comment cette bourse, qui est située en profondeur, s’est infectée. Une plaie pénétrante aurait pu être la cause primaire de la bursite infectieuse, mais aucune trace de blessure n’a été constatée à l’examen clinique ou lors de l’intervention. La vache était élevée en stabulation libre. Les blessures et les chutes sont fréquentes dans ce type d’élevage, à la faveur de luttes “hiérarchiques”. Des chocs répétés dans cette zone, sans perforation, pourraient aussi engendrer une bursite chronique, et l’infection aurait pu survenir secondairement par voie hématogène.

3. Un diagnostic aisé

Le diagnostic présumé de bursite est fondé sur les principaux signes cliniques, c’est-à-dire une boiterie de soutien, un membre maintenu en abduction au repos et une distension douloureuse dans la région de l’épaule, ainsi que sur l’exclusion d’autres causes de boiterie. Il est difficile d’obtenir des images radiographiques de bonne qualité diagnostique pour les boiteries de l’épaule chez l’animal debout, en raison de la superposition des côtes et de l’encolure chez les bovins. Dans ce cas, l’échographie s’est révélée essentielle pour visualiser la bourse distendue. Sa taille et l’examen de son contenu a permis d’établir un diagnostic de certitude. Les découvertes cliniques et échographiques ont été confirmées lors de l’intervention. La positivité du test au glutaraldéhyde peut être liée à l’infection de la bourse, mais ce test, bien que sensible, est peu spécifique (il est positif lors de réticulopéritonite par exemple).

4. Possibilités thérapeutiques

Grâce à sa taille, l’accès à la bourse a été facilité et elle a pu être incisée cranialement au tendon du muscle infra-épineux, après incision de la peau et du muscle deltoïde. Cette ouverture a permis la vidange presque complète du contenu de la bourse. Une autre incision aurait pû être effectuée, caudalement, pour accéder à la bourse, mais cette approche aurait engendré davantage de lésions musculaires et nerveuses (branches du nerf axial, artère et veine circonflexe de l’humérus caudal), sans bénéfice important.

Il est apparu pertinent d’ajouter de la gentamicine (hors AMM) au liquide de lavage de la bourse, car cet antibiotique a été évalué lors d’arthrite septique chez le cheval et la vache. L’administration locale d’antibiotique se révèle intéressante lors d’arthrite [2, 4, 6, 8, 15]. D’autres molécules peuvent être utilisées dans cette indication, en particulier le ceftiofur [11]. Arcanobacterium pyogenes et les streptocoques, qui sont fréquemment isolés lors d’arthrite septique chez les bovins sont sensibles aux céphalosporines [8, 9]. L’injection intrasynoviale de corticosteroïde ne paraît pas adaptée lors de processus infectieux, comme dans ce cas.

Dans les stades aigus de la maladie (moins d’une semaine après l’apparition de la boiterie), un traitement moins invasif, avec lavage de la bourse via un cathéter de diamètre 1,2 mm pourrait aussi être proposé. Toutefois, l’inflammation s’accompagne rapidement de production de fibrine chez les bovins. Une intervention chirurgicale avec curetage est donc à préférer.

5. Pronostic et diagnostic précoce

Dans ce cas, le drainage chirurgical a probablement été un succès car l’animal a été opéré à un stade précoce, alors que le pus n’était pas encore collecté et qu’aucune lésion osseuse n’était associée. Dans les cas chroniques, le pronostic peut être moins favorable [10].

Depuis que cette affection a été constatée pour la première fois chez des bovins à la faculté de Zurich, cinq cas ont été diagnostiqués en deux ans. Deux d’entre eux ont été mis en évidence assez tôt dans la progression de la maladie (moins de dix jours), et le traitement a été un succès, tout comme dans le cas de cette vache. Pour l’un des deux, le traitement a même été réalisé dans l’élevage, après analgésie et protocole anesthésique simplifié, incluant une anesthésie locale. Dans un autre des cinq cas diagnostiqués, plus chronique, l’humérus présentait des lésions d’ostéomyélite, en plus de la bursite. Le traitement a été un échec. Deux autres cas avec boiterie chronique ont été abattus ou euthanasiés sans traitement, en raison d’un pronostic sombre, à la suite d’un diagnostic d’infection bursale purulente, et d’ostéomyélite.

L’inflammation septique ou aseptique de la bourse subtendineuse du muscle infra-épineux doit donc figurer dans un diagnostic différentiel de boiterie de l’épaule chez les bovins. Le diagnostic de cette affection est aisé et un traitement peut être proposé. Son succès dépend largement, selon notre expérience, de la précision et de la précocité du diagnostic.

  • (1) Médicament humain.

  • (2) Ulrich AG, St. Gallen, Suisse.

Test au glutaraldéhyde

Le test au glutaraldéhyde permet d’évaluer simplement les taux de globuline et de fibrine dans le sang, qui sont élevés lors d’un processus inflammatoire chronique.

Le temps de coagulation d’un mélange constitué de 2 ml de sang additionné de 2 ml de glutaraldéhyde(1) est mesuré. Un résultat d’une à deux minutes révèle ou confirme l’existence d’un processus inflammatoire.

Ce test est sensible, mais peu spécifique. Il ne doit pas être mis en œuvre sur des animaux âgés de moins d’un an, car ils n’ont pas assez de globulines dans le sang. En outre, le résultat est assez souvent positif et sans grande spécificité sur des animaux âgés, car leur sang contient généralement un grand nombre de globulines, ou de multiples sites d’inflammation chronique peuvent être présents dans leur organisme.

  • (1) Merck Pharma, Darmstadt, Allemagne.

Points forts

Le bovin maintient le membre affecté en abduction pour soulager la pression sur la bourse tendineuse inflammée.

Dans les cas chroniques, le pronostic est moins favorable (risque d’ostéomyélite associée).

De la gentamicine (hors AMM) ou du ceftiofur peut être ajouté au liquide de lavage de la bourse.

Un curetage chirurgical est à préférer à un simple drainage.

  • 1 - Altenbrunner-Martinek B, Grubelnik M, et Kofler J. Ultrasonographic examination of important aspects of the bovine shoulder - physiological findings. Vet. J. 2007(à paraître).
  • 3 - Budras KD, Wünsche A. Atlas der Anatomie des Rindes. 1st ed. Schlütersche GmbH & Co KG. Verlag und Druckerei, Hannover. 2002 : 2-15
  • 4 - Butson RJ, Schramme MC, Garlick MH et coll. Treatment of intrasynovial infection with gentamicin-impregnated polymethylmethacrylate beads. Vet. Record. 1996 ; 138(19) : 460-464.
  • 6 - Lescun T, Adams S, Wu C et coll. Continuous infusion of gentamicin into the tarsocrural joint of horses. Am. J. Vet. Res. 2000 ; 61(4) : 407-412.
  • 8 - Nuss K. Stadienorientierte Sequenztherapie der septischen Monarthritis beim Rind. Thèse Ludwig-Maximilians-Universität, München. 2000 : 249 p.
  • 9 - Nuss K. Septic arthritis of the shoulder and hip joint in cattle : diagnosis and therapy. Schweiz Arch Tierheilkd. 2003 ; 145(10) : 455-463.
  • 10 - Nuss K, Ringer S, Meyer S et coll. Lameness caused by infection of the subtendinous bursa of the infraspinatus muscle in three cows. Vet. Rec. (à paraître).
  • 11 - Pille FS, De Baere L, Ceelen J et coll. Synovial fluid and plasma concentrations of ceftiofur after regional intravenous perfusion in the horse. Vet. Surg. 2005 ; 34(6) : 610-617.
  • 15 - Steiner A, Hirsbrunner G, Rytz U et coll. The treatment of articular and bone infections in large animals with gentamicin-impregnated collagen sponges. Schweiz Arch Tierheilkd. 2000 ; 142(5) : 292-298.
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