Recours à l’attelle de Thomas modifiée lors de fractures - Le Point Vétérinaire n° 271 du 01/12/2006
Le Point Vétérinaire n° 271 du 01/12/2006

ORTHOPÉDIE BOVINE

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CONDUITE À TENIR

Auteur(s) : Monika Gangl*, Didier Serteyn**, Amal Touati***

Fonctions :
*Département hippique,
ENV de Lyon, 1, avenue Bourgelat,
69280 Marcy-l’Étoile
**Clinique équine
***Pôle bovin, Département
des sciences cliniques,
Faculté de médecine vétérinaire,
Université de Liège, Sart Tilman B42,
4000 Liège, Belgique

Associée à une résine, l’attelle de Thomas peut être mise en œuvre en pratique bovine, à peu de frais et en peu de temps. La démarche de suivi en phase postopératoire est simple.

Les fractures des membres sont relativement fréquentes chez les bovins. L’incidence est la plus élevée pour le métacarpe et le métatarse (toutes races confondues).

Divers traitements existent, parmi lesquels le confinement en box, les méthodes de coaptation externe, les plâtres de transfixation ou les fixateurs externes avec de l’acrylique, ainsi que différentes techniques d’ostéosynthèse impliquant la pose de plaques et de vis à compression, de broches intramédullaires, de fils de cerclage, etc. (voir les articles de J.-L. Chatré dans ce numéro) [6, 7]. La plupart de ces traitements demandent un équipement et une expertise spécialisés, ainsi qu’une anesthésie générale. Toutefois, les coaptations externes peuvent être réalisées sur le terrain par le vétérinaire traitant.

Un plâtre ou une résine n’offrent pas toujours une stabilité suffisante, notamment s’il s’agit de fractures proximales du métacarpe ou du métatarse, ou d’animaux relativement lourds. Les bovins présentés à l’université de Liège (Belgique) sont majoritairement de race blanc-bleu-belge, dans laquelle les fractures du tibia sont les plus fréquentes [4, 5]. Le traitement de choix à l’université de Liège est alors l’utilisation combinée de l’attelle de Thomas et d’une résine, encore appelée attelle de Thomas modifiée [2]. Cette technique a déjà été décrite par des auteurs américains, mais à partir d’un nombre de cas relativement limité et chez des animaux strictement hospitalisés [1, 3]. À l’université de Liège, 76 cas de fracture sur 99 cas présentés entre 2000 et 2003 ont bénéficié de ce traitement [4]. Le suivi postopératoire a été, pour la majorité des cas, délégué au vétérinaire de l’élevage. La réalisation pratique de l’attelle de Thomas modifiée a ainsi été documentée.

Première étape : sélection des animaux à traiter

1. Type et localisation des fractures

Le recours à l’attelle de Thomas modifiée est indiqué lors de fractures non seulement fermées, mais aussi ouvertes. Pour ces dernières, le pronostic est toutefois moins bon, en raison d’un accès limité à la plaie (surveillance et soins).

Différents segments du membre peuvent être traités : le métacarpe ou le métatarse proximal, mais aussi le radius, l’olécrane, le tibia, le calcanéum, le fémur distal et l’humérus distal.

Pour les deux derniers, le pronostic est moins bon par rapport aux autres car l’immobilisation est moindre.

Dans l’étude de M. Gangl et coll., la plupart des fractures traitées avec l’attelle de Thomas sont localisées au tibia (54 cas) [4]. Les autres os atteints et traités avec l’attelle de Thomas sont le calcanéum (10 cas), le métacarpe ou le métatarse proximal (cinq cas), le fémur distal (quatre cas), et l’olécrane, le radius et l’humérus distal (un cas chacun). Dans 12 cas, il s’agit de fractures ouvertes.

2. Âge et poids

Les bovins doivent idéalement peser moins de 300 kg. Dans l’étude de M. Gangl et coll., l’âge moyen des 76 bovins traités avec l’attelle est ainsi de 5,72 (+/- 4,1) mois. Leur poids moyen est de 184,5 (+/- 95,9) kg [4].

3. Type de bovins

Avec ce traitement, une déformation du membre et une boiterie mécanique peuvent persister (observation la plus fréquemment rapportée dans l’étude de M. Gangl et coll. [4]). L’attelle de Thomas modifiée ne convient donc pas aux bovins de concours.

Dans cette étude, 33 mâles et 43 femelles ont été traités avec l’attelle de Thomas modifiée [4]. 69 sur 76 sont de race bleu-blanc-belge, un est de race blonde d’Aquitaine et un autre de race charolaise. Cinq bovins de race laitière ont aussi été traités.

4. Pronostic attendu

À l’université de Liège, les propriétaires ont été contactés par téléphone entre quatre mois et quatre ans après la mise en place des attelles. Dans 40 cas sur 76 (52,6 %), l’intervention a été considérée comme un succès complet, c’est-à-dire que l’animal a été reconduit à son niveau de production antérieur. Dans 14 cas (18,4 %), le succès était partiel : le bovin a survécu, mais il a été réformé d’animal de reproduction en animal d’engraissement, ou, s’il était destiné à l’engraissement, il a atteint un poids final inférieur. Les succès complets et partiels représentent 54cas, soit 71 % de survie.

Des échecs vrais n’ont été enregistrés que dans 19 cas sur 76 (dans trois cas, le propriétaire n’a pu être contacté). L’âge, le poids, le sexe et le type de fracture (fermée/ouverte) n’ont pas d’influence significative sur le résultat. Toutefois, dans les échecs figurent les animaux les plus légers et les plus lourds (> 300 kg). Ces derniers ont parfois été traités à la demande insistante du propriétaire, malgré un pronostic mauvais. Les deux échecs chez des animaux légers correspondent à des fractures du fémur distal chez deux veaux laitiers âgés de deux et trois jours. L’attelle de Thomas modifiée ne semble donc pas être le traitement de choix ni pour les animaux de plus de 300 kg, ni pour les très jeunes, ni pour ceux atteints de fracture du fémur. Pour ces dernières, les techniques d’ostéosynthèse sont à préférer. Elles restent abordables pour des animaux de ce poids, en particulier pour des veaux laitiers de haute valeur génétique.

Parmi les causes d’échec les plus souvent citées figurent un décubitus persistant, des non-unions et des glissements d’attelles. Une partie de ces complications aurait probablement pu être évitée dans le cadre d’une hospitalisation ou même d’un suivi plus rapproché, ce qui aurait permis de resserrer ou de rajuster les attelles. Il convient donc d’insister auprès de l’éleveur sur l’importance d’une surveillance postopératoire rapprochée des animaux traités.

Deuxième étape : préparation

1. Matériel nécessaire

L’attelle est fabriquée à partir de tiges d’acier (voir l’ENCADRÉ “Matériel nécessaire à l’intervention”). Aussi est-il indispensable de savoir souder ou de disposer (pendant l’intervention de préférence), d’un opérateur sachant souder (la plupart des éleveurs ont cette compétence).

2. Temps et coût

La pose d’une attelle de Thomas modifiée prend entre une heure et une heure et demie. En effet, 30 à 60 minutes sont nécessaires pour la fabrication de l’attelle, selon l’expérience de l’opérateur. La pose du bandage et la mise en place de l’attelle et du plâtre s’effectuent en 20 minutes, plus dix minutes de séchage pour la résine.

À l’université de Liège, la pose d’une attelle modifiée est facturée entre 100 et 150 €, matériel inclus, selon le nombre de bandes de résine et de consommables utilisés (ouate, sparadrap, bandes de gaze, etc.).

3. Contention

L’animal est placé en décubitus latéral du côté du membre non fracturé. Il est contenu par les moyens physiques traditionnels pour le couchage des bovins (corde). Une sédation peut être pratiquée (xylazine, diverses spécialités, 0,1 à 0,2 mg/kg par voie intramusculaire ou 0,05 à 0,1 mg/kg par voie intraveineuse).

Le recours à une anesthésie épidurale caudale haute peut être utile lors de fortes contractions musculaires consécutives à la fracture et, d’une manière générale, pour faciliter la réduction. Un anesthésique local (par exemple lidocaïne 2 %) est alors injecté à la dose de 1 ml/10 kg entre les vertèbres sacrale S5 et coccygienne Co1, ou entre Co1 et Co2.

4. Mesures

Une simple corde à ballot suffit pour prendre les mesures du membre et en déduire simplement les dimensions de l’attelle : longueurs antérieure et postérieure, et circonférence (PHOTO 1).

5. Fabrication de l’attelle

L’attelle est soudée et pliée sur mesure (PHOTO 2A). Les attelles provenant de bovins de même taille et de même type peuvent éventuellement être réutilisées. Des essais ont été effectués à l’université de Liège pour construire une attelle préfabriquée avec plusieurs tailles d’anneaux possibles et avec des tiges verticales ajustables en longueur. Au lieu de souder l’étrier distal aux tiges, il est fixé à l’aide de vis à douille. L’efficacité et la solidité des attelles fabriquées au cas par cas apparaissent supérieures.

L’attelle est rembourrée avec de la mousse d’isolation (PHOTO 2B ET PHOTO 2C).

Troisième étape : mise en place

1. Soins des plaies et bandage préliminaire

Les plaies sont nettoyées et désinfectées. Un pansement est appliqué.

De longues bandes de sparadrap sont collées sur le membre, sur les faces dorsale, palmaire (ou plantaire), latérale et médiale. Elles dépassent de l’onglon d’environ 30 à 40 cm. Elles sont nouées entre elles distalement à l’onglon (PHOTO 3A).

Un bandage est placé sur le membre, constitué de coton et de bande de crêpe ou de gaze (PHOTO 3B). Au niveau de la fracture, il convient de ne pas mettre trop de coton et de bien serrer, car l’hématome associé à la fracture se résorbe en quelques jours et le diamètre du membre diminue alors, d’où un risque de laxité de la résine.

2. Mise en place de l’attelle

Le membre est glissé dans l’anneau (PHOTO 3C). L’onglon doit à peine toucher l’étrier (espace maximal : 1 cm). Si l’attelle est trop longue, le bovin se déplace difficilement.

Pour ajuster au mieux la longueur des tiges verticales, l’attelle peut être mise en place avant que l’étrier ne soit soudé.

La fracture est réduite au mieux par traction sur le membre et par contre-traction à hauteur de l’anneau de l’attelle (PHOTO 3D).

Le membre est fixé sur l’étrier en se servant des bandes de sparadrap préalablement collées dessus. Il doit être maintenu en traction pendant cette étape. Pour des veaux plus grands, l’attache à l’aide de sparadrap peut être remplacée ou renforcée par des fils de fer passant par des trous percés dans les onglons et sur les bords de l’étrier.

3. Mise en place de la résine

Les bandes de résine sont appliquées autour du membre et de la tige postérieure au-dessous du jarret, autour du membre et des deux tiges au niveau du jarret, et autour du membre et de la tige antérieure au-dessus du jarret (autour du membre et de la tige postérieure pour un membre antérieur) (PHOTO 4A À PHOTO 4C).

Le dessous de l’étrier doit être bien entouré de résine afin de couvrir le nœud de sparadrap, pour éviter qu’il ne s’use ou ne se défasse, entraînant alors le glissement de l’attelle. Une couche de Technovit® (ciment-colle utilisé pour poser les talonnettes chez les bovins) peut être appliquée sur la surface de la résine en contact avec le sol pour améliorer sa solidité.

Quatrième étape : phase postopératoire

1. Phase postopératoire immédiate

Après le temps de durcissement indiqué pour la résine, le bovin est aidé au relevé (PHOTO 5A À PHOTO 5C).

L’animal est confiné seul dans un petit box. Il peut être nécessaire de l’aider à se relever quatre à six fois par jour, jusqu’à ce qu’il le fasse de lui-même (un à deux jours en moyenne, mais le relevé spontané est parfois immédiat). L’attelle est retirée après un maximum de huit semaines, et au minimum quatre semaines pour les veaux âgés de moins d’un mois.

Dans l’étude précitée, après la mise en place de l’attelle au sein de la faculté de Liège, les bovins ont été renvoyés chez leur propriétaire le jour même de l’intervention. Il a été conseillé de favoriser la position en décubitus sternal pour le transport. Le vétérinaire habituel de l’élevage a été chargé du suivi et du retrait de l’attelle.

2. Gérer les complications à moyen terme

• Si l’attelle glisse, il convient de la refixer, en déterminant de préférence la raison pour laquelle elle est tombée. Si elle est jugée trop longue, elle est raccourcie. Si le sparadrap qui la maintient en place est déchiré, il est renouvelé (voir le TABLEAU “Gestion des complications à moyen terme après la pose d’une attelle de Thomas modifiée”).

• Si l’attelle se plie ou se casse, il est nécessaire de la renouveler entièrement.

• Si des plaies surviennent au niveau de l’ars ou de l’aine, le rembourrage entre l’anneau et le passage de l’ars ou de l’aine doit être renforcé à l’aide de coton (après une simple désinfection). Cela peut être fait en laissant l’attelle en place. Lorsqu’une cicatrisation par seconde intention est visée, les soins sont pratiqués après le retrait de l’attelle.

• Si le bovin ne se lève pas spontanément après cinq jours, il convient de l’aider régulièrement, mais aussi de vérifier que l’attelle est toujours bien en place et qu’aucune escarre ni infection sur une fracture ouverte n’est présente. Une mauvaise odeur ou des zones humides sur le plâtre sont des critères d’alerte. L’attelle doit absolument être retirée dans ce cas. Parfois, le recours à un autre type de fixation, en prenant en compte leur pertinence économique, peut être envisagé (risque de non-union chez les bovins lourds ou lors de fractures hautes). D’autres affections, telles qu’une myosite du membre controlatéral liée au décubitus persistant, une fracture sur un autre membre, ou la présence d’une affection systémique affaiblissant le bovin (bronchopneumonie, entérite) sont recherchées. Un traitement adapté est alors mis en place.

3. Gérer les complications à long terme

Le risque de déformation du membre et de boiterie mécanique persistante existe avec ce type de montage. En effet, contrairement aux techniques d’ostéosynthèse, il ne confère pas une réduction et une stabilisation parfaites. La cicatrisation s’effectue par le biais d’un cal osseux atteignant parfois une dimension importante.

Un taux de survie de 71 % et de succès total de 52,6 % permettent de conseiller la coaptation externe par attelle de Thomas modifiée comme option de traitement ambulatoire chez les bovins atteints d’une fracture de membre. Ce montage a été mis en place en milieu hospitalier bovin dans l’étude de M. Gangl et coll., mais la pose directement à la ferme est tout à fait possible [4]. Les interventions à Liège se déroulaient dans une simple salle de consultation de l’hôpital, sur un sol propre et non glissant. Le principal facteur limitant n’est pas directement chirurgical : disposer d’un poste et d’un opérateur pour souder est nécessaire.

Matériel nécessaire à l’intervention

Pour poser une attelle de Thomas, le praticien doit diposer :

- de tiges d’acier rondes de 8 à 10 mm de diamètre, d’une longueur totale de 2 à 3 m ;

- d’une plaque rectangulaire en acier, d’environ 12 x 4 cm de surface ;

- d’un poste à souder (et d’un soudeur) ;

- d’un sparadrap (largeur : 4 à 5 cm, longueur totale : environ 5 à 8 m) ;

- d’une mousse d’isolation (pour tuyaux), d’une longueur totale de 2 à 3 m ;

- d’un matériel de bandage : rouleau de coton, bandes de gaze ou de crêpe ;

- de bandes de résine (largeur : 10 à 15 cm, 6 à 10 rouleaux).

  • 1 - Adams SB, Fessler JF. Treatment of radial-ulnar and tibial fractures in cattle, using a modified Thomas splint-cast combination. J. Amer. Vet. Med. Assoc. 1983;183:430-433.
  • 2 - Adams SB, Fessler JF. Treatment of fractures of the tibia and radius-ulna by external coaptation. Vet. Clin. North Am. Food Anim. Pract. 1996;12:181-198.
  • 3 - Anderson DE, St-Jean G, Vestweber JG et coll. Use of the Thomas splint-cast combination for stabilization of tibial fractures in cattle : 21 cases (1973-1993). Agri-Pract. 1994;15:16-23.
  • 4 - Gangl M, Grulke S, Serteyn D et coll. Retrospective study of 99 cases of bone fractures in cattle treated by external coaptation or confinement. Vet. Rec. 2006;158:264-268.
  • 5 - Martens A, Steenhaut M, Gasthuys F et coll. Conservative and surgical treatment of tibial fractures in cattle. Vet. Rec. 1998;143:12-16.
  • 6 - St-Jean G, Anderson DE. External fixation. In : Farm Animal Surgery. Fubini SL and Ducharme NG eds. Saunders, St-Louis. 2004:316-323.
  • 7 - Trostle SS. Internal fixation. In : Farm Animal Surgery. Fubini SL and Ducharme NG eds. Saunders, St-Louis. 2004:290-315.
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