ANTIBIOTHÉRAPIE CHEZ LE CHIEN
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EN QUESTIONS-RÉPONSES
Auteur(s) : Jean-Louis Pellerin
Fonctions : Unité de microbiologie-
immunologie
École nationale vétérinaire
de Nantes
La Chantrerie, BP 40706
44307 Nantes Cedex 3
Les infections du tractus urinaire, les pyodermites et les otites suppurées représentent souvent un défi thérapeutique. Le laboratoire a une place importante dans le choix de l’antibiotique à utiliser.
L’utilisation des antibiotiques chez l’animal peut entraîner une réduction de leur efficacité en médecine vétérinaire par suite du développement de souches antibiorésistantes dans les espèces bactériennes pathogènes. Ce risque peut être une perte d’efficacité thérapeutique d’un ou de plusieurs antibiotiques, et recouvre l’émergence de résistances multiples chez les bactéries. La question des souches multirésistantes est surtout bien connue chez l’homme, mais elle est très peu documentée pour les souches bactériennes pathogènes des espèces animales domestiques.
Chez les bovins, des souches de colibacilles responsables d’entérites colibacillaires, résistantes à l’amoxicilline et/ou à la tétracycline, sont apparues à la suite d’une large utilisation de ces molécules.
L’objectif de ce travail est de fournir aux vétérinaires praticiens les résultats des antibiogrammes standards pour aider au choix d’un antibiotique efficace, afin de traiter, dans les meilleures conditions, ces maladies infectieuses canines.
Dans l’espèce canine, les praticiens demandent l’aide du laboratoire de bactériologie clinique pour majoritairement quatre types de maladies infectieuses : les infections respiratoires, les infections du tractus urinaire, les pyodermites et les otites suppurées.
Cette étude a été réalisée au laboratoire de bactériologie clinique (LBC) de l’École nationale vétérinaire de Nantes (ENVN), à partir de prélèvements effectués au Centre hospitalier universitaire vétérinaire ou adressés par des vétérinaires français. Les espèces canines et félines, de tous âges et de toutes races, sont les seules concernées ici. Le LBC réalise l’isolement, l’identification et l’antibiogramme standard, tel que défini par le Comité de l’antibiogramme de la Société française de microbiologie, à partir des bactéries reconnues pathogènes.
Ce laboratoire a effectué 576 analyses au cours de 2005. Les résultats de l’année 2005 des diamètres mesurés lors de l’antibiogramme standard sont rassemblés. Cela permet de fournir, pour chaque couple espèce bactérienne-molécule antibiotique, la répartition des souches bactériennes définie par le diamètre d’inhibition à l’antibiotique, mesuré à l’aide de la technique de l’antibiogramme standard. Les résultats quantitatifs bruts en diamètres, correspondant à la concentration minimale inhibitrice (CMI), peuvent ensuite être interprétés en plaçant sur l’histogramme de répartition des souches batériennes les deux valeurs de diamètres critiques, D et d, qui correspondent aux valeurs seuils des deux concentrations critiques, supérieure et inférieure.
Ces deux valeurs seuils permettent de définir les souches sensibles à droite de l’histogramme, avec de larges diamètres d’inhibition, les souches résistantes à gauche de l’histogramme, avec des diamètres d’inhibition de petite taille, et, entre les deux, au centre de l’histogramme, les souches de sensibilité intermédiaire.
Les espèces bactériennes les plus fréquemment isolées et identifiées dans le laboratoire de bactériologie clinique canine de l’ENVN, corroborent les résultats publiés et sont, par ordre de fréquence décroissante :
- les infections respiratoires [6] : Pasteurella multocida, Bordetella bronchiseptica, Bacteroides, Fusobacterium, Peptostreptococcus ;
- les infections du tractus urinaire [7] : Escherichia coli, Proteus mirabilis, plus rarement Staphylococcus intermedius, Enterococcus faecalis et faecium ;
- les pyodermites [1, 8] : Staphylococcus intermedius, Escherichia coli, Proteus mirabilis, Streptococcus canis (G), Pseudomonas aeruginosa.
Les deux espèces Staphylococcus intermedius et Staphylococcus aureus peuvent être nettement distinguées par un test PCR [3] ;
- Otites suppurées [1, 8] : Staphylococcus intermedius, Pseudomonas aeruginosa, Escherichia coli, Proteus mirabilis, Streptococcus canis (G), Enterococcus faecalis et faecium.
Lors d’infections respiratoires, le traitement de référence reste l’association amoxicilline-acide clavulanique. La céfalexine ou la doxycycline sont aussi efficaces [6]. Les espèces les plus fréquentes, Pasteurella multocida et Bordetella bronchiseptica, ne présentent dans cette série aucune résistance à ces trois molécules.
Pour le traitement des cystites bactériennes, les deux familles les plus intéressantes sont les b-lactamines (association amoxicilline-acide clavulanique, céfalexine) et les quinolones (enrofloxacine et marbofloxacine), car ces molécules se concentrent fortement dans les urines [6, 7]. Lors d’infection à E. coli, le meilleur choix thérapeutique est représenté par une â-lactamine (association amoxicilline-acide clavulanique ou céfalexine) à cause de la fréquence des résistances acquises par sécrétion des â-lactamases actives sur l’amoxicilline seule, ou une quinolone (enrofloxacine ou marbofloxacine), toutes deux efficaces sur 84 % des souches (voir la FIGURE “Résultats des antibiogrammes sur ).
De même, lors d’infection à Proteus mirabilis, la meilleure antibiothérapie est de nouveau réalisée à l’aide d’une β-lactamine (association amoxicilline-acide clavulanique ou céfalexine) pour les mêmes raisons de résistance. En revanche, les souches Proteus mirabilis sont beaucoup plus sensibles à la marbofloxacine qu’à l’enrofloxacine.
Une solution alternative intéressante, en cas de souche multirésistante, est l’utilisation d’un nitrofurane [6, 7].
Pour le traitement des pyodermites, la stratégie thérapeutique doit être prioritairement dirigée contre l’espèce majoritaire, la plus souvent rencontrée : Staphylococcus intermedius [1]. Cette espèce présente des résistances fréquentes à l’amoxicilline et aux macrolides, mais elle reste sensible à l’association amoxicilline-acide clavulanique, à la céfalexine, aux quinolones (enrofloxacine et marbofloxacine) (voir la FIGURE “Résultats des antibiogrammes sur ), à la doxycycline et à l’acide fusidique [2, 5, 9].
Après l’espèce Staphylococcus intermedius, la deuxième espèce par ordre de fréquence est E. coli. Les données observées pour les souches pathogènes lors d’infections du tractus urinaire se retrouvent pour les souches pathogènes lors de pyodermite, sauf pour l’association amoxicilline-acide clavulanique, où les courbes montrent 40 % de résistance à l’association amoxicilline-acide clavulanique pour E. coli lors de pyodermite et 10 % seulement lors de cystite [2].
Comment s’explique une différence aussi importante entre ces deux séries de souches de la même espèce bactérienne ? L’une des hypothèses les plus vraisemblables est que, lors de cystite, les prélèvements ont été faits avant tout traitement antibiotique, ou, en tout cas, en l’absence de traitement préalable avec cette association classique. Pour les pyodermites, les vétérinaires ne font appel au laboratoire qu’en cas d’échec thérapeutique ou de récidive, et, de plus, l’association amoxicilline-acide clavulanique est très fréquemment utilisée par de nombreux vétérinaires français en première intention, dans le traitement des pyodermites, ce qui peut représenter une pression de sélection des souches résistantes.
Cela oriente le choix vers l’association amoxicilline-acide clavulanique (voir la FIGURE “Résultats des antibiogrammes sur ), la céfalexine et les quinolones (enrofloxacine et marbofloxacine).
• Les otites suppurées du chien sont plus complexes que les infections précédentes pour plusieurs raisons [1, 8] :
- le plus souvent, deux espèces bactériennes sont associées et agissent en synergie ;
- les espèces multirésistantes sont fréquentes : Pseudomonas aeruginosa, Enterococcus ;
- les bactéries sont souvent associées à une infection par une levure du genre Malassezia.
En revanche, le traitement par voie locale dans le conduit auriculaire permet d’utiliser les aminosides, les polypeptides et les quinolones. Le praticien peut élargir le panel des familles d’antibiotiques utilisables et obtenir localement des concentrations d’antibiotiques supérieures à celles obtenues par un traitement par voie générale.
Parmi les aminosides, la grande fréquence (50 %) des souches de Staphylococcus intermedius résistantes à la kanamycine fait d’emblée éliminer cette molécule. L’étude de 2005 confirme les travaux antérieurs [2, 9].
La comparaison de l’action de la néomycine et de celle de la gentamicine montre que la première (6 % de résistance) conserve une bonne efficacité contre les otites monobactériennes à Staphylocoques. La gentamicine (4 % de résistance) reste le meilleur choix thérapeutique, en première intention, pour son action sur l’espèce la plus fréquente, Staphylococcus intermedius (voir la FIGURE “Résultats des antibiogrammes sur ) [2, 5, 9].
D’après notre étude, le fait nouveau, en 2005, est l’émergence de 10 % de souches résistantes aux quinolones.
La deuxième espèce par ordre de fréquence est Pseudomonas aeruginosa. Elle présente une résistance naturelle aux â-lactamines, à la kanamycine et au chloramphénicol [2, 6, 8]. Elle reste plus sensible à la gentamicine (20 % de résistance) qu’à la néomycine (41 % de résistance) (voir la FIGURE “Résultats des antibiogrammes sur ).
La résistance aux quinolones augmente régulièrement chaque année, depuis dix ans que ces molécules sont utilisées dans le traitement des otites suppurées du chien [4]. La tendance observée ces dernières années concernant l’émergence d’une résistance acquise aux quinolones s’est confirmée et amplifiée en 2005. En effet, 32 % des souches sont résistantes aussi bien à l’enrofloxacine qu’à la marbofloxacine.
En revanche, l’espèce Pseudomonas aeruginosa reste sensible à 100 % aux polypeptides (colistine et polymyxine B).
Le meilleur choix thérapeutique reste donc la colistine ou la polymyxine B.
Cela est vrai pour les otites suppurées monobactériennes à Pseudomonas. En revanche, la situation se complique lors de l’association de l’espèce Pseudomonas aeruginosa avec l’une ou l’autre des autres espèces : staphylocoque, streptocoque, entérocoque ou Proteus, car ces quatre espèces pathogènes fréquentes lors d’otites suppurées du chien sont totalement résistantes à ces deux antibiotiques polypeptidiques.
• En première intention, le praticien doit faire un raisonnement probabiliste et traiter le cas le plus couramment rencontré en pratique, c’est-à-dire l’otite suppurée à staphylocoque, avec de la gentamicine ou de la néomycine.
La deuxième démarche possible consiste pour le praticien à faire lui-même un examen bactérioscopique rapide d’orientation, avec une coloration de Gram ou une autre coloration rapide équivalente.
S’il observe des coques Gram+, seuls ou prédominants, il confirme le choix thérapeutique d’un aminoside. En revanche, s’il observe des bacilles Gram-, seuls ou prédominants, il doit suspecter une otite à Pseudomonas aeruginosa. Il convient alors d’abandonner les aminosides et de les remplacer par un antibiotique polypeptidique (colistine ou polymyxine B).
S’il observe un mélange de coques Gram+ et de bacilles Gram-, la situation est complexe et impose le recours à une analyse bactériologique, qui seule peut donner une réponse claire, avec parfois la nécessité d’associer un antibiotique polypeptidique (colistine ou polymyxine B) avec une molécule d’une autre famille : aminoside ou fluoroquinolone, selon le cas.
Les vétérinaires doivent adopter de bonnes pratiques de l’antibiothérapie pour éviter la sélection de résistance. Pour cela, il convient d’utiliser l’ensemble de l’arsenal thérapeutique disponible.
Les résultats des diamètres des antibiogrammes standards présentés permettent de faire un choix thérapeutique raisonné en première intention. En cas de difficulté, d’échec thérapeutique, de rechute ou de récidive, les vétérinaires ne doivent pas hésiter à faire appel au laboratoire de bactériologie clinique. Les résultats de l’antibiogramme permettent en effet de mettre en œuvre une antibiothérapie prudente et raisonnée.
Lors de cystite bactérienne, les antibiotiques de choix sont l’association amoxicilline-acide clavulanique et la céfalexine.
Lors de pyodermite, les antibiotiques de première intention sont l’association amoxicilline-acide clavulanique, la céfalexine et les quinolones.
Lors d’otite suppurée, en première intention, le praticien peut choisir de prescrire de la gentamicine ou de la néomycine. Cependant, les associations bactériennes présentes l’obligent souvent à avoir recours au laboratoire.
Le praticien doit adopter les bonnes pratiques de l’antibiothérapie pour ne pas sélectionner de souches résistantes.
D = diamètre critique supérieur.
d = diamètre critique inférieur.
L’auteur remercie Anne Rousseau-Navarro, Cécile Roux et Dianjara Rakotoharisoa de l’Unité de microbiologie-immunologie, ENV de Nantes.