Le butorphanol : un opiacé enfin disponible en France - Le Point Vétérinaire n° 270 du 01/11/2006
Le Point Vétérinaire n° 270 du 01/11/2006

ANALGÉSIE DU CHIEN ET DU CHAT

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NOUVEAUTÉS

Auteur(s) : Éric Vandaële

Fonctions : 4, square de Tourville
44470 Carquefou

Le premier analgésique vétérinaire de palier III est indiqué chez les équidés contre les douleurs viscérales. Il est utilisable pour les chiens et les chats “hors AMM”.

Le laboratoire Fort-Dodge commercialise une solution injectable de butorphanol, Torbugesic®, le seul analgésique morphinique disponible en France comme médicament vétérinaire. Pour les praticiens équins, le butorphanol n’est sans doute pas un vrai “nouveau” médicament. Beaucoup d’entre eux ont déjà pris l’habitude de l’importer de pays européens limitrophes. Ainsi, la revue Pratique Vétérinaire Équine a publié une dizaine d’articles sur l’utilisation de cet analgésique chez les équidés. La base de données bibliographiques Pub-Med référence d’ailleurs 978 articles sur le butorphanol, dont 84 concernant les chevaux, 128 les chiens et 47 les chats.

Une alternative à la morphine humaine

Le résumé officiel des caractéristiques du produit (RCP) récemment approuvé par les autorités d’enregistrement françaises décrit un usage dans une seule espèce, les chevaux, et une seule indication : « La réduction des douleurs abdominales associées aux coliques. » Toutefois, chez les chevaux, le butorphanol est déjà largement utilisé pour obtenir une sédation, en préanesthésie et pour l’analgésie peropératoire. En outre, les autorités britanniques ont validé son emploi chez les chiens et les chats comme un analgésique central, notamment en association avec la kétamine ou la médétomidine. Disponible dans les centrales vétérinaires, Torbugesic® devient donc aussi une alternative hors RCP à la morphine humaine, pour prévenir ou lutter contre les douleurs viscérales modérées à sévères.

Un opiacé agoniste κ et antagoniste µ

Le butorphanol est classé comme un opiacé agonisteantagoniste. La morphine est un agoniste des récepteurs opioïdes ì. Son action analgésique en découle, tout comme ses effets indésirables (voir le TABLEAU “Récepteurs opioïdes”). Le butorphanol est agoniste de récepteurs différents : les récepteurs ê. Son activité analgésique spinale est puissante, mais un peu différente de celle de la morphine. Il peut antagoniser les effets indésirables de la morphine sur les récepteurs µ (la dépression respiratoire, la dysphorie, etc.). Avec ce mode d’action, le butorphanol est plus efficace sur les douleurs viscérales que sur les douleurs somatiques.

Une grande sécurité d’emploi

Le butorphanol est mieux toléré chez le cheval que la morphine, surtout s’il est administré à faible dose avec les α2-agonistes. Les principaux effets indésirables du butorphanol utilisé seul mentionnés dans le RCP chez le cheval sont l’ataxie, voire la sédation, lorsque cette dernière n’est pas recherchée. En pratique, les vétérinaires équins utilisent cette spécialité en association avec les α2-agonistes et apprécient son absence d’effets indésirables et sa grande sécurité d’emploi, y compris sur le transit digestif (voir l’ENCADRÉ “Le butorphanol n’est pas un stupéfiant”).

Le butorphanol dans le traitement des coliques

Paradoxalement, son usage dans l’indication prévue par le RCP officiel, « les douleurs viscérales liées aux coliques » est moins connu et les publications sont moins nombreuses (34 seulement) Le dossier d’autorisation de mise sur le marché (AMM) comprend une étude sur 327 chevaux atteints de coliques de toutes origines, digestives (20 %), post-partum (16 %), spasmodiques (18 %), par impaction (20 %) et par torsion (8 %). Le butorphanol, à la dose de 100 µg/kg, est le seul traitement utilisé dans cet essai. Son efficacité est élevée, quelle que soit l’intensité de la douleur, dans le quart d’heure qui suit l’administration intraveineuse sur des signes cliniques comme la sudation, le grattage au sol, les coups de pied, les mouvements de la tête et du corps. De même, l’effet de cette molécule est observé avec la même rapidité sur la tachycardie et la tachypnée.

Pas d’effet masquant car la durée d’action est brève

Le RCP mentionne que cet effet analgésique bénéfique « peut masquer les signes cliniques d’une évolution défavorable et la nécessité d’un traitement chirurgical ». Ce n’est pas l’avis des praticiens : ils considèrent que le butorphanol, avec sa brève durée d’action (30 à 90 minutes), n’a pas d’effet masquant sur une évolution défavorable et permet une réévaluation régulière de la nécessité ou non d’une intervention chirurgicale. Il peut, par exemple, être employé lors du transport d’un cheval en crise de coliques en référé vers une clinique équine spécialisée, sans avoir cet effet masquant à son arrivée. En outre, le butorphanol peut être associé à un antispasmodique, ou encore à un α2-agoniste, en réduisant, dans ce dernier cas, les doses des deux molécules (20 à 50 µg/kg pour le butorphanol). L’effet apparaît dans les 5 minutes après l’injection.

L’association avec les α2-agonistes

À deux reprises, le RCP signale que « Torbugesic® doit être utilisé avec précautions s’il est associé à d’autres sédatifs ou analgésiques [notamment les α2-agonistes] afin d’éviter tout effet secondaire additif ou synergique ». Ainsi formulée, cette mise en garde n’est pas justifiée. En théorie, l’association des α2-agonistes, dépresseurs cardiorespiratoires, avec un opiacé, dépresseur respiratoire potentiel, n’est pas recommandée. Mais, en pratique, la synergie d’action des deux molécules est beaucoup plus bénéfique que néfaste. L’efficacité sédative et analgésique est améliorée, alors que les doses employées sont plus faibles. Les effets indésirables des α2-agonistes (dépression respiratoire, bradycardie, ataxie, hyperesthésie, etc.) sont réduits, voire absents en ce qui concerne l’hyperesthésie. La contreindication du RCP pour les poulains âgés de moins d’un mois n’empêche pas les experts de recommander l’usage du butorphanol en néonatalogie équine.

Une économie en anesthésiques

En association avec les α2-agonistes, le butorphanol est déjà utilisé dans de nombreux protocoles différents de sédation ou d’anesthésie. Le TABLEAU “Exemples de doses d’emploi du butorphanol” reproduit, pour l’essentiel, les doses d’emploi validées au Royaume-Uni. Les indications sont nombreuses, du simple examen (une échographie ou un sondage, par exemple) à la réalisation de points de suture ou à la castration du cheval debout ou couché. Dans ce dernier cas, le relevé est nettement plus facile et rapide avec le butorphanol.

Dans tous les cas, le praticien intervient dans des conditions opératoires beaucoup plus confortables. Les doses d’α2-agonistes ou d’anesthésiques sont diminuées. Ce dernier point a également été démontré chez les chiens et les chats. Dans ces deux espèces, le butorphanol constitue une solution alternative intéressante à la morphine, notamment dans l’analgésie pré- et postchirurgicale, voire en épidurale. Il peut en effet être considéré comme un analgésique opiacé de palier III, surtout contre les douleurs viscérales, par exemple d’origine chirurgicale.

En pratique, la solution injectable se présente en flacons de 10 et de 50 ml pour un coût respectif d’environ 60 et 240 € (prix HT centrale).

Le butorphanol n’est pas un stupéfiant

En France, le butorphanol n’est pas classé comme un médicament faisant partie des stupéfiants. En effet, ce dérivé opiacé n’induit pas de dépendance, il n’est donc pas considéré comme une drogue. En outre, ses effets secondaires (excitation) sont mineurs, voire absents. Pour le moment, cette substance n’est pas inscrite à la liste I ou II des substances vénéneuses. Toutefois, la décision d’AMM prévoit que les flacons de Torbugesic® sont des médicaments « sur ordonnance » devant être conservée cinq ans dans le registre d’élevage, théoriquement obligatoire aussi pour les équidés. Cette décision d’AMM indique aussi que « l’administration est strictement réservée aux vétérinaires » et que, par conséquent, les flacons « ne doivent pas être délivrés au public ».

Comme analgésique, le butorphanol est évidemment considéré comme une substance dopante. Il peut être recommandé de respecter un délai de cinq à huit jours avant une épreuve, même si l’élimination du butorphanol est beaucoup plus rapide avec une demi-vie d’élimination de 45 minutes.

Pour les chevaux non exclus de la consommation humaine, le temps d’attente avant abattage est nul.

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