Tumeurs multiples avec métastases chez un chien - Le Point Vétérinaire n° 269 du 01/10/2006
Le Point Vétérinaire n° 269 du 01/10/2006

CANCÉROLOGIE CANINE

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CAS CLINIQUE

Auteur(s) : Éric Bomassi

Fonctions : 29, avenue Joffre
77100 Meaux

Un chien présente deux épanchements, abdominal et thoracique, tous deux d’origine tumorale, mais les deux tumeurs n’ont pas de relations entre elles.

Un chien berger allemand mâle âgé de onze ans est présenté en consultation suite d’une baisse d’appétit, d’une diminution de forme et d’un amaigrissement progressif depuis deux mois. Aucun antécédent médical ou chirurgical n’est rapporté par les propriétaires.

Cas clinique

1. Examen clinique

• Le chien est très maigre et pèse 18 kg. L’état général est altéré et le poil piqué. La température rectale est normale. L’animal est déshydraté à environ 8 %. Les muqueuses sont pâles et le temps de recoloration capillaire est augmenté.

• La palpation abdominale est anormale : un signe du flot positif est observé.

• La respiration est dyspnéique, accompagnée d’une discrète discordance. L’auscultation respiratoire est normale, celle des bruits cardiaques est assourdie. Aucune anomalie du rythme ni aucun bruit surajouté ne sont audibles.

• Les résultats de l’examen clinique laissent suspecter la présence d’un double épanchement : pleural (et/ou péricardique) en raison de l’assourdissement des bruits cardiaques et abdominal en raison de la présence d’un signe du flot positif.

• La couleur pâle des muqueuses évoque une anémie ou un état de choc.

• Les principales hypothèses diagnostiques sont une affection tumorale, une cardiopathie ou un trouble de la coagulation.

2. Examens complémentaires

Des examens complémentaires sont réalisés afin de confirmer l’hypothèse d’épanchements multiples.

• Des radiographies thoraciques de profil (droit) et de face (projection ventro-dorsale) (PHOTOS 1 ET 2) permettent d’identifier la présence d’un épanchement pleural sévère. Une densification pulmonaire parenchymateuse qui concerne le lobe moyen droit est visualisée. Des structures nodulaires de densité radiographique mixte sont également visibles à ce niveau. Bien que la silhouette cardiaque ne soit pas clairement identifiable, elle ne semble pas de taille augmentée car l’angle trachéovertébral n’est pas modifié. Les vaisseaux pulmonaires sont de taille normale.

• Une échographie thoracique confirme la présence de l’épanchement pleural. Aucun épanchement péricardique n’est observé. En revanche, une masse de petite taille (2,84 cm sur 1,72 cm) est identifiée dans la paroi de l’atrium droit à sa jonction avec le ventricule droit (PHOTO 3). Cette masse est irrégulière et d’échogénicité mixte. Cet aspect et cette localisation sont typiques d’une tumeur de l’atrium droit. Aucune autre anomalie morphologique n’est présente sur le reste du cœur. L’origine de la densification parenchymateuse pulmonaire n’est pas clairement visible car l’échographie thoracique n’est pas l’examen de choix pour l’identification précise de la nature de ce type de lésion (mauvaises fenêtres échographiques, échogénicités non typiques).

• Une échographie abdominale révèle la présence d’un épanchement abdominal abondant. L’examen de la rate est anormal. La taille de l’organe est très augmentée, sa paroi irrégulière et la capsule discontinue. Le parenchyme est irrégulier, d’échogénicité mixte, et alterne des zones hypo- et anéchogènes et des zones hyperéchogènes (PHOTO 4). De nombreuses masses sont ainsi définies dans tout le parenchyme splénique. Ces images sont fortement évocatrices d’un hémangiosarcome splénique. Aucune autre anomalie n’est visible sur le reste des organes abdominaux.

• Une numération-formule sanguine permet d’identifier une anémie régénérative et une leucocytose avec neutrophilie. La numération plaquettaire est normale (voir le TABLEAU “Numération-formule sanguine”).

• Un examen biochimique complet qui comporte les dosages de l’urée, de la créatinine, des protéines totales, de l’albumine, des globulines, du glucose, des alanine-transférases et des phosphatases alcalines est normal.

• L’ensemble de ces examens permet de conclure à la présence d’une tumeur splénique et atriale droite (hémangiosarcome probable), responsable d’une anémie par hémorragie abdominale probablement liée aux saignements spléniques. Ils ne permettent pas, en revanche, de conclure sur l’origine de l’épanchement pleural, ainsi que sur la nature de la densification parenchymateuse pulmonaire. Une origine tumorale pulmonaire (métastases d’hémangiosarcome) peut être suspectée.

3. Examens nécropsique et anatomopathologique

• L’euthanasie du chien est décidée avec ses propriétaires. Un examen nécropsique est réalisé.

Après ouverture des cavités abdominale et thoracique, un litre et demi de liquide hémorragique est retiré. La rate est très modifiée : l’ensemble de son parenchyme présente de multiples masses et nodules hétérogènes et ulcérés (PHOTO 5). Le cœur présente un nodule hémorragique hétérogène dans la paroi de l’atrium droit (PHOTO 6). Les ganglions trachéobronchiques sont hypertrophiés et d’aspect irrégulier et hétérogène. Le lobe pulmonaire moyen droit est très remanié, décoloré et ponctué sur toute sa surface et son épaisseur de multiples nodules à paroi épaisse et à centre nécrotique (PHOTO 7). L’aspect nécropsique de ce lobe pulmonaire correspond aux images identifiées sur le cliché radiographique de profil (nodules de densité radiographique mixte).

• Une analyse anatomopathologique de ces différents tissus conclut à la présence d’un hémangiosarcome splénique et cardiaque (la tumeur cardiaque est probablement une métastase de la tumeur splénique), et d’un carcinome bronchique primitif (PHOTOS 8, 9 ET 10).

Discussion

1. Épidémiologie

Les tumeurs cardiaques sont peu fréquentes chez le chien. Leur incidence est évaluée à 0,2 %, et comprise entre 2,7 % et 3,1 % quand elles sont associées aux tumeurs péricardiques [2]. Leur importance clinique est néanmoins capitale car elles sont toujours responsables de répercussions majeures sur le système cardiovasculaire. Les types tumoraux les plus fréquents sont par ordre décroissant de fréquence :

- l’hémangiosarcome (40,5 à 69 %) ;

- le chémodectome (5 à 17,5 %) ;

- le lymphosarcome (2,5 à 3,9 %) ;

- le carcinome thyroïdien ectopique (0,9 à 2,9%) [2].

D’autres types tumoraux sont décrits, mais restent exceptionnels (fibrosarcome, hamartome) [3, 4]. La majorité des tumeurs ne contiennent qu’un seul type tumoral. Les tumeurs mixtes qui associent plusieurs éléments mésenchymateux (fibrosarcome, rhabdomyosarcome) sont très rares [5]. Pour certaines de ces tumeurs, l’origine est primitive ; pour d’autres, il s’agit principalement de métastases. Les tumeurs métastatiques les plus fréquentes sont des hémangiosarcomes localisés dans l’atrium droit qui proviennent la plupart du temps d’un hémangiosarcome splénique [1]. C’est ce qui est observé dans le cas décrit, bien qu’il n’ait pas été possible de conclure sur l’origine primitive de la tumeur (cardiaque ou splénique). La fréquence de survenue d’une tumeur cardiaque et splénique, l’aspect des masses spléniques, celui du nodule cardiaque et sa localisation (à la jonction entre l’atrium droit et le ventricule droit) laissent toutefois supposer que la tumeur primitive est splénique et que la métastase est cardiaque. L’une des originalités de ce cas est la présence concomitante de cet hémangiosarcome (sous une présentation classique, splénique et cardiaque) et d’un carcinome bronchique, tumeur primitive pulmonaire. L’association de ces deux types tumoraux aux localisations différentes est fortuite. Aucun rapport ne peut être établi entre eux.

2. Signes cliniques

Il est également intéressant de souligner la présentation clinique particulière. L’épanchement abdominal hémorragique est secondaire à la rupture splénique. Dans la majorité des cas, une métastase cardiaque d’hémangiosarcome splénique provoque un épanchement hémorragique péricardique [1]. Or, dans le cas décrit, il s’agit exclusivement d’un épanchement hémorragique pleural. Bien que l’analyse du liquide pleural n’ait pas été réalisée, il est probable que le carcinome bronchique soit seul responsable de l’épanchement pleural (rupture vasculaire très probable). Ainsi, ce double épanchement semble avoir des origines parfaitement distinctes et sans rapport direct entre elles. Les images radiographiques obtenues sont remarquables a posteriori dans l’identification des nodules pulmonaires. Une superposition quasi parfaite peut être réalisée entre les images radiographiques et nécropsiques de ces nodules.

3. Traitement possible et pronostic

Le pronostic de ce type de tumeurs multiples est toujours mauvais. Les traitements sont limités : aucune chirurgie ne peut être envisagée sur des tumeurs qui présentent une telle taille et qui affectent plusieurs organes. Les traitements médicaux, la chimiothérapie en particulier, ne sont à ce stade que palliatifs et ne peuvent améliorer que très transitoirement l’état clinique de l’animal.

L’association de types tumoraux différents qui affectent plusieurs organes chez le chien est rare et inhabituelle. Les conséquences cardiovasculaires des tumeurs cardiaques sont toujours sévères et le pronostic est mauvais. La mise en évidence d’épanchements secondaires à la présence de ces néoplasies doit inciter à en rechercher très précisément la cause afin d’identifier leurs origines qui peuvent être, comme le montre cette description, multiples et variées.

Points forts

Les tumeurs cardiaques sont variées mais peu fréquentes chez le chien et le chat. Ces tumeurs sont soit primitives, soit métastatiques.

Les tumeurs cardiaques sont responsables dans la majorité des cas d’épanchements isolés ou multiples (pleural, péricardique, abdominal). La symptomatologie associée est souvent sévère et le pronostic toujours réservé.

La présence d’un double épanchement est toujours le signe d’une maladie grave (tumeur, cardiopathie, etc.).

Le bilan d’extension de tumeurs multiples fait appel à la radiographie et à l’échographie.

L’association de plusieurs types tumoraux est rare et toujours de très mauvais pronostic.

  • 1 - Alleman AR. Abdominal, thoracic, and pericardial effusions. Vet. Clin. North Am. Small Anim. Pract. 2003 ; 33 (1) : 89-118.
  • 2 - Gidlewski J, Petrie JP. Pericardiocentesis and principles of echocardiographic imaging in the patient with cardiac neoplasia. Clin. Tech. Small Anim. Pract. 2003 ; 18 (2) : 131-134.
  • 3 - Madarame H, Sato K, Ogihara K et coll. Primary cardiac fibrosarcoma in a dog. J. Vet. Med. Sci. 2004 ; 66 (8) : 979-982.
  • 4 - Machida N, Katsuda S, Yamamura H et coll. Myocardial hamartoma of the right atrium in a dog. J. Comp. Pathol. 2002 ; 127 (4) : 297-300.
  • 5 - Machida N, Kobayashi M, Tanaka R et coll. Primary malignant mixed mesenchymal tumour of the heart in a dog. J. Comp. Pathol. 2003 ; 128 (1) : 71-74.
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