La biopsie hépatique à la portée du praticien - Le Point Vétérinaire n° 269 du 01/10/2006
Le Point Vétérinaire n° 269 du 01/10/2006

AFFECTIONS METABOLIQUES DE LA VACHE LAITIÈRE

Éclairer

NOUVEAUTÉS

Auteur(s) : Ellen Schmitt-Van de Leemput*, Guillaume Lhermie**, Ruurd Jorritsma***

Fonctions :
*Clinique vétérinaire,
1, rue Pasteur,
53700 Villaines-la-Juhel
**Unité pédagogique
de pathologie des ruminants,
ENV de Toulouse,
23, chemin des Capelles,
31076 Toulouse cedex 3
***Faculté vétérinaire
d’Utrecht, Pays-Bas

L’infiltration graisseuse du foie peut être évaluée du vivant de l’animal. Cependant, l’interprétation clinique des résultats intermédiaires est délicate.

La biopsie hépatique est encore peu réalisée en clientèle en France, alors que différents auteurs affirment que cet acte est peu traumatisant pour la vache et facile à réaliser [4, 5]. Sa faisabilité pratique vient d’être estimée dans la Mayenne chez 54 vaches laitières hautes productrices. L’intérêt d’une simple évaluation de la densité des fragments pour la recherche de stéatose a aussi été étudié. La valeur prédictive négative du test utilisé semble bonne, mais, dans les intervalles de densité intermédiaire, la corrélation avec le taux de triglycérides est moins évidente (voir l’ENCADRÉ “Lien entre la densité hépatique et le déficit énergétique”), et l’interprétation clinique encore aléatoire.

Plus de 50 biopsies tests

L’étude a été réalisée entre octobre 2005 et juin 2006 dans cinq élevages, choisis dans la clientèle vétérinaire située à Villaines-la-Juhel (Mayenne) pour leur production annuelle d’environ 10 000 l par vache, et leur conduite d’élevage au-dessus de la moyenne (voir le TABLEAU complémentaire “Données de production pour les cinq élevages pendant la période de l’étude” sur planete-vet.com). Pendant le tarissement, les vaches sont gardées en pâture, sans autre distribution d’aliment. Après le vêlage, placées en stabulation libre, elles sont nourries avec de l’ensilage de maïs et d’herbe, et un complément de production en quantité adaptée, au distributeur automatique de concentrés (DAC). Toutes les vaches qui ont vêlé entre octobre et janvier (n = 54) ont été incluses. Pour les besoins d’une étude conduite en parallèle sur la prévention de la stéatose, la moitié des vaches de la première étude (choisies au hasard) a reçu 250 ml de monopropylène glycol (Propydos®), chaque jour au DAC, pendant les quatorze premiers jours qui suivent le vêlage (1).

Les prélèvements hépatiques sont réalisés par biopsie sur toutes les vaches de l’étude, 15 +/- 2 jours après vêlage, suivant la méthode déjà décrite [8]. Un traitement à base de ceftiofur (Excenel RTU® 750 mg, par voie sous-cutanée) est administré aux vaches le jour de la ponction.

La densité des prélèvements de foie recueillis est évaluée par flottation (voir le TABLEAU complémentaire “Interprétation du test de flottation hépatique” sur planete-vet.com) [3, 8]. Parmi les échantillons prélevés, vingt sont stockés au congélateur (à – 20 °C) pour une quantification biochimique des triglycérides au laboratoire de biochimie de la faculté vétérinaire d’Utrecht, Pays-Bas [13].

Pendant la durée de l’étude, les éleveurs doivent rapporter toute anomalie clinique. L’étude prend en compte la note d’état corporel de chaque animal le jour de la biopsie, les quantités de lait produites (kg), les taux butyreux (TB en g/kg) et protéique (TP g/kg) obtenus lors des contrôles laitiers mensuels au cours des cinq premiers mois de lactation.

Une procédure bien tolérée

Sur les 54 biopsies réalisées, 53 ont permis de récolter un échantillon. Aucun effet indésirable, tel qu’une inflammation locale excessive, la formation d’un abcès ou des signes de péritonite marquée, n’est rapporté.

La procédure de contention, au cornadis, avec une simple entrave aux postérieurs se révèle satisfaisante.

Pour 46 échantillons, soit 87 %, la densité spécifique est supérieure à 1,055 7. Seulement 7 (13 %) sont dans l’intervalle 1,025 à 1,055 (voir la FIGURE “Densité des 53 échantillons de foie prélevés dans l’étude”).

Comme cela était probable, les échantillons de foie avec les plus basses densités spécifiques ont les plus hautes teneurs en TG (résultats sur 20 mesures de TG, voir le TABLEAU “Résultats obtenus pour les échantillons ayant subi la mesure du taux de triglycérides”). Tous les échantillons de densité supérieure à 1,055 ont des teneurs en TG inférieures à 130 mg/g, ce qui concorde avec des corrélations précédemment établies (une densité de 1,025 correspond à un TG de 250 mg/g et une densité de 1,055 à un TG de 130 mg/g) [4].

En revanche, dans l’intervalle de densité 1,025 - 1,055, trois échantillons sur sept ont des taux de TG inférieurs à 130 mg/g, et un seul échantillon a des taux qui excèdent 250 mg/g.

Adapter le test de flottation

Les échantillons qui ont été collectés dans les cinq élevages les plus hauts producteurs de l’étude, avaient des taux de TG compris entre 20 et 270 mg/g de tissu hépatique frais, comme dans une précédente étude sur 218 vaches [6]. Il pourrait être proposé d’utiliser des solutions de sulfate de cuivre de densité adaptée pour travailler sur un intervalle de 20 à 200 mg/g, c’est-à-dire, par exemple, cinq solutions de densités 1,035, 1,045, 1,055, 1,065 et 1,075, et pas seulement trois de densités 1, 1,025 et 1,055 comme dans cette étude.

Polémique sur l’interprétation

Sur 20 foies soumis à la mesure des TG en laboratoire, 16 semblent sains, trois sont légèrement stéatosés et un l’est moyennement [a]. Toutefois, selon une autre classification, à partir des mêmes résultats, il peut être conclu à quatre stéatoses subcliniques et à quatre stéatoses cliniques [2]. Or aucun éleveur de notre étude n’a rapporté de signe clinique pouvant être relié à la stéatose. La frontière entre stéatose clinique et subclinique n’est donc pas parfaitement établie. Les rares données de la littérature sur la classification clinique de la stéatose hépatique, fondée sur l’appréciation du taux de TG du foie, sont discordantes [2, 4]. Les uns estiment que des concentrations en TG inférieures à 130 mg/g correspondent à des foies sains et qu’au-delà de 340 mg/g, la stéatose est grave [4]. D’autres considèrent que, des foies avec moins de 50 mg/g de TG sont sains et que, dès le seuil de 100 mg/g de TG franchi, il convient de conclure à une stéatose grave [2]. Pour clarifier ce point, il serait utile de réaliser de plus amples études reliant le taux de TG et les observations cliniques.

Cette étude sur des vaches hautes productrices asymptomatiques a permis d’avancer dans la mise au point d’outils utilisables par un praticien dans le cadre de stéatoses subcliniques. Ces travaux pourront être poursuivis pour étudier l’interprétation des résultats.

  • (1) Résultats à paraître.

Lien entre la densité hépatique et le déficit énergétique

En début de lactation, les besoins énergétiques pour la production de lait dépassent les capacités d’ingestion énergétique. Les vaches laitières hautes productrices (VLHP) ont un bilan énergétique négatif, 24 à 48 heures avant le vêlage, avec un maximum vers deux semaines après le vêlage [11]. Les vaches compensent ce phénomène en mobilisant la graisse vers le foie sous forme de triacylglycérides (TG).

Dans le foie, les TG peuvent être métabolisés en corps cétoniques qui servent de source énergétique alternative. Toutefois, lorsque le déficit énergétique se prolonge ou s’aggrave, les TG mobilisés ne servent plus de source énergétique, mais sont stockés dans le tissu hépatique. Ce phénomène appelé stéatose est extrêmement fréquent sous forme subclinique dans les élevages modernes de VLHP (incidence 20 à 65 %) [1].

Cette affection n’est pas à négliger car elle a des répercussions sur la reproduction ou la production de lait [3, 5, 7, 10, 12]. La concentration en TG d’échantillons de foie est un paramètre valide pour déterminer l’ampleur du déficit énergétique [6], mais les analyses biochimiques pratiquées sont coûteuses et prennent du temps. Grâce à la corrélation entre taux de TG du foie et densité de l’échantillon [4], le taux de TG d’un fragment hépatique peut être estimé à l’aide de solutions de différentes densités. Cette technique est possible au “chevet” de l’animal [8].

Remerciements à Merial, Simmeragri et Supranimal.

Congrès

a - Herdt TH, Gerloff BJ, Liesman JS, Emery RS. Hepatic lipidosis and liver function in 49 cows with displaced abomasums. The 12th World Congress on Diseases of Cattle, The Netherlands, Proceedings. 1982 : 533-536.

  • 2 - Gaal T, Reid IM, Collins RA et coll. Comparison of biochemical and histological methods of estimating fat content of liver of dairy cows. Res. Vet. Sci. 1983 ; 34(2) : 245-248.
  • 4 - Herdt, TH, Goeders L, Liesman JS et coll. Test for estimation of bovine hepatic lipid content. JAVMA. 1983 ; 182(9) : 953-955.
  • 6 - Jorritsma R, Jorritsma H, Schukken YH et coll. Prevalence and indicators of post partum fatty infiltration of the liver in nine commercial dairy herds in the Netherlands. Livestock Prod. Sci. 2001a ; 68(1) : 53-60.
  • 8 - Lhermie G, Jorritsma R, Schmitt-van de Leemput E. Biopsie du foie et recherche de stéatose. Point Vét. 2006 ; 267(37) : 64-65.
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