Enquête sur des cataractes congénitales en série - Le Point Vétérinaire n° 269 du 01/10/2006
Le Point Vétérinaire n° 269 du 01/10/2006

OPHTALMOLOGIE BOVINE

Pratiquer

CAS CLINIQUES

Auteur(s) : Henri Derom

Fonctions : Rue Nationale
87230 Chalus

À la suite de plusieurs cas de cataractes congénitales dans un troupeau de vaches laitières hautes productrices, une étiologie métabolique est suspectée : des stress oxydatifs lors de la formation du cristallin.

Des opacifications du cristallin présentes dès la naissance ont été plusieurs fois décrites chez les bovins, dans diverses races, avec différents déterminismes [6, 9, 14, 16, 18, 20, 35, 38, 43]. Elles se distinguent des formes acquises, souvent virales, surtout liées à la BVD (bovine viral diarrhea), mais pas seulement [5, 25, 29, 34, 36, 40, 44]. Des formes virales de cataracte qui affectent préférentiellement le cristallin, à l’instar de la rubéole chez l’homme [21], ne sont pas exposées chez les bovins. Dans cette espèce, dans les cas d’opacification du cristallin, d’autres lésions oculaires, cérébrales ou organiques semblent associées. Des tableaux cliniques comparables, mais congénitaux, ont été décrits chez le rat et reliés à des carences (vitamine E, méthionine, tryptophane, niacine, iode) [9]. Des cataractes ont aussi pu être provoquées dans cette espèce par une ou plusieurs injections de sélénite de sodium [22, 37].

Les cataractes présentées dans ce cas sont congénitales, nucléaires et non progressives. Des cas semblables ont été signalés au début des années soixante-dix, puis plusieurs foyers ont été identifiés au Royaume-Uni [3, 8, 12, 13]. En France, de tels cas ont été observés par des confrères [E. Collin, communication personnelle], mais jamais encore publiés.

Cas clinique

1. Anamnèse et commémoratifs

L’élevage comporte 80 vaches prim’holstein hautes productrices (8 500 kg de lait/vache/an) en stabulation libre, avec pâturage l’été. Le niveau génétique et sanitaire est haut. Les génisses, élevées dans une ferme située à quelques kilomètres, sont ramenées sur l’exploitation vers sept à huit mois de gestation.

87 % des vêlages ont lieu entre mai et novembre. Un taureau limousin sert au rattrapage après quatre inséminations artificielles infructueuses. Aucune maladie atypique ou particulièrement fréquente n’a été rapportée entre 1996 et 2003. Dès 1996, l’éleveur aurait détecté un premier cas de cataracte, mais c’est seulement courant l’année 2000 que la naissance de plusieurs veaux apparemment aveugles est signalée. Selon l’éleveur, l’incidence du trouble observé tend à augmenter en 2001. En 2002, une investigation approfondie commence autour des cas.

2. Examens cliniques des animaux affectés

Des cataractes sont les seules lésions oculaires présentes. La sévérité de l’affection varie de la quasi-cécité à une cataracte seulement décelable à l’ophtalmoscope, sans conséquence sur l’acuité visuelle (voir l’ENCADRÉ “Résultats des examens cliniques des veaux et des vaches adultes”, PHOTOS 1 à 3b).

3. Anatomie pathologique

L’œil d’un veau atteint de cataracte congénitale et mort à l’âge de quatre jours, à la suite d’une diarrhée, est prélevé. Une vaste plage de dégénérescence et de fragmentation des fibres cristalliniennes est située dans la partie centrale du cristallin, légèrement excentrée vers le pôle postérieur. Le matériel fibrillaire est souvent liquéfié, d’où l’accumulation d’un matériel de forme sphérique. Au centre du foyer de dégénérescence, de nombreuses sphères protéinacées sont observées (de type lobules de Morgagnian). Aucun noyau cellulaire n’est présent, même dégénéré ou pycnotique. Les observations sont typiques d’une cataracte nucléaire congénitale, quelle qu’en soit la cause (PHOTOS 4a, 4B ET 4C).

4. Épidémiologie

Entre novembre 2002 et octobre 2003, tous les veaux nés sur l’exploitation (n = 79) sont systématiquement examinés dans les huit jours qui suivent leur naissance (voir le TABLEAU “Lésions observées sur les veaux entre novembre 2002 et octobre 2003 : éléments d’épidémiologie descriptive”). Des taux de 60 % de cataractes denses et de 40 % d’anneaux nucléaires sont observés. Un tiers des veaux de vaches multipares est affecté, mais aucun veau de primipare (voir la FIGURE “Nombre de veaux atteints de cataracte selon le rang de vêlage”). Une grande proportion des veaux présentant une cataracte est née de vaches au deuxième vêlage (11/19), puis l’incidence paraît diminuer avec la parité. Dans les autres élevages de la clientèle, des cas sporadiques ont déjà été relevés.

Les femelles sont plus atteintes que les mâles (respectivement 13/36 et 6/42), et des cas sont notés tout au long de l’année (voir la FIGURE complémentaire “Répartition des cas selon le mois de naissance” sur planete-vet.com). Aucune différence d’incidence entre les veaux prim’holstein (23 % affectés) et les croisés limousins (29,4 %) n’est constatée.

5. Recherche d’une origine infectieuse

En raison de la possibilité de cataractes d’origine virale, des sérologies pour la BVD sont demandées sur cinq multipares, cinq primipares, cinq nullipares, et cinq veaux de plus de six mois. Un seul résultat est positif. Des sérologies pour la toxoplasmose sont effectuées sur six vaches dont les veaux sont affectés, par analogie avec ce qui est observé chez l’homme (cataractes congénitales toxoplasmiques). Toutes se révèlent négatives. Deux avortements fournissent l’occasion de pratiquer des sérologies pour la rhinotrachéite infectieuse bovine (IBR), la BVD, la chlamydiose, la fièvre Q, la leptospirose, la salmonellose et la néosporose. Les résultats ne permettent pas de mettre en exergue l’une de ces maladies.

6. Données de production et de reproduction

Diverses données de reproduction et de production sont analysées a posteriori chez 15 vaches dont les veaux sont watteints (lot cataracte) et 25 vaches avec des veaux sains (lot normal) pendant la période qui précède la mise bas.

Le taux de réussite en première insémination artificielle (IA) est de 36 % dans le lot normal contre 14 % dans le lot cataracte (voir les figures complémentaires “Répartition du nombre d’insémination artificielle par vache et intervalles vêlage-insémination fécondante” sur planete-vet.com). 56 % des vaches du lot normal ont un intervalle vêlage-insémination fécondante (vel-IF) de moins de 120 jours, alors que 63 % des vaches du lot cataracte ont un vel-IF de plus de 120 jours.

Les quantités de lait produites, le taux butyrique (TB) et le taux protéique (TP), sont étudiés du premier au cinquième contrôle après insémination fécondante (IF), car le cristallin est formé au cours des premiers mois de gestation (voir l’encadre complémentaire “Embryologie du cristallin” sur planete-vet.com). À 305 jours de lactation, les vaches du lot cataracte produisent en moyenne 4,34 % de lait en moins que celles du lot normal. Un mois après IF, le lot normal produit en moyenne 2 kg de lait de plus que le lot cataracte. Cette différence se réduit ensuite. Au cinquième mois, les courbes se rejoignent (voir la FIGURE complémentaire “Évolution de la production de lait entre un et cinq mois après insémination fécondante” sur planete-vet.com). Les vaches du lot cataracte ont des TB apparemment plus élevés et des TP plus bas (sauf au premier contrôle) que celles du lot normal (voir les FIGURES “Évolution de la composition du lait entre un et cinq mois après insémination fécondante dans chacun des deux lots étudiés” sur planete-vet.com). Ces différences ne sont pas significatives car les populations comparées ne sont pas assez nombreuses (moins de 30 individus).

7. Étude génétique

Douze veaux atteints de cataracte congénitale sont sélectionnés au hasard. Leur arbre généalogique est établi sur cinq générations. Neuf différents pères donnent naissance à des animaux atteints. Les veaux croisés peuvent aussi être affectés. Certains taureaux (surtout américains), sont souvent employés dans cet élevage. Toutefois, un calcul de consanguinité fait apparaître un taux moyen inférieur à la moyenne nationale [11]. L’analyse génétique montre que ces veaux ne sont que faiblement apparentés (voir le TABLEAU complémentaire “Coefficients de consanguinité et de parenté” sur planete-vet.com).

8. Étude de l’alimentation

La ration des vaches en production est classique : ensilage d’herbe et de maïs, correcteur azoté, et complément de production. Cette ration est modulée grâce au distributeur automatique de concentré (DAC). En dehors du pâturage, les génisses sont nourries à l’aide d’ensilage d’herbe, de foin et de betteraves fourragères (voir les TABLEAUX complémentaires “Alimentation fourragère de base” et “Synthèse des apports” sur planete-vet.com).

Divers phénomènes oxydatifs dans lesquels sont impliqués le sodium (Na), le calcium (Ca), le sélénium (Se) en relation avec les vitamines E et A, peuvent engendrer des cataractes [8, 15]. Dans cet élevage, les apports en ces éléments sont assurés par un aliment minéral et vitaminique (AMV) classique, un complément à base d’algues marines “issu de fermentation biologique” (Algobov®) et un aliment liquide à base de mélasse enrichie de vitamines et d’oligo-éléments (voir le TABLEAU complémentaire “Apports journaliers moyens en minéraux et vitamines par vaches” sur planete-vet.com). L’éleveur rajoute aussi du sel marin à la ration en quantité indéterminée “pour éviter le pica”. Aucune carence ou excès d’apport ne ressort.

9. Examens complémentaires

Un bilan biochimique incluant les oligo-éléments est effectué sur sept mères de veaux affectés qui ont vêlé depuis plus d’un mois (voir le TABLEAU complémentaire “Résultats sanguins sur sept mères de veaux affectés”).

Malgré des apports suffisants (entre 0,1 et 0,3 ppm de Se de MS [28, 32]), une carence en Se est mise en évidence, tant pour l’élément sérique Se (reflet du statut à court terme) que pour la glutathion peroxydase GSHpx (reflet du statut sélénique à long terme). Un taux bas de glutathion peroxydase couplé à un taux normal ou élevé en Se aurait orienté le diagnostic vers une cataracte de type sélénique comme celle provoquée chez le raton [22]. Les deux taux sont bas. La carence en sélénium est présente depuis un certain temps [39].

10. Évolution

L’incidence des cataractes chute brutalement en 2004, sans explication et sans qu’aucune mesure corrective particulière n’ait été entreprise.

Discussion

La cataracte congénitale nucléaire non progressive des veaux prim’holstein demeure une affection peu connue ou peu décrite, malgré son incidence parfois élevée dans certains cheptels, illustrée par ce cas (25 %). Des incidences inter-cheptel de 3,73 % à 4,36 % sont rapportées [8 Derom, non publié], mais aussi jusqu’à 27,78 % en Autriche [33]. Chez l’homme, l’incidence de la cataracte congénitale nucléaire apparaît beaucoup plus faible (2,29 cas pour 10 000, dont 1,47 cas bilatéraux [23]), et n’évolue pas [R. Jugnoo, communication personnelle].

Même si cette affection n’a pas de réelle conséquence économique, il est pertinent de s’interroger sur les facteurs de conduite d’élevages laitiers modernes qui peuvent l’engendrer, avec une telle incidence.

1. Un phénomène oxydatif en début de gestation

L’étude descriptive réalisée donne des axes de recherches plutôt que des réponses étiologiques précises au sujet de la cataracte congénitale. Un événement se produit au début de la gestation (entre le 30e et le 70e jour), période de formation du noyau du cristallin chez les vaches en lactation, surtout en première lactation (voir l’ENCADRÉ complémentaire “Embryologie du cristallin” sur planete-vet.com). Aucune autre structure de l’œil ni aucun autre organe formé au même moment (cœur, cerveau) ne sont affectés [8]. La forme en anneaux nucléaires, uniquement détectable à l’ophtalmoscope, pourrait résulter d’un même événement, s’étant manifesté sur peu de temps ou de façon moins marquée [3, 12].

Les cataractes sont souvent dues à des phénomènes oxydatifs. L’anti-oxydant le plus important au niveau du cristallin est le glutathion. La quantité de glutathion est moindre dans le noyau par rapport à la périphérie. De plus, l’activité du cycle oxydation-réduction du glutathion y est moins intense, ce qui rend cette zone du cristallin particulièrement sensible au stress oxydatif [17].

2. Hypothèse métabolique

Les profonds changements métaboliques en peri-partum engendrent un stress oxydatif avec production accrue de lipoperoxydes [7, 30]. Le phénomène est proportionnel à la production laitière [30]. Une étude montre une forte corrélation positive entre les taux de métabolites issus de la peroxydation des lipides et les indicateurs du métabolisme lipidique [7]. De plus, à mesure que la lactation progresse, le pouvoir antioxydant diminue (avec toutefois de grandes variations individuelles) [42]. Une lipomobilisation mal gérée pourrait engendrer un stress oxydatif majeur. L’influence du rang de lactation sur le stress oxydatif n’a pas été étudiée.

Dans l’enquête menée, les mères des veaux à cataracte semblent avoir une moins bonne fécondité, de meilleurs TB et de moins bons TP (toutefois non significatifs en raison de la taille de la population). Dans le détail, pendant les cinq mois suivant l’IF, le différentiel des taux est toujours supérieur à douze chez les mères de veaux affectés, ce qui signe une forte lipomobilisation, pouvant détériorer la fécondité et les paramètres de production [4]. En outre, les vaches du lot cataracte semblent produire moins de lait standard que les témoins (4,34 %), comme dans une étude épidémiologique en abattoir sur ce même sujet. Dans l’étude observée, les anomalies restent subcliniques. Aucun cas de cétose n’est rapporté. De même, dans une autre étude sur les cataractes [13], les mères de veaux affectés avaient des glycémies équivalentes à des vaches témoins à un, trois et six mois de gestation.

3. Oligo-éléments et phénomènes oxydatifs

Une carence en sélénium, couplée à une subcarence en cuivre et en zinc, a été mise en évidence. Une carence en vitamine E a précédemment été rapportée dans un élevage atteint de cataracte congénitale [12]. Or le sélénium et la vita­mineE participent à la prévention des dommages causés par le stress oxydatif et leurs corollaires, les radicaux libres, les peroxydes et les superoxydes, par l’intermédiaire de l’enzyme glutathion peroxydase. Le statut sélénique du fœtus dépend de celui de sa mère [1, 2, 26]. Les carences en vitamine E semblent plus fréquentes chez les primipares en fin de gestation et en début de lactation, en raison d’un besoin accru lié à la croissance et d’une moindre ingestion de matière sèche [27].

La superoxyde dismutase (SOD), qui utilise le cuivre et le zinc comme coenzymes (subcarenciels ici), transforme l’anion superoxyde (O2-), issu de réactions d’oxydoréduction initiées par l’oxygène, en peroxyde d’hydrogène (H2O2), à son tour transformé en eau et en glutathion (GSH) oxydé. Lors d’une baisse de GSH-px, donc de sélénium, les mécanismes de défense sont mis en échec, avec production d’hydroxyle (OH•) extrêmement réactif et le glutathion GSH est consommé sans régénération, donc moins disponible [31, b].

Aucun dosage de métaux lourds n’a été effectué ici. Or un excès de métaux lourds peut gêner l’absorption du sélénium. Les cas de cataracte congénitale décrits en Angleterre sont apparus sur des sols riches en molybdène [8]. De même, 47 autres cas rapportés en France étaient élevés sur des sols granitiques ou sablonneux.

4. Lipoperoxydation et cataracte

En définitive, dans cet élevage à production assez élevée, la lipomobilisation a pu engendrer un stress oxydatif, et les systèmes de protection face aux radicaux libres ont pu être débordés en raison de la carence en sélénium et la légère carence en cuivre et en zinc, le phénomène tendant à s’aggraver [31]. Chez l’homme, une étude récente a comparé la lipoperoxydation et le statut oxydatif chez des patients normaux, chez ceux atteints de cataracte sénile et chez ceux souffrant de cataracte diabétique [11]. Une baisse significative des taux de glutathion et de superoxyde dismutase SOD est constatée dans le sang des patients atteints de cataracte, surtout chez les patients diabétiques. Une hausse significative des marqueurs de la lipoperoxydation est avérée dans le groupe cataracte. Les dosages de glutathion et de SOD dans les cristallins sont significativement plus bas chez les diabétiques que chez ceux affectés de cataracte sénile. Les marqueurs de la lipoperoxydation sont significativement plus hauts chez les diabétiques. Toutefois chez l’être humain, les phénomènes métaboliques présentés ci-dessus provoquent des cataractes chez l’adulte, et pas chez le fœtus. Il ne semble pas y avoir de cataractes congénitales chez les enfants nés de mères diabétiques. Dans les cataractes séléniques du raton induites par injection de doses massives de sélénium (de l’ordre de 2,25 mg/kg de poids vif [22, 37]), les mesures des marqueurs de la lipoperoxydation et du glutathion montrent les mêmes tendances que chez les patients atteints de cataracte sénile et surtout diabétique. Toutefois, des différences nettes existent entre l’histopathologie de la cataracte sélénique du raton et la cataracte congénitale nucléaire du veau [37].

5. Piste héréditaire

La vache prim’holstein est particulièrement affectée par les tares génétiques [11]. Un déterminisme de type monofactoriel simple paraît exclu dans le cas décrit car :

- les veaux croisés paraissent aussi affectés que les prim’holstein, ce qui exclut la possibilité d’un gène autosomal récessif ;

- les mères atteintes de cataracte ne donnent pas forcément naissance à des veaux affectés, ce qui exclut un déterminisme autosomal dominant.

Le trop faible nombre de cas observés ici ne permet pas d’exclure un déterminisme complexe (pénétrance incomplète ou hérédité polygénique).

Le fait qu’aucune primipare n’a donné naissance à des veaux affectés met à mal l’hypothèse héréditaire [3, 8].

Dans les études publiées, les cas paraissent plus fréquents en race prim’holstein, mais cela pourrait être lié à la productivité laitière élevée dans cette race. Dans deux précédentes descriptions de cataracte congénitale dites “héréditaires”, les taureaux incriminés étaient améliorateurs de productivité laitière [9, 20].

6. Agent infectieux, mycotoxines

En dehors des primipares, le nombre de veaux affectés décroît selon le rang de vêlage, comme cela a déjà été rapporté [8]. Le taux de renouvellement est important, d’où une surreprésentation des vaches qui ont à leur actif peu de lactation, mais la grande majorité des veaux affectés paraît issue d’un deuxième vêlage. Les vaches pourraient donc s’habituer à l’événement qui provoque les cataractes, ce qui est parfois le cas lorsqu’un agent infectieux circule chez des vaches laitières en production. Sa présence n’a toutefois pas pu être objectivée dans l’étude observée. Le passage des génisses, peu avant et après leur premier vêlage, à une alimentation composée essentiellement d’ensilage amènerait à incriminer les mycotoxines. La saisonnalité repérée sur des cas similaires au Royaume-Uni, situant la période à risque principale entre octobre et janvier, mois de plus grande consommation de fourrages ensilés, va dans ce sens [3, 8, 12]. Toutefois, aucune saisonnalité n’a été constatée dans ce cas.

7. Possibilité de traitement

Des traitements chirurgicaux ont déjà été tentés avec succès sur des cataractes chez les bovins [25, et A. Regnier, communication personnelle]. Ils n’apparaissaient pas économiquement justifiés dans pareil cas.

En définitive, l’hypothèse étiologique qui peut être avancée dans cette étude est celle d’un stress oxydatif mal jugulé, soit individuellement, soit au niveau du troupeau, par défaillance des systèmes antioxydants. Les prim’holstein fortes productrices seraient particulièrement sensibles, surtout en première lactation. Lors de déficit dans l’apport ou l’absorption d’anti­oxydants (sélénium, vitamine E), l’affection se manifesterait de façon quasi épizootique. Le déséquilibre des systèmes oxydoréducteurs au niveau du cristallin engendre une dégénérescence des protéines cristalliniennes du fœtus lors de la formation du noyau du cristallin [24]. Pour vérifier une des pistes étiologiques envisagées dans cette enquête et obtenir des données statistiquement exploitables, il conviendrait de recenser davantage de cas. Un examen ophtalmologique, à l’entrée des reproducteurs prim’holstein en centres d’insémination, serait utile. Des biochimies comparatives du cristallin, ou encore des biochimies centrées sur le statut oxydatif de vaches entre le 30e et le 70e jour de gestation pourraient faire progresser la compréhension de la pathogénie de cette affection.

Résultats des examens cliniques des veaux et des vaches adultes

Chez les veaux, les lésions sont souvent confinées au noyau fœtal du cristallin. Elles sont bilatérales, visibles dès la naissance et non progressives (PHOTO 1). Les fibres cristalliniennes déposées autour du noyau fœtal tout au long de la vie de l’animal sont claires, et laissent apercevoir la rétine et le fond de l’œil à l’examen ophtalmoscopique. Surtout chez le jeune adulte, un matériel opaque et blanc semble flotter au centre du cristallin (PHOTOS 2A ET 2B). Dans seulement deux cas, le fond de l’œil ne peut être aperçu (des fibres cristalliniennes dégénérées sont étalées sur la surface du cristallin). De plus à l’âge de six à sept mois, le globe oculaire s’hypotrophie. Un autre type de cataracte peut être observé à l’ophtalmoscope : des anneaux nucléaires [12] encore appelés images en “cul de bouteille” [3]. Un anneau plus ou moins fin isole le noyau du reste du cristallin, donnant l’impression que le noyau flotte au centre du cristallin, par ailleurs transparent. Un animal présente une cataracte du premier type dans un œil et du second type dans l’autre.

Chez les vaches adultes, l’affection est présente mais passe la plupart du temps inaperçue (PHOTO 3A ET 3B). Dans les cas classiques, une opacification est observée à l’œil nu au centre du cristallin, confirmée par l’examen ophtalmoscopique. Par rétro-illumination, une tache noire est visible, souvent sphérique, quelquefois triangulaire (cataracte), aux contours souvent diffus, et légèrement ramifiés. Selon l’éleveur, les vaches affectées suivent plus passivement le troupeau et manifestent de la peur à l’entrée en salle de traite.

Points forts

Les formes virales de cataracte chez les bovins s’accompagnent souvent d’autres lésions.

Les veaux de primipares sont plus affectés. La saison n’a pas d’influence.

La forme en anneaux nucléaires observée dans certains cas pourrait résulter de la même cause, mais qui s’est manifestée moins longtemps ou sous une forme atténuée.

Le déséquilibre des systèmes oxydoréducteurs du cristallin fœtal a peut-être engendré une dégénérescence protéique lors de la formation du noyau.

Le lien entre cataracte et lipoperoxydation est avéré chez l’homme. Les phénomènes de lipoperoxydation sont importants en peri-partum.

  • 3 - Ashton N, Barnett KC, Clay CE, et coll . Congenital nuclear cataracts in cattle. Vet. Rec. 1977 ; 100 : 505-508.
  • 6 - Carter AH. An inherited blindness (cataract) in cattle. Proc. N. Z. Soc. Anim. Prod. 1960 ; 20 : 108.
  • 8 - Clay CE. A study of congenital nuclear cataract in cattle. PhD thesis, Cambridge, 1977. In Index to theses. 1980 ; 27(2) : 264.
  • 12 - Ellis K, Billson FM. An investigation into a herd outbreak of congenital cataracts. Cattle Practice. 2001 ; 9(1) : 29-32.
  • 13 - France MP, Shaw JM. Blood glucose, calcium and urea from a herd with congenital nuclear cataract. Vet Record. 1990 ; 126 : 484-485.
  • 14 - Gelatt KN. Cataracts in cattle. J. Am. Vet. Med. Assoc. 1971 ; 159(2) : 195-200.
  • 17 - Giblin FJ. Glutathione : a vital lens antioxidant. J. Ocul. Pharmacol. Ther. 2000 ; 16(2) : 121-35.
  • 20 - Gregory PW, Mead SW, Regan WM. A congenital hereditary eye defect in cattle. J. Hered. 1943 ; 34 : 125-128.
  • 29 - Leipold HW. Congenital ocular defects in food producing animals. Vet. Clin. North Am. Large Anim. Pract. 1984 ; 6(3) : 577-595.
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