Intérêt et limites de l’aliment complet chez les vaches laitières - Le Point Vétérinaire n° 268 du 01/09/2006
Le Point Vétérinaire n° 268 du 01/09/2006

ALIMENTATION DES BOVINS

Éclairer

NOUVEAUTÉS

Auteur(s) : Béatrice Bouquet

Fonctions : 25, rue de Poireauville
80230 Vaudricourt

Les rations sèches marquent la fin du “tout maïs” et une évolution possible vers le hors-sol. Coûteuses, elles font gagner un temps précieux à l’éleveur.

Les rations sèches pour vaches laitières ont le vent en poupe. Sur le principe des granulés complets pour chevaux, les fabricants proposent des aliments qui rendent facultative l’adjonction d’ensilage de maïs. Ils se présentent en vrac, et évoquent alors le mash utilisé dans l’espèce équine, mais aussi en bouchons ou en granulés (PHOTO 1). L’aliment contient des sources de fibres, en plus de concentrés, de minéraux et d’oligo-éléments. La luzerne, le maïs en grains et le soja sont souvent présents, mais le taux de céréales est volontairement limité (environ 10 %). Divers autres ingrédients, moins classiques, sont incorporés : du “corn gluten feed” (ou autres coproduits de céréales), des graines de coton ou encore de la pulpe d’agrumes (concentrés énergétiques riches en paroi). La part du concentré peut atteindre 70 %, contre 30 % pour une ration classique, dite complète [4]. L’adjonction de matières grasses (tourteaux non déshuilés, huile, savons calciques d’acides gras) permet de contrebalancer la “déconcentration” liée à l’incorporation de fibres [4]. Outre les minéraux et vitamines, de petits ingrédients supplémentaires sont présents pour “booster” encore la productivité, donc la rentabilité : huiles essentielles, levures vivantes, méthionine, etc.

Le prix de vente est élevé : 200 € la tonne environ, en sachant qu’une vache en consomme 16 à 20 kg/j, soit 680 g en moyenne pour produire un litre de lait. Une production de 1 100 à 1 800 l de lait en plus par vache, sans limitation de quota, est nécessaire pour que le passage à une ration sèche soit rentable [5]. La production augmente (1 à 2,5 kg par vache), en lien avec une meilleure ingestion, un effet direct et la hausse des apports protéiques [2]. Le taux butyreux diminue (de l’ordre de 1 à 5 g/kg pour un aliment en bouchons), ce qui peut être rémunérateur dans le contexte actuel. Le taux protéique reste stable (environ 30 g/kg) ou baisse.

Le grand retour du foin

L’avantage mis en avant pour la ration sèche est le gain de temps pour l’éleveur. L’aliment est le plus souvent fabriqué à façon par les firmes d’aliments, pour répondre aux besoins précis de l’élevage. Les fabricants ont mis au point des procédés pour garder son homogénéité à un mélange qui contient beaucoup de fibres. La ration sèche permet de supprimer le chantier d’ensilage de maïs, qui demande du temps, du personnel, une certaine technicité, pour un coût de production non négligeable : 850 €/ha d’ensilage de maïs produit, contre 380 € pour l’herbe fanée [2]. Dans certaines zones, faire pousser du maïs demande aussi d’irriguer. Si le rendement en maïs est douteux, mieux vaut consacrer les terres à produire le foin distribué en complément des granulés complets. Car, même en ration sèche “100 %”, du foin est distribué, et en grande quantité : en moyenne 10 kg par vache et par jour. L’éleveur doit donc “se remettre au foin“, une “science” un peu oubliée ces vingt dernières années. Le recours à quelques artifices est nécessaire pour parer aux aléas climatiques particulièrement redoutables pour cette production : culture du moha(1), qui se récolte plus tard, utilisation de la paille de triticale, etc. Le choix des variétés doit être effectué avec soin pour obtenir un foin appétant mais pas trop, bien fibreux et qui ne puisse pas être trié par les animaux. Si le silo à maïs devient inutile, le stockage du foin reste à gérer, en plus de celui des grandes quantités de granulés livrées par camion.

Pour diminuer le coût alimentaire, des éleveurs combinent le concept “complet” avec la sortie en pâture, mais la productivité peut chuter, par baisse d’ingestion du granulé, et la rentabilité globale du système est alors en péril. Pour des raisons d’économie, l’éleveur peut continuer à distribuer du maïs : il s’agit de ration “semi-sèche”. Dans ce cas, la moitié du maïs nécessaire pour une ration classique est utilisée, mais le gain de temps est relatif.

Un mélange potentiellement détonnant

Les erreurs alimentaires commises par les éleveurs lorsqu’ils veulent à tout prix utiliser telle ou telle matière première disponible sur la ferme, ou afin de respecter une tradition, sont faciles à éviter avec le concept “tout complet” et les conseils qui l’entourent. Les transitions alimentaires s’effectuent en douceur, car il est conseillé de distribuer le même granulé aux génisses, aux vaches en production et aux vaches taries. Les adaptations aux différents stades portent sur la quantité (rationner les vaches taries et les génisses pleines), sur le type de fourrage (paille pour les génisses) et parfois sur les minéraux (pour assurer un bilan anion/cation négatif pour les vaches taries). La quantité importante de foin donné ne nuit pas à la santé des vaches. La distribution préconisée à volonté et en continu assure un fractionnement des repas et évite les brusques chutes de pH de la panse.

Toutefois, de l’avis même de fabricants d’aliments, la ration sèche demande une bonne maîtrise du logement, de l’ambiance et une surveillance humaine adéquate, car, même si l’aliment est composé avec précision (pouvoir tampon, fibrosité, etc.), les vaches sont en équilibre métabolique instable lorsque tout leur potentiel génétique est exploité. Certaines règles fondamentales de l’alimentation en élevage doivent être respectées : un nourrisseur pour 25 à 30 vaches, un accès au foin et à l’eau pour toutes les vaches (les vaches consomment davantage de foin et d’eau) [1, 4].

La ration sèche est déconseillée pour un troupeau qui manque d’état car la hausse de production risque de se faire attendre, d’où un bilan peu rentable. Les vaches doivent aussi avoir une marge de progrès possible : un bon potentiel génétique et une production moyenne initiale inférieure à 8 000 kg.

Une conjoncture favorable

Les rations sèches se sont implantées dans des niches géographique, économique, météorologique et sociologique favorables (voir l’ENCADRE “Le développement des rations sèches en France et dans le monde”) [4]. Les éleveurs français ne manquent pas de terrains, mais le temps leur fait défaut et ils peuvent utiliser ce type de ration lors d’une brusque augmentation de la charge de travail : rachat de quota, départ d’un associé non remplacé (retraite). En passant à la ration sèche, ils peuvent (et doivent, s’ils souhaitent rentabiliser leur structure) installer une nouvelle production végétale (légumes, etc.) ou animale (allaitantes, etc.) sur l’exploitation, à charge de travail et à surface identiques [6]. Cela est facilité par le découplage des primes agricoles depuis cette année : l’éleveur continue de percevoir des aides quoi qu’il cultive ou élève sur ses terres. Dans une société “aux 35 heures” et dans un contexte de baisse progressive de soutien du prix du lait, et peut-être de manque de lait, un aliment conçu pour « exploiter le potentiel génétique des animaux tout en gagnant du temps » a de quoi séduire.

Gain de temps relatif

Pour les rations sèches et semi-sèches, Sanders parle de « rations intensives simplifiées », mais l’utilisation d’une ration sèche complique parfois l’organisation. Une distribution au nourrisseur à volonté suffit, mais le distributeur automatique de concentrés (DAC) est de plus en plus souvent conseillé, et certains éleveurs distribuent même l’aliment complet à la dessileuse, voire à la brouette, trois fois par jour. Un même aliment suffit en théorie pour tous les stades de production, mais un complément de production est parfois distribué aux meilleures laitières, ou une ration distincte aux génisses.

Selon les chambres d’agriculture de Normandie et de Bretagne (citées par [2]) qui se sont penchées sur le phénomène “ration sèche”, le gain de temps est relatif : 90 heures en moyenne (70 à 140 heures selon les choix) pour un troupeau de 40 vaches laitières.

Quel est l’avenir de ce que certains qualifient de “nouvelle mode” [1] ? Le concept fait rêver des éleveurs qui croulent sous le travail et les charges financières (« Du temps pour les enfants », « 10 kg d’aliments fibreux, 20 % de frais vétérinaires en moins », titrent les revues pour éleveurs). Le recul manque pour juger des risques économiques et sanitaires pris. Les filières porcine et vicole, qui fonctionnent avec ce concept, en donnent un aperçu [1] : non-maîtrise du coût des matières premières, évolution vers l’intégration.

En production bovine, les aliments complets sont un outil pour la course à la productivité, dans la perspective d’une baisse du soutien du prix du lait. Mais si ce prix diminue trop, la ration sèche va devenir trop coûteuse. Chez Sanders, la ration sèche est seulement proposée, tandis que la ration semi-sèche est encouragée.

À l’Institut de l’élevage, les conclusions des différents experts sont qu’il est possible d’accroître la productivité avec des aliments disponibles sur la ferme, en n’hésitant pas à balayer certaines traditions, à multiplier les ingrédients, et à en acheter quelques-uns si nécessaire [2]. La ration sèche reflète les tâtonnements d’un système laitier en pleine mutation, avec un retour à des traditions qui ont du bon (plus de foin, moins d’ensilages, donc moins de spores butyriques), dans une volonté affichée de progrès.

  • (1) Graminée tropicale de type sétaire (millet d’Italie), résistant à la sécheresse. Elle est utilisée sous forme de foin ou d’ensilage. Le moha de Hongrie (Panicum germanicum) est cultivé en France et en Allemagne. Il se sème tardivement au printemps et se développe rapidement en juillet et en août.

Le développement des rations sèches en France et dans le monde

Au début de l’an 2000, des camions entiers d’aliments complets (“mélange espagnol”) débarquent pour la première fois dans le sud-ouest de la France, comme l’ont expliqué Francis Enjalbert et Hubert Compan aux dernières journées des groupements techniques vétérinaires [4]. Les cours de la matière première et les coûts du transport moins élevés dans la péninsule ibérique qu’en France y sont favorables. La sécheresse de 2003 a participé à la diffusion de ce phénomène “ration sèche” [4, 6]. Des éleveurs incorporent ce type d’aliment à leur ration afin de pallier le manque de fibres, au départ. Constatant son côté pratique, et impressionnés par la quantité de lait produite en plus, ils augmentent ensuite son taux d’incorporation dans la ration et en pérennisent l’utilisation.

La ration sèche continue d’être distribuée uniquement en été dans certains élevages, pour augmenter facilement la productivité [6]. L’idée de tout faire pour accroître la productivité des vaches laitières est largement répandue sur le continent nord-américain, où le prix du lait n’est pas soutenu. L’emploi de la ration sèche a été poussé à l’extrême en Israël et, plus près de la France, il séduit les Néerlandais, car il autorise une production hors-sol.

Congrès et sites internet

1 - Cassard B. Ration sèche. Vers une impasse. La Haute-Saône agricole et rurale. Actualité du 31 mars 2006 :1595.

http://www.hautesaoneagricole.com/anciens%20numeros/1595/art3.htm

2 - Chambre d’agriculture Pays de la Loire, Institut de l’élevage et contrôle laitier. Rations sèches ou mash. In: Aliments et concepts nutritionnels pour vaches laitières. Mai 2006:40.

http://www.inst-elevage.asso.fr/html1/IMG/pdf/Rations_seches_Mash_PdL_mai2006.pdf

3 - Démas J-L. J’ai maintenant 3 ans de recul avec la ration sèche. 29 juin 2006.

www.web-agri.fr/Outils/Fiches/FichesDetail.asp?idRub=603&id=21293

4 - Enjalbert F, Compan H. Les rations sèches pour vaches laitières. Proceeding Journées nationales GTV. 17-19 mai 2006:705-708.

5 - Réseau d’élevage Poitou-Charentes, Institut de l’élevage, chambre d’agriculture de Poitou-charentes et coll. Rations sèches, ça “mash” ou ça “mash” pas ? Octobre 2005.

http://www.inst-elevage.asso.fr/html1/IMG/pdf/2443-Rations_seches_-_mash_ou_pas.pdf

6 - Collectif. Les rations sèches sont-elles rentables ? Dossiers PLM 2006;368:6-22 et 369:12-30.

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