Gérer l’état corporel des chèvres laitières - Le Point Vétérinaire n° 266 du 01/06/2006
Le Point Vétérinaire n° 266 du 01/06/2006

ALIMENTATION DES PETITS RUMINANTS

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EN QUESTIONS-RÉPONSES

Auteur(s) : Sylvain Le Guillou

Fonctions : 51, rue Anatole-France
79400 Saint-Maixent-l’École

Les réserves adipeuses ne sont pas faciles à apprécier chez la “fausse maigre” qu’est la chèvre. Or un excès d’engraissement pénalise la future lactation et la longévité. Il est souvent dû à de mauvais “réflexes” de rationnement.

Dans les élevages intensifs de l’ouest de la France, seulement un tiers des chèvres parviennent à réaliser une quatrième lactation. Les causes de réforme sont variées : infécondité, mammites, maladies liées à une baisse d’immunité après des déviations métaboliques, amaigrissement après des acidoses ou des alcaloses de début de lactation, chute de production en seconde partie de lactation liée à un engraissement excessif, parasitisme au pâturage, etc. Les réformes ont pour cause principale des erreurs de rationnement. Des vies en production trop courtes majorent les dépenses en chevrettes de renouvellement. Les erreurs de rationnement ne sont pas toujours spectaculaires, mais elles ont des effets cumulatifs et conduisent à une usure physiologique prématurée irrattrapable. Pour éviter les chèvres qui “ne se reprennent pas”, selon les termes employés par les éleveurs, il convient de comprendre l’origine de l’excès d’engraissement et de savoir l’apprécier, aussi discret soit-il.

Quelle est la première cause d’excès d’engraissement ?

Les réserves graisseuses sont reconstituées pendant la seconde moitié de lactation, à raison de 1 kg au départ, puis de 1,5 kg par mois, ce qui nécessite 0,16 puis 0,2 UFL/j. Cet engraissement normal peut être supérieur si l’éleveur continue à donner à l’animal la quantité de concentrés calculée pour le pic de lactation. Ce comportement est dû à un oubli ou bien est volontaire lorsqu’il juge que la production de lait baisse trop vite et qu’il souhaite enrayer le processus en apportant davantage de concentrés, à tort. Or, à cette période, la capacité d’ingestion diminue physiologiquement. Si la quantité de concentrés reste constante, le phénomène de substitution fait que l’ingestion de fourrage est fortement pénalisée. Le pH de la panse descend alors en dessous de 6, ce qui favorise l’engraissement, en raison d’une sélection microbienne dans la panse favorable à la fabrication en excès d’acides propionique et butyrique, précurseurs de graisses de réserve. Une chute de la production laitière se produit aussi, et l’éleveur obtient l’inverse de ce qu’il escomptait. Les chèvres peuvent emmagasiner une quantité de graisses abdominales surprenante (PHOTO 1), responsables de stéatose, de toxémie de gestation et de cétose de lactation ultérieurement, d’où une future lactation désastreuse.

Comment apprécier l’état corporel chez la chèvre ?

Chez la chèvre, la quantité de graisses n’est pas facile à évaluer à partir de critères morphologiques.

Les masses musculaires sont peu abondantes dans cette espèce. Ce sont surtout les variations des masses adipeuses qui influent sur l’état corporel de l’animal.

Pierre Morand Fehr de l’INA-Paris Grignon et Jean Hervieu de l’Inra ont défini, en 1998, une méthode de notation de l’état corporel par palpations lombaire et sternale (voir la FIGURE “Principe de la notation d’état corporel chez la chèvre laitière”). La note corporelle d’une chèvre est la moyenne des deux notes (PHOTO 2).

Les tissus lombaires sont les premiers tissus adipeux sous-cutanés à se mobiliser. Les tissus sternaux, facilement palpables, sont mobilisés plus tardivement, tout comme les graisses abdominales. Cette lipomobilisation est une obligation en fin de gestation et en début de lactation, ou à d’autres périodes de sous-alimentation plus chronique.

Vers quelle note d’état faut-il tendre ?

La ration est à moduler en fonction non seulement des quantités de lait, du taux butyreux, etc., mais aussi de l’état corporel du lot. Pour des chèvres qui produisent entre 800 et 1 100 litres de lait, des notes cibles sont données pour chaque période sensible : saillie, tarissement, mise bas. La baisse d’état entre la mise bas et la fin du deuxième mois de lactation doit être au maximum de 1 point (voir le TABLEAU “Notes d’état idéales aux différents stades physiologiques chez la chèvre laitière”).

Quand la chèvre puise-t-elle sur ses réserves ?

•Avant la mise bas, le niveau d’ingestion n’est généralement pas suffisant pour satisfaire la demande croissante en énergie des fœtus et de la mamelle (colostrum) (voir la FIGURE “Mise en évidence du déficit énergétique de la chèvre laitière autour de la mise bas”). Il baisse physiologiquement dès la fin de lactation car le volume de la panse est réduit en raison de la place occupée par l’utérus gravide, qui contient généralement deux fœtus (poids total 9 kg), et par la masse graisseuse abdominale (environ 8 kg).

La chèvre ne couvre alors plus ses besoins par la seule alimentation et doit utiliser ses graisses de réserve (voir le TABLEAU “Évolution de la capacité d’ingestion et des besoins d’une chèvre laitière […]”).

•En début de lactation, lors du “pic” de production, les besoins sont multipliés par deux, alors que six semaines sont nécessaires pour que la capacité d’ingestion redevienne élevée. La chèvre puise alors dans ses réserves et utilise des PDIA (protéines digestibles dans l’intestin permises par l’azote) de la ration (provenant, par exemple, de l’apport de tourteaux tannés), ce qui améliore la néoglucogenèse.

•Ponctuellement, lors de maladie intercurrente, de période de froid (en dessous de 5 °C), de changement de silo ou de baisse de la valeur de la pâture, l’énergie ingérée peut ne pas répondre à la demande de production.

Quelles sont les conséquences des engraissements excessifs ?

L’excès d’adiposité est le résultat de régimes riches en concentrés énergétiques par rapport aux fourrages en période de moindre production laitière. Le bilan énergétique positif, régulé par l’insuline, aboutit à la formation de graisses. Souvent, l’erreur se répète chaque année et les couches graisseuses s’accumulent, ce qui diminue toujours plus le volume du rumen de la chèvre. Cela pénalise peu à peu la capacité d’ingestion avant et après la mise bas et favorise la stéatose hépatique, puis les cétoses.

Dans les périodes où le besoin urgent d’énergie de production n’est couvert qu’en partie par la faible capacité d’ingestion (70 % du poids des chevreaux est conçu au cours des six dernières semaines de gestation et au démarrage de la lactation), la lipomobilisation est rapide. Une stéatose peut survenir car, plus les réserves graisseuses sont importantes, plus la lipomobilisation s’accélère. Les acides gras non estérifiés qui en résultent sont transformés en triglycérides. Ils s’accumulent dans les cellules hépatiques, alors que la vitesse de transformation en lipoprotéines, seules utilisables, est trop lente. La stéatose hépatique s’installe, porte ouverte aux cétoses.

Pourquoi le rationnement “sur table” ne suffit-il pas ?

Appliquer les recommandations écrites de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) est nécessaire, mais pas suffisant pour obtenir une bonne lactation. Les valeurs proposées ne sont pas remises en cause, mais de nombreux facteurs aléatoires font varier l’ingéré réel, en particulier l’état corporel, les phénomènes de tri et de refus sélectif, de palatabilité, fréquents en élevage caprin. Les tables de rationnement incitent à travailler par lot, alors que la chèvre est une individualiste, au comportement alimentaire variable (PHOTO 3). Les aliments, en particulier les fourrages, n’ont pas toujours en outre les qualités annoncées par l’éleveur. La façon de les associer au concentré et de les distribuer fait varier aussi leur valorisation. Une visite d’élevage permet alors d’évaluer au plus près l’ingéré réel et l’état des animaux, et d’établir une ration.

Une bonne gestion des apports énergétiques, théoriques et réels, est primordiale pour la production laitière et l’expression du potentiel génétique de la chèvre laitière. Lors de chute de lactation après la mise bas, seule une visite d’élevage, avec des autopsies pratiquées devant l’éleveur et une étude des rations des deux derniers trimestres, permet de convaincre ce dernier de ses erreurs. Malheureusement, un surengraissement chez la chèvre est souvent irréversible à l’échelon d’un individu ou d’un lot. Les changements alimentaires trop tardifs ont un impact seulement sur la lactation suivante et sur les chèvres de renouvellement.

Points forts

Les erreurs de rationnement ne sont pas toujours spectaculaires, mais elles ont des effets cumulatifs et conduisent à une usure physiologique prématurée irrattrapable.

Les tissus lombaires sont les premiers tissus adipeux sous-cutanés à se mobiliser. Les tissus sternaux, facilement palpables, sont mobilisés plus tardivement.

La baisse d’état entre la mise bas et la fin du deuxième mois de lactation doit être au maximum de 1 point.

Appliquer les recommandations écrites de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) est nécessaire, mais pas suffisant pour obtenir une bonne lactation.

Les tables de rationnement incitent à travailler par lot, alors que la chèvre est une individualiste, au comportement alimentaire variable.

À lire également

- Hervieu J, Morand-Fehr P. Comment noter l'état corporel des chèvres. Réussir la chèvre. 1999;231:22-33.

- Le Guillou S. Adaptation de l'alimentation aux différents stades physiologiques de la chèvre laitière et pathologies associées. Proc. J. Nat. Group. Tech. Vet., Nantes, 25 à 27 mai 2005:803-817.

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