Syndrome hémorragique intestinal chez une holstein - Le Point Vétérinaire n° 265 du 01/05/2006
Le Point Vétérinaire n° 265 du 01/05/2006

AFFECTIONS DIGESTIVES EN ÉLEVAGE BOVIN LAITIER

Pratiquer

CAS CLINIQUE

Auteur(s) : Michaël Lallemand*, Sébastien Buczinski**, Nicolas Flament***

Fonctions :
*Clinique vétérinaire
Saint-Léonard, la Barre-Melay,
49120 Chemillé
**Faculté de médecine
vétérinaire, 3200 rue Sicotte,
J2S 7C6, Saint-Hyacinthe, QC,
Canada
***Faculté de médecine
vétérinaire, 3200 rue Sicotte,
J2S7C6, Saint-Hyacinthe, QC,
Canada

Une vache en lactation est présentée pour un abattement brutal, après quelques coliques. Un caillot de sang de 80 cm obstrue l’intestin. L’implication de Clostridium perfringens type A est suspectée.

Le syndrome hémorragique intestinal (SHI), décrit en Amérique du Nord sous le nom d’“hemorrhagic bowel syndrome” ou “jejunal hemorrhage syndrome” est une maladie émergente méconnue en Europe. Plusieurs vétérinaires français semblent y avoir déjà été confrontés, comme le suggère la lecture d’un forum récemment consacré à un “syndrome émergent”. Sur la liste de messagerie française pour les vétérinaires “Vétonet”, des symptômes similaires sont commentés. Cet article illustre la présentation clinique et le tableau nécropsique d’un cas possible de SHI. Il fournit l’occasion de dresser un état des connaissances sur cette maladie. Le praticien pourra ainsi, à l’avenir, l’intégrer au diagnostic différentiel lors de syndrome occlusif, et dès aujourd’hui, renseigner convenablement l’éleveur sur la stratégie à adopter.

Cas clinique

1. Anamnèse et commémoratifs

En automne 2005, une vache holstein, au 4e mois de sa deuxième lactation, est présentée vers 21 heures pour un abattement marqué et soudain. Couchée dans sa logette, elle est peu réactive aux stimuli et refuse de se lever. La vache a présenté une attitude d’inconfort et quelques coliques lors de la traite du matin. Aucun traitement n’a été instauré par l’éleveur.

L’animal semblait en bonne santé la veille. Seule une légère boiterie d’un membre postérieur avait été observée, qui n’a pas préoccupé l’éleveur.

2. Examen clinique

La vache est extrêmement abattue, en décubitus sternal. Sa température rectale est basse (37,6 °C), sa fréquence cardiaque élevée (104 battements/min). Sa fréquence respiratoire est normale (20 mouvements/min). Ses muqueuses sont pâles et le temps de recoloration capillaire (TRC) est supérieur à deux secondes. Une légère déshydratation est mise en évidence (persistance du pli de peau). Le décubitus rend difficile l’interprétation de l’auscultation abdominale. Toutefois, l’atonie ruminale paraît complète. Aucun “ping” n’est détecté. L’animal semble ballonné. La succussion du flanc droit est négative. Les matières fécales apparaissent sèches, peu abondantes, sans trace évidente de méléna. Les intestins ne semblent pas dilatés, et aucune bande de tension n’est perceptible, mais la palpation transrectale est également difficile.

3. Hypothèses diagnostiques

Les différentes anomalies identifiées à ce stade sont :

- un abattement prononcé et soudain ;

- une pâleur des muqueuses associée à une tachycardie, une déshydratation et une hypothermie ;

- une constipation sévère ;

- un ballonnement abdominal ;

- une douleur abdominale (décrite par l’éleveur).

Les principales hypothèses diagnostiques sont donc :

- un ulcère de la caillette (perforé ou non) ;

- un volvulus ou une intussusception intestinale ;

- une péritonite aiguë ;

- une torsion de la caillette ;

- une salmonellose ;

- un BVD aigu ;

- une Winter dysentery (ou entérite hémor­ragique d’hiver à coronavirus) ;

- un syndrome hémorragique intestinal.

4. Évolution

En raison du pronostic sombre, de l’état clinique de l’animal et des hypothèses diagnostiques émises, l’éleveur ne souhaite pas engager de traitement. L’euthanasie est décidée et une autopsie est réalisée.

5. Examen nécropsique

L’autopsie est réalisée soixante-douze heures après la mort de l’animal, compte tenu des délais imposés par le service d’équarrissage. Une portion d’intestin, d’environ 80 cm de long, apparaît fortement congestionnée. Sur toute cette longueur, la lumière est obstruée par un volumineux caillot de sang qui a pu être extrait en coupant l’intestin en deux (PHOTOS 1 ET 2). Aucune autre lésion n’est observée.

6. Conclusion diagnostique

Le tableau clinique dominé par un syndrome obstructif d’apparition aiguë, ainsi que la principale lésion nécropsique (un large caillot de sang obstruant la lumière de l’intestin grêle, sans autre lésion intestinale ou extra-intestinale susceptible de provoquer une obstruction primaire du tube digestif : lésion intra-abdominale, intussusception, volvulus), correspond à la définition du syndrome hémorragique intestinal donnée par Dennison et coll. [3].

Discussion

Peu rapporté en Europe, le syndrome hémorragique intestinal essentiellement décrit en Amérique du Nord ne faisait légitimement pas partie des principales hypothèses diagnostiques dans ce cas. La nécropsie s’est révélée particulièrement évocatrice. Une histologie et une immunofluorescence indirecte, nécessaires à l’exclusion formelle d’autres causes infectieuses d’entérite hémorragique (salmonellose, BVD, coccidiose, entérite hémorragique d’hiver), n’ont pas été entreprises en raison de l’autolyse déjà avancée des tissus.

L’aspect lésionnel caractéristique, le tableau clinique et le caractère sporadique de la maladie ont conduit à établir un diagnostic de syndrome hémorragique intestinal. En effet, aucun autre animal n’a présenté de signe compatible avec la BVD, une coccidiose, une salmonellose ou l’entérite hémorragique d’hiver (Winter dysentery) dans les deux mois qui ont suivi. La recherche d’anticorps BVD dans le lait de tank de ce troupeau est en outre régulièrement négative.

1. Une maladie émergente

Le premier cas de syndrome hémorragique intestinal a été décrit par Dennison et coll. aux États-Unis en 1997, sous le nom d’hemorrhagic bowel syndrom (HBS). Cette première dénomination est volontairement vague, en raison de l’étiopathogénie encore incertaine de l’affection [3]. Plusieurs autres dénominations ont été proposées depuis : fatal jejunal hemorrhage syndrome [c], jejunal hemorrhage syndrome (JHS) [b], ou intraluminal-intramural hemorrhage of the intestine [8]. Deux dominent dans les publications les plus récentes : HBS [2, 3, 4] et JHS [1, a], ce qui pourrait se traduire en français par syndrome hémorragique intestinal (SHI) ou jéjunal.

2. Syndrome souvent fatal

Le tableau clinique est dominé par une dépression profonde, accompagnée d’un syndrome occlusif (voir le TABLEAU “Fréquence des symptômes observés chez divers bovins atteints de SHI”). Les modifications hémato-biochimiques les plus couramment observées sont peu spécifiques.

Elles associent une leucocytose neutrophilique, une hyperfibrinogénémie, une alcalose métabolique avec hypokaliémie, hypochlorémie, hyponatrémie et une hyperglycémie [2, 3, 5]. Ces modifications sont surtout révélatrices du caractère aigu de la maladie et de la stase intestinale qui l’accompagne.

Le pronostic de l’affection est sombre, quel que soit le traitement entrepris. Les études rétrospectives rapportent des taux de mortalité de 100 % (11/11) [1] et de 77 % (17/22) [3]. Le traitement médical seul, qui associe une fluidothérapie, une antibiothérapie et des anti-inflammatoires divers, est particulièrement décevant.

3. Possibilité de traitement chirurgical

Quatre des cinq animaux qui ont survécu dans l’étude de Dennison et coll. avaient subi une laparotomie associée, soit à une entérectomie, soit à une rupture du caillot par taxis manuel sur la portion d’intestin affectée [3]. La laparotomie par le flanc droit semble donc être le meilleur moyen diagnostique et thérapeutique. Elle permet de parvenir au diagnostic, en mettant en évidence un caillot de sang intraluminal, et de sauver l’animal, par la réalisation d’un taxis manuel ou d’une entérectomie. Le pronostic reste néanmoins réservé, d’autant que plusieurs portions d’intestin sont parfois affectées [3]. Le traitement chirurgical est alors illusoire.

Une étude rétrospective récente sur trente-sept cas hospitalisés à la Faculté de médecine vétérinaire de Saint-Hyacinthe (Québec) nuance cependant la gravité du pronostic. Ainsi, sur trente animaux qui présentent des signes cliniques et biologiques compatibles avec ce syndrome et qui ont subi une laparotomie, le taux de survie à court terme est de 60 % [5]. Ce résultat est meilleur que celui obtenu lors des deux études précédentes (toutes en milieu hospitalier) et encourage le recours à la chirurgie lorsqu’elle est réalisable.

3. Entérite nécro-hémorragique aiguë

La lésion macroscopique caractéristique est une obstruction mécanique par un caillot de sang coagulé sur une longueur variable d’intestin. La lésion microscopique prédominante est une hémorragie segmentaire sévère de la sous-muqueuse, associée à un œdème de l’intestin grêle. L’hémorragie et l’œdème conduisent à un décollement de la muqueuse, qui apparaît souvent nécrosée à la surface des hématomes intramuraux [1, 3]. La localisation du caillot est variable. Aux États-Unis, les hématomes intramuraux sont les plus fréquemment rencontrés. Au Canada, le caillot semble être le plus souvent intraluminal [5].

4. Étiopathogénie encore obscure

Les études sur le SHI évoquent assez systématiquement l’implication possible de Clostridium perfringens type A [1, 2, 3, 4, a]. Dennison et coll. [3], ainsi qu’Abutarbush et coll. [1] ont ainsi toujours isolé ce germe à partir des biopsies intestinales peropératoires réalisées dans le cadre de leurs études rétrospectives. En outre, la probabilité d’isoler C. perfringens type A dans le contenu intestinal des animaux atteints est 6,56 fois plus élevée que lors de déplacement de caillette à gauche [4]. Toutefois, plusieurs données conduisent à nuancer la probabilité que C. perfringens type A soit l’agent causal du SHI :

C. perfringens type A est un bacille anaérobie à Gram positif qui fait partie de la flore digestive normale des ruminants domestiques, et qui prolifère rapidement dans les cadavres [1, 6]. Dans le cas décrit, soixante-douze heures se sont écoulées entre la mort de l’animal et l’examen nécropsique. Il n’a donc pas été jugé opportun de réaliser un prélèvement de contenu de tube digestif pour isoler et dénombrer ce germe en anaérobiose. Le résultat obtenu aurait été difficilement interprétable. En effet, selon des données récentes, « le dénombrement de C. perfringens sur un prélèvement de contenu intestinal réalisé au-delà de quinze heures après la mort n'a pas de signification biologique »[7] ;

- la prolifération de C. perfringens type A pourrait être secondaire à l’apparition de l’hémorragie intestinale. Le germe se comporterait alors comme un opportuniste, profitant d’un milieu favorable à sa multiplication [1] ;

- l’inoculation d’une culture pure isolée de cas cliniques de SHI chez douze vaches laitières saines n’a pas permis de reproduire la maladie [d].

En l’état actuel des connaissances, aucun facteur déclenchant n’est donc clairement identifié.

5. Le niveau de production : principal facteur de risque

Le SHI est loin d’être une maladie totalement anecdotique. Aux États-Unis, 5,1 % des élevages auraient recensé au moins un cas au cours de l’année 2002 [2]. L’enquête qui a permis d’établir ce résultat a été réalisée auprès de 1 013 fermes laitières de plus de trente vaches. Trois facteurs de risque majeurs liés à l’apparition du SHI ont été identifiés dans cette étude :

- la taille du troupeau : 26 % des élevages de plus de cinq cent bovins ont présenté au moins un animal avec des signes compatibles avec la maladie au cours de l’année 2001 ;

- l’administration de somatotropine bovine (usage autorisé uniquement aux États-Unis) ;

- l’usage en routine de la concentration en urée du lait pour adapter la composition des rations.

Les pratiques d’élevage qui visent à obtenir une production laitière élevée pourraient ainsi accroître les risques d’apparition du SHI. Le point commun entre tous les facteurs de risque pourrait être la consommation accrue d’une ration à haute densité énergétique [2].

Aucune prédisposition raciale n’a été décrite. La race holstein semble la plus souvent affectée, mais cette race prédomine parmi les bovins laitiers.

Régulièrement fatal, le syndrome hémorragique intestinal mériterait donc, même en Europe, de faire partie du diagnostic différentiel lors de syndrome occlusif. Suspecter la maladie avant l’autopsie, contrairement à ce qui a été réalisé dans ce cas, permet la mise en œuvre rapide d’une laparotomie à visée diagnostique. Si cette intervention ne permet pas toujours le traitement, la laparotomie permet au moins d’informer convenablement l’éleveur sur la sévérité du pronostic. L’étiopathogénie du syndrome hémorragique intestinal reste à éclaircir.

Points forts

L’abattement et le syndrome occlusif dominent le tableau clinique du syndrome hémorragique intestinal.

La lésion caractéristique est la présence d’un caillot de sang coagulé qui obstrue la lumière de l’intestin grêle.

La laparotomie exploratrice est indiquée lors de suspicion de SHI. Elle permet d’établir le diagnostic et parfois de traiter l’affection.

L’implication de C. perfringens dans ce syndrome est suspectée mais non prouvée.

Le pronostic est toujours réservé.

Congrès et internet

a - Abutarbush S. Jejunal hemorrhage syndrome in cattle : a newly emerging disease. Large animals veterinary rounds. 2002 ; 2(10) : 1-6. également consultable en ligne http ://www.idrounds.ca/cgi-bin/templates/framesets/veterinaryRoundsCa/fs_snell.cfm

b - Cantor G. Jejunal hemorrhage syndrome : a new, emerging disease of dairy cows ? Washington State Vet. Med. Assoc. Newsletter. Juillet 1999.

c - Fritz M. UI Veterinary pathologist investigates puzzling intestinal disorder in dairy cows. Feedstufffs. 2000 ; 72,5. Également consultable en ligne The Growers’guide. AG News. Current events in agriculture http ://www.growersguide.com/ag_newssept00f.htm

d - Ivany J, Anderson D, Miesner M. Determination of the role of Clostridium perfringens type A in intraluminal intestinal hemorrhage syndrome in dairy cows (Abstract). Proc. 34th Annual Conv. Am. Assoc. Bov. Pract. 2001 : 145.

  • 1 - Abutarbush SM, Radostits OM. Jejunal hemorrhage syndrome in dairy and beef cattle : 11 cases (2001 to 2003). Can. Vet. J. 2005 ; 46(8) : 711-715.
  • 2 - Berghaus R, Mc Cluskey B, Callan R. Risk factors associated with hemorrhagic bowel syndrome in dairy cattle. J. Am. Med. Assoc. 2005 ; 226(10) : 1700-1706.
  • 3 - Dennison AC, Van Metre DC, Callan RJ et coll. Hemorrhagic bowel syndrome in dairy cattle : 22 cases (1997-2000). J. Am. Med. Assoc. 2002 ; 221(5) : 686-689.
  • 4 - Dennison AC, Van Metre DC, Morley PS et coll. Comparison of the odds of isolation, genotypes, and in vivo production of major toxins by Clostridium perfringens obtained from the gastrointestinal tract of dairy cows with hemorrhagic bowel syndrome or left-displaced abomasum. J. Amer. Med. Assoc. 2005 ; 227(1) : 132-138.
  • 5 - Francoz D, Babkine M, Couture Y, et coll. Le syndrome d’hémorragie intestinale : étude rétrospective de 37 cas. Méd. Vét. Québec. 2005 ; 35(2) : 65-72.
  • 6 - Gyles CL, Thoen CO. Pathogenesis of bacterial infections in animals, 2nd ed. Iowa State University Press, Ames. 1993 : 114-123(448p).
  • 7 - Philippeau C, Julliand V. Le diagnostic des entérotoxémies s’améliore. Point Vét. 2004 ; 35(n° spécial “Actualités en pathologie digestive des bovins”) : 16-18.
  • 8 - St. Jean G, Anderson D. Intraluminal-intramural hemorrhage of the small intestine in cattle. In Howard JL, Smith RA, eds. Current veterinary therapy : food animal practice. 4th ed. WB Saunders eds, Philadelphia. 1999 : 539(739p).
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