Diagnostic et traitement de l’état de choc - Le Point Vétérinaire n° 265 du 01/05/2006
Le Point Vétérinaire n° 265 du 01/05/2006

URGENCES CHEZ LE CHIEN ET CHEZ LE CHAT

Se former

COURS

Auteur(s) : Isabelle Goy-Thollot*, Karl Jandrey**

Fonctions :
*Siamu
ENV de Lyon
1, avenue Bourgelat
69280 Marcy-l’Étoile
**Veterinary Medical Teaching
Hospital
One Shields Drive
Davis, CA 95616-8747, États-Unis

La prise en charge d’un état de choc est particulièrement difficile. La restauration de la perfusion et de l’oxygénation tissulaire constitue une étape clé du traitement.

Les symptômes et les modifications biologiques communs aux différents types de choc sont liés aux répercussions hémodynamiques du déficit d’énergie cellulaire métabolisable. Par ailleurs, certaines modifications biologiques et cliniques renvoient directement à l’affection sous-jacente. La restauration de la perfusion et de l’oxygénation tissulaire constitue une étape clé. Lorsque la fluidothérapie ne suffit pas à restaurer une perfusion tissulaire, un pouls et/ou une pression artérielle acceptable, l’administration de sympathomimétiques est indiquée.

Cet article recense les traitements médicaux disponibles en France et discute de l’opportunité de l’administration d’antibiotiques et de corticoïdes lors d’état de choc. Il aborde également la prévention, le diagnostic et le traitement de la coagulation intravasculaire disséminée (CIVD) consécutive au choc.

Diagnostic de l’état de choc

Les animaux en état de choc présentent généralement des signes d’hypotension, d’hypovolémie, de tachycardie, une hypo- ou une hyperthermie, une leucopénie ou une leucocytose. Des symptômes relatifs à une défaillance organique spécifique peuvent également être associés [7, 17, 20] (voir l’ENCADRÉ “Bilan d’évaluation du choc”).

1. Diagnostic clinique

Quelle que soit l’origine du choc, une perfusion tissulaire insuffisante se manifeste par des extrémités froides, un temps de recoloration capillaire (TRC) supérieur à deux secondes, des muqueuses pâles et un pouls faible, une diminution du débit urinaire et une altération du statut mental [9, 13, 14, 18, 19].

L’observation de la courbe et du rythme respiratoires permet de mettre en évidence et de caractériser une anomalie respiratoire : tachypnée, bradypnée, dyspnée inspiratoire ou expiratoire, discordance. L’auscultation pulmonaire peut révéler des râles, des sifflements, des frottements pleuraux ou des bruits étouffés en cas d’épanchement pleural.

Le choc précordial est généralement faible, voire impalpable dans les cas de cardiomyopathie ou de tamponnade cardiaque. Il est fort lors de régurgitation mitrale marquée. Par ailleurs, un choc précordial fort, associé à des extrémités froides et à un pouls faible doit faire envisager un choc septique [9].

L’auscultation cardiaque est parfois rendue difficile par les bruits respiratoires, un épanchement pleural ou péricardique. Les souffles ou bruits de galop entendus suggèrent la présence d’une affection cardiaque sous-jacente. Par exemple, un bruit de galop évoque une augmentation de la pression de remplissage du ventricule gauche et une insuffisance cardiaque décompensée. Une cardiomyopathie ou une insuffisance mitrale peut ne pas être décelée lors de l’admission, ce qui rend plus difficile la stabilisation des paramètres cardiocirculatoires. Les anomalies auscultatoires ne deviennent parfois audibles qu’après la restauration de la volémie.

La palpation et l’auscultation abdominales sont également des étapes importantes de l’examen clinique de l’animal en état de choc. L’examen attentif des quatre quadrants de l’abdomen permet de mettre en évidence un épanchement, une masse, une douleur ou un corps étranger. La palpation des reins permet d’en apprécier la taille, la consistance ou de mettre en évidence une douleur. Les complications rénales sont fréquentes dans tous les types de choc.

L’inspection méticuleuse de la peau et des muscles peut révéler la présence d’un abcès, de cellulite ou de myosite.

Quelques particularités de l’espèce féline méritent d’être soulignées. La contention doit être minimale. Le chat présente plus souvent que le chien des signes de décompensation : une hypothermie (< 37 °C), une fréquence cardiaque normale à diminuée, un pouls faible et une dépression marquée [6, 13, 14, 20]. Dans cette espèce, certains auteurs jugent l’hypothermie pour partie responsable des difficultés à restaurer la perfusion tissulaire sans induire d’œdème pulmonaire [15]. Kirby avance que les récepteurs adrénergiques deviennent réfractaires aux catécholamines lorsque la température chute. Ainsi, la fréquence cardiaque demeure faible, ce qui contribue à rendre inefficace la vasoconstriction compensatrice malgré la présence d’adrénaline et de noradrénaline. L’auscultation du chat requiert du temps et de la patience, car les bruits surajoutés ou de galop peuvent n’être qu’intermittents. L’examen respiratoire est également délicat. La respiration “bouche ouverte” est toujours anomale, le halètement en décubitus latéral est considéré comme agonique.

2. Examens complémentaires

Des échantillons de sang, d’urine ou, éventuellement, d’épanchement sont récoltés afin de réaliser le bilan le plus complet possible, d’évaluer les conséquences systémiques du choc, mais également de dépister les affections causales et intercurrentes. L’imagerie médicale revêt également un intérêt particulier, tout en gardant à l’esprit qu’elle doit toujours être réalisée chez un animal dont les principales fonctions vitales ont été stabilisées.

Numération-formule sanguine

L’hémoglobine est un facteur déterminant du contenu sanguin en oxygène. Lorsque le taux d’hémoglobine est trop bas, la distribution d’oxygène aux tissus est compromise. Un taux d’hémoglobine trop élevé est responsable d’une hyperviscosité sanguine et nuit aussi à la distribution en oxygène. L’objectif est de le maintenir supérieur à 20 %, idéalement entre 30 et 35 % [7, 12, 13, 14, 20].

La numération blanche est importante à évaluer. Une leucocytose (au-delà de 18 000/ml chez le chien et de 19 000/ml chez le chat) ou une leucopénie (en deçà de 5 000/ml) sont anormales et font partie des critères de définitions du syndrome de réponse inflammatoire systémique (SRIS) et du sepsis [1, 6].

La numération plaquettaire est un des témoins de l’installation de la CIVD. Elle doit donc être suivie et toute diminution doit être considérée comme suspecte.

Bilan de coagulation

L’objectif est de dépister le plus précocement possible une potentielle CIVD. Généralement, les temps de Quick, de céphaline activée et de thrombine sont dosés.

Bilan biochimique

Il comprend les dosages de l’urée, de la créatinine, du glucose, et des enzymes hépatiques et pancréatiques [4, 7, 12, 13, 14, 20].

La lactatémie (valeur normale inférieure à 2 mmol/l) est un marqueur intéressant de l’hypoperfusion tissulaire. La sévérité de l’ischémie est souvent corrélée à l’augmentation de la concentration plasmatique en lactate. Plus qu’une valeur isolée, la cinétique de la lactatémie est considérée comme un indicateur pronostique : la normalisation de cette concentration est considérée comme le témoin d’un rétablissement de la perfusion tissulaire [18].

Imagerie médicale

Les examens d’imagerie doivent être pratiqués chez un animal stabilisé.

• La radiographie thoracique doit permettre de mettre en évidence des signes d’affection cardiovasculaire (augmentation de la taille de la silhouette cardiaque, dilatation atriale, congestion des veines pulmonaires et de la veine cave caudale), pulmonaire (œdème, contusion) ou pleurale (pneumothorax, épanchement) [9].

• L’échocardiographie permet de déceler une éventuelle cardiopathie et de différencier le choc cardiogénique des autres types de choc.

• L’échographie abdominale est un examen non invasif, efficace et rapide, particulièrement dans le diagnostic des péritonites, des obstructions et invaginations digestives.

Électrocardiogramme

L’électrocardiogramme permet d’objectiver les anomalies rythmiques, telles que les tachycardies supraventriculaires, les bradycardies, les extrasystoles et les fibrillations atriales ou ventriculaires.

Mesure de la pression artérielle

La mesure de la pression artérielle (méthode Doppler ou oscillométrique) est essentielle. Elle contribue au diagnostic et au choix thérapeutiques. Une vasoconstriction périphérique n’augmente la postcharge que si la pression aortique est augmentée. Une hypovolémie marquée peut être associée à une forte vasoconstriction périphérique et à une faible pression artérielle [4, 13, 14]. Cette mesure n’est toutefois pas toujours aisée à réaliser et à interpréter. Néanmoins, une pression artérielle moyenne inférieure à 60 mmHg (systolique inférieure à 80 mmHg) est associée à un déficit de perfusion rénale grave [4, 15].

Saturation artérielle en oxygène

La saturation en oxygène (SaO2) peut être mesurée directement sur du sang artériel ou évaluée grâce à un oxymètre de pouls (SpO2). L’oxymétrie de pouls est une technique non invasive et relativement simple à mettre en œuvre. Ses résultats peuvent cependant être erronés chez des animaux en hypovolémie sévère, anémiés, qui présentent une vasoconstriction (chats) et dont les muqueuses sont colorées. Les valeurs normales sont de 98 à 100 %. Il convient de ne pas confondre la valeur de la saturation avec celle de la pression artérielle PO2. Une table d’équivalence permet de passer de l’une à l’autre (voir le TABLEAU “Rapport saturation/ pression artérielle en oxygène : signification clinique”). Une saturation inférieure à 90 % est significative d’une hypoxie grave.

La capnographie et la mesure de l’ETCO2

La capnographie fait partie du monitorage de l’animal en situation critique lorsque celui-ci est intubé et ventilé (coma, anesthésie, manœuvres ventilatoires). La valeur normale de l’End Tidal CO2 (ETCO2) est de 45 mmHg. La capnographie est le reflet du métabolisme systémique et des fonctions cardiocirculatoire et respiratoire. Elle est particulièrement indiquée pour le suivi d’une réanimation cardiopulmonaire ou d’une affection pulmonaire [4, 15].

Mesure des gaz sanguins artériels, rapport PaO2/FIO2

La mesure des gaz sanguins artériels est la méthode de choix pour l’évaluation de la fonction pulmonaire. Le calcul du rapport PaO2/FIO2 (fraction inspirée en oxygène) permet de discriminer les causes d’hypoxie : défaut d’apport en O2, hypoventilation et déficit d’oxygénation pulmonaire (modification du rapport ventilation/perfusion, shunt pulmonaire droite/gauche, défaut de diffusion pulmonaire) (voir le TABLEAU “Interprétation des gaz sanguins artériels et du rapport PaO).

Analyses bactériologiques

Lors de sepsis, la recherche de l’agent microbien en cause est un challenge. Des cultures doivent être réalisées sur tous les prélèvements (urines, épanchements, liquide synovial). Chez un animal pour lequel la source d’infection est inconnue, l’analyse bactériologique des urines et l’hémoculture (si elle est techniquement possible) sont conseillées (voir le TABLEAU “Bactéries isolées chez le chien et chez le chat et leur origine”) [4, 7, 8, 13, 14, 16, 19, 20].

Analyse des épanchements

Tous les épanchements doivent être ponctionnés. Leur aspect macroscopique (hémorragique, purulent, couleur prune fréquente lors de pancréatites aiguës), leur densité et leur taux de protéines sont autant d’indications diagnostiques pour discriminer un épanchement d’origine circulatoire, inflammatoire ou septique. L’examen cytologique est souvent déterminant.

Une étude récente a montré que la différence entre la glycémie sanguine et la concentration en glucose du liquide péritonéal est un indicateur fiable de la présence d’une péritonite septique : la concentration en glucose du liquide d’ascite est alors généralement inférieure à la glycémie. Une différence supérieure à 0,2 g/l a une sensibilité de 100 % chez le chien et de 86 % chez le chat, et une spécificité de 100 % dans les deux espèces pour le diagnostic des péritonites septiques [4].

Analyse d’urine

L’analyse d’urine (densité, bandelette, culot) est incontournable.

Principes du traitement du choc

L’optimisation de la ventilation pulmonaire, le rétablissement du volume circulant par la perfusion intraveineuse et le soutien de la pompe cardiaque résument les principes fondamentaux du traitement (voir l’ENCADRÉ “Principes du traitement de l’état de choc”) [19].

L’affection sous-jacente nécessite, en outre, un traitement spécifique qui n’est pas détaillé dans cet article.

1. Restauration de la volémie

La fluidothérapie représente l’étape fondamentale du traitement de tous les types de choc, sauf lors de du choc cardiogénique pour lequel le risque d’œdème pulmonaire par surcharge volumique est accru [9].

L’objectif est l’amélioration des paramètres cliniques de la volémie(1), une pression veineuse centrale (4 à 10 cm d’eau), une pression artérielle systolique supérieure à 90 mmHg (moyenne supérieure à 60 mmHg) et l’obtention d’une diurèse d’au moins 2 ml/kg/h [1, 13, 14, 19, 20]. Le volume et le rythme d’administration doivent être réajustés en permanence en fonction des paramètres cliniques (correction de la déshydratation, apparition de symptômes relatifs à une surcharge volumique) et de l’état de la volémie.

Différents types de soluté peuvent être utilisés. Les cristalloïdes isotoniques (NaCl 0,9 % ou Ringer-lactate) sont préconisés au rythme de 20 à 30 ml/kg/h chez le chien et de 10 à 20 ml/kg/h chez le chat jusqu’à l’amélioration des paramètres cliniques [1, 13, 14, 19, 20]. Il convient de ne pas négliger le risque d’œdème pulmonaire, en particulier chez le chat. En outre, lors de choc septique particulièrement, la perméabilité vasculaire est augmentée et la perfusion trop rapide de grandes quantités de solutés isotoniques favorise l’extravasation vasculaire des fluides et la formation d’œdèmes [12, 20].

Les colloïdes (Voluven®(2) ou Plasmohes® si disponible) représentent une alternative intéressante : les volumes sont moindres (2 à 5 ml/kg chez le chien et 2 ml/kg chez le chat pendant 15 à 20minutes). Ils améliorent la pression oncotique, assurent une expansion volumique durable (12 heures environ) et peuvent limiter la perméabilité vasculaire [13, 14, 20]. Ils sont cependant à éviter en cas de trouble de la coagulation, d’anémie marquée et d’insuffisance rénale.

Les cristalloïdes hypertoniques (NaCl 7,5 % ou 10 %) assurent une expansion volumique rapide et importante, mais brève (30 minutes). Les volumes préconisés sont de 2 ml/kg chez le chat et de 5 ml/kg chez le chien. Ils sont utiles en cas de traumatisme crânien, mais à proscrire lors de cardiopathie, d’œdème pulmonaire ou d’hyperosmolarité plasmatique [13, 14].

Il existe des mélanges de colloïdes (Dextran 70) et de NaCl hypertonique (Rescue-flow®) qui, administrés à raison de 5 à 10 ml/kg sur 10 à 20 minutes, cumulent, voire potentialisent les avantages des deux composants.

2. Oxygénation tissulaire et ventilation

Les objectifs sont de maintenir une pression artérielle partielle en oxygène (PaO2) supérieure à 80 mmHg et une saturation de l’hémoglobine artérielle en oxygène (SaO2 ou SpO2) supérieures à 92 % [7, 9, 13, 14, 19]. La supplémentation en oxygène peut être réalisée par une sonde nasale, un collier élisabéthain ou une sonde trachéale (animal anesthésié). Il est conseillé de recourir à une sédation (butorphanol ou morphine 0,1 mg/kg) si l’animal s’agite, ce qui accroît ses besoins en oxygène et rend plus difficile l’administration d’oxygène. Une ventilation assistée ou mécanique peut être nécessaire [13, 14]. La décision de mettre en place une ventilation est souvent difficile à prendre (lourdeur de la prise en charge, difficultés et appréhension à anesthésier un animal en état de choc). Il vaut cependant mieux intervenir au stade de la dyspnée qu’à celui de la respiration agonique. Une ventilation assistée précoce est la clé du succès dans de nombreux états de choc.

L’oxygénation des tissus nécessite le maintien d’un hématocrite supérieur à 25 %. Si nécessaire, une transfusion ou la perfusion d’un transporteur d’oxygène dérivé de l’hémoglobine (comme l’Oxyglobin®) peuvent être envisagées [13, 14, 19].

En raison du risque réel de spoliation sanguine chez les animaux de petite taille, le praticien doit être particulièrement vigilant devant la multiplication des prélèvements sanguins en soins intensifs.

3. Maintien de la pression oncotique

L’objectif est de maintenir la protéinémie totale entre 30 et 40 g/l et l’albuminémie supérieure à 15 à 20 g/l, ce qui assure une pression oncotique supérieure à 18 à 20 mmHg. La transfusion de plasma frais ou congelé est le traitement de choix. Les colloïdes (Voluven®(2)) sont une alternative intéressante. Les doses conseillées sont variables suivant les auteurs. Après les bolus administrés lors des mesures de réanimation, il est généralement déconseillé d’administrer plus de 20 ml/kg/j chez le chien et plus de 10 ml/kg chez le chat. La vigilance doit être accrue quant à la surcharge volumique.

L’albumine (d’origine humaine) pourrait être une option thérapeutique intéressante. Cependant, les difficultés d’obtention ainsi que la description de réaction d’hypersensibilité limitent son utilisation.

4. Correction des déséquilibres électrolytiques et acido-basiques

Des modifications de la kaliémie sont fréquemment observées chez les animaux en situation critique. Elle doit être régulièrement évaluée et corrigée si nécessaire.

L’hyperkaliémie entraîne généralement une bradycardie. Lorsque cette bradycardie est observée chez le chat (< 120 battements par minute), le risque d’arrêt cardiaque est imminent. Dans cette espèce, la prise en charge de l’hyperkaliémie doit par conséquent être rapide. Le traitement repose sur une fluidothérapie adaptée (NaCl 0,9 %), une reprise de la diurèse, l’administration d’insuline rapide (Actrapid® 0,2 à 0,4UI/kg par voie intraveineuse) associée à 2 g de glucose par UI d’insuline injectée. L’administration de gluconate de calcium (0,2 à 1,5 ml/kg de solution à 10 % par voie intraveineuse lente) est conseillée pour lutter contre les effets arythmogènes de l’hyperkaliémie.

Les variations de la natrémie reflètent les mouvements d’eau libre entre le secteur vasculaire et les autres secteurs. Le traitement de l’hypernatrémie passe généralement par une correction de l’hypovolémie associée grâce à l’administration de solutés contenant du NaCl. Des hyponatrémies sévères (< 115 mmol/l) associées à des troubles neurologiques nécessitent un traitement avec des solutés comme du NaCl 0,9 %. Le recours aux solutés hypertoniques de sodium est rare. Une correction trop rapide de l’hypernatrémie peut entraîner des lésions de myélynolyse pontine [11].

5. Traitement sympathomimétique

Lorsque la fluidothérapie ne suffit pas à rétablir les paramètres de la volémie et la pression artérielle, le recours aux substances vaso-actives est nécessaire.

Si l’objectif est de maintenir la pression artérielle par vasoconstriction, l’adrénaline (0,01 à 0,2 mg/kg) ou la noradrénaline sont les molécules de choix.

Si l’objectif est de soutenir la contractilité myocardique, le débit cardiaque, la pression artérielle, le tonus vasculaire et la distribution en oxygène, sans provoquer de vasoconstriction périphérique (ce qui est plus fréquemment l’objectif dans la gestion du choc), la dopamine(3) et la dobutamine(3) sont les molécules de choix (voir le TABLEAU “Utilisation de la dopamine et de la dobutamine”) [9, 13, 14, 19, 20]. Il n’est toutefois pas facile de se procurer ces molécules en médecine vétérinaire. Actuellement, de nombreuses études sont menées en médecine humaine sur la vasopressine, un vasoconstricteur qui n’agit pas sur les mêmes récepteurs que les catécholamines [22, 25]. Cependant, les données manquent encore en médecine vétérinaire.

6. Maintien d’une glycémie normale

Les variations de la glycémie en “hypo” ou en “hyper” sont délétères pour l’organisme en situation critique. L’objectif est de maintenir la glycémie entre 1 et 1,8 g/l (5 à 9 mmol/l).

Les animaux qui présentent une hypotension sont susceptibles de développer une hypoglycémie, car leur réanimation initiale a souvent nécessité l’administration de grands volumes de solutés dépourvus de glucose. Les sepsis et les chocs septiques peuvent aussi induire une hypoglycémie. La concentration en glucose doit être régulièrement suivie chez ces animaux et des solutés comme le glucose 5 % ou le glucose 2,5 %-NaCl 0,45 % sont utilisés pour la perfusion de maintenance [13, 14, 15]. Le glucose hypertonique (30 %) est réservé au traitement de l’hypoglycémie grave avec des symptômes nerveux associés (glycémie inférieure à 0,3 g/l ou à 1 ou 2 mmol/l). Il est alors administré en bolus de 0,25 mg/kg, puis la dose est adaptée en fonction de la glycémie.

Une hyperglycémie a également des conséquences délétères qui sont souvent sous-estimées. Les hyperglycémies induites par le sepsis et le choc septique sont généralement associées à des complications qui assombrissent le pronostic, comme une diminution de l’activité des leucocytes, des lésions des neurones cérébraux et une production accrue de lactate [23]. Lorsque la glycémie excède 1,8 à 2 g/l (9 à 10 mmol/l), il convient d’administrer de l’insuline cristallisée rapide (Actrapid®) en perfusion afin de la stabiliser entre 1 et 1,8 g/l (5 à 9 mmol/l).

7. Soutien de la fonction rénale

L’état de choc, l’hypotension, les hémorragies, les substances néphrotoxiques sont autant de facteurs de risque de lésions ou de dysfonctionnement rénaux. La mesure de l’urémie et de la créatininémie, ainsi que l’examen des urines (bandelette, densité, culot) sont à réaliser quotidiennement.

Le débit urinaire (ou diurèse) est le reflet de la fonction rénale de la volémie et du maintien de la pression artérielle.

Dans un premier temps, il est fondamental de corriger la volémie par une fluidothérapie adaptée. Lorsque l’oligo-anurie persiste malgré la restauration des paramètres hémodynamiques, le mannitol® 20 % (excepté en cas d’hyperosmolarité ou d’œdème pulmonaire) à la dose de 0,5 à 1 g/kg, ou le furosémide (1 à 6 mg/kg) sont nécessaires. La dopamine(3) ou la dobutamine(3) peuvent également être utilisées chez le chien, bien que leur intérêt soit actuellement controversé [24].

8. Motilité intestinale et intégrité de la muqueuse digestive

L’état de choc se complique fréquemment d’un défaut de vidange gastrique, d’iléus, et d’ulcérations gastriques ou intestinales, qui favorisent la translocation bactérienne, ainsi que les pertes de sang et de fluides. La muqueuse digestive est en effet particulièrement sensible à l’hypoperfusion et à l’hypoxie. La restauration d’une perfusion digestive adéquate (fluidothérapie) et la nutrition parentérale améliorent la survie des entérocytes. Il est également préconisé d’administrer régulièrement un soluté glucosé (non hypertonique) en petite quantité (0,6 à 2 ml/kg/1 à 2 h). L’adjonction de traitements protecteurs spécifiques est cependant conseillée (voir le TABLEAU “Protection du tube digestif”) [13, 14]. L’utilisation systématique et précoce des anti-acides est controversée, car la modification du pH gastrique favorisait la prolifération bactérienne gastrique et prédisposait à de sévères pneumopathies par fausse route.

Lors d’iléus, une sonde nasogastrique permet d’aspirer régulièrement l’excès de gaz ou de liquide. Des modificateurs de la motricité gastrique (métoclopramide, cisapride) peuvent également être prescrits.

Lors de vomissements dus à une parésie ou à une distension gastrique, le métoclopramide reste le traitement de choix [15].

9. Prévention et correction des anomalies de la coagulation

La phase d’hypercoagulation est difficile à diagnostiquer, mais peut être suspectée dans certaines circonstances (coup de chaleur, pancréatite, torsion d’estomac). L’objectif est d’inhiber l’activité de la prothrombine, de potentialiser l’antithrombine III (ATIII) (avec l’héparine(2)), d’inhiber la synthèse de thromboxane (aspirine), de modifier l’agrégation plaquettaire et d’inhiber l’activité du facteur VIII Von Willebrand (Voluven®(2)) [2, 3]. Dans un but préventif, de faibles doses (10 à 50 UI/kg toutes les huit heures par voie sous-cutanée) ou de fortes doses (100 UI/kg toutes les huit heures par voie sous-cutanée) d’héparine(2) de haut poids moléculaire sont souvent préconisées. Aucune étude clinique n’a prouvé l’efficacité des faibles doses par rapport aux fortes doses [24]. Il existe désormais des héparines de bas poids moléculaires (nadroparine calcique, Fraxiparine®(2)) dont les effets secondaires sont moindres. Aucune dose préventive standard n’a été établie.

Lors de la phase d’hypocoagulation, la transfusion de plasma frais ou de sang total frais (en cas d’anémie) est indispensable. L’héparinothérapie est mise en place, dans ce cas, seulement après la transfusion [2, 3].

10. Indications des antibiotiques

Les antibiotiques sont indiqués lors de suspicion de processus infectieux (culture positive, hyperthermie, leucocytose), d’iléus digestif, de diarrhée hémorragique, de sepsis, de défaillance multi-organique (MODS). Retarder l’administration d’antibiotiques lors de sepsis favorise la multiplication bactérienne. Le choix est initialement empirique : un antibiotique large spectre est recommandé (amoxicilline/acide clavulanique, céphalosporine de seconde génération, association pénicilline/gentamicine ou pénicilline/métronidazole). La voie intraveineuse est toujours préférable. Un antibiogramme permet d’ajuster le traitement [1, 20].

11. Utilisation raisonnéedes glucocorticoïdes

Les doses dites “de choc” (30 mg/kg) et l’administration systématique de corticoïdes sont des réflexes à proscrire [24].

L’utilisation des glucocorticoïdes dans le traitement du choc est très controversée et aucun consensus n’existe. Les corticoïdes ont des effets intéressants : anti-inflammatoire, agent de stabilité membranaire, vasodilatateur et vasoconstricteur (amélioration de la micro­circulation). Ils stimulent la néoglucogenèse, la consommation d’oxygène et la production d’ATP.

Les effets secondaires sont cependant nombreux : effets immunodépresseurs (augmentation du risque infectieux), digestifs (ulcères) et rénaux. Aucune amélioration en termes de survie n’a été prouvée chez l’animal [13, 14, 20, 24].

Chez l’homme, seule l’utilisation de faibles doses d’hydrocortisone lors de choc septique semble bénéfique [21]. La corticothérapie, en prévention du syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA), du SRIS ou du MODS, est inutile, voire délétère car un traitement immunodépresseur peut contribuer à déséquilibrer la réponse inflammatoire, rendre l’organisme plus sensible à un agent pathogène et interférer avec les mécanismes régulateurs endogènes [12, 20]. Chaque corticoïde a un effet spécifique et son utilisation doit impérativement être raisonnée : la dexaméthasone a, par exemple, un effet principalement anti-inflammatoire, le succinate de méthyl-prednisolone a un effet stabilisateur membranaire. Les doses dites “anti-inflammatoires” sont, dans la plupart des indications, suffisantes.

12. Prise en charge de la douleur

La douleur est souvent difficile à apprécier chez les animaux en état de choc dont le statut mental est modifié. L’utilisation d’échelles multiparamétriques de la douleur (4A Vet®) revêt ici un intérêt tout particulier [15].

Il est souvent nécessaire de titrer les analgésiques, surtout chez le chat.

Plusieurs molécules et protocoles peuvent être utilisés. Pour des douleurs modérées, le butorphanol (0,1 à 0,4 mg/kg/4 h par voie intraveineuse) ou la morphine seuls (0,05 à 0,4 mg/kg/4 h par voie sous-cutanée) sont préconisés. Des perfusions associant la kétamine (2 µg/kg/min), la lidocaïne (10 à 20 µg/kg/min) et la morphine (0,1 à 0,2 mg/kg/h) peuvent aussi être mises en place.

Des patchs de fentanyl (Durogésic(2)) ou des anesthésies loco-régionales avec la lidocaïne (blocs ou injection dans la cavité pleurale) se révèlent parfois intéressants.

13. Soutien nutritionnel

Le soutien nutritionnel est fondamental. La voie entérale est toujours à privilégier pour assurer la survie et le fonctionnement des entérocytes, ainsi que la motricité et la perméabilité du tube digestif. La nutrition parentérale est plus difficile à gérer. Elle est à réserver aux animaux chez lesquels le tube digestif est non fonctionnel ou ne doit pas être utilisé (pancréatite, ulcérations graves).

14. Nursing

Le nursing est “la part de l’ombre” du traitement, trop souvent sous-estimée et négligée, mais pourtant déterminante pour la réussite d’une prise en charge dont l’issue est particulièrement aléatoire. C’est l’hygiène qui entoure l’animal en état de choc, et non l’antibioprévention, qui évite le plus sûrement le choc septique.

Il est conseillé de surveiller les cathéters quotidiennement, de corriger toute hypothermie, de retourner toutes les quatre heures les animaux en décubitus latéral et de mettre des matelas pour éviter les ankyloses et les escarres, de tenir la cage et le couchage propres, de mettre en œuvre quotidiennement des exercices de physiothérapie, de veiller à l’hygiène des plaies, sondes et pansements et de se laver les mains aussi souvent que possible. Il est également essentiel d’encourager les animaux et de préserver leur biorythme en leur ménageant des temps de tranquillité et de sommeil.

Depuis vingt-cinq ans, de nombreux traitements prometteurs du choc, et plus particulièrement du choc septique, ont été expérimentés, mais n’ont pas tenu toutes leurs promesses en termes d’amélioration de la survie chez l’homme (anta­gonistes des récepteurs TNF, antagonistes NO, antagonistes des bradykinines). La clé du traitement demeure la prévention. La prise en charge d’un animal en état de choc repose sur la compréhension des mécanismes physiopathologiques du choc, sur la performance des outils diagnostiques et la pertinence de leur choix, sur les indications thérapeutiques et le monitorage. La restauration de la distribution d’oxygène aux tissus implique la correction de la volémie, le soutien de la pompe cardiaque, de l’oxygénation sanguine et de la pression artérielle. Le traitement de l’affection sous-jacente doit surtout être le plus précoce possible.

  • (1) Voir l’article des mêmes auteurs “L’état de choc chez le chien et chez le chat : classification et physiopathogénie” dans le Point Vét. n° 259, pages 30 à 34.

  • (2) Médicament à usage humain.

  • (3) Médicament réservé à l’usage hospitalier.

Bilan d’évaluation du choc

Bilan minimum

• Température rectale

• Température des extrémités

• SaO2

• Numération-formule sanguine + plaquettes

• Hématocrite

• Protéines totales

• Urée, créatinine

• PAL, ALAT

• Glycémie

• Temps de saignement

• Cultures (épanchements, urines, liquide synovial) en cas de suspicion de sepsis

Bilan idéal

• Bilan minimal

• Pression artérielle (méthode indirecte Doppler ou oscillométrique)

• Pression veineuse centrale

• Lactatémie

• Bilirubinémie

• Ionogramme plasmatique

• Gaz sanguins veineux (équilibre acido-basique)

• Gaz sanguins artériels (monitoring de la fonction respiratoire)

• End Tidal CO2

• Bilan de coagulation (temps de Quick, de céphaline kaolin, de thrombine)

• Produits de dégradation de la fibrine

• D-dimère

• Anti thrombine III

• Hémoculture (sepsis)

Principes du traitement de l’état de choc

1. Restauration de la volémie

2. Optimisation de l’oxygénation tissulaire et de la ventilation

3. Maintien de la pression oncotique

4. Correction des déséquilibres électrolytiquesetacido-basiques

5. Utilisation des molécules vaso-actives : traitement sympathomimétique

6. Maintien d’une glycémie normale

7. Soutien de la fonction rénale

8. Protection du tube digestif : motilité intestinale et intégrité de la muqueuse digestive

9. Prévention et correction des anomalies de la coagulation

10. Indication des antibiotiques

11. Utilisation raisonnée des glucocorticoïdes

12. Prise en charge de la douleur

13. Soutien nutritionnel

14. Nursing

D'après [13, 14, 19].

Remerciements à Christelle Decosne-Junot, Stéphane Junot, Julien Guillaumin et Audrey Muguet-Chanoit.

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  • 15 - Kirby R. Pathophysiology of systemic inflammatory response syndromes : septic shock. 11th IVECCS annual congress. Atlanta September 2000:1053p.
  • 21 - Société française d’anesthésie et de réanimation, société de pathologie infectieuse de langue française, société de pneumologie de langue française, groupe francophone de réanimation et d’urgences pédiatriques. XXe Conférence de consensus en réanimation et médécine d’urgence. 2000.
  • 23 - Van den Berghe G. How does blood glucose control with insulin save lives in intensive care ? J. Clin. Invest. 2004; 114:1187-1195.
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