Les substances visco-élastiques en chirurgie oculaire - Le Point Vétérinaire n° 263 du 01/03/2006
Le Point Vétérinaire n° 263 du 01/03/2006

OPHTALMOLOGIE DU CHIEN ET DU CHAT

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NOUVEAUTÉS

Auteur(s) : Pierre-François Isard

Fonctions : Les Grands Vignobles
74320 Sevrier

Les substances visco-élastiques peuvent être utilisées lors de chirurgie de la cataracte, du glaucome et lors de chirurgie plastique.

L’essor de la chirurgie endo-oculaire, et en particulier de la chirurgie de la cataracte, a conduit les pharmacologues à rechercher un moyen de protection des structures endo-oculaires, et notamment de l’endothélium, vis-à-vis des gestes potentiellement iatrogènes (traumatismes instrumentaux directs, caloriques par la phaco-émulsification, liés aux gestes d’implantation, etc.) [1]. Les déséquilibres de la barrière hémato-aqueuse liés à l’ouverture de la chambre antérieure ont également conduit les chirurgiens à s’intéresser aux substances de substitution permettant de maîtriser les modifications hémodynamiques de la tunique vasculaire antérieure pendant les temps chirurgicaux [2].

L’acide hyaluronique a été isolé du liquide synovial en 1936. Cette molécule de haut poids moléculaire, ubiquitaire dans l’organisme, est un élément fondamental du tissu conjonctif. Ses propriétés visco-élastiques à une certaine concentration ont été montrées en 1966. L’idée d’utiliser une solution visqueuse en ophtalmologie (produit de substitution du vitré en premier lieu) a dès lors fait l’objet de nombreux travaux. La difficulté majeure était de disposer d’un produit dépourvu de toute activité antigénique ou anti-inflammatoire, et non toxique pour les tissus oculaires. La fraction purifiée de l’acide hyaluronique, qui répondait à ces exigences, n'a été obtenue qu'à la fin des années 1970. Les différentes propriétés de l’acide hyaluronique utiles en chirurgie oculaire ont été précisées ultérieurement : protection endothéliale, maintien des espaces, dissection atraumatique des plans anatomiques, microhémostase, etc. [3] (voir l'ENCADRÉ complémentaire “Propriétés rhéologiques et application chirurgicale” sur planète-vet). D’autres molécules présentant des propriétés plus ou moins comparables ont été étudiées à partir de 1983.

Substances visco-élastiques de première génération

• L'acide hyaluronique (Healon®, Endogel®, Provisc®, Viscornéal®, Canivisx®), à l’origine extrait de crêtes de coqs, puis synthétisé par fermentation cellulaire (Streptococcus equi notamment) est le prototype de la substance visco-élastique cohésive. Ses propriétés rhéologiques principales sont la cohésion et la pseudoplasticité. Son relatif manque d’adhésivité en fait un produit moins protecteur des surfaces, mais facile à éliminer en fin d’intervention (peu de risque d’hypertension postopératoire).

• Les substances visco-élastiques dispersives sont de deux types.

Le sulfate de chondroïtine (Viscoat®, Vitrax®), à l’origine extrait d’ailerons de requins, est remarquable par ses propriétés de dispersion et d’adhésivité qui en font un protecteur efficace des surfaces endo-oculaires. En contrepartie, il est plus difficile à aspirer en fin d’intervention et sa capacité à demeurer dans les structures de l’angle est à l’origine d’hypertension postopératoire. Il est rarement utilisé pur et est en général associé à l’acide hyaluronique. La méthylcellulose (Viscum®, PhacoVisc®, Coatel®) est un produit d’extraction végétale utilisé à l’origine comme un hydratant de la cornée. L’hydroxypropyl-méthylcellulose est d’un coût modique, mais ses propriétés viscoélastiques sont relativement limitées aux concentrations usuelles.

La faible adhésivité de ces substances ne leur permet pas une rémanence suffisante pour une intervention d'une durée habituelle. Elles restent toutefois intéressantes, seules ou en association, en raison de leur bonne tolérance locale aux concentrations classiquement utilisées [5].

Substances visco-élastiques de seconde génération

L’utilisation de deux viscoélastiques aux propriétés différentes au cours d'une même intervention a constitué une pratique courante qui n’a toutefois pas résisté aux contraintes économiques. Un produit unique, possédant les deux propriétés voulues, dispersive et cohésive, a donc été recherché :

- soit en associant les produits de référence : substances viscoélastiques mixtes hyaluronate de Na/chondroïtine sulfate (Viscoat®) ;

- soit en associant à l’acide hyaluronique un adjuvant qui lui confère des propriétés dispersives, comme l’hypromellose, dérivé purifié de la méthylcellulose (Rhexeal®), ou le glycérol (Mega-Chrom®) ;

- soit en optimisant les qualités dispersives et cohésives par une réticulation adaptée : ce sont les substances viscoélastiques visco-adaptatives.

Le cahier des charges d’une substance visco-élastique optimale doit donc s’inspirer de caractéristiques apparemment contradictoires : produit unique à la fois dispersif et cohésif.

Viscosité dynamique

Les qualités d’une substance visco-élastique sont habituellement évaluées en mesurant sa viscosité dynamique (en Pascal.seconde) à trois phases de son utilisation :

- au repos (0 Ps-1), pour juger sa capacité à maintenir les espaces, et notamment à reformer une chambre antérieure profonde ;

- sous contrainte moyenne (100 Ps-1), pour mesurer son comportement lors du passage des instruments et de la phase de dépliage des implants ;

- sous contrainte forte (1000 Ps-1), pour mesurer sa capacité à être injectée par une canule fine.

Les études comparatives sur les différents produits de référence montrent que les substances visco-élastiques de dernière génération répondent au cahier des charges d’une intervention chirurgicale peu traumatisante, tout en étant dépourvues d’effets secondaires gênants.

La réticulation permet de modifier la structure des substances visco-élastiques sans modifier fondamentalement leurs propriétés rhéologiques. Cela est surtout utilisé pour améliorer l’effet de volume et ralentir l’élimination naturelle du produit par lavage et sous l’effet des hyaluronidases.

Les diverses substances viscoélastiques disponibles sur le marché peuvent répondre à des utilisations variées.

Chirurgie endo-oculaire

• Lors de chirurgie de la cataracte, l’intervention par une incision étroite avec implantation est à l’origine de l’optimisation des substances visco-élastiques. Le geste chirurgical nécessite en effet un maintien des espaces et une protection endothéliale pour la réalisation du capsulorhexis et des temps de phaco-émulsification et d’implantation. Le bénéfice de l’utilisation de substances visco-élastiques de dernière génération est appréciable en termes de confort opératoire et d'absence de complications postopératoires. L’amélioration des propriétés dispersives crée néanmoins une contrainte de lavage supplémentaire, puisque la persistance d’un dispersif en phase postopératoire risque d’induire une élévation passagère, mais notable, de la pression intraoculaire (PHOTOS 1 et 2) [7].

• Lors de réparation chirurgicale d'un traumatisme perforant, la nécessité de restauration des espaces après athalamie (affaissement de la chambre antérieure de l'oeil) voit son pronostic considérablement amélioré par l’utilisation d’une substance viscoélastique cohésive (PHOTO 3) [6]. En général, la substance visco-élastique ne peut pas être entièrement retirée en fin d’intervention, ce qui limite le choix à une substance viscoélastique cohésive à haut poids moléculaire.

• Qu’elle soit post-traumatique ou post-inflammatoire (uvéite), la séclusion pupillaire est une complication majeure de l’inflammation du segment antérieur [8]. La chirurgie de restauration par libération instrumentale des synéchies postérieures se complique généralement par des hémorragies de l’iris ou par des lésions de la capsule antérieure du cristallin, qui aggravent considérablement la situation initiale. La “viscochirurgie” réalisée à l’aide d’une substance visco-élastique mixte permet, dans une large mesure, d’améliorer le pronostic en permettant une libération atraumatique et durable des synéchies récentes (voir le TABLEAU complémentaire “Comparatif de substances visco-élastiques utilisées lors de chirurgie du segment antérieur” sur planète-vet).

Chirurgie du glaucome

• Les différentes techniques de chirurgie filtrante, trabéculectomie ou sclérectomie profonde, bien que peu utilisées ou abandonnées en ophtalmologie vétérinaire, peuvent être optimisées par l’utilisation de substances visco-élastiques réticulées qui permettent de maintenir les espaces de filtration intrascléraux. L’injection de substance visco-élastique dans le canal de Schlemm est également utilisée chez l’homme (“viscocanalostomie”) [4].

• Lors de la mise en place d’un shunt conjonctivo-camérulaire, il est nécessaire de créer un espace sous-conjonctival qui permet la résorption de l’humeur aqueuse et le contrôle de la fibrose cicatricielle rétrograde. Les substances visco-élastiques réticulées, associées ou non à des antimitotiques cytostatiques (5-fluorouracil(1)), permettent le contrôle des “bulles de filtration” sous-conjonctivales, par la création d’un volume rempli de substances visco-élastiques à longue rémanence (huit à douze mois).

Chirurgie plastique

• L’utilisation des substances visco-élastiques aux fins de comblements tissulaires à visée esthétique est récente (1995) et correspond à l’abandon progressif des substances prothétiques non résorbables (silicones en particulier). Dans le même temps, l’amélioration de la réticulation et les procédés de réticulation en 3D permettent d’augmenter les effets de volume, comme la rémanence qui dépasse couramment les douze mois. Ces substances viscoélastiques ont des concentrations en hyaluronate de sodium de 1,8 à 2,4 %, avec des réticulations complexes en trois dimensions (Cohesive Polydensified Matrix) : gamme Esthélis® des Laboratoires Antéis, et gamme Surgiderm® des Laboratoires Cornéal. Ces produits ont été utilisés dans la correction des annexes, en présence de facteurs limitants l’indication chirurgicale.

• Chez le très jeune sujet, notamment dans les races prédisposées (shar-peï), le traitement chirurgical de l’entropion est compliqué à évaluer. La mise en place de fils de traction destinés à limiter le blépharospasme reste une technique empirique aléatoire. Une alternative à la chirurgie précoce de l’entropion consiste en l'injection d’acide hyaluronique réticulé sous la conjonctive bulbaire juxtalimbique, ce qui redresse la paupière et éloigne les cils de la cornée. Le spasme douloureux comme le risque d’ulcération cornéenne sont ainsi éliminés. Le traitement chirurgical peut alors être reporté à la fin de croissance, ou même devenir inutile par la disparition de l’indication.

• Dans tous les cas pour lesquels un effet de volume est recherché, une substance visco-élastique cohésive réticulée peut être injectée sous les plans conjonctivaux, cutanés ou dans le derme. Ces substances seules ou en adjuvants de la chirurgie des annexes ont été utilisées lors d'entropions complexes, de délabrements palpébraux (morsures), et dans plusieurs cas de rétraction cicatricielle, sans noter d’intolérance locale ou générale. La rémanence des produits, jugée sur l’aspect macroscopique et biomicroscopique, a toujours été supérieure à dix mois.

Les substances viscoélastiques sont des adjuvants incontournables de la chirurgie ophtalmologique. Leurs diverses propriétés représentent autant de facteurs d’amélioration du pronostic chirurgical.

  • (1) Médicament à usage humain.

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