De “rédhibitoire”, le vice devient “caché” à quelques heures près - Le Point Vétérinaire n° 263 du 01/03/2006
Le Point Vétérinaire n° 263 du 01/03/2006

VICE REDHIBITOIRE OU VICE CACHÉ

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LÉGISLATION

Auteur(s) : Philippe Tartera

Fonctions : 6, impasse Salinié, 31100 Toulouse

Vendu en incubation de la maladie de Carré, un chien meurt deux jours plus tard. L’acheteur saisit le tribunal 31 jours après. Trop tard !

1. Les faits : Mortel Noël

Le 23 décembre 2001, M. Acheteur achète un chiot à M. Vendeur. Ce chiot semble alors en bonne santé. Il meurt toutefois le 25 décembre de la maladie de Carré. Selon le certificat établi par le Dr Véto, il apparaît certain que, compte tenu du délai d’incubation de cette maladie infectieuse, le chiot en était porteur avant la date de l’achat.

Le 23 janvier 2002, M. Acheteur intente une action à l’encontre du vendeur auprès du tribunal d’instance. Le tribunal remarque, dans un premier temps, que la demande de M. Acheteur ne peut pas être accueillie sur le fondement des dispositions du code rural. En effet, le délai pour agir en matière de vices rédhibitoires est de 30 jours : il courait à compter du 24 décembre 2001 et expirait donc le 22 janvier 2002. La demande, datée du 23 janvier, est donc prescrite. M. Acheteur ayant, par ailleurs, invoqué les dispositions du code civil (article 1641), le tribunal fait quand même droit à sa demande en considérant que le chiot était de toute évidence affecté d’un vice caché le jour de la vente. Par jugement rendu le 14 mai 2003, il condamne M. Vendeur à payer la somme de 786 € à M. Acheteur.

2. Le jugement : Rédhibition cassée

M. Vendeur se pourvoit en cassation. Il souligne que l’action en garantie dans les ventes d’animaux domestiques est régie, à défaut de conventions contraires, par les articles L. 213-1 et suivants du code rural, et que, en se fondant sur l’article 1641 du code civil, le tribunal a violé ce texte par fausse application et l’article L. 213-1 du code rural par refus d'application.

Par arrêt du 12 juillet 2005, la Cour de cassation affirme en effet qu’en statuant sur la base de l’article 1641 du code civil, alors que l'action en garantie dans les ventes d'animaux domestiques est régie, à défaut de convention contraire non invoquée en l'espèce, par les dispositions du code rural, le tribunal a violé les textes susvisés par refus d'application. La Cour casse et annule le jugement rendu par le tribunal d'instance, déclare que l’action de M. Acheteur est irrecevable et qu’il n’y a pas lieu de renvoyer les parties vers une autre juridiction.

3. Pédagogie du jugement : Les règles du droit contre l'esprit du droit

Dans le droit commun, la garantie des vices ou défauts cachés de la chose vendue est prévue par l’article 1641 du code civil. Pour bénéficier de l’application de cette garantie, l’acheteur doit prouver que le vice est grave (le défaut doit rendre la chose impropre à l’usage auquel elle était destinée), qu’il est forcément antérieur à la vente et qu’il ne pouvait pas être décelé.

Les animaux relèvent d’un régime particulier, celui dit des « vices rédhibitoires », prévu par les articles L. 213-1 et suivants du code rural. L’acheteur est dispensé de prouver la gravité du vice, son antériorité à la vente et son caractère caché. La constatation de son existence suffit pour que la vente puisse être résolue.

Ces dispositions ne sont favorables aux acheteurs d’animaux qu’en apparence. Le vice en cause doit obligatoirement appartenir à une liste limitative fixée par la loi. En outre, la procédure est encadrée dans des délais très contraignants. Dans le cas de la maladie de Carré, les premiers symptômes doivent être constatés par un vétérinaire dans un délai de huit jours après la livraison de l’animal. C’était bien le cas dans cette affaire. Mais le délai pour engager la procédure devant le tribunal n’est que de trente jours après la livraison. Il commence à 24 heures le jour de la livraison et s’achève à 24 heures trente jours plus tard. La demande de M. Acheteur a donc été déposée quelques heures trop tard pour pouvoir être accueillie. Elle a été rejetée sans état d’âme par le tribunal, et à bon droit selon la Cour de cassation.

Cependant, le code rural a prévu qu’acheteurs et vendeurs puissent convenir de déroger à ses dispositions. Ils se replacent alors dans les conditions de la garantie de droit commun du code civil. L’acheteur doit prouver la gravité du vice, son antériorité à la vente et son caractère caché, mais son action n’est pas limitée aux maladies listées par le code rural et il dispose de délais moins contraignants. Il doit agir dans un délai de deux ans à compter du jour où il a eu connaissance du vice(1).

De 1977 à 2000, la jurisprudence s’est montrée assez favorable aux acheteurs. La Cour de cassation estimait souvent que la « convention contraire », par laquelle acheteur et vendeur auraient entendu déroger à la législation spécifique des vices rédhibitoires des animaux, était implicite et se déduisait soit de la race de l’animal, soit du prix de vente, soit de toute autre considération. La garantie des vices cachés au sens large était donc presque toujours ouverte aux acheteurs d’animaux. Cette période permissive s’est brusquement terminée le 6 mars 2001 et, depuis cette date, en l’absence de convention contraire explicite dûment constatée par les tribunaux, la Cour de cassation refuse catégoriquement toute entorse à la procédure des vices rédhibitoires.

Dans cette affaire, M. Acheteur a incontestablement acquis un chien en incubation de la maladie de Carré. L’esprit du droit aurait dû lui permettre d’en obtenir le remboursement. Les règles du droit l’en ont empêché.

  • (1) Ce délai de deux ans, récemment institué, se substitue à l’ancien « bref délai » autrefois en vigueur, qui laissait place à trop de marges d’appréciation.Il ne concerne que les ventes intervenues après le 17 février 2005.

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