Conduite à tenir lors d’hypernatrémie - Le Point Vétérinaire n° 261 du 01/12/2005
Le Point Vétérinaire n° 261 du 01/12/2005

TROUBLES ÉLECTROLYTIQUES CHEZ LE CHIEN ET CHEZ LE CHAT

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CONDUITE À TENIR

Auteur(s) : Julien Loup*, Céline Pouzot**, Isabelle Goy-Thollot***, Jean-Marie Bonnet****

Fonctions :
*15, avenue du Nord, 69160
Tassin-la-demi-lune
**ENVL-SIAMU
***ENVL-SIAMU
****ENVL-Unité de physiologie,
1, avenue Bourgelat, BP 83,
69280 Marcy-l’Étoile

L’hypernatrémie est un déséquilibre grave qui peut être fatal. La réalisation d’un bilan ionique, de plus en plus courante en soins intensifs, permet d’identifier ce déséquilibre complexe.

Le sodium est l’ion majoritaire du liquide extracellulaire, son pouvoir osmotique lui confère un rôle fondamental dans la répartition de l’eau entre chaque secteur (intravasculaire, interstitiel et intracellulaire). Dans les conditions physiologiques, la régulation de l’équilibre hydrosodé par le rein permet d’équilibrer les pressions osmotiques des différents milieux et les flux d’eau sont ainsi quasiment nuls.

Cependant, le sodium est l’ion qui subit le plus d’échanges avec le milieu extérieur (tube digestif, glandes sudoripares, reins, etc.) et ses variations sont ainsi fréquemment observées.

Ainsi, l’hypernatrémie est définie par des concentrations plasmatiques en sodium supérieures à 156 mEq/l chez le chien et 161 mEq/l chez le chat [1].

Première étape : suspecter une hypernatrémie

1. Suspicion étiologique

Il existe trois causes principales à l’origine d’une hypernatrémie (voir le TABLEAU “Principales causes d’hypernatrémie;”) [2, 3, 5].

Un déficit en eau pure

Un déficit en eau pure peut être consécutif à une perte d’eau pure, rénale ou extrarénale, ou à un déficit d’apport d’eau pure.

• Une perte d’eau pure d’origine rénale est associée à un déficit de production hypophysaire d’ADH (diabète insipide central), à un déficit de sensibilité des récepteurs tubulaires à l’ADH (diabète insipide néphrogénique primaire, ou secondaire par exemple lors de pyomètre, ou une association des deux).

• Une perte d’eau pure d’origine extrarénale peut avoir pour source l’appareil respiratoire (halètement) ou les grandes cavités lors de chirurgies invasives. Elle peut également être provoquée par de l’hyperthermie.

• Un défaut d’apport d’eau pure est généralement dû à des lésions hypothalamiques qui entraînent une altération des mécanismes de déclenchement de la soif, comme c’est le cas lors d’une hypodypsie primaire. Il peut également être provoqué par un défaut d’accès à l’eau, particulièrement dangereux chez les animaux qui souffrent de diabète insipide.

Une perte de liquide hypotonique

Une perte de liquide hypotonique peut être due à des pertes digestives (vomissements, diarrhée), rénales (diurèse osmotique, insuffisance rénale chronique, polyurie de levée d’obstacle ou hypocorticisme) ou encore à la formation d’un troisième secteur (formation d’un compartiment liquidien autre que les deux secteurs intra et extra cellulaires).

Un apport excessif de sodium

L’apport excessif de sodium est la cause d’hypernatrémie la plus rare. Elle regroupe l’intoxication au sel, la perfusion de grandes quantités de sodium (solution hypertonique de sodium, bicarbonate de sodium par exemple) ou encore (exceptionnellement) l’hyperaldostéronisme primaire dû à une tumeur minéralosécrétante du cortex surrénalien.

2. Suspicion clinique

Les signes cliniques associés à une hypernatrémie sont les mêmes quelle que soit la cause. L’hyperosmolarité due à l’hypernatrémie induit un mouvement d’eau du système intracellulaire vers le système extracellulaire. Les cellules nerveuses étant les plus sensibles à cette déshydratation intracellulaire, les symptômes nerveux prédominent, avec l’apparition d’une dépression, d’une léthargie, d’un changement comportemental, d’épisodes de rigidité ou de faiblesse musculaire, de trémulations, d’ataxie puis de convulsions qui peuvent aboutir à un coma ou à la mort de l’animal.

La gravité des symptômes varie en fonction de la valeur de l’hypernatrémie et surtout de la rapidité de l’installation de cette dernière. Les signes neurologiques apparaissent lorsque la natrémie dépasse 170 mEq/l chez le chien.

L’hyperosmolarité plasmatique entraîne en outre une déshydratation cellulaire qui affecte l’ensemble des organes de l’animal. Les plus sensibles après le système nerveux central sont le cœur (avec surajouts de troubles de la polarité membranaire des myocytes), le tube digestif, le foie et les reins [3].

Deuxième étape : diagnostiquer l’hypernatrémie

La détermination de la natrémie se fait facilement par la réalisation d’un ionogramme plasmatique ou sérique (PHOTO 1).

Le recueil des commémoratifs, l’évaluation de la volémie et de l’état d’hydratation et la réalisation d’un bilan biologique qui comprend une mesure de la glycémie, de l’urémie, de la créatinémie permettent de suspecter une hyperatrémie. La mesure de la densité, voire de l’osmolarité urinaire (méthode très précise d’évaluation de la densité urinaire réservée actuellement aux centres équipés d’osmo­mètres) et la mesure de l’osmolarité plasmatique sont également utiles.

La cause de l’hypernatrémie peut être suspectée en évaluant le statut volumique de l’animal. Le diagnostic causal de l’hypernatrémie peut donc être orienté par l’évaluation de la volémie.

• Si l’animal est hypovolémique (muqueuses pâles, pouls faible, augmentation du temps de recoloration capillaire, pression artérielle basse), l’hypernatrémie est probablement liée à une perte en fluides hypotoniques.

• Si l’animal est normovolémique, l’hypernatrémie est certainement due à une perte en eau pure ou à un défaut d’apport en eau.

• Si l’animal est hypervolémique (voir l’ENCADRÉ “Signes d’une surcharge volumique”), l’hypernatrémie est certainement due à un apport excessif en sodium (intoxication au sel par exemple) [1, 3, 5].

Troisième étape : traiter l’hypernatrémie

Les hypernatrémies sévères (supérieures à 170 mEq/l) sont des urgences graves, dont le pronostic est réservé. L’objectif est de corriger la natrémie, de traiter les troubles de la volémie (hyper ou hypovolémie) et de normaliser la pression osmotique tout en traitant la cause sous-jacente. La cinétique de correction de la natrémie doit être proportionnelle à la cinétique d’installation de l’hypernatrémie. Par exemple, si la natrémie augmente rapidement après l’ingestion d’une grande quantité de sel, la natrémie peut être diminuée rapidement [2, 5].

1. Normalisation de la natrémie : principe de base

La fluidothérapie est l’outil clé du traitement de l’hypernatrémie. La conduite thérapeutique repose sur le choix du soluté (PHOTO 2) mais surtout sur l’adaptation de la fluidothérapie à la diminution de la natrémie : le principe de base est ne pas diminuer la natrémie de plus de 0,5 à 2 mEq/l/h afin d’éviter tout risque d’œdème cérébral lié aux mouvements d’eau du milieu extracellulaire vers le milieu intracellulaire cérébral.

Cette cinétique est difficile à anticiper, à mettre en pratique, et à suivre. Une formule a été proposée pour simplifier l’évaluation des modifications de la natrémie et anticiper les effets d’un litre de perfusion sur la natrémie (voir l’ENCADRÉ “Formule d’évaluation des modifications de la natrémie”) [4].

2. Correction d’une hypernatrémie due à un déficit en eau pure

Lors d’un déficit en eau pure, la quantité de sodium reste identique, seule la natrémie augmente. Un déficit en eau pure est défini comme la quantité d’eau pure nécessaire à restaurer une normonatrémie. La natrémie ne doit pas être diminuée de plus de 0,5 mEq/l/h si l’hypernatrémie est d’installation lente (plus d’un ou de deux jours). Une formule permet de calculer ce déficit en eau pure (voir l’ENCADRÉ “Formule de calcul du déficit en eau pure;”) [1, 4].

3. Correction de l’hypernatrémie due à des pertes de liquides hypotoniques

L’hypovolémie induite par des pertes de liquides hypotoniques est plus marquée que la précédente. L’animal doit être perfusé à l’aide d’un fluide permettant une restauration rapide de la volémie. Du NaCl 0,9 % ou du Ringer-lactate peuvent être utilisés.

La même vigilance sur la diminution de la natrémie doit être observée et les formules précédentes peuvent être utilisées [1, 3].

4. Correction de l’hypernatrémie due à un gain de sodium

Dans le cas d’une hypernatrémie due à un apport excessif de sodium, les signes cliniques sont d’apparition aiguë et la volémie peut être normale ou augmentée. Le soluté de choix est le glucose 5 %. La fluidothérapie doit être raisonnée car les risques de surcharge volumique sont élevés. Il est conseillé de surveiller la volémie cliniquement (voire en mesurant la pression veineuse centrale). L’utilisation de diurétiques de l’anse (furosémide, 1 à 2 mg/kg, par voie intraveineuse) est à ajouter au traitement afin de diminuer la volémie tout en augmentant l’élimination du sodium. Dans le cas d’hypernatrémie d’installation aiguë, la natrémie peut être diminuée au rythme de 2 mEq/l/h [3].

5. Maintien de la natrémie après correction et traitement causal particulier

Si aucune affection sous-jacente n’est présente, la fluidothérapie est maintenue jusqu’à la stabilisation de la natrémie.

Si l’animal est atteint d’un diabète insipide central, un traitement à base de desmopressine est conseillé (une à deux gouttes dans chaque œil toutes les huit à vingt-quatre heures).

Les diurétiques thiazidiques peuvent également être utiles en stimulant la réabsorbtion d’eau et de sodium au niveau du tubule rénal proximal (chlorothiazide , 20 à 40 mg/kg/j, ou hydrochlorothiazide(1), 2,5 à 5 mg/kg, deux fois par jour).

Un régime restreint en sodium et en protéines est parallèlement conseillé [a, 4].

L’hypernatrémie est un déséquilibre ionique grave qui peut être fatal chez le chien et chez le chat. Son traitement est difficile et doit être adapté en permanence à la diminution de la natrémie plasmatique. En effet, les complications liées au traitement peuvent être tout aussi dramatiques (œdème cérébral, surcharge volumique). La prise en charge des animaux hypernatrémiques est donc délicate et nécessite un suivi régulier de la natrémie, du statut neurologique et idéalement, quand le matériel nécessaire est disponible, de la volémie par mesure de la pression veineuse centrale.

Signes d’une surcharge volumique

Symptômescliniques : agitation, altération du statut mental, tachypnée, tachycardie, vomissements, diarrhée, polyurie, œdèmes sous-cutanés et/ou pulmonaires.

Suivi de la pression veineuse centrale : supérieure à 2 cm d’H2O.

Suivi de la diurèse : lorsque celle-ci est < 2 ml/h après quatre heures de correction de déshydratation.

Formule de calcul du déficit en eau pure

Déficit en eau pure = [0,6 x poids x natrémie] / natrémie souhaitée] - 1

Les valeurs de natrémie sont exprimées en mEq/l et le poids vif de l’animal est exprimé en kg.

Grâce à cette formule, le rythme d’administration de la perfusion peut être ajusté de manière plus objective. À ce déficit en eau pure doivent aussi s’ajouter les éventuelles pertes en fluides hypotoniques et les fluides d’entretien. Le soluté choisi alors est le glucose 5 % car il est métabolisé rapidement ce qui revient à perfuser de l’eau pure. Malgré ces formules, l’évolution de la natrémie n’est pas facile à prévoir.

Exemple : Un chat de 4,5 kg atteint de gastro-entérite présente une hyper natrémie de 181 mmol par litre s’étant développée dans les dernières quarante-huit heures. Au moment du ionogramme, la déshydratation est estimée à 8 % (fondée sur une perte de poids de 350 g un PVC de 58 % et une urée de 40 mmol/l). Un profond abattement et des signes de fasciculations musculaires sont observés. En utilisant la formule évoquée précédemment, le déficit en eau pure est estimé à deux litres. Si le plan de fluidothérapie est calqué sur un débit d’entretien (2 ml/kg/h) associé à la correction de déshydratation (environ 3,3 ml/kg/h), le rythme est de 5,3 ml/kg/h de glucose 5 %, ce qui revient à une cinétique de diminution de la natrémie d’environ 0,25 mEq/l/h. Le rythme de perfusion des deux litres de glucose 5 % peut donc être multiplié par deux en toute sécurité.

Formule d’évaluation des modifications de la natrémie

Modification de la natrémie

([Na+]liquide de perfusion - Natrémie)/((Poids x 0,6)+1). [Na+]liquide de perfusion est la concentration en sodium du liquide de perfusion et s’exprime en mEq/l ; Natrémie est la valeur de la natrémie de l’animal exprimée en mEq/l et le poids vif de l’animal est exprimé en kg.

Exemple : un chien de 30 kg est présenté en urgence après l’ingestion d’une grande quantité de sel. Le ionogramme révèle une natrémie de 180 mmol/l ; la correction de l’hypernatrémie est entreprise immédiatement à l’aide d’un soluté de type glucose 5 % au rythme de 4 ml/kg/h. D’après la formule évoquée précédemment, un litre du soluté utilisé, ne contenant pas de sodium, permet une diminution de 9,5 mEq/l. Le rythme entrepris permet donc une diminution de la natrémie d’environ 1,1 mEq/l/h cinétique raisonnable afin de prévenir toute complication.

La natrémie doit être vérifiée toutes les une à deux heures en début d’évolution, jusqu’à une stabilisation globale.

Congrès

a - DiBartola SP. Disorders of sodium : hypernatraemia and hypomatreamia. In Proceedings of AAFP/ESFM Symposium at WSAVA Congress. J. of feline Med. Surg. 2001 ; 3 : 185-187.

  • 1 - Dibartola SP. Fluid Therapy. In Small Animal Practice. Ed IIWB Saunders, Philadelphia. 2000:611 p.
  • 2 - Hardy RM. Hypernatremia. Vet. Clin. North Am. Small Anim. Pract. 1989;19(2):231-240.
  • 3 - Goy-Thollot I, Pouzot C, Chambon M et coll. Déséquilibres de l’équilibre hydrosodé chez le chien et le chat en soins intensifs, Rev. Méd. Vét. (soumis pour publication).
  • 4 - Macintire DK, Drobatz KJ, Haskins SC et coll. Small Animal Emergency and Critical Care Medicine. Lippincott Williams&Williams, Philadelphia, Baltimore. 2005:516 p.
  • 5 - Marks SL, Taboada J. Hypernatremia and hypertonic syndromes. Vet. Clin. North Am. Small Anim. Pract. 1998;28(3):533-543.
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