Dysrythmie et traumatisme thoracique - Le Point Vétérinaire n° 259 du 01/10/2005
Le Point Vétérinaire n° 259 du 01/10/2005

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CARDIOLOGIE

Auteur(s) : Jean-François Rousselot*, Daniel Hervé**

Fonctions :
*414 A, chemin des Canniers, Quartier Lagoubran, 83190 Ollioules
**61 rue Émile-Raspail, 94110 Arcueil

Un chien mâle de type griffon âgé de deux ans et quatre mois, pesant 18 kg, présente une fracturede l'humérus gauche après un accident sur la voie publique.

L'examen clinique montre un animal en bon état général. Le membre antérieur gauche, très douloureux, est en suppression d'appui, avec un hématome volumineux qui s'étend du tiers inférieur du bras au tiers supérieur de l'avant-bras. Les muqueuses sont pâles, le temps de recoloration capillaire n'est pas allongé. La palpation du choc précordial indique une fréquence cardiaque moyenne de 150 à 160 coups/minute, avec des alternances de phases rapides et lentes. Lors des phases rapides, le rythme est régulier. Lorsque la fréquence diminue, une irrégularité attribuée à une arythmie sinusale respiratoire apparaît. Le choc précordial et le pouls fémoral sont d'intensité normale et concor­dants. La courbe respiratoire est normale. Une tachypnée relative est observée, majorée par intermittence en raison probablement de la douleur.

L'auscultation cardiaque confirme la fréquence cardiaque de 150 à 160 sans bruit surajouté.

L'auscultation pulmonaire ne révèle pas de bruits adventices, ni de crépitations du tissu conjonctif sous-cutané qui pourraient traduire un emphysème sous-cutané.

Examens complémentaires

Des examens complémentaires sont réalisés : un hémogramme (pour vérifier l’absence d’hémorragie et d’anomalie des plaquettes sanguines), un électrocardiogramme (préalable à l’anesthésie), des radiographies (pour explorer la lésion osseuse et surtout pour vérifier l’intégrité des champs pulmonaires, l’absence de contusions, d’épanchement, etc.) et une échocardiographie (pour vérifier l’absence de lésions myocardiques liées au traumatisme).

L’hémogramme montre une discrète diminution de l’hématocrite et des thrombocytes.

L’électrocardiogramme révèle un rythme sinusal avec une fréquence de 160 bpm, à la limite de la tachycardie mais sans anomalie morphologique. La repolarisation est normale (TRACÉ 1).

Des radiographies thoraciques en vues de face et de profil montrent une silhouette cardiaque de taille modérément diminuée, conséquence probable d’une hypovolémie relative. Des densifications assez circonscrites sont en revanche visibles dans les champs pulmonaires en région ventrale du lobe caudal gauche (RADIOGRAPHIES 1 ET 2). Ces images, du côté du traumatisme osseux, évoquent une lésion pulmonaire parenchymateuse. Il existe une fracture du tiers inférieur de la diaphyse humérale.

L’échocardiographie met en évidence la taille réduite du cœur, mais pas de lésion myocardique (hématome, dilacération tissulaire, dyskinésie segmentaire). Il n’existe pas d’épanchement thoracique ni péricardique, ce qui exclut l’existence d’une hémorragie.

Diagnostic et pronostic

Une fracture diaphysaire humérale gauche, avec un déplacement marqué, est associée à un volumineux hématome localisé et à une contusion pulmonaire du lobe caudal gauche.

Le pronostic est favorable et un traitement chirurgical est programmé après une période d’observation fixée à 24 heures.

Traitement

Un traitement antalgique est administré (100 ìg/kg de morphine(1) toutes les huit heures). Le chien est mis en observation, confiné en cage, afin de vérifier la stabilité des lésions pulmonaires et l’absence de troubles du rythme cardiaque, qui peuvent apparaître assez longtemps après un éventuel traumatisme cardiaque.

L’état du chien se maintient et l’intervention chirurgicale de réduction de la fracture humérale est entreprise. L’induction de l’anesthésie est effectuée avec du propofol (Rapinovet®, 6,5 mg/kg) et relayée par de l’isoflurane. Un monitorage est mis en oeuvre et l’électrocardiogramme affiche très vite un tracé perturbé, avec une série de modifications successives.

Le tracé sinusal de base, d’une fréquence de 150 bpm, laisse d’abord la place à un tracé caractérisé par une fréquence plus lente (120 bpm), un rythme très régulier et des complexes élargis (TRACÉ 2). Aucune onde P n’est visible, mais des complexes sinusaux surviennent de temps à autre de façon inopinée. Il s’agit de complexes de capture. La fréquence varie peu et elle est compatible avec une performance hémodynamique peu modifiée. Il s’agit d’une tachycardie ventriculaire lente ou rythme idio-ventriculaire actif (RIVA). Cette anomalie perdure pendant toute l’intervention et disparaît dans les minutes qui suivent l’arrêt de l’inhalation d’isoflurane.

Un traumatisme myocardique ventriculaire non objectivé lors des examens complémentaires initiaux est fortement suspecté et fait redouter la survenue d’autres troubles ventriculaires. Des électrocardiogrammes sont donc effectués toutes les heures. Trois heures après la fin de l’intervention, les complexes visualisés au cours du monitorage peropératoire réapparaissent. Cette fois, une onde P les précède parfois (TRACÉ 3), mais sans rapport avec les dépolarisations ventriculaires. Les variations de morphologie des complexes sont également plus grandes. Il s’agit d’un rythme de fusion entre le rythme sinusal et un rythme ventriculaire qui prend son origine dans le coeur droit (extrasystoles ventriculaires droites). La durée des épisodes de dysrythmie est très variable.

Comme la fréquence est lente (100 à 110 bpm), aucune intervention thérapeutique anti-arythmique n’est envisagée. Le traitement médical postopératoire a consisté en l’administration d’un antalgique (morphine(1), 100 µg/kg trois fois par jour), et d’un antibiotique (le même qu’en peropératoire : céfalexine, 40 mg/kg/j en deux prises). Une corticothérapie de courte durée est en outre administrée (200 µg/kg par voie sous-cutanée de dexaméthasone toutes les six heures) afin de “lutter” contre un probable processus inflammatoire myocardique.

Évolution

Ces troubles paroxystiques se manifestent encore plusieurs heures, puis disparaissent totalement après quarante-huit heures.

Discussion

Les tachycardies ventriculaires lentes ou rythmes idio-ventriculaires accélérés (fréquence moyenne de l’ordre de 100 à 150 bpm) peuvent avoir des fréquences de décharges fixes ou variables d’une crise à l’autre, ce qui rend leur “lecture” parfois difficile. Elles donnent très souvent naissance à des tachycardies ventriculaires rapides. Le nombre de fusions au début et à la fin des crises est elevé, ce qui est fréquement observé lorsque les fréquences des dépolarisations de la tachycardie ventriculaire et du rythme sinusal sont proches.

En raison de leur fréquence peu élevée, typique du RIVA, et de leur survenue tardive, les arythmies observées peuvent être imputées à un foyer ectopique. Il existe une augmentation de l’automatisme d’une zone du tissu de Pürkinje ventriculaire. La genèse de ces tachycardies tardive ne fait pas intervenir de mécanisme de réentrée. Ces faits ont été confirmés expérimentalement car une occlusion coronaire brutale génère des arythmies ventriculaires par des phénomènes de réentrée dans les premières heures alors que celles qui surviennent, pour la même zone tissulaire, au-delà de la vingtquatrième heure, sont dues à une augmentation locale de l’automatisme.

Dans le cas décrit, une contusion du myocarde ventriculaire a probablement eu lieu lors de l’accident. Ces conséquences macroscopiques n’ont cependant pas été décelées par les examens entrepris. Des lésions des myocytes sont néanmoins certainement à l’origine d’un hyper-automatisme du tissu de Pürkinje ventriculaire, donc de la dysrythmie. Le dosage de la troponine I aurait probablement permis de mettre en évidence un processus inflammatoire musculaire.

Un traitement anti-arythmique en cas de RIVA n’est pas justifié car la fréquence est normale et ne perturbe pas le débit cardiaque. L’administration d’un corticoïde permet en revanche de limiter la réaction inflammatoire et les risques de tachycardie ventriculaire soutenue. Le risque de survenue de troubles du rythme ventriculaire post-traumatique persiste pendant au moins quarante-huit heures.

  • (1) Médicament à usage humain.

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