Diagnostic et traitement de la cheyletiellose - Le Point Vétérinaire n° 257 du 01/07/2005
Le Point Vétérinaire n° 257 du 01/07/2005

PARASITOLOGIE CANINE ET FÉLINE

Se former

COURS

Auteur(s) : Anne Thebault

Fonctions : Brécihan
35290 Saint-Onen-la-chapelle

La cheyletiellose est une affection souvent sous-diagnostiquée chez le chien et chez le chat. Cette dermatozoonose nécessite un diagnostic précoce pour permettre la mise en place d’un traitement long, mais efficace.

Le terme de “pseudo-gale” regroupe des dermatoses parasitaires provoquées par des acariens non psoriques, notamment la cheyletiellose, la trombiculose et la dermatite à Dermanyssus gallinae. La contagion de l’animal à l’homme ne se produit que pour la cheyletiellose, tandis que pour Trombicula et, dans une moindre mesure, Dermanyssus, une infestation de l’homme n’est possible qu’à partir du milieu extérieur.

La cheyletiellose affecte les chiens, les chats et les lapins (voir l’ENCADRÉ “La cheyletiellose chez le lapin”). Après un rappel de la biologie des parasites responsables de la cheyletiellose, l’épidémiologie, la symptomatologie, les éléments du diagnostic et le traitement de cette affection sont décrits.

Les parasites responsables de la cheyletiellose

Trois espèces sont responsables de la cheyletiellose chez les animaux domestiques [2, 17, d] (voir l’ENCADRÉ “Classification des trois espèces responsables de Cheyletiollose”) :

Le cycle biologique des Cheyletiella se déroule entièrement sur l’hôte et dure cinq semaines (voir la FIGURE “Cycle biologique de Cheyletiella yasguri”). Les femelles adultes pondent des œufs fixés à la base des poils. Après leur éclosion, les larves passent par deux stades nymphaux successifs avant de devenir des adultes. Ces derniers sont des parasites mobiles qui vivent environ quatorze jours à la surface de la peau, généralement fixés aux poils par leurs pédipalpes, parmi les débris cutanés dont ils se nourrissent. Ils se nourriraient également de fluides (lymphe et sang) qu’ils ingèrent en piquant l’épiderme. Selon certains auteurs, ils pourraient percer l’épiderme et creuser des poches ou des pseudo-tunnels dans la couche cornée. Ils peuvent occasionner des lésions par abrasion de la surface de l’épiderme à l’aide de leurs pièces buccales.

Leur survie dans l’environnement serait de deux jours pour les mâles et de sept jours pour les femelles et les nymphes, et pourrait être beaucoup plus longue (jusqu’à douze semaines) dans certaines conditions favorables (température basse, hygrométrie élevée, faible luminosité) [2, 8, 18, 19].

Épidémiologie

En France, les cheyletielloses du chien et du chat seraient plus fréquentes dans le Nord. Elles sont considérées comme étant en extension, mais cela est difficile à vérifier car le diagnostic n’est pas toujours établi avec précision. Cette parasitose est toutefois sous-estimée car de nombreux cas sont traités avec succès par des antiparasiterais divers, en l’absence de diagnostic [2]. Dans les pays comme le Canada, où les puces sont rares en raison des hivers longs et rigoureux, la cheyletiellose est l’un des principaux motifs de consultation en dermatologie canine et féline.

La cheyletiellose se manifeste essentiellement chez les jeunes animaux (âgés de moins d’un an) et chez ceux qui vivent en groupe. Les adultes peuvent présenter un portage asymptotique [6].

Cette parasitose est difficile à éradiquer dans les lieux de vie en collectivité (chatterie, chenil, animalerie, etc.) en raison de la possible longévité du parasite dans le milieu extérieur [b].

Les chats de race persane sont prédisposés à la cheyletiellose [10]. Ils sont en outre particulièrement difficiles à traiter en raison de la longueur de leurs poils. Selon certains auteurs, quelques races de chiens, telles que les boxers, les caniches, les yorkshire-terriers, les bichons et les cockers, seraient également prédisposées [6].

Les mâles et les femelles sont affectés de façon équivalente.

La transmission de la cheyletiellose s’effectue par contact direct avec un animal infesté ou par l’intermédiaire du matériel de brossage ou de la litière. Certaines Cheyletiella ont été trouvées chez d’autres ectoparasites tels que les mouches ou les puces [2, 18]. La transmission à l’homme se fait principalement par des contacts étroits et répétés avec un animal infesté.

Étude clinique

Chez le chien et chez le chat

L’intensité du prurit est variable : de faible, voire inexistant, à intense.

Les lésions sont généralement localisées au niveau de la région dorsolombaire et sur la tête. Elles se manifestent par un érythème modéré et un squamosis abondant (PHOTO 2). Des dépilations et des croûtes peuvent apparaître sur les zones de grattage.

Le réflexe otopodal est parfois positif, d’où la confusion possible avec la gale sarcastique [2]. Les lésions peuvent se compliquer d’une dermatite pyotraumatique [8].

Chez le chat, les symptômes sont souvent moins marqués. Des lésions papulo-croûteuses de dermatite miliaire peuvent toutefois se développer [6, 8].

La cheyletiellose reste parfois asymptotique, en particulier chez les chats.

Chez l’homme

La contamination humaine est fréquente et se manifeste par des lésions de type papuleux, très prurigineuses (PHOTO 3).

La localisation des lésions dépend des parties du corps en contact avec l’animal ou de son lieu de couchage : tronc (ceinture chez l’homme, base des seins chez la femme), bras, cuisses, voire visage chez certains propriétaires de chat dont l’animal dort sur l’oreiller [b].

Le prurit est intense mais disparaît, ainsi que les lésions, quelques jours après la guérison de l’animal car les Cheyletiella ne peuvent effectuer leur cycle biologique chez l’homme.

Examens complémentaires

L’épidémiologie et les symptômes ne permettent pas à eux seuls d’établir un diagnostic de certitude de cheyletiellose. Des examens complémentaires sont nécessaires pour mettre en évidence le parasite.

• Il est possible de saisir directement des squames à la pince afin de les examiner au microscope [3]. Des Cheyletiella ou leurs œufs peuvent être collectés en passant dans le pelage un peigne à dents serrées (11 dents/cm). Il suffit ensuite de poser la “récolte” sur une feuille de papier et de l’observer. Les Cheyletiella sont particulièrement visibles sur un papier noir : elles sont blanches et très mobiles (d’où leur appellation de “walking dandruffs” ou “squames marcheuses”) [2].

• Le raclage cutané superficiel est l’examen complémentaire le plus simple et le plus facile à réaliser. Les poils sont coupés autour de la lésion. Une goutte d’huile minérale (lactophénol, huile de paraffine, etc.) est déposée sur la lame d’examen. La lame du scalpel est trempée dans cette goutte d’huile. La peau est pressée entre le pouce et l’index pour extraire les éventuels parasites des follicules pileux. Elle est raclée avec la lame du scalpel avec un angle de 45°. Le raclage se fait toujours dans le même sens, de façon superficielle pour rechercher les Cheyletiella ou d’autres parasites superficiels. Le matériel est ensuite déposé sur la lame, éventuellement fractionné avec le scalpel, recouvert d’une lamelle et observé à la loupe ou au microscope. Il est essentiel de réaliser plusieurs raclages (au moins cinq, idéalement dix) [15]. Si les débris sont prélevés en trop grande quantité ou si l’infestation est faible, il peut être intéressant de réaliser une concentration, selon une technique inspirée de la flottaison des débris (voir l’ENCADRÉ “Techniques de concentration des débris issus du raclage”) [18].

Les Cheyletiella et leurs œufs peuvent également être recueillis par un scotch-test. Cet examen est intéressant dans cette indication car les débris épidermiques et les couches les plus superficielles de la peau sont ainsi récoltés. Il est nécessaire de choisir un ruban adhésif de qualité “cristal” afin de pouvoir regarder à travers. Le prélèvement est effectué à la base des poils et sur la peau desquamée. Le morceau d’adhésif est posé sur la lame, avec une goutte d’huile dessus et une en dessous. Le tout est recouvert d’une lamelle et observé à la loupe ou au microscope [2].

Selon certains auteurs, il est également possible de trouver des œufs de Cheyletiella dans les fèces des animaux infestés (tests de flottation classique). Ces œufs ne doivent pas être confondus avec des œufs de nématodes. Ils mesurent 250 µm de long sur 125 µm de large et sont de forme ovale. Les chats et les chiens s’infestent par le léchage des lésions. La recherche des œufs de Cheyletiella dans les fèces permettrait peut-être de détecter plus facilement les adultes porteurs asymptotiques [11].

Une nouvelle méthode de détection des œufs de Cheyletiella et du parasite lui-même a été proposée récemment. Cette technique dite d'“aspiration” consiste à passer l’aspirateur pendant environ cinq minutes sur tout le corps de l’animal, en insistant sur les lésions. L’embout est recouvert au préalable par deux membranes de papier afin de piéger le produit de l’aspiration. Les débris obtenus sont chauffés dans de la potasse, puis centrifugés. Le sédiment est observé au microscope. Cette technique donne de bons résultats [17].

Diagnostic différentiel

De nombreuses dermatoses sont responsables de prurit (voir le TABLEAU “Diagnostic différentiel des dermatoses prurigineuses chez le chien et chez le chat”). Le diagnostic différentiel est fondé sur plusieurs examens complémentaires, généralement réalisables au cabinet ou pratiqués par un laboratoire (histopathologie ou examens allergologiques in vitro) [9, a] :

- examen à l’œil nu, à la loupe ou au microscope : phtiriose, dermatophytoses, etc. ;

- raclages cutanés (jusqu’à la rosée sanguine) : gale sarcastique ou noto-édrique, démodécie, etc. ;

- examen en lumière de Wood : dermatophyties ;

- intradermo-réactions ou tests épicutanés : atopie, DAPP, allergie de contact, etc. ;

- dosage des IgG spécifiques : atopie, DAPP, etc. ;

- biopsie (histologie) : dermatophytoses, levuroses, etc. ;

- mise en culture : dermatophytoses, levuroses, etc. ;

- calque cutané : levuroses, etc. ;

- régime d’éviction : allergie alimentaire.

Comme la possibilité d’une contamination multiple ne doit pas être négligée, il convient de mettre en œuvre l’ensemble des examens complémentaires “de première intention” : raclages cutanés, examen en lumière de Wood, cultures mycologiques et calques cutanés. Ces examens, simples et peu coûteux, réalisés de façon méthodique, permettent le diagnostic rapide de la plupart des ectoparasitoses rencontrées en communauté (animalerie, refuge ou élevage) [1].

Traitement

Le traitement de la cheyletiellose, comme celui de toutes les parasitoses, est fondé sur une parfaite connaissance du cycle biologique du parasite, en particulier de sa possibilité de survie dans le milieu extérieur (c’est-à-dire en dehors de l’hôte habituel) et de sa contagiosité.

La stratégie thérapeutique doit tenir compte des paramètres suivants :

- le mode de vie de l’animal (intérieur et/ou extérieur) ;

- la présence d’autres animaux vivant au contact de l’animal malade (plus les animaux sont nombreux et plus l’éradication des Cheyletiella est difficile) 

- le degré de coopération de l’animal à traiter (chez un chat récalcitrant, une injection est plus facile à proposer qu’un shampooing) ;

- la rémanence des produits utilisés, qui détermine la fréquence d’application ;

- le budget et la disponibilité du propriétaire.

Tous les principes actifs acaricides sont efficaces contre ce parasite [3], mais aucun des produits disponibles n’a d’indication pour le traitement de la cheyletiellose (voir le TABLEAU “Principaux antiparasitaires utilisables chez le chien et chez le chat dans le traitement de la cheyletiellose”). L’utilisation de médicaments hors autorisation de mise sur le marché (AMM) doit faire l’objet d’un consentement éclairé de la part du propriétaire [6]. En outre, tout usage hors AMM d’une spécialité vétérinaire doit respecter les règles de la cascade européenne. Cet emploi reste sous la responsabilité du praticien. Pour être efficace, le traitement doit avoir pour cible tous les animaux atteints, mais aussi ceux dont la contamination est possible ainsi que l’environnement.

Il convient en particulier de traiter avec un produit acaricide le lieu de couchage de l’animal malade, ainsi que son matériel de brossage. Tout ce qui peut l’être est lavé à une température supérieure à 55 °C. Les mammifères au contact de l’animal infesté sont traités avec un acaricide approprié [6]. L’animal malade est revu à la fin du traitement pour s’assurer de l’absence de Cheyletiella ou de leurs œufs. Il est conseillé de prolonger le traitement médical trois à quatre semaines après la guérison clinique [6].

Quelques cas d’échec thérapeutique sont rapportés. Ils sont généralement dus [1, 13] :

- à une mauvaise application du traitement par le propriétaire ou à son arrêt trop précoce ;

- à la persistance de parasites dans le milieu extérieur, sources de recontamination ;

- au non-traitement des congénères ;

- peut-être à l’apparition d’une résistance (non démontrée à ce jour).

La cheyletiellose n’est pas une dermatose majeure chez les chiens et les chats, mais elle traduit souvent des mauvaises conditions d’élevage et d’hygiène, et la présence d’un agent pathogène très contagieux et potentiellement transmissible à l’homme. Un diagnostic rapidement établi permet la mise en place d’un traitement efficace.

La cheyletiellose chez le lapin

Chez le lapin, la cheyletiellose est provoquée par Cheyletiella parasitivorax.

Les lésions sont localisées au niveau de la région scapulaire, sur le dos et éventuellement sur la partie ventrale de l’abdomen. Le prurit est variable, moins intense que lors de gale. Un éclaircissement de la fourrure, une légère alopécie et des croûtes de couleur claire recouvrant un tégument parfois rouge et douloureux sont quelquefois notés.

Le diagnostic repose sur la mise en évidence du parasite à partir de raclages cutanés ou d’un simple brossage.

Le traitement fait appel aux acaricides ; les sprays ou poudres antipuces employés chez le chat peuvent être utilisés chez le lapin. L’amitraz peut être essayé.

L’environnement doit être soigneusement désinfecté car la résistance du parasite dans le milieu extérieur est importante (plusieurs semaines).

La cheyletiellose du lapin est transmissible à l’homme. Elle provoque une dermatite eczématiforme chez les personnes en contact avec les animaux malades ou porteurs asymptomatiques.

Classification des trois espèces responsables de cheyletiellose

Classe des Arachnides. Ce sont des arthropodes chélicérates, caractérisés par une paire d’appendices préhensiles (les chélicères) et une paire d’appendices tactiles (les pédipalpes). Le corps est formé de deux parties : le prosoma (ou céphalothorax) et l’opisthosoma (ou abdomen). Les adultes ont quatre paires de pattes portées par le prosoma.

Ordre des Acariens. L’opisthosoma n’est pas segmenté et est généralement fusionné avec le prosoma. Les pièces buccales sont regroupées en un rostre (“gnathosoma”).

Sous-ordre des Trombidiformes. Ils présentent une paire de stigmates antérieurs, sur le rostre ou à proximité. Les pattes sont insérées sur des épimères.

Groupe des Prostigmates. Le rostre est bien développé, à chélicères robustes. Les pédipalpes ne sont pas appliqués sur les chélicères. Les stigmates s’ouvrent à la base des chélicères.

Famille des Cheylétidés. Les chélicères sont courtes et styliformes, les palpes sont bien développés et portent un crochet, les stigmates sont en forme de M sur le rostre.

Genre Cheyletiella. Le corps est de forme ovale, avec un sillon transversal (PHOTO 1.). Il présente des solénidions (ou soies sensorielles) sur le quatrième article des pattes I.

Espèces : C. parasitivorax, C. yasguri et C. blakei (voir la FIGURE “Morphologie de et le tableau “Spécificité morphologique des trois espèces de ).

Remerciements à William Bordeau

Technique de concentration des débris issus du raclage

Le matériel récolté est placé dans 3 à 4 ml d’une solution de KOH à 10 % et chauffé doucement pendant environ une demi-heure jusqu’à ce que les débris de kératine soient digérés.

Le mélange est ajouté à 6 à 7 ml d’une solution saturée en sucre, puis centrifugé (200 G pendant cinq minutes).

Quelques gouttes prélevées à la surface de la solution sont placées sur une lame, recouvertes d’une lamelle et examinées au microscope.

D'après [18].

Points forts

Le principal signe clinique de la cheyletiellose est un squamosis marqué en région dorsolombaire.

La cheyletiellose canine se manifeste essentiellement chez les jeunes. Les adultes présentent parfois un portage asymptomatique, ce qui rend l’isolement du parasite difficile.

Le traitement de la cheyletiellose est réalisé à l’aide d’un topique acaricide appliqué pendant au moins un mois et associé à un traitement de l’environnement.

Aucune préparation acaricide ne possède une indication validée pour le traitement de la cheyletiellose dans son résumé des caractéristiques du produit (RCP).

Abonné au Point Vétérinaire, retrouvez votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr