Abord pratique d’une fièvre vitulaire chez la vache - Le Point Vétérinaire n° 257 du 01/07/2005
Le Point Vétérinaire n° 257 du 01/07/2005

MALADIES MÉTABOLIQUES EN PÉRIPARTUM

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CONDUITE À TENIR

Auteur(s) : Marc Aubadie-Ladrix

Fonctions : Route de Mirande
32170 Mielan

Lors d’hypocalcémies puerpérales, le diagnostic différentiel doit être associé à un examen de la conduite alimentaire du troupeau, notamment des vaches taries.

Les fièvres vitulaires de la vache laitière constituent des affections relativement fréquentes dues, dans la plupart des cas, à une hypocalcémie brutale qui survient au moment du part.

Première étape : diagnostic différentiel

L’analyse des commémoratifs, l’examen clinique et le recours à des examens complémentaires permettent le diagnostic différentiel.

1. Commémoratifs

Lors de l’appel téléphonique de l’éleveur ou au cours de la première consultation, le praticien peut déjà recueillir des commémoratifs.

• La vache couchée est-elle en péripartum ? Il est cependant possible d’observer des vaches couchées en hypocalcémie assez loin du part : quelques jours avant le vêlage, voire jusqu’à un mois plus tard, chez les vaches laitières hautes productrices. En dehors de cette période, l’impossibilité du relevé est due à d’autres causes : acidose aiguë, mammite sévère, affections digestives (occlusion), traumatismes, mise à l’herbe, cétose avec symptômes nerveux, etc.

• Il convient ensuite de noter le rang de lactation car les primipares ne présentent que rarement des fièvres vitulaires. En pratique, une hypocalcémie puerpérale est plutôt suspectée à partir du troisième vêlage.

• Il convient de questionner l’éleveur sur les circonstances du part : le vêlage a-t-il été difficile et long ? Dans ce cas, un traumatisme musculaire ou osseux empêchant le relevé de l’animal ou une atteinte grave de la sphère génitale peuvent être suspectés.

2. Examen clinique

Le diagnostic clinique vise à éliminer les autres hypothèses. L’état comateux observé lors des fièvres vitulaires ne permet pas d’orienter le diagnostic car ce symptôme, autrefois fréquent, semble laisser la place à des formes lors desquelles l’animal garde une certaine vigilance. Les états de dépression intense sont en outre retrouvés lors d’autres affections (acidose aiguë ou mammite toxinogène, par exemple) (PHOTO 1).

• La température rectale, lorsqu’elle est élevée, oriente vers une cause infectieuse. En période de péripartum, une mammite aiguë est d’abord suspectée : la mamelle est examinée afin de repérer les éventuels signes d’inflammation. Lors de mammite aiguë, le lait a un aspect anormal. La réalisation d’un test au lugol sur le lait ou California mastitis test (CMT) peut confirmer cette hypothèse. Une autre cause infectieuse peut faire suite à un vêlage délabrant : la métropéritonite aiguë peut ainsi survenir après une rupture utérine ou une métrite septique. Une palpation par voie vaginale peut permettre d’estimer les lésions.

• La position générale de l’animal, celle de ses membres en particulier, permet parfois de suspecter des traumatismes osseux. Une angulation anormale ou des bruits de craquements évoquant une fracture sont recherchés par manipulation.

Une prise de sang peut être réalisée à la veine caudale afin de mesurer certains paramètres sanguins dont les valeurs varient lors de traumatismes : au minimum l’aspartate amino-transférase (ASAT) et la créatine phospho-kinase (CPK). L’ASAT manque toutefois de spécificité chez une vache couchée car elle augmente également lors d’atteintes hépatiques ou cardiaques. Les valeurs de la CPK atteignent rapidement des niveaux élevés : chez une vache couchée depuis quelques heures, une valeur de 20 000 UI/l, qui dépasse largement les limites des analyseurs usuels, n’est pas rare.

Un examen du vagin peut permettre de repérer des traumatismes ayant entraîné un écrasement des nerfs de la filière pelvienne suite à un vêlage difficile.

3. Examens complémentaires

Un sondage urinaire doit être systématiquement réalisé chez une vache couchée. L’utilisation d’une bandelette urinaire peut permettre de détecter la présence de myoglobine ou d’hémoglobine qui évoque soit une déchirure musculaire, soit une anémie hémolytique (babésiose, leptospirose).

4. Autres affections

D’autres affections peuvent provoquer un décubitus en péripartum.

• Un déplacement à gauche ou une dilatation/torsion à droite de la caillette sont recherchés par auscultation de l’abomasum.

• Certaines formes de cétose peuvent débuter précocement après le vêlage. Un sondage urinaire ou une recherche des corps cétoniques dans le lait permettent de les diagnostiquer.

• Une stéatose aiguë peut également être suspectée chez une vache en décubitus prolongé après le vêlage. Elle est objectivée par les résultats d’analyses sanguines (ASAT, GGT) car il existe peu de symptômes caractéristiques. L’évolution rapide, souvent fatale, et l’état d’engraissement excessif de l’animal constituent des facteurs de risque.

Une fois les hypothèses précédentes écartées, le diagnostic s’oriente vers une hypocalcémie puerpérale.

Deuxième étape : traite­ment et attitude en cas d’échec

1. Prise de sang

Avant d’instaurer un traitement de première intention, il convient d’effectuer un prélèvement sanguin s’il n’a pas déjà été réalisé avant. Ses résultats sont utilisés en cas d’échec de la supplémentation calcique, ou lors de rechute, pour affiner le diagnostic et modifier le traitement si nécessaire.

2. Traitement

Les injections intraveineuses de solutés à base de calcium et/ou de phosphore, précédées ou suivies de supplémentations par voie orale, constituent la base du traitement de la fièvre vitulaire.

Les préparations commerciales contiennent différents sels de calcium, qui assurent un traitement souvent efficace.

Le chlorure de calcium présente un risque en raison de sa causticité (risque de phlébite au site d’injection) et de sa toxicité cardiaque (à réchauffer avant administration par temps froid). Le relevé est toutefois plus rapide avec cette molécule.

3. Analyses sanguines

En cas d’échec ou de récidive, le dosage de certains paramètres sanguins (Ca, P, Mg, K, urée, glycémie) permet d’adapter le traitement (voir le TABLEAU “Valeurs de référence et valeurs critiques chez les bovins”).

• Lors de fièvre de lait, une hypophosphatémie est souvent associée à l’hypocalcémie. Les traitements habituels corrigent conjointement les deux éléments. Il existe toutefois parfois des hypophosphatémies isolées ou qui persistent après le rétablissement de la calcémie. Une supplémentation en phosphates permet alors la guérison, mais celle-ci peut se révéler plus lente que lors d’hypocalcémie “simple”. Les formes orales semblent agir aussi efficacement que les formes injectables. Les phosphites sont éliminés rapidement par voie urinaire et n’ont donc pas d’activité.

• Des hypomagnésémies atypiques peuvent ressembler à des hypocalcémies : les signes nerveux et cardiovasculaires sont alors plutôt “en hypo”, contrairement à la forme classique de “tétanie d’herbage” bien connue. Seul le dosage du magnésium sanguin permet d’effectuer un diagnostic différentiel et d’adapter le traitement. La plupart des solutés commerciaux visant à traiter les hypocalcémies puerpérales contiennent des sels de magnésium qui suffisent à rétablir la magnésémie.

• Lors d’hyperglycémie marquée, les administrations de solutés glucosés hypertoniques et de corticoïdes doivent être évitées.

• Le dosage du potassium permet de suspecter une hypokaliémie iatrogène (administration de prednisolone, de glucose ou d’insuline) ou secondaire (affections rénales ou digestives graves), mais rarement primaire. Des dosages sanguins d’urée et de créatinine permettent d’explorer la fonction rénale.

Troisième étape : conseils de prévention

Afin de diminuer la fréquence des fièvres vitulaires dans un élevage, les mesures visent à activer les mécanismes de restauration de la calcémie. En effet, la fièvre vitulaire n’est pas liée à une carence en calcium, mais à un manque de disponibilité rapide de ce calcium (voir la FIGURE “Mécanismes de l’hypocalcémie puerpérale”).

1. Vitamine D3

Une injection de vitamine D3 (10 millions d’UI) peut prévenir la fièvre de lait si elle est effectuée trois à huit jours avant le vêlage chez les vaches à risque. Il est toutefois déconseillé de la renouveler en raison de la toxicité de la vitamine D3. La date du part peut fluctuer, ce qui limite l’utilisation de cette technique.

2. Apports de calcium par voie orale

Les posologies préconisées par les fabricants rendent la supplémentation de calcium par voie orale coûteuse. Une administration massive et précoce de calcium permet un rétablissement fugace, mais parfois suffisant, de la calcémie. Différents sels calciques peuvent être administrés concomitamment :

– chlorure de calcium : effet acidifiant mais causticité ;

– formiate de calcium ;

– propionate de calcium : prévention de la cétose.

3. Limitation des apports calciques

Restreindre la fourniture de calcium pendant la période sèche favorise la production de parathormone (PTH), élément intéressant dans la prévention des fièvres vitulaires. En raison des relations métaboliques entre les différents minéraux, les apports en phosphore et en magnésium doivent également être contrôlés (voir l’ENCADRÉ “Limitation des apports de calcium au tarissement”).

Il convient donc d’éviter de distribuer des aliments riches en calcium pendant le tarissement : légumineuses, crucifères, pulpes de betteraves. Il est en outre préférable de ne pas distribuer aux vaches taries un complément minéral vitaminé destiné aux vaches en lactation, en raison de sa trop grande richesse relative en calcium. Les vaches taries doivent donc être conduites séparément du troupeau en production.

4. Manipulation du BACA

Le bilan alimentaire anions-cations (BACA) correspond à l’équation suivante :

(Na + K) - (Cl + S), en mEq/kg MS

• Au cours du tarissement, un BACA négatif, de l’ordre de - 100  mEq/kg MS, est recherché afin d’induire une acidose métabolique qui :

– accroît la libération du calcium osseux ;

– arrête l’élimination rénale du calcium dès que la demande croît ;

– augmente la disponibilité du calcium sanguin et favorise son absorption à partir du tube digestif.

Tous ces paramètres corrigent la calcémie.

• Il convient de ne pas limiter simultanément les apports calciques afin de ne pas pénaliser la lactation suivante. En outre, dès que la lactation débute, le BACA doit redevenir positif.

• D’une façon générale, certains aliments doivent être évités pendant la période sèche car ils rendent le BACA positif, en particulier les légumineuses (riches en calcium et en potassium), mais aussi l’herbe de prairies fertilisées ou les ensilages d’herbe. Pour la même raison, le bicarbonate de sodium et le sel sont évités chez les vaches taries.

Les concentrations alimentaires des ions pour le calcul du BACA ne figurent pas dans les tables et elles varient en fonction du stade de récolte et de la fumure du sol. Le dosage de ces éléments est coûteux.

L’administration de sels anioniques pendant les trois semaines qui précèdent le part permet de rendre le BACA négatif, en particulier pour des rations riches en calcium ou en potassium (voir le TABLEAU “Différents sels anioniques et leur valeur de BACA pour 1 kg de MS”). Ces produits, peu appétents, sont distribués mélangés à la ration, afin d’éviter une baisse de l’ingestion préjudiciable à la production laitière (voir l’ENCADRÉ “Exemple d’apports de sels anioniques au tarissement”). Les sels d’ammonium constituent une source d’azote non protéique qu’il convient de prendre en compte dans le calcul de la ration. Les sulfates peuvent provoquer des diarrhées et aboutir à des excès alimentaires de soufre (le seuil doit être inférieur à 0,4 % de la matière sèche).

L’efficacité de la manipulation du BACA est contrôlée par l’obtention d’une baisse du pH urinaire (à mesurer chez cinq ou six vaches à distance des repas) qui accompagne l’acidose métabolique (voir le TABLEAU “Baisse du pH urinaire en fonction du BACA alimentaire”).

Par quelques conseils ciblés sur la conduite alimentaire, il est possible d’apporter des mesures correctives afin de diminuer l’incidence des fièvres de lait.

Limitation des apports de calcium au tarissement

Supplémentation limitée à deux à trois semaines avant le part

Apports de calcium :

– 50 à 65 g/j si K < 1 % MS

– < 20 g/j si apport de K élevé

– P < 35 g/j

– Mg > 20 g/j

D’après : document Nutap/Alcyon. Commission vaches laitières SNGTV.

Exemple d’apports de sels anioniques au tarissement

100 g de sulfate d’ammonium

40 g de sulfate de magnésium

20 g de chlorure de calcium

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