Traitement médical de la douleur cancéreuse - Le Point Vétérinaire n° 256 du 01/06/2005
Le Point Vétérinaire n° 256 du 01/06/2005

CANCÉROLOGIE CANINE

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COURS

Auteur(s) : Philippe Michon

Fonctions : 13 rue Pierre-Gillet,
08000 Charleville-Mézières

Lors de cancer, la prise en charge de la douleur contribue au bien-être de l’animal, et empêche ou ralentit la survenue de l’anorexie et de la cachexie. Les molécules analgésiques disponibles sont de plus en plus nombreuses.

La douleur est un sujet souvent occulté en médecine vétérinaire. Son traitement nécessite d’en connaître le type et les mécanismes. L’efficacité maximale est obtenue lorsque l’analgésie est précoce et individualisée [73]. La peur des effets secondaires des morphiniques et la législation (voir l’ENCADRÉ “Particularités de la prescription des comprimés de stupéfiants”) ont été un frein en France au développement de l’analgésie, mais une évolution favorable est notée [19].

Chez le chien, les connaissances initialement issues de la médecine humaine se précisent, mais des particularités d’espèce restent à élucider. Ainsi, les lésions douloureuses lors de tumeur au cerveau sont ipsilatérales chez le chien, contrairement à ce qui est observé chez l’homme. Cela suggère des spécificités dans l’organisation des voies de la douleur [29].

À l’inverse de la douleur chirurgicale, qui est aiguë, la douleur oncologique présente une forte mémoire douloureuse à laquelle peuvent s’associer des douleurs aiguës paroxystiques [c]. À cela s’ajoute l’apparition de nouvelles connexions neuroniques.

Connaître la douleur oncologique

1. Mécanisme de la douleur oncologique

La douleur cancéreuse a longtemps été considérée comme une douleur mécanique, par compression et infiltration des tissus environnants dont les nerfs [27, c]. Une cause de la douleur serait l’acidification de l’environnement des cellules cancéreuses (pH de 6,8 contre 7,4 pour une cellule normale) [27].

Les modèles expérimentaux montrent que les animaux cherchent à échapper à un stimulus nocif de même intensité que celle pour laquelle l’homme ressent de la douleur : l’extrapolation de données humaines sur la douleur est donc envisageable [γ].

Les différents types de douleur

Trois types de douleur sont distingués en oncologie et dans la plupart des douleurs chroniques : neuropathique (ou neurogène), somatique et psychogénique. Chez l’animal, leur différenciation est particulièrement difficile [68] et présente peu d’intérêt lors de processus cancéreux car les trois mécanismes sont systématiquement incriminés.

La douleur psychogénique est une douleur sans support organique ou pour laquelle il n’a pu être identifié.

Les voies de la douleur

La transformation d’un stimulus nocif en potentiel électrique au niveau d’un nocicepteur est la transduction (voir la FIGURE “Transmission de la douleur et sites d’action principaux des molécules”). Le potentiel électrique est transmis au niveau médullaire par les fibres périphériques afférentes qui possèdent toutes un corps cellulaire qui exprime uniquement les COX-1 et COX-3 au niveau du ganglion de la racine spinale dorsale. Différents mécanismes de contrôle régulent le message nociceptif tout au long de la voie afférente. La corne dorsale est probablement le siège principal de cette modulation via des mécanismes COX-2. Lors de douleur chronique, ce rôle de filtre peut être submergé ou défaillant, en raison de la plasticité neuronale.

La transmission au niveau cérébral se fait par les neurones ascendants médullaires [7]. Une modulation de la transmission est due en partie aux endorphines qui vont la renforcer ou la diminuer. La perception de la douleur est liée à l’interaction de ces trois phénomènes (transduction, transmission et modulation).

Au niveau local, puis dans l’ensemble de l’organisme, la libération de substances inflammatoires abaisse le seuil de sensibilité à la douleur : c’est l’hyperalgésie [8]. Au niveau de la corne dorsale de la moelle, la stimulation répétée a également un effet amplificateur, l’hypersensibilisation centrale, qui persiste même après l’arrêt du stimulus. Les récepteurs du N-méthyl-D-aspartate (NMDA) sont notamment impliqués dans ce phénomène, ce qui explique l’activité de leurs inhibiteurs sur la douleur.

Le traitement doit être choisi pour agir à un maximum de niveaux des voies de la douleur.

2. Évaluation de la douleur oncologique

La douleur peut être difficile à identifier [10]. Une étude de 1999 conclut à une confiance excessive du vétérinaire français en ses capacités à la reconnaître [31].

Plusieurs grilles d’évaluations standardisées de la douleur existent chez le chien. Les plus fiables seraient celles qui sont adaptées de l’enfant (grille CHEOPS : Children’s Hospital of Eastern Ontario Pain Scale) [γ]. Elles sont fondées sur des changements de comportement et des données physiologiques peu fiables. Leur utilisation est toutefois accessoire en dehors des conditions expérimentales car toute douleur, même minime, doit être traitée immédiatement pour éviter son amplification.

Molécules du traitement de la douleur oncologique

Les familles de molécules utiles pour le traitement de la douleur oncologique sont variées (voir le TABLEAU “Molécules utilisables pour le traitement de la douleur cancéreuse chez le chien”) et agissent à différents niveaux des voies de la douleur (voir le TABLEAU “Traitement de la douleur chronique”).

1. Les AINS demeurent la base

Alors que leur action était considérée comme essentiellement locale [34], il est désormais admis que les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) récents présentent une activité antinéoplasique [46], en partie expliquée par l’inhibition des prostaglandines tumorales par un effet inhibiteur COX-2. Les prostaglandines sont en effet impliquées dans la médiation de la douleur, l’inflammation, l’homéostasie osseuse et la croissance tumorale [63].

Effet inhibiteur COX-2

L’efficacité contre la douleur d’inhibiteurs spécifiques de COX-2 (NS-398 et MF tricyclique) lors d’ostéosarcome chez la souris est statistiquement prouvée (p < 0,05) pour [63] :

– les douleurs induites par palpation (voir la FIGURE “Tressaillements induits par la palpation”) ;

– les douleurs spontanées (voir la FIGURE “Tressaillements spontanés”) ;

– l’utilisation spontanée du membre (voir la FIGURE “Utilisation spontanée de la patte”).

L’action des inhibiteurs COX-2 est également illustrée par l’étude de la dynorphine (peptide pro-hyperalgésique des neurones de la corne dorsale de la moelle épinière) lors d’ostéosarcomes chez la souris (PHOTO 1A, PHOTO 1B et PHOTO 1C). Chez les souris qui reçoivent un inhibiteur COX-2, l’expression de la dynorphine dans cette zone est nettement diminuée [63].

Effets inhibiteurs COX-1 et COX-3

Des études actuelles s’efforcent de démontrer l’absence de différence entre les AINS COX-2 préférentiels et les autres [26]. Les corps cellulaires des fibres afférentes de la douleur sont toutefois situés dans les ganglions rachidiens qui ne montrent aucune activité COX-2, mais uniquement une activité COX-1 et COX-3. Cela pourrait expliquer une supériorité, pour certaines douleurs, des AINS qui conservent une activité COX-1, sur les coxibs (inhibiteurs COX-2 purs) [67].

Cela expliquerait également en partie l’activité du paracétamol(1). Cette molécule assimilée aux AINS et efficace sur la COX-3 cérébrale [45] est utile lors de douleurs cancéreuses (10 à 15 mg/kg, deux fois par jour), éventuellement associée à la codéine (1 à 2 mg/kg). Un bilan hépatique mensuel est conseillé bien que les toxicités hépatiques n’apparaissent qu’à des doses élevées [d]. L’association d’AINS accroît l’efficacité du paracétamol(1), mais il convient de tenir compte de la possible néphrotoxicité [b], car les inhibiteurs préférentiels de la COX-2 agissent aussi sur la COX-2 constitutionnelle rénale.

Le rôle des COX-1 et COX-3 dans la transmission de la douleur permet de rappeler l’intérêt d’une action conjuguée sur la transmission et l’amplification de la douleur [23].

2. Les morphiniques

Les récepteurs à la morphine(1) ont une distribution à la fois centrale, médullaire (corne dorsale) et périphérique [61]. La connaissance des rôles et des interactions de tous les récepteurs et des endorphines reste incomplète, mais il semble exister un équilibre dans leur contrôle de la nociception entre analgésie et pro-hyperalgésie [15].

Les morphiniques soulagent 75 à 95 % des douleurs. Dans certains cas toutefois (atteintes osseuses, plexopathies, etc.), l’analgésie n’est obtenue qu’à des doses qui provoquent des effets secondaires [63].

La morphine(1) est inefficace lors de douleurs neurogènes [71].

En pratique, le sulfate de morphine(1) par voie orale peut être utilisé à la dose de 0,5 mg/kg, trois ou quatre fois par jour, mais la constipation est un effet secondaire fréquent, prévenu par l’administration systématique de laxatif [21, d].

Les avis divergent sur les formes à libération prolongée. Certains auteurs estiment qu’elles ne présentent aucun intérêt chez le chien [d], alors que d’autres les préconisent [21]. La réticence envers ces formes provient de leur faible biodisponibilité chez le chien (environ 20 %) [22]. Les doses nécessaires sont donc souvent plus élevées [41]. Le fentanyl(1) en patch est bien toléré [30], mais son emploi est limité par son coût, pour une durée d’action qui n’excède pas trois jours, et par la variabilité des effets obtenus.

L’utilisation des morphiniques a été associée à de l’hyperalgésie. Un rôle clé dans ce phénomène est attribué aux récepteurs NMDA. Les zones qui présentent déjà une hyperalgésie seraient les seules concernées et l’administration simultanée de kétamine empêche cet effet secondaire indésirable [6]. L’emploi d’autres antagonistes des récepteurs NMDA peut être intéressant en raison des effets secondaires de la kétamine (voir infra).

La codéine, morphinique faible, est également active à la dose de 0,5 à 2 mg/kg, en association avec le paracétamol(1). Son action est probablement liée à sa transformation lente en morphine(1) [41]. Elle permet de recourir à l’effet des morphiniques sans nécessiter d’ordonnance sécurisée. L’activité de la codéine est d’environ un quart de celle de la morphine(1).

Le dextropropoxyphène(1) (6,5 mg/kg) et le tramadol(1) LP (Contramal(r), Topalgic(r) LP, 2 à 5 mg/kg matin et soir) sont aussi des morphiniques faibles [56]. Le dernier a une activité de seulement 1,5 % comparée à celle de la morphine(1), mais il présente un effet mono-aminergique susceptible d’être efficace dans les douleurs neuropathiques [69].

3. Les antagonistes des récepteurs NMDA

Récepteurs NMDA, antagonistes et douleur

Les récepteurs NMDA auraient un rôle crucial dans les modifications neuronales, lors de stimulation prolongée : les atteintes des tissus périphériques et l’inflammation induiraient un état sensoriel d’hypersensibilité, d’allodynie (diminution du seuil de perception de la douleur), et d’hyperalgésie (augmentation de la réponse à un stimulus nociceptif) [57, 58, 77]. Les récepteurs NMDA contribuent à la création de la sensibilisation centrale dans la corne dorsale de la moelle épinière, où les changements à long terme du processus nociceptif apparaissent [58]. D’autres mécanismes sont mis en cause [59].

Les antagonistes des récepteurs NMDA suppriment l’activité électrique des neurones impliqués dans la douleur chronique au niveau central [12, 13, 78], mais ils sont inactifs sur les douleurs fantômes [64]. L’efficacité des antagonistes des récepteurs NMDA est variable [76].

Récepteurs NMDA et résistance à la morphine(1)

Un équilibre existerait entre les systèmes pro- et antinociceptifs. Les morphiniques activeraient à la fois les deux systèmes et plus particulièrement la voie pronociceptive qui fait intervenir les récepteurs NMDA [54]. Il a été montré que la résistance à la morphine(1) au niveau de la moelle épinière est associée à une dérégulation de ces récepteurs [38, 79].

L’efficacité des antagonistes des récepteurs NMDA contre la résistance à la morphine(1) est d’autant plus élevée que la dose de morphine(1) est faible [3, 18]. Les doses qui permettent de prévenir la survenue de résistances sont probablement inférieures à celles qui sont nécessaires à l’inversion du phénomène une fois établi [4]. En France, des essais sur des antagonistes NMDA (phase I) sont en cours chez l’homme [77].

Kétamine

La kétamine a été utilisée par voie orale ou en perfusion pour le traitement des douleurs cancéreuses chez le chien [40].

Ses effets secondaires, possibles à des doses très faibles et par voie épidurale [1], lui font préférer aujourd’hui l’amantadine(1).

Amantadine(1)

L’amantadine(1) permet de supprimer les mécanismes d’amplification de la douleur et d’annuler les états de douleurs chroniques.

D’abord administrée comme un médicament antiviral, elle est aujourd’hui essentiellement utilisée chez l’homme pour le traitement de la maladie de Parkinson et des grands syndromes douloureux.

Chez le chien, elle est peu coûteuse et dénuée d’effets secondaires à la dose recommandée (3 mg/kg/j) [α]. Une période d’adaptation est toutefois nécessaire, avec de possibles états d’hyperexcitation et des épisodes hallucinatoires.

L’amantadine(1) est disponible en France sous une forme de gélule épaisse (Mantadix(r)) qui renferme un excipient huileux qui peut aisément être dilué dans de l’huile. Sa prescription peut surprendre le pharmacien pour qui cette molécule demeure souvent un traitement préventif de la grippe.

4. Les antidépresseurs tricycliques

Efficacité

L’utilisation des antidépresseurs tricycliques lors de douleurs chroniques chez l’homme est décrite depuis les années 1970 [2]. Ils sont sans danger chez les patients atteints de douleur chronique cancéreuse [17].

Leur action analgésique ne dépend pas de la présence ou non d’une dépression [17] : elle intervient plus rapidement et à des doses plus faibles que l’activité antidépressive [68]. Elle est bien documentée sur les douleurs neuropathiques et chroniques associées au cancer [17, 50]. Également présente lors de douleurs arthrosiques, cette action serait toutefois limitée en monothérapie et inconstante (50 à 60 %) [42].

Bien que la dépression ne soit pas invoquée pour expliquer les effets des antidépresseurs tricycliques sur la douleur, la dépression augmente la douleur de près de 50 % (p < 0,05) [48].

Mode d’action

Les premières hypothèses sur l’effet des tricycliques ont fait référence à une action sur la composante émotionnelle de la douleur [43].

Outre une action individuelle, ils ont une activité synergique avec les morphiniques [11] : chez des patients humains résistants à l’association d’un morphinique et de paracétamol(1), le score douloureux est diminué de plus de 50 % dans au moins trois quarts des cas par l’ajout d’antidépresseurs tricycliques [14]. Cette synergie a été retrouvée dans les douleurs qui suivent les thoracotomies [35].

Une élévation de la biodisponibilité de la morphine(1) a aussi été invoquée [75]. En effet, l’administration combinée augmente, la concentration plasmatique des morphiniques, probablement en raison de la forte fixation protéique des antidépresseurs tricycliques.

L’effet analgésique intrinsèque des tricycliques est toutefois considéré comme le principal responsable de l’analgésie [50]. Il pourrait être lié à la capacité de bloquer la recaptation des neurotransmetteurs mono-aminergiques (sérotonine et norépinéphrine) [41]. L’augmentation de concentration de ces neurotransmetteurs pourrait accroître l’inhibition de la douleur au niveau de la moelle épinière et dans des centres cérébraux [68].

Les inhibiteurs tricycliques ont en outre une forte affinité pour les récepteurs NMDA et bloquent leur activité in vitro sur des tranches d’hippocampe [24]. Cela a-t-il une implication clinique, sachant que l’antagonisme NMDA est essentiellement efficace sur la douleur au niveau médullaire ?

Amitriptyline(1)

L’amitriptyline(1) administrée à la dose de 0,5 à 5 mg/kg/j serait sans effets secondaires chez le chien, à l’inverse de ce qui est observé chez l’homme, mais elle est très amère [9, 69, d]. Sa biodisponibilité et sa durée d’action peuvent varier d’un individu à un autre [d].

Outre ses effets sur la douleur, l’amitriptyline(1) sensibilise certaines tumeurs chimiorésistantes chez la souris [74].

Clomipramine

La clomipramine (Clomicalm(r)), bien connue des praticiens français, est également un antidépresseur tricyclique qui agit sur les pompes à recaptation des amines [41]. Elle pourrait présenter un intérêt similaire à l’amitriptyline(1). Elle sensibilise également certaines tumeurs chimiorésistantes à la doxorubicine chez la souris [53]. Ses effets secondaires seraient rares chez le chien [41], à l’inverse de ce qui est observé chez l’homme [66].

5. Les corticoïdes

Les corticoïdes peuvent être prescrits dans le traitement de la douleur notamment osseuse [e] et sont particulièrement indiqués lors de douleur hépatique, en diminuant la pression sur l’enveloppe du foie [16].

En outre, l’interleukine-1β pro-inflammatoire, dont ils inhibent la synthèse, participerait à la résistance à la morphine(1) [32]. Les corticoïdes pourraient donc présenter un intérêt (qui reste à explorer) dans la lutte contre ce phénomène.

Ils peuvent également être utilisés en association avec des anesthésiques locaux pour les blocs nerveux périphériques.

6. Les biphosphonates et les douleurs osseuses

L’ostéosarcome représente 5 à 6 % des tumeurs canines. Il convient de présenter au propriétaire de l’animal toutes les options thérapeutiques, médicales et chirurgicales [25, a, α].

Particularité de la douleur osseuse en oncologie

La douleur est fréquente lors de métastases osseuses, mais n’est pas systématique [e], alors qu’elle l’est au niveau de la lésion primaire. Elle peut survenir lors de mouvements ou au repos, et persiste parfois malgré l’apport thérapeutique que représente l’administration de biphosphonates depuis dix ans [72].

L’activation des ostéoblastes et des ostéoclastes et une réorganisation des terminaisons afférentes osseuses suggèrent que la douleur cancéreuse osseuse pourrait être d’origines inflammatoire et neuropathique [72]. Le mécanisme pourrait toutefois différer de celui des douleurs neuropathiques et inflammatoires classiques, avec une augmentation d’excitabilité de la corne dorsale [72].

Les études menées sur les ostéosarcomes ont montré que la douleur est concomitante de l’ostéoclasie [d]. Ainsi, le blocage de la résorption osseuse diminue les comportements douloureux et les modifications neurochimiques médullaires qui sont les signes d’une sensibilisation périphérique et centrale [d]. L’une des origines de la douleur lors d’ostéosarcome pourrait être l’acidification de l’interface ostéoclasique dont le pH peut descendre à 4 [27].

Utilisation des biphosphonates

Les biphosphonates sont des analogues du pyrophosphate. Ils inhibent l’action des ostéoclastes et sont utilisés chez l’homme pour la prévention et le traitement de l’ostéoporose. Les molécules de cette famille présentent des profils pharmacocinétiques similaires pour l’absorption intestinale, la distribution squelettique et l’élimination rénale [47].

Leur efficacité sur la douleur métastatique osseuse est bien documentée chez l’homme [55]. Les résultats sont meilleurs lorsque les biphosphonates sont prescrits précocement [65]. Une étude rapporte le cas d’un patient atteint d’ostéopathie hypertrophique dont la douleur, résistante à tout traitement, a disparu avec une seule injection de 60 mg de pamidronate(1) [5].

Les biphosphonates chez le chien

Chez le chien, l’utilisation des biphosphonates a un effet analgésique marqué au niveau de la tumeur [d et expérience personnelle].

Ces molécules ont une faible biodisponibilité et des effets secondaires gastro-intestinaux élevés par voie orale chez l’homme [60, 62]. Ceux-ci n’ont pas été observés par l’auteur lors de l’administration d’alendronate(1) (Fosamax(r), 0,2 mg/kg/j par voie orale) chez neuf chiens.

L’association des biphosphonates et de la radiothérapie est également intéressante chez le chien [9]. La voie intraveineuse est généralement préférée, chez le chien comme chez l’homme [65, d]. La voie sous-cutanée a été testée avec succès chez l’homme pour le clodronate [62].

Dans un essai, trente-trois chiens ont reçu une perfusion de pamidronate(1) à la dose de 1 mg/kg en deux heures [26]. Chaque administration, réalisée toutes les deux à quatre semaines selon la douleur, coûte environ 100 dollars. Une toxicité rénale est notée dans un cas. La croissance de la tumeur n’est pas ralentie [26]. Une diminution de la douleur est observée chez quatre chiens sur les dix atteints d’ostésarcome appendiculaire [26].

7. Les anti-épileptiques

Les anti-épileptiques sont également proposés dans le traitement des douleurs neuropathiques rebelles. Les molécules utilisables chez le chien sont la carbamazépine(1), la phénytoïne(1) et la gabapentine(1).

Comment associer ces analgésiques ?

Deux approches peuvent être envisagées, en privilégiant la prévention chaque fois que possible.

• Une utilisation multimodale peut être choisie d’emblée, avec des doses minimales et une augmentation de celles-ci dès qu’elles se révèlent insuffisantes. Les résultats des monothérapies sont médiocres lors de douleurs chroniques chez l’homme [49] et il est généralement accepté que les polythérapies raisonnées sont également préférables chez le chien. En effet, lorsque le traitement ne donne pas le résultat espéré, les propriétaires se tournent alors vers les thérapeutiques qu’ils utilisent pour leurs propres douleurs. Or, chez l’homme, il a été démontré que cette automédication mène rapidement à des emplois aberrants lors de douleurs chroniques [51].

• À partir d’un traitement AINS de base, une molécule supplémentaire est associée en fonction de la progression de la douleur. L’échelle de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande cette approche chez l’homme (voir la FIGURE “Échelle de l’Organisation mondiale de la santé pour le traitement de la douleur cancéreuse”), afin de limiter les risques d’hypersensibilité à un “cocktail” d’agents, dont la molécule responsable serait impossible à déterminer.

Actuellement, un changement d’attitude vis-à-vis du protocole OMS est observé et la morphine(1) devient de plus en plus le traitement de première intention [16]. La nouvelle stratégie militaire américaine de gestion de la douleur lors de la guerre en Irak en est une illustration : l’administration immédiate de fentanyl(1) par voie orale lors de blessures a permis de diviser par près de six les douleurs des premières quinze minutes [37]. Dès les années 1980, il a été démontré que la prescription régulière de morphiniques accroît le confort et la fonctionnalité chez des patients humains cancéreux, pendant plusieurs années, sans nécessiter une augmentation des doses ni provoquer de dépendance [65].

À l’avenir, les thérapies feront sans doute appel à des molécules qui détruisent sélectivement les neurones nociceptifs, dont la résinifératoxine (RTX) [33]. Certains de ces traitements bloquent l’hyperalgésie expérimentale et l’inflammation neurogénique chez les rats, et les douleurs non expérimentales dues aux cancers et à l’arthrose chez le chien. La sensation du toucher, la proprioception et l’arbre nociceptif mécanosensible, ainsi que la fonction locomotrice n’ont pas été altérés dans ces espèces. Dans d’autres essais sur la douleur postopératoire, l’administration sous-cutanée de RTX neutralise de façon transitoire les terminaisons nerveuses nociceptives et procure une analgésie réversible.

  • (1) Médicament à usage humain.

Particularités de la prescription des comprimés de stupéfiants

→ Interdiction de prescrire une substance non contenue dans une spécialité ou une préparation.

→ Interdiction de prescrire pour une durée supérieure à sept, quatorze ou vingt-huit jours, selon les cas.

→ Indication en toutes lettres du nombre de comprimés par prise, du nombre de prises et du dosage.

→ La tenue du registre des stupéfiants et de l’ordonnancier n’est pas une obligation pour le vétérinaire praticien [70].

D'après [52].

À lire également

α - Bernard F, Bardet JF. Le membre peut être préservé lors d’ostéosarcome. La Semaine Vét. 2005 ; 1169 : 12.

β - Hardie EM, Lascelles DB, Gaynor S. Managing chronic pain in dogs : the next level. In : Managing pain in cats, dogs, small mammals, and birds. Pfizer Ed. 2003 : 71-84.

γ - Mathews KA, Dyson D. Animal pain : figuring out what is going on. In : Managing pain in dogs and cats. Pfizer Ed. 2003 : 7-27.

Points forts

→ Lors de cancer, la douleur est le plus souvent due à la tumeur, mais elle peut aussi être secondaire aux traitements (certains antimitotiques, notamment).

→ Le traitement préventif de la douleur est généralement plus efficace que celui d’une douleur établie. Il convient donc de traiter précocement toute douleur, même minime, afin d’éviter son amplification.

→ Il est désormais établi que les anti-inflammatoires non stéroïdiens possèdent également une activité antinéoplasique, en partie expliquée par leur effet inhibiteur COX-2 sur les prostaglandines tumorales.

→ Les morphiniques soulagent 75 à 95 % des douleurs. Dans certains cas (atteintes osseuses, plexopathies, etc.), l’action analgésique ne peut toutefois être obtenue qu’à des doses qui entraînent des effets secondaires. Leur utilisation est parfois associée à de l’hyperalgésie.

→ Lors d’ostéosarcome, la douleur est concomitante de l’ostéoclasie. Les biphosphonates seraient efficaces contre ce type de douleurs, en inhibant l’action des ostéoclastes.

Congrès et conférences

a - Berg J. Osteosarcoma. Proceedings AAHA, Denver. 1999 : 397-399.

b - Coulange C. La douleur aiguë paroxystique dans les cancers urogénitaux. Conférence Eurocancer Paris. 2004. Éd. John Libbey Eurotext. Paris. 2004 : 191-192.

c - Ducreux M. La douleur aiguë paroxystique en oncologie. Conférence Eurocancer Paris. 2004. Éd. John Libbey Eurotext. Paris. 2004 : 189-190.

d - Lascelles DB. Pain and cancer. Masterclass North American Veterinary Conference. 2003. Présentation orale.

e - Treves R. Problèmes spécifiques posés par la prise en charge des douleurs des métastases osseuses. Conférence Eurocancer Paris. 2004. Éd. John Libbey Eurotext. Paris. 2004 : 193-194.

Bibliographie

  • 21 - Deschamps JY. Vade-mecum de gestion de la douleur chez le chien et le chat. Med’Com Ed. 2001 : 154p.
  • 26 - Fan TM, de Lorimier LP, Charney SC et coll. Evaluation of intravenous pamidronate administration in 33 cancer-bearing dogs with primary or secondary bone involvement. J. Vet. Intern. Med. 2005 ; 19(1) : 74-80.
  • 31 - Hugonnard M, Leblond A, Keroack S et coll. Attitudes and concerns of French veterinarians towards pain and analgesia in dogs and cats. Vet. Anaesth. Analg. 2004 ; 31(3) : 154-163.
  • 45 - Michon P. Cyclo-oxygénase 3 : des perspectives nouvelles pour d’anciennes molécules. Point Vét. 2005 ; 36(252) : 10-11.
  • 46 - Michon P, Dumas P. Intérêts des anti-inflammatoires non stéroïdiens dans la gestion du cancer. Point Vét. 2004 ; 35(250) : 30-34.
  • 47 - Milner RJ, Farese J, Henry CJ et coll. Bisphosphonates and cancer, J. Vet. Intern. Med. 2004 ; 18(5) : 597-604.
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  • 66 - Steux R. Gestion de la douleur cancéreuse chez les carnivores domestiques. Thèse de médecine vétérinaire, ENV Toulouse. 2003 : 185p.
  • 69 - Troncy E. Anesthésiologie du chien et du chat. Quelle analgésie pour les douleurs chroniques neurogènes ? Point Vét. 2002 ; 33(223) : 9.
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