Quelle attitude adopterlors de giardiose ? - Le Point Vétérinaire n° 255 du 01/05/2005
Le Point Vétérinaire n° 255 du 01/05/2005

PARASITISME ET DIARRHÉES EN ÉLEVAGE BOVIN

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CONDUITE À TENIR

Auteur(s) : Pierre-Hugues Pitel*, Alain Chauvin**, Guillaume Fortier***, Jean-Jacques Ballet****, Loïc Favennec*****

Fonctions :
*Laboratoire Départemental
F. Duncombe, 1 route de Rosel,
14053 Caen cedex 4
**Laboratoire de parasitologie,
CHU, 76000 Rouen
***Laboratoire de parasitologie,
École nationale vétérinaire
de Nantes, Atlanpôle La
chantrerie, 44000 Nantes cedex
****Laboratoire Départemental
F. Duncombe, 1 route de Rosel,
14053 Caen cedex 4
*****Laboratoire d’immunologie et
d’immunopathologie,
CHU-Clémenceau, 14000 Caen
******Laboratoire de parasitologie,
CHU, 76000 Rouen

Le rôle pathogène de Giardia duodenalis chez les bovins est encore discuté. Un traitement existe, mais la conduite à tenir à la source du parasite (l’eau) n’est pas définie.

La giardiose est une protozoose émer­gente. L’agent responsable est un parasite flagellé, Giardia duodenalis dont il existe plusieurs sous-types génétiques, avec des spécificités d’espèces infectées (PHOTO 1). L’infection des bovins par ce protozoaire est de plus en plus étudiée en raison de son pouvoir zoonotique, mais aussi parce que les veaux infectés peuvent présenter des symptômes allant de l’amaigrissement à une forte diarrhée. Contrairement à la cryptosporidiose, la prévalence de la giardiose, son épidémiologie et son effet pathogène chez le veau et chez l’adulte sont encore peu documentés en Europe. Toutefois, grâce aux différents travaux préliminaires menés notamment en France ces dernières années, une conduite à tenir lors de giardiose semble se dessiner. D’autres travaux amèneront sans doute à la préciser.

Première étape : suspecter une giardiose

1. Signes cliniques évocateurs

Il semble que la présence de G. duodenalis dans les fèces d’un animal soit associée à un risque deux fois plus élevé de développer une diarrhée néonatale par rapport à un animal non infecté (voir l’ENCADRE “Physiopathogénie”). Des cas de contamination expérimentale ont abouti à l’observation de diarrhée [23].

Lors de giardiose clinique, les manifestations les plus couramment décrites sont une diarrhée muqueuse fluide et un retard de croissance, malgré un appétit et une prise de boisson conservée [16, 23, 24, 30].

Dans le Calvados, une étude a été réalisée sur cinquante-trois prélèvements de fèces de bovins pris au hasard parmi ceux envoyés pour une coproscopie [a, 18]. La recherche de Giardia a été effectuée par deux techniques : un enrichissement par flottation suivi d’une coloration au lugol d’une part, et un test commercial d’autre part (Giardia colorPack, Megacor, Autriche, validé dans cette indication chez les chiens et les chats). Deux prélèvements se révèlent positifs par la méthode de coloration au lugol, six sont positifs au test commercial. Les deux bovins positifs avec la technique au lugol sont retrouvés positifs par le test rapide. L’aspect macroscopique des fèces est noté. Toutes les fèces positives sont mucoïdes sauf une qui est fluide. Parmi les cinquante-trois bouses étudiées, toutes celles qui ont un aspect mucoïde sont positives pour la détection de Giardia duodenalis (PHOTO 2).

2. Faible mortalité, forte morbidité

De nombreux travaux ont étudié la prévalence de G. duodenalis chez des veaux à l’étranger (voir le TABLEAU “Prévalence de ). Jusqu’à 80 à 100 % des animaux prélevés sont infectés mais ceux qui expriment des symptômes sont peu nombreux [14, 26, 29].

Une étude menée dans le Calvados entre 2001 et 2003 sur 250 veaux diarrhéiques âgés de moins de cinq mois (80 % de moins de deux mois) a révélé la présence de Giardia duodenalis chez trois animaux (1,5 %) provenant d’élevages différents. Les kystes ont été recherchés par la technique de Ritchie-Bailenger. Aucun autre agent pathogène habituellement reconnu responsable d’entérite néonatale n’a été identifié chez ces trois animaux. Les animaux infestés sont des veaux de race laitière âgés de moins de deux mois. Des analyses complémentaires ont pu être réalisées dans deux des trois cheptels atteints. Elles révèlent dans les trois exploitations une forte morbidité et une faible mortalité associées à la présence de G. duodenalis dans les fèces [a, 18].

En France, les diverses observations semblent confirmer que G. duodenalis n’est pas un agent pathogène majeur des entérites néonatales. Il conviendrait toutefois de poursuivre les travaux sur l’implication de G. duodenalis dans les syndromes de “manque d’état”, d’amaigrissement ou de diarrhée mucoïde chez des animaux âgés de trois à six mois. Cette période est aussi à risque pour les coccidioses. L’intervention concomitante de ces deux agents reste à étudier.

Le rôle pathogène de G. duodenalis ne semble en outre pas clairement établi, car les résultats varient en fonction des méthodes de diagnostic utilisées.

Deuxième étape : interpréter les coprologies

Le diagnostic clinique et nécropsique de la giardiose bovine est presque impossible.

L’identification d’une infection par Giardia ne peut s’effectuer qu’au laboratoire, essentiellement par la mise en évidence des kystes après flottation (densité de 1,2 à 1,44), par immunomarquage avec des anticorps anti-Giardia marqués à la fluorescéine (Waterborne, États-Unis), avec une technique ELISA ou par immunodiffusion sur membrane. Ces deux dernières techniques sont couramment utilisées en médecine humaine et chez le chien et le chat. Lors de suspicion clinique, il est recommandé d’effectuer un prélèvement sur plusieurs animaux et/ou de répéter les prélèvements (au moins trois, espacés de plusieurs jours), en raison du caractère intermittent de l’excrétion [10].

Plusieurs études nord-américaines ont montré une diminution de la prévalence de l’infestation par Giardia chez les veaux en fonction de l’âge [17]. Il semble notamment que les animaux âgés de plus de six mois soient significativement moins infectés que les animaux plus jeunes. En France, les résultats obtenus confirment la majorité des connaissances rapportées dans la littérature étrangère : la forte prévalence de Giardia en élevage, avec une augmentation de l’excrétion jusqu’à l’âge de quatre mois puis sa diminution.

Il semble que lors de giardiose clinique, un grand nombre de kystes soient excrétés [20], mais la quantité de kystes rejetés dans l’environnement varie, selon les études et les techniques de détection utilisées, de 50 à 300 000 kystes [8, 11, 29].

Deux études ont été menées dans les Pays-de-Loire (2002) et en Auvergne (2004) afin de déterminer la prévalence de Giardia duodenalis dans les élevages bovins par une technique d’immunofluorescence directe avec un anticorps anti-Giardia marqué à la fluorescéine (voir le TABLEAU “Résultats de la prévalence de ) [17].

La totalité des quarante-trois élevages laitiers testés dans les Pays-de-Loire et quarante-deux des quarante-trois élevages allaitants testés en Auvergne, comptaient au moins un animal excréteur de G. duodenalis sur les sept animaux prélevés dans chaque élevage [7, 26]. Dans les deux enquêtes, la plupart des élevages présentaient au moins quatre animaux positifs sur sept. La prévalence individuelle évaluée chez des veaux en Pays-de-Loire et en Auvergne est respectivement de 68,9 % et de 78,4 %. Malgré un nombre de kystes par gramme de matière fécale pouvant atteindre 300 000, une forte proportion de veaux (32 % en élevages laitier ou allaitants) n’excrète qu’entre un et cent kystes. Le pourcentage des veaux qui excrètent plus de 10 000 kystes par gramme est de 6,3 % en élevage laitier, 8 % en élevage allaitant et de 14,3 % en ateliers de veaux de boucherie (enquête sur 43 ateliers en Pays-de-Loire [26]). Les veaux âgés de deux à quatre mois sont ceux qui excrètent le plus fréquemment et avec les taux les plus élevés.

En raison de la forte prévalence observée chez des veaux laitiers comme allaitants sans une association claire avec un risque de diarrhée, une étude plus spécifique qui associe dans chaque élevage un prélèvement sur un animal malade (diarrhéique) et un sur un veau sain a été menée sur 145 animaux [1]. Deux classes d’âge ont été distinguées : de zéro à deux semaines et de deux à huit semaines. Les recherches de G. duodenalis ont été réalisées par immunoflurescence directe. Les autres causes possibles d’entérite néonatale ont également été recherchées (rotavivrus, coronavirus, E. coli K99, Cryptosporidium parvum). Dans aucune des deux classes d’âge, il n’a pas été possible de mettre en évidence de différence significative d’excrétion de G. duodenalis entre les animaux diarrhéiques et les animaux sains. Toutefois, les animaux âgés de moins de deux semaines excrètent significativement moins de kystes de Giardia que les animaux plus âgés.

Troisième étape : traiter

Le traitement de la giardiose bovine est essentiellement fondé sur l’utilisation des benzimidazoles (voir le TABLEAU “Exemples d’essais de traitement de la giardiose bovine”). Il semble qu’un traitement au fenbendazole(1) à 10 ou 20 mg/kg/j pendant trois jours soit plus efficace que le même traitement à des doses équivalentes mais en une seule prise et que des traitements plus longs à des doses inférieures [9, 12, 13, 15].

Dans l’étude menée en Normandie entre 2001 et 2003 [a, 18], un essai thérapeutique a été entrepris avec le fenbendazole(1) à la dose de 5mg/kg/j pendant trois jours. Les manifestations diarrhéiques cessent chez tous les animaux traités alors qu’elles persistent chez les animaux témoins. L’excrétion de G. duodenalis cesse quinze jours après traitement alors qu’elle se poursuit chez les animaux témoins. Une prise de poids est en outre observée chez les animaux traités.

Quatrième étape : recherche de l’origine

Les mesures de prophylaxie lors de giardiose sont globalement les mêmes que celles proposées pour la plupart des entérites néonatales infectieuses (mode d’élevage, hygiène des locaux, hygiène des sources d’alimentation, densité animale).

1. Potentiel zoonotique

Il importe de prendre des mesures de lutte et de prévention contre la giardiose en raison de son potentiel zoonotique. Dans l’étude menée dans le Calvados entre 2001 et 2003 [a, 18] comme dans l’étude auvergnate, un génotypage des Giardia révèle que certaines souches isolées appartiennent à l’assemblage A, pathogène pour les bovins, mais aussi pour l’homme.

2. Rôle de l’eau

Dans l’étude normande, le protozoaire a été recherché dans l’eau des différentes sources d’approvisionnement hydrique des élevages (réseau ou source sur l’exploitation). Dans les trois élevages ou Giardia a été identifié, l’eau du puits de forage privé était contaminée. Cette eau servait notamment à reconstituer le lait d’abreuvement des jeunes animaux.

En Auvergne, la présence de kystes de Giardia a pu être mise en évidence dans onze des vingt-cinq prélèvements d’eau réalisés, tant dans des eaux de forages que de réseau.

Malgré ces observations, aucune conduite à tenir face à une eau contaminée par les Giardia en élevage bovin n’est clairement définie à ce jour.

3. Rôle de l’excrétion maternelle

Dans l’une des exploitations de l’étude normande, G. duodenalis a été recherché dans les fèces des mères des animaux contaminés (un prélèvement unique). Aucun kyste de protozoaire n’a pu être mis en évidence.

En Auvergne en revanche, les résultats confirment l’existence d’une faible excrétion par les mères. Ainsi, chez les mères des veaux testées, la prévalence de cheptel est de 83,7 % (36 cheptels/43 testés). Les niveaux d’excrétions sont plus faibles que chez les veaux : 289 des 301 femelles excrètent entre 0 et 100 kystes/g de fèces.

Un traitement des femelles autour de la mise bas a été proposé afin de diminuer le risque de transmission de la mère au veau [22].

L’impact réel de l’infection des bovins par G. duodenalis reste encore à préciser, compte tenu de la forte prévalence obtenue dans les études menées en Pays-de-Loire et en Auvergne, sans qu’une relation entre la présence du parasite et la diarrhée n’ait pu être mise en évidence chez de très jeunes animaux. La giardiose clinique pourrait néanmoins être une cause encore faiblement diagnostiquée d’entérite bovine en France. Une forte morbidité est parfois observée dans les élevages affectés. Les manifestations cliniques les plus fréquentes ne semblent pas être des entérites néonatales (avant l’âge de deux mois) mais plutôt des diarrhées mucoïdes avec perte de poids chez des animaux âgés de deux à six mois. Dans les études françaises récentes, la contamination primitive semble majoritairement provenir de l’eau d’abreuvement et du portage maternel. La recherche de G. duodenalis est un acte de santé publique puisque les souches isolées sont apparentées au génotype pathogène pour l’homme.

  • (1) Hors RCP.

Remerciements à S. Menard, G. Gargala, C. Marcillaud-Pitel, S. Pronost et K. Maillard.

Physiopathogénie

• Giardia duodenalis est un parasite protozoaire connu sous deux formes : le trophozoïte (forme de multipli-cation asexuée) et les kystes [28].

• La contamination s’effectue par ingestion de kystes. L’acidité gastrique facilite l’excystation qui se déroule dans l’intestin grêle. Les trophozoïtes ainsi produitscolonisent rapidementle duodénum et le jéjunum proximal par multiplication asexuée dans les cryptes intestinales [26].

L’adhésion des trophozoïtes aux villosités est responsable d’une atrophie villositaire, de lésions des microvillosités, d’une déficience enzymatique et d’une perturbation des canaux ioniques des cellules intestinales à l’origine des symptômes observés en raison de la malnutrition et de la maldigestion engendrées [2].

• L’excrétion des kystes dans le milieu extérieur est intermittente [10]. Il arrive que l’enkystement ne se réalise pas et que des trophozoïtes soient émis. Ces derniers ne survivent pas dans le milieu extérieur et ne sont pas contaminants. La survie des kystes dans l’environnement dépend de la température et de la teneur en eau (plus de deux mois à 8 °C, mais seulement quelques jours à 37 °C) [10].

• La contamination des veaux peut s’effectuer par voie oro-fécale ou par voie orale via l’eau de boisson [19]. Il semble que l’excrétion de kystes de Giardia par les femelles gravides au moment de la parturition et pendant les quatre premières semaines post-partum soit un facteur de contamination des jeunes. La période prépatente a été établie expérimentalement à sept ou huit jours, même si des kystes ont pu être observés chez un animal âgé de quatre jours [25].

Congrès

a - Pitel PH, Legoupil V, Graftiaux F et coll. Giardiose bovine : une cause émergente d’entérite néonatale en France. Proc. Journées Nationales Group. Tech. Vet., Nantes. 2003 : 159-161.

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