Conduite diagnostique devant une ataxie - Le Point Vétérinaire n° 254 du 01/04/2005
Le Point Vétérinaire n° 254 du 01/04/2005

NEUROLOGIE CANINE

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CONDUITE À TENIR

Auteur(s) : Thomas Chuzel*, Pablo Rivier**

Fonctions :
*Domaine de Mercruy
69210 Lentilly
**15, rue des Glycines
42270 St-Priest-en-Jarez

Les trois grands types d’ataxies (vestibulaire, cérébelleuse et médullaire) sont distingués par leur tableau clinique. La détermination de leur cause nécessite souvent le recours aux techniques d’imagerie modernes.

Le terme “ataxie”, qui vient du grec (a pour négation et taxis pour ordre), peut être défini comme un manque de coordination du mouvement volontaire (membres, tête et/ou tronc), associé à une irrégularité de l’action des muscles, non explicable par un déficit moteur [4, 7, 8, 9, 12]. Le trouble de la coordination est partiellement corrigé par le contrôle visuel. L’ataxie est un syndrome et ses causes sont multiples. Une démarche rigoureuse est nécessaire afin de parvenir au diagnostic étiologique, parfois difficile à établir. Le praticien doit d’abord reconnaître l’ataxie, puis essayer de localiser la lésion nerveuse et, enfin, découvrir sa cause.

Première étape : reconnaître l’ataxie

Le diagnostic d’ataxie est avant tout clinique. Il nécessite la mise en évidence d’anomalies de la démarche telles que l’astasie, l’abasie, l’hypermétrie ou la dysmétrie.

L’astasie est une perte plus ou moins complète de la faculté de garder la station debout. Elle est presque toujours associée à une abasie.

L’abasie est une perte plus ou moins complète de la faculté de marcher, sans trouble de la force musculo-squelettique, ni de la sensibilité. Elle est souvent accompagnée d’une astasie.

L’hypermétrie est un trouble de la motilité caractérisé par un mouvement démesuré qui dépasse le but recherché.

La dysmétrie est une exécutiondes mouvements, sans mesure dans le temps ni dans l’espace (avec trop de brusquerie, de rapidité, d’amplitude, etc.).

Lors de troubles marqués, le diagnostic est généralement facile à établir. Dans certains cas d’ataxie modérée, ce syndrome peut être difficile à différencier d’une parésie. La réalisation d’un examen neurologique complet aide alors le praticien à distinguer ces deux syndromes. La motricité volontaire est en effet diminuée ou absente dans les parésies, alors qu’elle est conservée lors d’ataxie [3, 4].

Deuxième étape : localiser la lésion nerveuse

Il existe trois grands types d’ataxies qui diffèrent par la localisation de la lésion et par leur présentation clinique : les ataxies vestibulaires, cérébelleuses et médullaires (ou sensitives) [3, 4, 5, 7, 10, 11].

Quelques rares cas d’ataxie d’origine corticale peuvent également être rencontrés. Leur diagnostic est toutefois souvent difficile [5].

1. Ataxie vestibulaire

• L’appareilvestibulaire détecte la position statique ainsi que les mouvements d’accélérations linéaires et de rotation spatiale de la tête. Il adapte alors la position et les mouvements des globes oculaires et du reste du corps en fonction de ceux de la tête, permettant ainsi le maintien de l’équilibre et la bonne coordination des mouvements.

L’appareil vestibulaire se compose dedeux partiesbiendifférenciées (voir la FIGURE “Anatomie du système vestibulaire”) :

- l’une, responsable de l’acquisition des donnéesrelativesà la positiondela tête dans l’espace et située dans l’oreille interne (nerf VIII, canaux semi-circulaires, saccule et utricule), appartientausystème nerveux périphérique ;

- l’autre est située dans le système nerveux central (noyaux vestibulaires du tronc cérébral) où s’effectue l’intégration des données reçues par l’oreille interne.

• Les symptômes lors d’ataxie vestibulaire sensulato sont généralement unilatéraux ou dissymétriques, ce qui permet souvent de les différencier des autres formes d’ataxies. Elle se caractérise par une astasie, une abasie, un port de tête incliné (le côté le plus bas correspond généralement à celui de la lésion), la présence d’un nystagmus pathologique spontané ou de position (qui peut être vertical, horizontal ou rotatoire), une démarche en cercles serrés (du côté de la lésion) et une modification du tonus des membres (diminué du côté de la lésion et augmenté du côté opposé) (PHOTO 1). L’animal peut présenter une incurvation du tronc (concavité du côté de la lésion) et ne supporte pas d’être placé en décubitus latéral du côté opposé à la lésion (l’animal roule sur lui-même).

• Une fois le diagnostic d’ataxie vestibulaire établi, il est essentiel de déterminer si les lésions sont périphériques ou centrales afin de préciser le pronostic et de mieux adapter le traitement. Selon la partie du système vestibulaire lésée, le tableau clinique d’ataxie vestibulaire peut être sensiblement différent (voir la FIGURE “Diagnostic différentiel des ataxies vestibulaires périphérique et centrale”). La présence ou non d’un déficit proprioceptif permet de faire la différence entre ces deux types d’ataxie vestibulaire : un déficit proprioceptif oriente le diagnostic vers une lésion centrale alors que son absence est synonyme d’atteinte périphérique.

Dans certains cas d’ataxie vestibulaire, la lésion est située du côté opposé à celui de l’inclinaison de la tête et des autres signes de latéralité. Ces “syndromes vestibulaires paradoxaux” sont la conséquence d’une lésion centrale qui touche les pédoncules cérébelleux ou les noyaux interpositaux et fastigiaux du cervelet [1, 2, 6, 11, 13].

2. Ataxie cérébelleuse

L’ataxie cérébelleuse, qui provient d’un dysfonctionnement du cervelet, présente un tableau clinique caractéristique, différent de celui des ataxies vestibulaires.

Elle se reconnaît facilement par l’absence de troubles visibles chez des animaux endormis ou au repos qui tranche avec la présence de tremblements du corps entier et en particulier de la tête, dès que l’animal amorce un mouvement (“tremblements intentionnels”, qui augmentent donc avec l’intention, par exemple lorsqu’il est proposé à l’animal à boire ou à manger).

Les animaux présentent une dysmétrie et une hypermétrie : leurs mouvements ne sont pas ajustés au but poursuivi et ont une amplitude exagérée, dite du “pas de l’oie” (l’animal lève le membre antérieur très haut et tendu, puis le repose, après correction du mouvement ; cette anomalie est généralement moins visible pour les membres postérieurs).

L’ataxie est généralement non symétrique (exceptée lors d’atteintes diffuses du cervelet) et des chutes peuvent se produire dans toutes les directions. La présence de petits mouvements inadaptés lors de la prise de nourriture ou “picorage” peut être visible [2, 3, 5, 8, 11, 13].

Des symptômes oculaires (absence de clignement à la menace et anisocorie) sont également possibles.

3. Ataxie médullaire

Les ataxies médullaires ne présentent pas de tableau clinique caractéristique, mais s’expriment de façons variées, selon la localisation de la lésion responsable. Lors d’atteinte médullaire, l’ataxie associe souvent un déficit proprioceptif des membres ou dans certains cas du tronc à une anomalie de la motricité volontaire (parésie ou paraplégie), en raison de la proximité des faisceaux sensitifs ascendants (responsables de la proprioception consciente et inconsciente) et des faisceaux descendants (responsables de la motricité volontaire).

En fonction de la section de la moelle lésée, les quatre membres, les membres postérieurs seuls, voire un seul des deux, peuvent être affectés.

Les principaux signes cliniques sont :

- une augmentation du polygone de sustentation ;

- des oscillations du corps, en particulier du train arrière, qui donnent une démarche chaloupée (astasie) ;

- un appui possible sur la face dorsale des doigts qui engendre une usure exagérée des griffes et des plaies cutanées récidivantes [5, 10, 12].

L’examen neurologique permet souvent de mettre en évidence un déficit proprioceptif, associé ou non à des anomalies des réflexes, en fonction de la localisation de la lésion.

La localisation plus précise de la lésion nerveuse (C1-C5, C6-T2, T3-L3, L4-S3) est fondée sur les mêmes méthodes que celles utilisées pour localiser une lésion nerveuse médullaire (lésion de type motoneurone central, motoneurone périphérique) [8, 9,11].

Troisième étape : exploration de la cause

Une fois l’ataxie caractérisée et localisée (médullaire, cérébelleuse et vestibulaire périphérique ou centrale) (voir l’ENCADRÉ “Algorithme diagnostique lors d’ataxie”), il convient d’en rechercher la cause.

Les affections causales des ataxies sont le plus souvent acquises, mais des origines congénitales existent. Les ataxies vestibulaire ou cérébelleuse sont fréquemment secondaires à un processus inflammatoire et infectieux, alors que les ataxies médullaires sont plus souvent associées à des phénomènes dégénératifs ou néoplasiques (voir le TABLEAU “Étiologie des ataxies”).

La détermination de cette cause est fondée sur les commémoratifs, les données de l’anamnèse et de l’examen clinique et sur les résultats des examens complémentaires, en particulier de l’imagerie.

L’examen radiographique avec ou sans produit de contraste (radiographies des bulles tympaniques (PHOTO 2), myélographie) permet dans certains cas d’identifier la cause des ataxies : otite interne, instabilité cervicale (PHOTO 3), affection compressive médullaire (voir le TABLEAU “Indications comparées de la myélographie, du scanner et de l’imagerie par résonance magnétique du rachis”). Toutefois, lors de suspicion de lésion qui intéresse le cerveau, le recours aux techniques modernes d’imagerie médicale (scanner ou mieux, imagerie par résonance magnétique), lorsqu’elles sont disponibles, permettent dans bien des cas d’établir un diagnostic étiologique (voir le TABLEAU “Indications comparées du scanner et de l’imagerie par résonance magnétique de l’encéphale et de la boîte crânienne”).

La reconnaissance de l’un des trois tableaux cliniques de l’ataxie permet de localiser la lésion nerveuse à une structure anatomo-fonctionnelle. La recherche de la cause de cette ataxie est alors entreprise, afin d’instaurer, si possible, un traitement étiologique. Les nouvelles techniques d’imagerie occupent une place de choix parmi les examens complémentaires utiles à l’établissement de ce diagnostic.

Congrès

a - Thibaud JL, Blot S, Delisle F. Intérêt comparé du scanner et de l’IRM en neurologie. Comptes rendus congrès AFVAC-CNVSPA, Paris. 2002:345-347.

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