Reconstruction du ligament tibio-rotulien - Le Point Vétérinaire n° 253 du 01/03/2005
Le Point Vétérinaire n° 253 du 01/03/2005

CHIRURGIE OSSEUSE DU CHIEN

Pratiquer

CAS CLINIQUE

Auteur(s) : Thierry Boulet

Fonctions : 10, rue de la Croix-de-Pierre
72 290 Saint-Mars-sous-Ballon

Une prothèse de fascia lata et une prothèse synthétique de PDS® sont utilisées pour reconstruire un ligament tibio-rotulien. Le résultat fonctionnel est altéré par un déficit des nerfs tibial et fibulaire.

Suite à un violent accident de la voie publique, une chienne épagneul breton de 16 kilos, âgée de cinq ans et gestante d’un mois, est référée pour une suppression d’appui du postérieur droit.

Cas clinique

1. Anamnèse

La chienne, en état de choc, a été soignée pendant vingt-quatre heures par le vétérinaire traitant (radiographie thoracique, fluidothérapie, analgésie morphinique, antibiothérapie).

Une plaie avec effraction et destruction de la capsule articulaire en face latérale du grasset droit a été suturée.

Une luxation du coude droit a également été réduite à foyer fermé, puis immobilisée par un pansement contentif.

2. Examen clinique

L’état général clinique de la chienne est stable lors de l’examen.

Une incontinence urinaire et fécale est constatée. Elle est attribuée en première intention au traumatisme pelvien.

L’examen clinique révèle une suppression d’appui totale du postérieur droit.

L’examen neurologique du membre montre une diminution de la perception douloureuse, difficile à interpréter compte tenu du bilan lésionnel. Les réflexes tibio-rotulien et de flexion sont absents.

L’extension spontanée du membre est impossible. La manipulation provoque une douleur et une crépitation osseuse pelvienne.

La manipulation du grasset ne permet pas de mettre en évidence de mouvement de la rotule au sein de la trochlée fémorale.

3. Examen radiographique

Un examen radiographique sous anesthésie générale à la médétomidine (Domitor®, 40 µg/kg par voie intraveineuse), complétée d’un bolus de 32 mg de propofol (Rapinovet®, par voie intraveineuse, sept minutes plus tard), permet de constater les points suivants :

- en regard de la plaie articulaire suturée, une partie de la crête tibiale est manquante (PHOTO 1) ;

- la rotule est dans une position anormalement haute au sein de la trochlée fémorale (patella alta) ;

- une fracture oblique longue est présente sur l’ilium droit (PHOTO 2).

À ce stade, une fracture de l’ilium et une avulsion traumatique du ligament tibio-rotulien sont donc diagnostiquées.

Une intervention chirurgicale, vingt-quatre heures plus tard, est proposée au propriétaire.

4. Traitement chirurgical

• L’animal est prémédiqué avec un anticholinergique (glycopyrrolate, Robinul®, 0,01 mg/kg par voie intramusculaire), puis une sédation à la médétomidine (Domitor®, 40 µg/kg par voie intramusculaire) est réalisée. L’anesthésie est induite par une injection intraveineuse de tilétamine/zolazépam (Zoletil 100®, 3 mg/kg) et entretenue par inhalation d’un mélange isoflurane-oxygène pur en circuit fermé. Une antibiothérapie (céfalexine, Rilexine® 30 mg/kg, deux fois par jour) est mise en place.

L’analgésie est assurée par une injection de chlorhydrate de morphine(1) (0,1 mg/kg par voie sous-cutanée) et par l’application d’un patch de fentanyl(1) à 50 µg/h (Durogésic®) sur le thorax tondu. Le patch est laissé en place quatre jours.

Le membre est ensuite préparé pour une intervention orthopédique.

• Dans un premier temps, la fracture de l’ilium est traitée de façon classique par une plaque à compression dynamique 2,7 six trous sur sa face latérale (PHOTO 3).

• Le traitement de la lésion du grasset est ensuite entrepris. Une voie d’abord médiale est utilisée, afin de ménager la suture de la plaie articulaire latérale.

L’exploration de l’articulation confirme la rupture du ligament tibio-rotulien dont l’insertion sur la crête tibiale est retrouvée, œdématiée et d’une longueur de 1,5 cm environ. Du côté de la rotule, l’extrémité libre du ligament est sensiblement de même longueur.

Le parage des tissus péri-articulaires est réalisé. La capsule articulaire présente une perte de substance latérale.

La rotule et la crête tibiale sont forées transversalement (abord médial) à l’aide d’une mèche de 2 mm. Une bande de PDS® de 5 mm de large (Ethicon) est passée en cadre entre les deux orifices et nouée en position de semi-extension du membre sur une rondelle crantée fixée par une vis spongieuse, latéralement au plateau tibial (voir la PHOTO 4 et la FIGURE “Technique chirurgicale de renforcement de la suture du ligament tibio-rotulien et de sa prothèse de ). Une fixation sur rondelle crantée est préférée à un simple nœud à la sortie du tunnel de la crête tibiale afin de limiter une perte de tenue du nœud dans le temps.

Un parage a minima des deux extrémités du ligament tibio-rotulien, puis une suture à l’aide de points en U séparés avec un fil Prolène® décimale 2 (Ethicon) sont réalisés.

Un lambeau de fascia lata est alors isolé proximalement à l’effraction latérale de la capsule articulaire, puis descendu en position inversée sur la suture tendineuse. Il est suturé de part et d’autre sur le ligament rotulien reconstitué (PHOTO 5).

Un rinçage soigneux de l’articulation et du champ opératoire est effectué à l’aide de lactate de Ringer.

Une suture des tissus péri-articulaires restants est réalisée au Vicryl® décimale 3 (Ethicon), aiguille ronde. Un surjet sous-cutané au Vicryl® décimale 2, puis une suture cutanée à l’Ethicrin® décimale 2, achèvent le temps chirurgical à foyer ouvert.

• Un pontage du grasset est ensuite réalisé avec un fixateur externe du service de santé des armées (Fessa) : six vis de Schantz sont posées après forage des diaphyses fémorale et tibiale, puis fixées à deux tubes d’un diamètre de 12 mm et d’une longueur de 15,5 cm, unis entre le fémur et le tibia par une articulation crantée simple pour tubes de 12 mm. Une barre d’union est posée en triangulation à l’aide de deux colliers simples (PHOTOS 6 ET 7).

5. Suivi postopératoire

• Un suivi clinique et radiographique régulier est réalisé pendant un mois. L’animal ne présente pas une autonomie ambulatoire avant la fin de sa gestation, mais l’origine de ce défaut de mise en charge ne peut alors être précisée : luxation du coude qui a récidivé et qui a dû être réduite à nouveau à foyer fermé, excès pondéral chez un animal affaibli, lésions homolatérales du coude et du postérieur, lésions neurologiques.

La cicatrisation des sutures du grasset s’effectue sans problème.

Tous les trois jours, le propriétaire déverrouille l’articulation crantée du pontage, puis réalise une physiothérapie passive des deux rayons osseux. Une modification angulaire de trois à quatre degrés du pontage au niveau de l’articulation crantée est pratiquée avant chaque nouveau verrouillage des tubes.

• Le pontage articulaire est retiré après trois semaines. Un examen radiographique et clinique du membre sous anesthésie générale révèle une descente de la rotule dans la trochlée fémorale de l’ordre d’1 cm entre la flexion et l’extension du membre.

Trois mois après l’intervention, la chienne se déplace mais elle est en suppression d’appui permanente sur le postérieur droit (PHOTO 8).

Un examen neurologique permet de constater :

- une absence de perception de la douleur sur l’ensemble des doigts ;

- des réflexes achiléen et tibial crânial absents ;

- une atrophie des muscles gastrocnémiens et du tibial crânial ;

- un port du membre en flexion permanente sans extension à l’appui ni au repos.

L’amplitude articulaire du grasset est considérée comme bonne, avec une simple diminution de l’extension (PHOTOS 9 ET 10).

Discussion

• La rupture traumatique du ligament tibio-rotulien est une lésion rare qui s’objective radiographiquement et cliniquement par une position anormalement haute de la rotule sur la trochlée fémorale (patella alta) [2, 13].

• Différentes techniques de réparation du ligament tibio-rotulien ont été décrites [6]. Elles consistent en une suture directe (si possible) du ligament lésé et en l’utilisation de prothèses synthétiques (Dacron) ou naturelles (fascia lata, corde du jarret) pour doubler ou pour remplacer cette suture.

• Un système de neutralisation de la tension est ajouté entre la rotule et la crête tibiale (cerclage, suture entre rotule et tibia) [2, 3, 4, 5, 9, 10, 11, 13]. Il convient de juger du positionnement exact de la rotule sur la trochlée avant de fixer ce système [7].

Dans le cas présenté, le ruban de PDS® a été préféré à un cerclage comme système de neutralisation, en raison de ses qualités mécaniques et de sa biodégradabilité à long terme qui dispense d’une ablation du matériel.

Une prothèse de fascia lata a également été utilisée comme “renfort” biologique afin de soulager la suture tendineuse, réalisée sur des extrémités de tendon à la viabilité aléatoire (exposition traumatique lors de l’avulsion).

• Lors de lésions articulaires, ligamentaires, majeures et suite à des reconstructions tendineuses, une immobilisation stricte en position de décharge est indiquée afin de permettre la cicatrisation [7, 8, 10].

Un pontage articulaire du grasset à l’aide d’un Fessa permet cette immobilisation stricte. Chez un chien de plus de 10 kilos, il convient d’utiliser des tubes d’un diamètre minimal de 8 mm [8]. Le pontage assure un soutien des tissus articulaires opérés ou non et optimise les conditions de cicatrisation, tendineuse notamment. Le blocage de l’articulation n’est toutefois pas sans effet néfaste pour le cartilage (modification des propriétés mécaniques de glissement et d’amortissement du cartilage), les ligaments intra- et extra-articulaires, les tendons et les muscles [1, a, b].

• La durée du pontage ne doit pas excéder trois semaines, afin de limiter la dégradation du cartilage articulaire. Il convient de rechercher un compromis entre la suppression des mouvements articulaires néfastes à la cicatrisation des sutures tendineuses et le souci de préserver une biomécanique articulaire efficace. Le déverrouillage de l’articulation crantée du Fessa et la mobilisation passive des rayons osseux plusieurs fois par jour vont dans ce sens [a].

• Trois mois après l’intervention chirurgicale, la récupération fonctionnelle de l’articulation du grasset droit de cette chienne est altérée par des séquelles de lésions nerveuses liées au traumatisme.

Il n’est cependant pas impossible que la moindre récupération fonctionnelle du ligament tibio-rotulien participe au handicap locomoteur résiduel.

Le nombre élevé des lésions orthopédiques (fracture de l’ilium, luxation du coude homolatéral, plaie avec abrasion et rupture du ligament tibio-rotulien) témoigne d’un choc majeur. Les lésions nerveuses initiales étaient difficiles à évaluer compte tenu du bilan lésionnel (nécessité de réaliser une électromyographie, examen difficilement réalisable en routine), mais ne représentaient pas toutefois une contre-indication au traitement chirurgical du grasset.

• Les ruptures traumatiques avec abrasion articulaire du ligament tibio-rotulien sont des lésions dont la réparation est d’un pronostic réservé : toute effraction articulaire avec avulsion traumatique des tendons ou des ligaments complique les techniques de reconstruction des sutures lésées, en raison du risque septique et des dommages tissulaires engendrés.

La cicatrisation ligamentaire présente des particularités liées à la structure anatomique fibrillaire. L’immobilisation en décharge durant la période de cicatrisation du ligament, imposée par les contraintes mécaniques de la mise en charge du membre, altère par ailleurs la résistance et la solidité finale du ligament suturé [1].

Dans ce cas clinique, la lacération-rupture du ligament avec perte de substance de la crête tibiale peut avoir modifié les conditions biologiques et vasculaires locales de l’articulation. De même, la perte de substance de la capsule articulaire en regard de la lacération diminue les capacités de soutien des tissus péri-articulaires au néoligament.

La récupération fonctionnelle du grasset chez cette chienne est amoindrie par un déficit neurologique qui n’a pu être objectivé qu’en phase postopératoire. En revanche, la biomécanique articulaire ne semble pas altérée de façon majeure par la reconstruction du ligament tibio-rotulien, ni par le pontage articulaire laissé en place pendant trois semaines.

  • (1) Médicament à usage humain.

Cours

a - Asimus E. Conséquences des pontages articulaires. Cours du CES de traumatologie ostéo-articulaire et orthopédie animales. ENV Toulouse. 2001:26-30.

b - Fontaine D. JAM : pontages articulaires. Cours de fixation externe. Nantes. 1999:7 pages.

Remerciements au Dr Louché.

Points forts

La rupture traumatique du ligament tibio-rotulien est une lésion rare qui s’objective radiographiquement par une position anormalement haute de la rotule sur la trochlée fémorale (patella alta).

Lors de lésions articulaires ligamentaires majeures et suite à des reconstructions tendineuses, une immo-bilisation stricte en position de décharge est indiquée pour permettre la cicatrisation et limiter le risque de disjonction des abouts suturés.

La mise en tension modérée d’un tendon en cours de cicatrisation favorise une récupération plus rapide de sa solidité.

L’utilisation d’un montage qui permet une immobilisation en position de décharge, mais qui autorise toutefois des mobilisations passives régulières assure un compromis entre ces deux exigences.

La durée du pontage ne doit pas excéder trois semaines, afin de limiter la dégradation du cartilage articulaire.

  • 1 - Autefage A. La cicatrisation des tendons et des ligaments. Point Vét. 1998;29(189):11-15.
  • 2 - Brinker WO, Piermattéi DI, Flo GL. Rupture of the patellar ligament. Handbook of small animal orthopedics and fracture repair. 3rd ed. WB Saunders Co. ed. 1997:569-571.
  • 3 - Burks RT, Edelson RH. Allograft reconstruction of the patellar ligament. A case report. J. Bone Joint Surg. Am. 1994;76(7):1077-1079.
  • 4 - Edwards TB. Patellar tendon and tibial tubercule reconstruction using quadriceps tendon with patellar bone plug autograft. J. Orthop. Trauma. 1997;11(4):304-307.
  • 5 - Farrow CS, Nexton CD. Ligamentous injury (Sprain) In: Newton CD, Nunamaker DM. Textbook of Small Animal Orthopaedics. JB Lippincott Co. ed. Philadelphia. 1985:6 p.
  • 6 - Fayolle P. Traitement chirurgical des lésions tendineuses traumatiques chez les carnivores domestiques. Point Vét. 1998;29(189):27-33.
  • 7 - Isiklar ZU, Varner KE, Lindsey RW et coll. Late reconstruction of patellar ligament ruptures using Ilizarov external fixation. Clin. Orthop. 1996;322:174-178.
  • 8 - Latte Y. Pontages articulaires. Dans : Latte Y, Meynard JA. Manuel de fixation externe. Éd. PMCAC. Paris. 1995:536 pages.
  • 9 - Levy M, Goldstein J, Rosner M. A method of repair for quadriceps tendon or patellar ligament (tendon) ruptures without cast immobilization. Preliminary report. Clin. Orthop. 1987;218:297-301.
  • 10 - Lindy PB, Boynton MD, Fadale PD. Repair of patellar tendon disruptions without hardware. J. Orthop. Trauma. 1995;9(3):238-243.
  • 11 - McNally PD, Marcelli EA. Achilles allograft reconstruction of a chronic patellar tendon rupture. Arthroscopy. 1998;14(3):340-344.
  • 12 - Smith MEH, de Haan JJ, Peck J et coll. Augmented primary repair of patellar ligament rupture in three dogs. Vet. Comp. Orthop. Trauma. 2000;13(3):154.
  • 13 - Wuller TG, Jansson KA, Bruner BW. Augmentation of the patellar ligament with a bone-patellar tendon-bone inlay allograft. Arthroscopy. 1998;14(1):89-93.
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