Essais cliniques : des lacunes, mais plus de statistiques - Le Point Vétérinaire n° 251 du 01/12/2004
Le Point Vétérinaire n° 251 du 01/12/2004

PHARMACIE ET THÉRAPEUTIQUE EN ÉLEVAGE

Se former

EN QUESTIONS-RÉPONSE

Auteur(s) : Patrick Pommier*, Alassane Keita**

Fonctions :
*Centre technique
des productions animales
et agro-alimentaires,
Zoopôle-développement,
rond-point du Zoopôle,
BP 7, 22440 Ploufragan
**Centre technique
des productions animales
et agro-alimentaires,
Zoopôle-développement,
rond-point du Zoopôle,
BP 7, 22440 Ploufragan

Les essais d’efficacité présentés lors de deux congrès de médecine porcine à dix ans d’intervalle montrent que le recours aux statistiques a progressé, mais des lacunes méthodologiques subsistent.

À plusieurs reprises, des articles ont mis en cause la validité des essais d’efficacité publiés dans des revues médicales ou vétérinaires. En production porcine, l’étude publiée en 1991 par Bording [1] sur 33 essais cliniques menés chez les porcs et 11 chez les bovins, mettait en évidence de nombreuses lacunes, en particulier l’absence de lot témoin contemporain et l’absence d’analyses statistiques des résultats. Ces deux défauts étaient observés dans deux tiers des essais pris en compte.

Même s’ils ne prétendent pas être représentatifs de l’ensemble des essais réalisés dans l’espèce porcine, les comptes rendus d’essais d’efficacité (cliniques ou zootechniques) présentés lors des congrès mondiaux de l'International pig veterinary society (IPVS) sont souvent cités en référence. Une première étude critique des comptes rendus publiés lors du congrès de l’IPVS en 1994 a été présentée aux Journées de la recherche porcine de 1995 [2, 4]. Celle-ci montrait, entre autres, que la principale lacune concernait les statistiques qui n’étaient utilisées que dans 56 % des cas (47 % pour les essais cliniques). Seules 41 % des communications faisaient en outre mention d’une randomisation.

Une nouvelle étude a été réalisée sur les comptes rendus d’essais publiés lors du dernier congrès mondial de l’IPVS qui s’est tenu à Hambourg en 2004, en suivant la même méthodologie et en prenant en compte les mêmes critères [3]. Les résultats sont comparés à ceux qui ont été obtenus dans les mêmes conditions dix ans plus tôt.

Quels essais sont pris en compte ?

Tous les essais d’efficacité qui ont fait l’objet d’une communication lors du congrès sont pris en compte dans cette étude, qu’ils aient été réalisés en élevage ou en station et qu’ils aient concerné des médicaments ou des compléments nutritionnels, voire, dans quelques cas, des techniques. Lorsque plusieurs essais sont relatés dans une même communication, ils sont analysés séparément.

Pour chacun de ces essais, sont relevés :

- l’origine des auteurs (structure publique, structure privée ou association des deux) ;

- leur nationalité ;

- le type d’essai (clinique ou zootechnique) ;

- le site de l’expérimentation (terrain ou station) ;

- le nombre de sites inclus ;

- le nombre total d’animaux inclus ;

- le nombre de paramètres cliniques utilisés comme critères de jugement (incluant la mortalité et les critères biologiques ou microbiologiques) ;

- le nombre de paramètres zootechniques utilisés comme critères de jugement.

Les critères suivants sont également recherchés :

- existence d’un (ou de) groupe(s) témoin(s) ;

- existence d’une randomisation ;

- existence d’une analyse statistique et spécification des tests utilisés.

Enfin, chaque fois que cela a un sens, le résultat de l’essai est considéré comme“favorable” ou “défavorable” au produit testé.

Au total 192 essais sont recensés. Cent quatre-vingt-six portent sur des produits et 6 sur des techniques.

Comment la qualité des essais est-elle mesurée ?

Parmi les 192 essais retenus, 150 sont considérés comme des essais cliniques et 42 comme des essais zootechniques.

Cent vingt-trois essais sont conduits sur le terrain (en élevage) et 66 en station expérimentale (dans trois cas, l’information n’était pas donnée).

Les auteurs appartiennent dans 83 cas à des sociétés privées uniquement, dans 56 cas à des organismes publics ou parapublics et 53 essais résultent d’une collaboration entre ces deux types de structures.

Parmi les auteurs, 28 nationalités différentes sont recensées. Les pays qui présentent le plus de résultats sont les États-Unis (41), suivis par l’Allemagne (24), le Mexique (21), la France (20), l’Espagne (18) et la Grande-Bretagne (15).

Les essais en station sont considérés, même lorsque cela n’est pas explicitement précisé, comme conduits sur un seul site. Parmi les 120 essais terrain pour lesquels cette donnée est précisée, 85 (soit 71 %) ont été conduits dans un seul élevage, 16 (13 %) dans deux élevages et 19 (16 %) dans trois élevages ou plus.

Le nombre d’animaux inclus montre une grande variabilité. Il est en effet compris entre 12 et 120 000, avec une médiane de 128 individus. Le nombre de sujets est compris entre 12 et 100 dans 76 cas, entre 101 et 1 000 dans 66 cas et supérieur à 1 000 dans 25 cas. Dans 25 cas, le nombre d’animaux inclus n’est pas précisé dans le compte rendu.

De même, le nombre de critères de jugement est assez hétérogène. Les essais cliniques comportent en moyenne 3,9 paramètres cliniques (1 à 14) et 1,3 paramètres zootechniques (0 à 11). Les essais zootechniques comportent en moyenne 0,4 paramètre clinique (0 à 4) et 5,9 paramètres zootechniques (1 à 22).

Parmi les 192 essais étudiés, 166 (soit 86 %) comportent un ou plusieurs groupes témoins contemporains. Les autres ne comportent pas de groupe témoin (6) ou ils font référence à des témoins “historiques” (20).

Une randomisation des animaux lors de leur inclusion est mentionnée dans 82 essais, soit 43 % du nombre total d’essais et 49 % des essais comportant des témoins contemporains.

Dans 137 cas (71 %) les résultats obtenus font l’objet d’un traitement statistique. Seuls 76 comptes rendus (40 %) spécifient, avec plus ou moins de précision, la nature des tests utilisés.

Le recours aux statistiques apparaît plus fréquent :

- dans les essais zootechniques (83 %) que dans les essais cliniques (68 %) ;

- dans les essais résultant d’une collaboration entre le public et le privé (79 %) que dans les essais menés entièrement par les secteurs public (70 %) ou privé (67 %).

Les essais en station et les essais terrain sont soumis à une analyse statistique dans les mêmes proportions (71 %).

La conclusion de l’essai est favorable au produit testé dans 178 cas sur 187 (soit 95 %).

Une amélioration est-elle perceptible ?

Le nombre de comptes rendus d’essais présentés au congrès de l’IPVS est sensiblement plus élevé en 2004 qu’en 1994. Cette évolution est à mettre en parallèle avec l’augmentation générale du nombre de communications observée lors des derniers congrès. Les résultats de cette étude sont assez proches de ceux qui avaient été présentés en 1995 (voir le TABLEAU “Principales caractéristiques des essais présentés aux 13), à l’exception notable de l’utilisation des statistiques. Même si trois essais sur dix sont encore conduits sans aucun traitement statistique, la situation s’est sensiblement améliorée depuis dix ans, la proportion d’essais qui comportent un traitement statistique est ainsi passée de 56 à 71 %. Cette amélioration est observée dans tous les types d’essais, mais elle est particulièrement nette dans les essais cliniques (68 % au lieu de 47 %) et dans les essais terrain (71 % au lieu de 53 %).

En revanche, 14 % des études (contre 10 % en 1994) sont encore conduites sans témoin ou font référence à un témoin “historique”. Précisons que dix-sept communications, qui rapportent des tentatives d’éradication (et qui font donc également appel à des “témoins historiques”) n’ont pas été prises en compte dans cette étude. Le nombre, relativement faible, d’essais randomisés est probablement sous-évalué car, comme cela a été suggéré en 1995, la randomisation de certains essais semble parfois ne pas être mentionnée dans le compte rendu.

Le pourcentage élevé de conclusions favorables (95 %) souligne une nouvelle fois l’existence probable d’un biais de publication, des résultats positifs ayant plus de chances d’être publiés que des résultats négatifs.

En médecine vétérinaire comme en médecine humaine, les essais d’efficacité jouent un rôle essentiel dans la carrière d’un médicament ou d’un complément nutritionnel. Ils constituent en effet un moyen privilégié de démontrer l’efficacité réelle des produits proposés. Pour être fiables, ils doivent cependant être conduits avec rigueur. La présente étude, focalisée sur les comptes rendus d’essais d’efficacité dans l’espèce porcine présentés au congrès mondial de l’IPVS, semble montrer une évolution positive, en particulier pour ce qui concerne l’utilisation des statistiques, principale lacune signalée dans la dernière étude similaire. Le traitement statistique des données constitue néanmoins un des principaux points à améliorer, avec la généralisation des techniques de randomisation.

Points forts

Trois essais sur dix sont, encore aujourd'hui, conduits sans aucun traitement statistique (contre 50 % il y a dix ans).

Plus de 10 % des essais sont conduits sans lot témoin. Cette proportion est en augmentation.

95 % des essais présentent des résultats favorables à la technique ou au produit évalué, ce qui accrédite l’hypothèse d’un fort biais de publication.

Congrès

1 - Bording A. The clinical trial in veterinary practice. Proc. 11th IPVS Congress, Lausanne, Suisse. 1990 :413.

2 - IPVS. Proc. 13th IPVS Congress, Bangkok, Thaïlande. 1994 :582p.

3 -  IPVS. Proc. 18th IPVS Congress, Hamburg, Allemagne. 2004 :890 p.

4 - Pommier P, Wessel-Robert S, Bourgueil E. Les études d’efficacité chez le porc : analyse critique de 140 essais récents. Journées de Recherche Porcine en France. Paris. 1995 ;26 :87-90.

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