Affections inflammatoires de l’œsophage : les œsophagites - Le Point Vétérinaire n° 251 du 01/12/2004
Le Point Vétérinaire n° 251 du 01/12/2004

GASTRO-ENTÉROLOGIE CANINE ET FÉLINE

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COURS

Auteur(s) : Patrick Lecoindre

Fonctions : Clinique vétérinaire des Cerisioz
5, route de St-Symphorien-d’Ozon
69800 Saint-Priest

Les maladies inflammatoires de l’œsophage du chien et du chat sont plus fréquentes que ce qui était généralement admis. Les traitements pour obtenir la cicatrisation complète des lésions sont souvent longs.

L’œsophagite a rarement été reconnue comme une entité pathologique chez les chiens et les chats, bien qu’elle soit à l’origine de troubles digestifs d’évolution aiguë ou chronique. Une meilleure connaissance des causes d’inflammation de l’œsophage et des circonstances dans lesquelles une œsophagite peut être suspectée, et les progrès des techniques d'investigation qui autorisent des diagnostics plus précis, doivent permettre de mieux traiter et prévenir cette affection, dont l'incidence a été sous-estimée.

Étiologie et pathogénie des œsophagites

1. Étilogie

Une inflammation de l'œsophage peut résulter d'agressions diverses, aiguës ou chroniques. L'absorption de produits caustiques ou d'un corps étranger vulnérant (PHOTO 1), des vomissements aigus persistants, l'existence d'un reflux gastro-œsophagien, sont autant de causes de développement d'une œsophagite [2, 3, 5, 7, 10].

Les œsophagites infectieuses sont rares chez l'animal et sont surtout décrites chez des individus immunodéprimés. Des œsophagites associées aux coronavirus ou aux virus herpès sont rapportées chez le chat. Des candidoses oro-œsophagiennes ont été décrites chez des animaux soumis à une corticothérapie ou à des traitements immunodépresseurs, bien que l’incidence clinique soit mal définie [12].

L’absorption de médicaments à usage humain en gélule, généralement sans eau, peut entraîner l’adhérence [13] et la dissolution du médicament dans l’œsophage et être responsable d’une inflammation localisée. Chez l’homme, trois types de produits sont responsables de 75 % des lésions œsophagiennes d’origine médicamenteuse :

- les antibiotiques (en majorité des tétracyclines et la doxycycline en particulier) ;

- le bromure d’émépronium (anticholinergique) ;

- le chlorure de potassium.

La doxycycline a été citée chez le chat comme ayant été à l’origine d’œsophagite sévère.

Chez l'animal comme chez l'homme, les œso-phagites les plus fréquentes sont probablement les œsophagites dites “peptiques” (PHOTO 2), consécutives à un reflux gastro-œsophagien pathologique [3, 4, 10, 11] (voir l'article “Troubles de la motilité de l’œsophage” paru dans le numéro 249 du Point Vétérinaire).

2. Pathogénie de l'œsophagite peptique

La composition et le pH du liquide de reflux déterminent son action sur la muqueuse. Le liquide est le plus souvent acide, mais le pouvoir lésionnel du matériel de reflux serait surtout dû à la pepsine, activée en milieu acide, davantage qu'à l'action directe des ions H+. Les acides et sels biliaires qui peuvent être associés à ce liquide aggraveraient le rôle caustique de la pepsine et des ions H+, en particulier en diminuant la résistance de la barrière muqueuse [6, 10, 12].

L'œsophagite peptique, ou œsophagite par reflux, dépend aussi dans une certaine mesure d'une défaillance des capacités de résistance de la muqueuse (voir l'ENCADRÉ “Notion de barrière muqueuse”). Cette défaillance peut être en rapport avec le vieillissement, une dénutrition ou des antécédents d'œsophagite.

Symptomatologie

Les symptômes sont souvent discrets et peu caractéristiques [5] :

- toux d’origine indéterminée ;

- hypersalivation subite ;

- régurgitations d’une petite quantité de liquide le matin au réveil ou à la suite d’un effort physique ;

- dysorexie ;

- postures qui traduisent une douleur ou un inconfort (attitude de prière, recherche de surfaces froides).

Lorsque les lésions inflammatoires sont sévères, le tableau clinique est dominé par l'apparition d'un syndrome dysphagique :

- régurgitations ;

- anorexie ;

- déglutition douloureuse ;

- hypersalivation.

La prise d'aliments soulage en général l'animal qui ne présente alors plus aucun signe après le repas, probablement par un effet tampon sur les acides [12].

Dans certains cas, l'irritation de la muqueuse œsophagienne peut stimuler un broncho-spasme, réflexe générateur de toux, voire de dyspnée [1].

L'apparition de régurgitations systématiques des aliments solides peut révéler l'apparition d'une sténose cicatricielle (voir l'article “Affections par obstruction de l'œsophage”, paru dans le numéro 250 du Point Vétérinaire).

Diagnostic

• Le diagnostic de suspicion de l’œsophagite peptique de reflux est fondé sur l’anamnèse et l’apparition de signes cliniques évocateurs. Il est souvent confirmé lors du traitement (diagnostic thérapeutique) : une disparition des signes cliniques lorsque l’animal reçoit des anti-sécrétoires est fortement en faveur de l’existence d’un reflux et d’une œsophagite [8, 10].

• L'interprétation des clichés radiographiques est délicate lors d'œsophagite. La persistance anormalement longue de produits barytés au sommet des plis de l'œsophage, sous forme de lignes radio-opaques plus ou moins régulières, peut être considérée comme un signe d'inflammation mais doit être interprétée avec prudence, surtout chez le chat.

Si la radiographie n'apparaît donc pas comme un examen de choix pour le diagnostic spécifique de l'œsophagite, cette technique, mais également d'autres examens complémentaires comme l'échographie, peuvent toutefois permettre d'éliminer une autre affection de l'œsophage ou de préciser la cause de l'œsophagite (corps étrangers, hernie hiatale, etc.).

• L'endoscopie permet généralement d'établir le diagnostic d'œsophagite, mais aussi d'apprécier l'étendue des lésions et leur sévérité.

Lors d’œsophagite consécutive à l’ingestion de produits caustiques (PHOTO 3), les lésions endoscopiques généralement sévères, très ulcérées et étendues à tout l’œsophage, sont rapidement (en quelques jours) génératrices de rétractions cicatricielles et de sténose.

Lors d’œsophagite consécutive à un reflux gastro-œsophagien survenu au cours d’une anesthésie, les lésions sont le plus souvent assez distales dans l’œsophage thoracique, à l’entrée de la poitrine, à la base du cœur ou juste en amont du cardia. Elles sont de sévérité variable, du simple érythème à l’ulcère.

La cicatrisation de ces lésions peut entraîner une sténose de l’œsophage le plus souvent circonférentielle et annulaire [1] (PHOTO 4).

L'examen endoscopique est diagnostique dans les stades II, III et IV d'œsophagite de reflux (voir le TABLEAU “Description des différents stades d'œsophagite de reflux”). Les lésions sont généralement localisées dans les derniers centimètres de l’œsophage, juste en amont du cardia. Le stade I est probablement le plus fréquent et seul l'examen histologique permet de confirmer l'existence d'une inflammation. Les biopsies de l’œsophage ne sont pas toujours aisées à réaliser et nécessitent dans certains cas l’utilisation d’une capsule à succion qui n’est pas disponible en pratique courante.

• L'examen histologique peut révéler deux altérations principales :

- l'épaississement des couches basales ;

- l'allongement des papilles conjonctivo-vasculaires du chorion.

• De nombreuses affections gastro-duodénales peuvent être responsables d’une augmentation de la pression intragastrique génératrice d’un reflux gastro-œsophagien ou de vomissements (PHOTO 5). Face à une œsophagite dont l'origine n'est pas évidente, il convient donc de réaliser des examens complémentaires afin de rechercher une affection de l'estomac et du duodénum : par exemple, radiographie avec ou sans préparation et position de stress, échographie, examen endoscopique (PHOTO 6) (macroscopique, éventuellement biopsies), etc.

Traitement

Le traitement spécifique des œsophagites associe des mesures diététiques à un traitement médical (voir le TABLEAU “Traitement spécifique de l'œsophagite chez le chien et chez le chat”). Si une cause est mise en évidence, ce traitement des lésions inflammatoires doit être associé au traitement causal (extraction de corps étranger, traitement de la cause systémique ou digestive des vomissements qui ont entraîné secondairement des lésions inflammatoires de l’œsophage, etc.).

Dans le cas particulier où un propriétaire constate que son animal a ingéré un produit caustique, il convient de lui indiquer de ne lui faire absorber aucun liquide ou aliment. L'administration précoce d’anti-acides sous forme de gel (type Phosphaluvet® ou Maalox®(1)) peut toutefois limiter le développement de l'œsophagite. Il convient également de ne pas provoquer de vomissements qui entraîneraient un nouveau contact caustique avec la muqueuse.

1. Mesures diététiques

• Une diète de 48 heures est impérative dès l'apparition des premiers signes d'inflammation œsophagienne. Elle est suivie de mesures diététiques fondées essentiellement sur l'administration d'aliments hyperdigestibles hyperprotéiques, distribués de manière fractionnée. La richesse en protides de l'aliment renforce en effet la continence du sphincter œsophagien caudal (SOC) et évite le reflux de sucs gastriques acides, qui aggraveraient les lésions de l'œsophage [5, 6].

Les régimes trop riches en graisses sont évités car ils stimulent la sécrétion de cholécystokinine qui a un effet inhibiteur sur le tonus sphinctérien.

• Les aliments sont distribués en hauteur afin d'éviter une stase prolongée du bol alimentaire dans un œsophage dont la motricité est perturbée.

• Lors d’œsophagite sévère, ulcérée et étendue, un tube de gastrotomie est placé sous contrôle endoscopique.

2. Traitement médical

Le traitement médical fait appel à trois types de médicaments : les substances qui renforcent le tonus du sphincter, les anti-acides et les antisécrétoires.

Médicaments qui renforcent le tonus du sphincter

Le seul principe actif actuellement disponible, dont l'action bénéfique sur le sphincter œsophagien caudal a été clairement démontrée [10], est le métoclopramide (Primpérid®) à dose élevée (0,2 à 0,4 mg/kg par voie orale, trois à quatre fois par jour). Les prises sont réparties de façon à obtenir un effet maximal pendant la nuit.

La dompéridone (Motilium®) a des indications identiques.

Le cisapride(1) (Prépulsid®, 0,1 à 0,4 mg/kg par voie orale, deux à trois fois par jour) encore peu documenté chez le chien et chez le chat, présente un réel intérêt. Des études in vitro, réalisées sur des lambeaux de muscle circulaire de chat, ont montré que le cisapride augmente l'amplitude des contractions induites par stimulation électrique.

Ces médicaments ont une action limitée aux fibres musculaires lisses de l'œsophage et ne sont donc pas utiles lors de troubles de motilité de l'œsophage chez le chien, riche en fibres striées.

Chez le chat en revanche, l'œsophage, surtout dans sa portion thoracique distale, est exclusivement composé de fibres lisses. Ces molécules présentent donc un intérêt certain pour renforcer à la fois le tonus du sphincter œsophagien inférieur et la motilité de l'œsophage.

• D'autres molécules, agonistes de la motiline (érythromycine), font actuellement l'objet d'études expérimentales chez l'homme : elles accélèrent la vidange gastrique, stimulent la motricité antrale et augmentent la pression du SOC.

Anti-acides

Les anti-acides ont une action sur la cicatrisation des lésions œsophagiennes et sur le renforcement du tonus du sphincter gastro-œsophagien par élévation de la gastrinémie (pas d'études contrôlées chez l’animal).

Ces produits liquides (Gaviscon®(1), Phosphaluvet®), largement utilisés, surnagent à la surface du lac muqueux gastrique ; lorsqu'un reflux se produit, il est principalement constitué de gel qui protège ainsi l'œsophage. Leur propriété anti-acide (pouvoir tampon) permet également d'avoir un reflux moins corrosif pour l'œsophage.

Le sucralfate(1) (Ulcar®, Keal®) est certainement utile lors de lésions ulcéreuses de la muqueuse œsophagienne : son pouvoir topique supérieur aux produits précédents permet une adhérence sélective sur les zones lésées.

Antisécrétoires

• La prescription d'antagonistes des récepteurs H2 de l'histamine (cimétidine(1), ranitidine(1)), si elle est encore controversée chez l'homme, semble logique car elle diminue l'acidité des sécrétions gastriques et donc du liquide de reflux gastro-œsophagien.

• Certains travaux chez le chien et chez l'homme ont démontré l'efficacité de l'oméprazole(1) (Mopral®, Zoltum®), du lansoprazole(1) (Lanzor®, Ogast® ) qui agissent comme anti-sécrétoires par inhibition de la pompe à protons [7].

Lors d'œsophagite, des mesures diététiques simples associées à la prise d'anti-acides après les repas et le soir au coucher, et éventuellement aux antisécrétoires, suffisent dans la majorité des cas à obtenir une régression des symptômes. Cette amélioration ne coïncide toutefois pas toujours avec la cicatrisation des lésions et il est nécessaire de prolonger le traitement médical pendant une longue période en prévenant le propriétaire que des récidives sont possibles. Ce risque est plus élevé si la cause n'a pu être déterminée ou ne peut être éliminée, d'où l'importance de la recherche d'une affection prédisposant à l'œsophagite ou au reflux gastro-œsophagien.

  • (1) Médicament à usage humain.

Notion de barrière muqueuse

La barrière muqueuse œsophagienne est un système de défense complexe et multifactoriel, capable de s’adapter et de réagir à une élévation brutale de l’acidité intraluminale.

Un certain nombre de mécanismes de défense protègent l’intégrité de la muqueuse œsophagienne exposée physiologiquement à l’action agressive des composants du liquide de reflux.

L’épithélium œsophagien non kératinisé est la pièce centrale de la résistance tissulaire. Le renouvellement cellulaire représente en effet un mécanisme important de défense.

Le mucus et les bicarbonates sécrétés par les glandes salivaires constituent une ligne de défense luminale.

Le flux sanguin de la muqueuse est l'élément essentiel des défenses sous-épithéliales. Il apporte oxygène et nutriments et des systèmes de transports ioniques permettent une diffusion des ions H+ intracellulaires vers le secteur vasculaire, ce qui assure l’équilibre acide-base tissulaire.

D'après [5, 6].

Points forts

Des médicaments à usage humain en gélule, souvent administrés sans eau, peuvent adhérer et se dissoudre dans l’oesophage et être responsables d’une inflammation localisée.

Les signes cliniques d'oesophagite sont souvent discrets et peu caractéristiques. Ils peuvent disparaître temporairement après l'ingestion d'aliments qui exercent un effet tampon sur l'acidité.

Le traitement spécifique des oesophagites associe des mesures diététiques (composition de la ration, distribution en hauteur) à un traitement médical.

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