Le shunt portosystémique chez le chat - Le Point Vétérinaire n° 250 du 01/11/2004
Le Point Vétérinaire n° 250 du 01/11/2004

AFFECTIONS HÉPATIQUES FÉLINES

Se former

EN QUESTIONS-RÉPONSES

Auteur(s) : Constant Lecœur*, Pr Éric Monnet**

Fonctions :
*5, villa Poirier
75015 Paris
**Chirurgie des tissus mous
Department of Clinical Sciences
College of Veterinary Medicine
and Biomedical Sciences
Colorado State University
Fort Collins, Colorado 80523

Le shunt portosystémique est une anomalie vasculaire congénitale fréquente chez le chien. Rare chez le chat, il est toutefois certainement sous-diagnostiqué dans cette espèce.

Le shunt portosystémique est une anomalie vasculaire dans laquelle le sang du système porte, qui provient des viscères abdominaux, est dévié vers la circulation systémique et court-circuite la vascularisation hépatique. Il a pour effet une persistance des toxines intestinales dans la circulation systémique : il s’agit de l’ammonium et de certaines endotoxines. Ces toxines n’étant plus métabolisées au niveau du foie, elles provoquent un déséquilibre nerveux central, responsable de l’encéphalose hépatique. Cette affection congénitale est rare chez le chat, à l’inverse du chien. Chez le chat, la prévalence est d’environ 0,025 % [3].

Quelles sont les caractéristiques épidémiologiques de cette affection ?

Il n’existe pas de prédisposition raciale marquée. Cependant, une incidence plus élevée semble exister chez le persan. Les mâles semblent plus fréquemment atteints que les femelles.

Il s’agit dans 90 % des cas de shunts portosystémiques extrahépatiques [7]. Le shunt est localisé le plus souvent sur la veine porte, la veine gastrique gauche (PHOTO 1) ou la veine splénique. Il rejoint en général la veine cave abdominale. Cependant, il peut traverser le diaphragme et rejoindre une veine thoracique (shunt porto-azygos). Les symptômes sont présents avant l’âge de six mois dans la majorité des cas.

Quels sont les symptômes du shunt ?

Les principaux signes cliniques sont neurologiques et caractéristiques de l’encéphalose hépatique : ptyalisme, ataxie, tremblements, dépression, amaurose intermittente ou permanente, dysphagie et convulsions [7]. Ces signes neurologiques peuvent être intermittents, principalement postprandiaux.

Les animaux présentent parfois des signes digestifs : diarrhée, vomissements, anorexie et polyphagie, et des signes urinaires : polyurie, pollakiurie et strangurie, associées à des calculs vésicaux d’urate d’ammonium [7].

Une cachexie, voire un rachitisme peuvent également être notés.

Une cryptorchidie a été relevée chez un tiers des mâles présentant la maladie, sans qu'un lien ait pu être démontré.

Que révèlent les analyses biologiques ?

• Un bilan biochimique peut mettre en évidence une augmentation modérée des concentrations sériques d'alanine-aminotransférase et des phosphatases alcalines due à une diminution de la vascularisation hépatique, une diminution de l’urémie liée à une baisse de la synthèse hépatique à partir de l’ammoniac, une créatinine plasmatique faible en raison d'une masse musculaire amoindrie, une hypoglycémie due à la diminution de la néoglucogenèse hépatique (plus rare que chez le chien) et une hypoprotéinémie (hypo-albuminémie) [7].

Une hypokaliémie est parfois rencontrée lors de vomissements et de diarrhée.

• La numération-formule peut mettre en évidence une microcytose, le plus souvent associée à une anémie.

• L'analyse d'urine révèle une densité inférieure à 1,020 chez environ un tiers des chats atteints et, plus rarement, des cristaux d’urate d’ammonium (excrétion d’ammonium et d’acide urique dans les urines) [7].

Le test de la fonction hépatique par la mesure des acides biliaires révèle dans 95 à 100 % des cas une augmentation des valeurs pré- et/ou deux heures postprandiales, car ces acides sont extraits de la circulation systémique au niveau du foie [2, 3, 6]. Une mesure de l’ammoniémie à jeun et 30 minutes après l’ingurgitation de chlorure d’ammonium peut également être effectuée : une hyperammoniémie à jeun est constatée dans 90 % des cas [2, 3]. Cependant, il convient de réaliser cette mesure sur du sérum frais ou conservé par congélation afin d’éviter l’hyperammoniémie engendrée par les dégradations cataboliques au sein de l’échantillon [2]. L’ingestion de chlorure d’ammonium n’est en outre pas aisée chez le chat et engendre le plus souvent des vomissements si la solution n’est pas diluée. En comparaison, les acides biliaires sont stables quarante-huit heures à température ambiante dans le sérum [2].

Quels sont les apports diagnostiques de l’imagerie ?

• La radiographie abdominale sans préparation met parfois en évidence une microhépatite et une rénomégalie, mais se révèle peu efficace pour le diagnostic [7].

• L’échographie permet en revanche la visualisation du shunt et de la vascularisation hépatique et d’éventuels calculs d’urate d’ammonium (radiotransparents).

• Un couplage Doppler peut être utile pour le repérage du shunt, mais une grande expérience échographique (et anatomique) est requise pour cette visualisation.

• La scintigraphie (technétium 99 m injecté dans le rectum) permet un diagnostic de shunt en comparant la vitesse d’apparition de la radioactivité du cœur et du foie et une estimation du degré du shunt : proportion de sang portal qui ne passe pas dans le foie (normale < 15 % ; lors de shunt chez le chat > 50 %) [3, 6]. Cette technique ne permet toutefois pas une visualisation du shunt en raison de son déficit de résolution spatiale et est réservée à des centres agréés pour la manipulation d’isotopes radioactifs.

• Une portographie peut également être réalisée, mais elle s’effectue après laparotomie par cathétérisation d’une veine mésentérique et est surtout utilisée lors de difficultés peropératoires pour identifier le shunt.

Quels sont les traitements possibles ?

Le traitement conservateur ou médical permet seulement un traitement symptomatique de l’encéphalopathie associée. La médiane de survie est variable : de quelques mois à plusieurs années et dépend essentiellement de la sévérité des symptômes cliniques [9].

Le traitement chirurgical peut être réalisé, soit par ligature totale ou partielle du shunt, soit par l’atténuation progressive du shunt au moyen d’une bande de cellophane (qui induit la fibrose progressive du shunt) ou d’un anneau améroïde (qui entraîne une fermeture progressive du shunt) [3, 6, 7, 8, 11]. La plupart des études font état d'un taux de mortalité de 5 à 20 % après un traitement chirurgical. Le pronostic semble meilleur lorsque le shunt est complètement ligaturé : certaines études font alors état de succès thérapeutiques à deux ans [7]. Lors de ligature partielle, les signes cliniques disparaissent parfois après l’intervention mais une rechute est le plus souvent constatée dans les mois suivants (75 à 100 % des cas), qui nécessite une seconde intervention ou un traitement médical [3, 7]. Elle est attribuable à une recanalisation du shunt ou à l’apparition de multiples shunts.

Lors d’occlusion progressive, l’anneau améroïde est à éviter car cette technique peut produire une atténuation trop brutale en raison des possibilités de glissement du dispositif trop lourd chez le chat. Une étude récente montre que l’anneau améroïde provoquerait une oblitération rapide et complète du shunt en deux à trois semaines et une étude rétrospective rapporte 77 % de complications avec cette technique [6, 12].

En quoi consiste la gestion médicale ?

Une alimentation hypoprotéique est mise en place. L’encéphalopathie hépatique est gérée par l’administration d’antibactériens qui permettent de réduire la production d'ammoniac par les bactéries : néomycine (Kaomycin®, Néomydiar®) à la dose de 20 mg/kg deux fois par jour par voie orale ou métronidazole (Flagyl®(1)) à la dose de 10 mg/kg deux fois par jour par voie orale, et de lactulose(1) (Duphalac®) à la dose de 0,5 à 1 ml deux fois par jour. Le lactulose a pour effet la production d’acides dans le côlon, ce qui provoque une diffusion de l’ammoniac du sang vers le contenu colique où il est transformé en ion ammonium et excrété [9]. Le lactulose doit être utilisé aux doses minimales effectives et en cures de deux ou trois jours, afin d’éviter les diarrhées chroniques. Les saveurs du lactulose et du métronidazole sont en outre mal tolérées par les chats.

Lors d’encéphalopathie sévère, un lavement colique avec du lactulose dilué (30 % de lactulose dans 70 % d’eau tiède) ou de la povidone iodée diluée à 1 % (Vétédine solution®) peut être réalisé. Il convient d’injecter la solution à raison de 25 ml/kg pendant environ vingt à trente minutes.

Lors de convulsions réfractaires à ces traitements, du phénobarbital(1) (Gardénal®) peut être administré à raison de 2 mg/kg deux fois par jour.

Quels sont les critères d'évaluation de la correction du shunt ?

Après identification du shunt, la cathétérisation d’une veine mésentérique et l’utilisation d’un manomètre à eau permettent de mesurer la pression portale. La pression normale est d’environ 10 à 14 cm H2O. La ligature progressive du shunt est ensuite réalisée. Une augmentation de la pression portale de plus de 10 cm H2O ou Âune valeur supérieure à 20 cm H2O suggère des risques d’hypertension portale et de mort postopératoire [5]. Cette hypertension portale peut aussi être surveillée par la visualisation des viscères abdominaux (PHOTO 2). Toute congestion ou cyanose de ceux-ci est un signe d’hypertension portale. Cette dernière estimation est subjective et dépend de l’expérience du chirurgien ; l’hypoxie induite par la stagnation du sang portal peut en outre ne survenir qu’après plusieurs heures [5]. Une chute soudaine de la pression artérielle et de la fréquence cardiaque lors de la ligature est souvent également le signe d’une hypertension portale [5]. Environ 50 % des shunts extrahépatiques peuvent être complètement ligaturés [7].

Quelles sont les complications postopératoires d'une occlusion totale ou partielle ?

La complication postopératoire immédiate est l’hypertension portale aiguë. Elle est révélée par un état de choc : tachycardie, hypotension, hypothermie et hypoglycémie [5]. Cette hypertension portale est due à une atrésie du système porte. Elle entraîne une hypertension veineuse au niveau des viscères abdominaux, un œdème et une nécrose des muqueuses intestinales, puis une fuite des fluides intravasculaires dans l’abdomen ainsi que de certaines endotoxines et bactéries. Cette hypertension aboutit à un état de choc hypovolémique et septique [5]. Le plus souvent, l’issue est fatale même lors d’administration de solutés cristalloïdes ou colloïdes pour rétablir la volémie et l’exérèse chirurgicale de la ligature en urgence.

Une hypertension portale modérée peut avoir pour conséquence la formation d’une ascite dans les semaines après l’intervention. En général, cette ascite se résorbe en quelques semaines sans traitement, sinon il convient de diminuer chirurgicalement l’atténuation du shunt.

Des convulsions dans les vingt-quatre à soixante-douze heures qui suivent la ligature chirurgicale d’un shunt sont fréquentes chez le chat [3, 6, 10]. Elles ne sont pas, le plus souvent, un signe d’encéphalopathie hépatique, mais elles seraient attribuables à une brutale modification de l’équilibre neurophysiologique et de certains neuro-médiateurs. Ces convulsions peuvent être traitées par du phénobarbital(1) à la dose de 2 mg/kg par voie intraveineuse ou orale deux fois par jour ou du propofol (Rapinovet®) en perfusion constante, à la dose de 0,025 mg/kg/min (dans ce cas, l’animal doit être surveillé comme lors d’une anesthésie et une alimentation par un tube de gastrostomie est conseillée) [4].

Les benzodiazépines (diazépam(1), Valium®) ne doivent pas être utilisées car des récepteurs à ce neuromédiateur pourraient être impliqués dans les convulsions [1].

Ces complications sont évitées par la méthode d'occlusion progressive du shunt, qui diminue les risques de modifications hémodynamiques marquées [11].

En quoi consiste l’atténuation progressive par bande de cellophane ?

Il s’agit d’apposer sur le shunt une bande de cellophane préalablement stérilisée, sans tenter d’atténuer ou de ligaturer celui-ci (PHOTO 3) [11]. Le cellophane a pour effet une fibrose progressive du shunt, qui entraîne son atténuation et son oblitération en un à deux mois [12]. Cette oblitération est complète lorsque le shunt a un diamètre inférieur à 3 mm [11].

La plupart des études font état d’un taux de mortalité de 5 à 20 % après traitement chirurgical du shunt portosystémique chez le chat et d’un bon pronostic lors de ligature totale du shunt.

En revanche, lors de ligature partielle due à une atrésie portale, l'état clinique de l'animal peut être amélioré pendant plusieurs mois, mais des récidives symptomatiques dues à une recanalisation du shunt ou à l’apparition de shunts acquis nécessitent le plus souvent une seconde intervention chirurgicale ou un traitement médical. L’atténuation progressive des shunts de faible diamètre par une bande de cellophane pourrait être une solution lorsque la ligature totale du shunt est impossible.

  • (1) Médicament à usage humain

Points forts

Il n'existe pas de prédisposition raciale. Cependant, une incidence plus élevée semble exister chez le chat persan.

Le bilan biochimique peut mettre en évidence une augmentation modérée des concentrations sériques d'alanine-aminotransférase et des phosphatases alcalines, une diminution de l’urémie, une créatinine plasmatique faible, une hypoglycémie et une hypoprotéinémie.

La plupart des études font état d'un taux de mortalité de 5 à 20 % après le traitement chirurgical du shunt.

Le pronostic est meilleur lorsque le shunt peut être totalement ligaturé lors de l’intervention.

Lors de ligature partielle, une recanalisation du shunt ou l’apparition de shunts acquis peut être observée dans les mois qui suivent l’intervention.

En savoir plus

- Lappin MR. Feline internal medicine secrets. Hanley and Belfus Inc. Ed. Philadelphia. 2001 ; 163-167.

  • 1 - Aronson LR, Reynaldo CG, Kaminsky-Russ K et coll. Endogenous benzodiazepine activity in the peripheral and portal blood of dogs with congenital portosystemic shunts. Vet. Surg. 1997 ; 26 : 189-194.
  • 2 - Center SA, Baldwin BH, De Lahunta A et coll. Evaluation of serum bile acid concentrations for the diagnosis of portosystemic venous anomalies in the dog and cat. J. Amer. Vet. Med. Assoc.1985 ; 186(10) : 1090-1094.
  • 3 - Havig M, Tobias KM. Outcome of ameroid constrictor occlusion of single congenital extrahepatic portosystemic shunts in cats : 12 cases (1993-2000). J. Amer. Vet. Med. Assoc. 2002 ; 220(3) : 337-341.
  • 4 - Heldmann E, Holt DE, Brockman DJ et coll. Use of propofol to manage seizure activity after surgical treatment of portosystemic shunts. J. Small Anim. Pract. 1999 ; 40 : 590-594.
  • 5 - Holt DE. Critical care management of the portosystemic shunt patient. Comp. Cont. Educ. Pract. Vet. Small Anim. Pract. 1994 ; 16(7) : 879-892.
  • 6 - Kyles AE, Hardie EM, Mehl M et coll. Evaluation of ameroid ring constrictors for the management of single extrahepatic portosystemic shunts in cats : 23 cases (1996-2001). J. Amer. Vet. Med. Assoc. 2002 ; 220(9) : 1341-1347.
  • 7 - VanGundy TE, Harry WB, Wolf A. Results of surgical management of feline portosystemic shunts. J. Amer. Anim. Hosp. Assoc. 1990 ; 26 : 55-62.
  • 8 - Vogt JC, Krahwinkel DJ, Bright RM et coll. Gradual occlusion of extrahepatic portosystemic shunts in dogs and cats using ameroid constrictor. Vet. Surg. 1996 ; 25(6) : 495-502.
  • 9 - Watson PJ, Herrtage ME. Medical management of congenital portosystemic shunts in 27 dogs-a retrospective study. J. Small Anim. Pract. 1998 ; 39 : 62-68.
  • 10 - Yool DA, Kirby BM. Neurological dysfunction in three dogs and one cat following attenuation of intrahepatic portosystemic shunts. J. Small Anim. Pract. 2002 ; 43 : 171-176.
  • 11 - Youmans KR, Hunt GB. Cellophane banding for the gradual attenuation of single extrahepatic portosystemic shunts in eleven dogs. Aust. Vet. J. 1998 ; 76 : 531-537.
  • 12 - Youmans KR, Hunt GB. Experimental evaluation of four methods of progressive venous attenuation in dogs. Vet. Surg. 1999 ; 28 : 38-47.
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