La DGAL interprète la cascade du “hors RCP” - Le Point Vétérinaire n° 249 du 01/10/2004
Le Point Vétérinaire n° 249 du 01/10/2004

RÈGLES DE PRESCRIPTION

Éclairer

NOUVEAUTÉS

Auteur(s) : Éric Vandaële

Fonctions : 4, square de Tourville,
44470 Carquefou

Une note de service de la Direction générale de l’alimentation précise une cascade intentionnellement floue. Une interprétation parfois excessive.

Une note de service(1) de la Direction générale de l’alimentation (DGAL) est actuellement diffusée auprès d’organisations professionnelles (Ordre, syndicats vétérinaires, etc.) sur l’interprétation de la cascade dite du “hors AMM” ou “hors RCP”, c’est-à-dire la prescription et l’administration des médicaments en dehors des conditions prévues par le résumé des caractéristiques du produit (RCP).

Pas de sanctions pénales

L’un des points les plus importants de cette interprétation de la cascade concerne les sanctions en cas d’infraction. Le ministre de l’Agriculture, Hervé Gaymard, avait déjà souligné, dans une réponse écrite publiée le 22 juin 2004 à un député qui l’interrogeait sur la substitution des médicaments vétérinaires par des génériques humains moins chers, que, pour le vétérinaire, « la cascade n’était plus sanctionnée » sur le plan pénal. Cette absence de sanction pénale « devrait donc permettre au vétérinaire prescripteur de choisir le traitement le mieux adapté aux pathologies à traiter », avait conclu le ministre de l’Agriculture. Même les éventuelles mesures de police administrative que la DGAL envisagerait ne concerneraient que les cas les plus graves d’infraction à la cascade : administration d’anabolisant et de substances clairement interdites et recherchées comme le chloramphénicol, les nitro-imidazolés, les nitrofuranes, etc. Les poursuites éventuelles qui peuvent être exercées contre les vétérinaires en infraction avec la cascade sont donc uniquement de nature civile ou disciplinaire (voir l’ENCADRÉ “Quelles sont les sanctions à la cascade ?”(2)). Le vétérinaire peut en effet être poursuivi devant la chambre disciplinaire du conseil de l’Ordre des vétérinaires par les services vétérinaires, le client, un confrère ou tout autre personne. Néanmoins, à l’exception de pratiques manifestement hors la loi, il est peu probable que ces chambres disciplinaires sanctionnent très sévèrement les cas douteux de prescription “hors RCP”.

Une action civile suppose un dommage

Une poursuite civile suppose que les trois conditions suivantes soient réunies :

1. l’existence d’une faute (ici, l’usage “hors RCP” d’un médicament, alors que d’autres spécialités disponibles auraient pu être utilisées) ;

2. la survenue d’un dommage (par exemple la mort de l’animal ou un préjudice matériel ou immatériel) ;

3. un lien de causalité entre la faute et le dommage.

Il est évident que seule la victime qui a subi le préjudice (ou son assurance) peut engager une poursuite civile contre le vétérinaire présumé “fautif”. La plupart (87 %) des dossiers en responsabilité civile du vétérinaire n’aboutissent pas devant les tribunaux et font l’objet d’un accord amiable, souvent sur les conseils des experts des assurances en responsabilité civile professionnelle.

Le vétérinaire est d’ailleurs dans l’obligation d’être couvert par un contrat d’assurance adapté.

Disponible sans rupture

Le recours à la cascade est possible lorsqu’« aucun médicament approprié n’est disponible ». Cette indisponibilité ne « doit pas être interprétée comme un simple problème d’approvisionnement physique. Ainsi, une rupture de stock chez le vétérinaire ou chez un distributeur ne saurait être recevable pour rendre éligible l’application de la cascade. Tous les distributeurs en gros de médicaments vétérinaires ont l’obligation de fournir leurs clients en médicaments vétérinaires autorisés sur le marché dans un délai de 24 heures », rappelle la DGAL.

Et selon l’urgence

Toutefois, dans une procédure civile ou disciplinaire, les experts et tribunaux éventuels ne considéreront sans doute pas de la même façon l’administration “hors RCP” d’un corticoïde “bovin” à un cheval accidenté sur la voie publique si le vétérinaire rural appelé n’a pas dans sa voiture un corticoïde “équin” et la prescription “hors AMM” d’un endectocide “bovin” pour la vermifugation des chevaux. La notion de disponibilité devrait être relativisée en fonction de l’urgence du traitement et de l’activité habituelle du vétérinaire. Un praticien équin est, dans ces exemples, davantage tenu de disposer d’un arsenal adapté aux équidés qu’un praticien canin ou rural…

Approprié mais pas moins cher

C’est au vétérinaire prescripteur d’apprécier le caractère approprié ou non d’un médicament « sur la base de son jugement professionnel, sur des critères scientifiques ou sanitaires et sous sa propre responsabilité mais, en aucun cas, sur des critères d’ordre économique », détaille la note de service. Bien que cette note soit, sur ce point, en contradiction avec la réponse écrite du ministre de l’Agriculture aux députés, cette interprétation de la cascade, qui exclut tout critère économique, est celle qui est répétée depuis longtemps oralement par les fonctionnaires des ministères de la Santé et de l’Agriculture. Toutefois, là encore, compte tenu de l’absence de sanction pénales, il est difficile d’apprécier quelle serait l’attitude des experts et des tribunaux dans une procédure civile dans le cas où la prescription d’un médicament “hors AMM” économiquement avantageux serait attaquée comme à l’origine d’un préjudice. Ainsi, il ne serait sans doute pas admis que, pour bénéficier de remises commerciales, le praticien préfère utiliser un antibiotique (pénicilline-dihydro-streptomycine par exemple) qui n’a pas officiellement l’indication cheval en France, plutôt que le même antibiotique avec l’espèce équine dans sa notice.

Les possibilités financières du client

Dans un cas inverse, le praticien peut avoir préalablement proposé un traitement “dans l’AMM” qui a été refusé par le client pour des raisons financières. D’ailleurs, le ministère de l’Agriculture a encouragé de longue date la prescription “hors AMM” de la microdose d’ivermectine chez les vaches laitières sur des critères, en premier lieu, économiques et, en second lieu, sanitaires (absence de résidus dans le lait et efficacité démontrée).

La pharmacovigilance au secours…

La note de service envisage le cas où « il existe un médicament autorisé pour l’espèce cible dans la pathologie concernée et où le vétérinaire souhaite néanmoins utiliser un autre médicament “hors AMM” ».

« La notion d’absence de médicament “approprié” doit alors être établie sur la base d’échecs thérapeutiques préalables » sur l’animal concerné ou la bande précédente, selon les cas. « En tout état de cause, cet échec préalable doit pouvoir être documenté par le vétérinaire prescripteur, et avoir impérativement fait l’objet d’une déclaration de pharmacovigilance pour insuffisance d’efficacité du médicament dûment autorisé. »

C’est la première fois qu’il apparaît qu’« une déclaration préalable de pharmacovigilance pour insuffisance d’efficacité du médicament dûment autorisé » devienne un préalable impératif à un éventuel recours de médicament “hors RCP” plus efficace. Aucune disposition réglementaire française ou européenne n’appuie une telle exigence dans le cadre de la cascade.

Excessif…

Un exemple, certes caricatural, souligne le caractère manifestement excessif de cette exigence. Selon les lignes directrices de l’Agence européenne du médicament (EMEA), les manques d’efficacité qui doivent faire l’objet d’une déclaration de pharmacovigilance sont ceux qui sont constatés sur le terrain, in vivo, dans les espèces et indications cibles et aux posologies recommandées comme efficaces. Les résultats d’antibiogrammes in vitro n’y sont donc pas inclus. Prenons l’hypothèse où un antibiogramme révèle une résistance vis-à-vis d’un germe habituellement sensible à un antibiotique et qui figure dans le libellé des indications du RCP. La prescription d’un autre antibiotique “hors AMM” (noté sensible dans l’antibiogramme) ne semblerait sans doute pas fautive aux yeux d’un expert et des tribunaux civils. À l’inverse, si la prescription de l’antibiotique “résistant” conduit à un échec thérapeutique, le vétérinaire-prescripteur serait par sa prescription inappropriée à l’origine d’une faute et d’un dommage avec un lien de causalité difficilement réfutable. Il serait alors probablement condamné à la réparation des dommages dans une telle affaire de responsabilité civile…

LMR obligatoire dans la denrée

Dans cette note de service, la DGAL n’exige plus, comme par le passé, une LMR dans l’espèce et dans la denrée concernée pour tolérer une prescription “hors AMM”. Elle exige toutefois une LMR dans la denrée concernée (viande ou chair de poisson, lait, œufs et miel).

Les temps d’attente forfaitaires minimaux (vingt-huit jours dans la viande et sept jours dans le lait et dans les œufs) s’appliquent, selon la note de service, dans les cas suivants :

- changement d’espèce (ils ne s’appliquent pas lors de changement d’indication sans changement d’espèce) ;

- augmentation de la posologie, que cela soit en termes de doses, de fréquence ou de durée de traitement.

Si le traitement se prolonge

Toutefois, ce dernier point ne s’appuie sur aucune disposition réglementaire. Selon la réglementation en vigueur (voir l’ENCADRÉ “La cascade dans le droit français”), le praticien n’est pas tenu d’appliquer le temps d’attente forfaitaire de vingt-huit jours dans la viande, s’il prolonge le traitement d’un ou de plusieurs jours… surtout s’il s’agit d’un médicament avec un temps d’attente nul !

Néanmoins, il est indéniable que le temps d’attente est prescrit sous la responsabilité du vétérinaire, particulièrement lors de changement de dose, de voie d’administration ou de durée de traitement. Par précaution, mais sans y être obligé, le prescripteur peut alors décider de prendre comme référence les temps d’attente forfaitaires minimaux de sept et de vingt-huit jours. Pour fixer un temps d’attente approprié et « conforme aux données actuelles de la science », il peut aussi se fonder sur :

- la connaissance de la LMR (notamment pour les substances en annexe II dont les résidus sont considérés comme inoffensifs pour le consommateur et les temps d’attente le plus souvent nuls) ;

- les études publiées (elles sont, par exemple, nombreuses lors d’augmentation de la durée de traitement des intramammaires en lactation).

L’absence soulignée de sanction pénale lors d’infraction à la cascade à l’exception des cas de fraudes manifestes ou de faute dommageable, rend un peu vaines les nombreuses précisions, souvent pertinentes et utiles, données par la note de service de la DGAL.

Un flou intentionnel

En outre, la retranscription en droit français de la cascade est intentionnellement floue dans le choix des médicaments “appropriés” et à utiliser “en priorité”, pour ne pas placer hors la loi trop de pratiques “hors AMM” assez bien justifiées, notamment dans certaines espèces comme le cheval, le chat, les petits ruminants, voire… les volailles pondeuses, compte tenu du faible nombre de médicaments autorisés dans certaines classes thérapeutiques pour ces animaux.

  • (1) Note de service DGAL/SDSPA/N2004-8185 du 16 juillet 2004.

  • (2) Deux encadrés complémentaires et les références de cet article sont consultables sur le site www.planete-vet.com Rubrique formation

La cascade dans le droit français

« Le vétérinaire doit prescrire en priorité un médicament autorisé pour l’espèce considérée et pour l’indication visée […].

Dans le cas où aucun médicament approprié n’est disponible, le vétérinaire peut prescrire les médicaments suivants :

1. Un médicament autorisé

– pour une autre espèce dans la même indication,

– ou pour la même espèce dans une indication différente […] ;

2. Si le médicament mentionné au 1 n’existe pas, un médicament autorisé pour une autre espèce dans une indication différente […] ;

3. Si les médicaments mentionnés aux 1 et 2 n’existent pas, un médicament humain ;

4. À défaut des médicaments mentionnés aux 1, 2 et 3, une préparation magistrale vétérinaire. » [Art. L. 5143-4 du Code de la santé publique (CSP) ou L. 234-2, point VIII, du Code rural (CR).]

Le changement de dose d’emploi, de fréquence ou de durée de traitement n’est donc pas prévu par la cascade. Il est possible seulement sur prescription d’un vétérinaire selon l’art. L. 5143-2 du CSP (ou L. 234-2, point VII, du CR).

En productions animales, la substance doit figurer au règlement LMR 2377/90, à l’une de ses trois annexes : I (LMR définitives), II (LMR non nécessaires car les résidus sont sans danger pour le consommateur) ou III (LMR provisoires).

Le vétérinaire qui prescrit dans le cadre du 1, 2, 3, ou 4 de la cascade doit indiquer au minimum les temps d’attente de « 28 jours pour la viande et abats, 7 jours pour le lait et les œufs, 500 °C. j pour la chair de poisson » (arrêté du 16 octobre 2002).

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