Conduite à tenir lors de fibrillation atriale - Le Point Vétérinaire n° 249 du 01/10/2004
Le Point Vétérinaire n° 249 du 01/10/2004

CARDIOLOGIE DU CHIEN ET DU CHAT

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CONDUITE À TENIR

Auteur(s) : Éric Bomassi

Fonctions : Clinique vétérinaire
des Cordeliers
35, rue des Cordeliers
77100 Meaux

Lors de suspicion de fibrillation atriale, l’électrocardiogramme permet de confirmer le diagnostic. Un traitement qui s’intègre dans une stratégie globale tenant compte d’une cardiopathie causale peut être instauré.

La fibrillation atriale (FA) est un trouble du rythme dû à une activité électrique atriale désorganisée (voir l’ENCADRÉ « Électrophysiologie de la fibrillation atriale »). Cette anomalie se rencontre dans de nombreuses situations pathologiques en cardiologie du chien et du chat. Elle est le plus souvent une conséquence d’une cardiopathie sévère, mais peut aussi évoluer isolément (FA idiopathique).

Première étape : suspecter une fibrillation atriale

La fibrillation atriale affecte principalement les chiens de race de grande taille [3] et les chats. Les animaux sont présentés en consultation pour de la fatigue, un abattement et parfois un état de choc. Ces signes peuvent être d’apparition brutale, comme la survenue de la dysrythmie. L’adaptation à l’effort est souvent inexistante. Le choc précordial est anormal (rythme rapide et irrégulier et intensité irrégulière), et le pouls fémoral diminué et irrégulier traduit un déficit pulsatile. La respiration peut être normale ou dyspnéïque. L’auscultation cardiaque révèle souvent une fréquence très élevée et un rythme extrêmement irrégulier. Ce type d’auscultation est qualifié de « folie cardiaque ». La reconnaissance de cette « folie cardiaque » est quasi-pathognomonique de cette dysrythmie.

La fibrillation atriale étant généralement secondaire à une cardiopathie sous-jacente, d’autres signes de cette dernière peuvent être présents : bruit de galop, souffle cardiaque, anomalies d’auscultation respiratoire, etc. À ce stade de l’examen, une forte suspicion de FA peut donc être établie. Néanmoins, la réalisation d’examens complémentaires est nécessaire à la confirmation du diagnostic.

Deuxième étape : confirmer une fibrillation atriale

• L’électrocardiogramme est l’examen complémentaire de choix, indispensable pour l’exploration et le diagnostic de certitude de ce trouble du rythme.

• Les caractéristiques classiques d’une fibrillation atriale sont (voir la FIGURE « Électrocardiogramme : fibrillation atriale typique ») [4, 8] :

– une fréquence élevée (200 à 250 battements par minute) ;

– un rythme irrégulier (intervalles R-R non égaux) ;

– un rythme non sinusal (absence d’ondes P) ;

– des ventriculogrammes d’aspect supraventriculaire (fins).

• Il existe toutefois de nombreuses fibrillations atriales atypiques :

– FA lente dont la fréquence n’excède pas 150 battements par minute (voir la FIGURE « Électrocardiogramme : fibrillation atriale lente ») ;

– FA avec des ventriculogrammes d’aspect ventriculaire, élargis (cardiomégalie gauche, bloc de branche associé, etc.) (voir la FIGURE « Électrocardiogramme : fibrillation atriale et QRS élargis ») ;

– FA associée à des troubles du rythme ventriculaire (extrasystoles ou tachycardie par exemple).

• Les variations morphologiques ou rythmologiques d’un tracé de FA atypique (QRS larges, fréquence basse, etc.) possèdent souvent un autre déterminisme physiopathologique que celui ayant initié le trouble. Par exemple, l’association d’une FA avec un bloc de branche se traduit par des ventriculogrammes élargis, bien qu’il s’agisse toujours d’une FA (donc d’une tachyarythmie supraventriculaire et non ventriculaire). Les variations morphologiques ou rythmologiques d’un tracé de FA atypique (QRS larges, fréquence basse, etc.) sont souvent le résultat de l’association de la FA avec une autre cause physiologique.

• Le diagnostic électrocardiographique de la FA permet d’instaurer un traitement spécifique de ce trouble, indépendamment de sa cause. Toutefois, d’autres investigations complémentaires sont utiles afin d’identifier une probable cardiopathie sous-jacente (cardiomégalie dilatée, endocardiose, endocardite, cardiomégalie hypertrophique chez le chat, etc.) et mettre ainsi en place une stratégie thérapeutique globale.

Troisième étape : traiter une fibrillation atriale

• La fibrillation atriale est un trouble de l’excitabilité supraventriculaire : son traitement, qui vise à ralentir la fréquence cardiaque (sauf lors de FA lente), fait donc appel aux antiarythmiques qui possèdent un effet sur cet étage. Il doit être systématique car les conséquences hémodynamiques de ce trouble (baisse de débit cardiaque) sont souvent marquées et dommageables pour l’animal (voir l’ENCADRÉ « Bases du traitement de la fibrillation atriale »).

Le principe majeur du traitement de la FA est le contrôle de la fréquence cardiaque afin d’améliorer le débit en favorisant le remplissage diastolique [6, a, b, c]. Il est en effet souvent illusoire d’espérer une cardioversion du trouble (retour à un rythme sinusal normal).

Le traitement d’une FA s’intègre dans une stratégie globale en fonction de la cardiopathie causale. La présence ou l’accumulation d’éventuels effets secondaires délétères des molécules utilisées doit être évaluée afin de favoriser la balance bénéfice/risque.

• La molécule de choix lors de FA est la digoxine(1), hétéroside cardiotonique vagomimétique.

La digoxine(1) est un anti-arythmique « non-répertorié » dans la classification de Vaughan-Williams (voir le TABLEAU « Classification de Vaughan-Williams »). Elle agit sur la phase 4 du potentiel d’action par inhibition de l’ATPase Na+/K+ dépendante. Elle est inotrope positive « potentielle », chronotrope négative, dromotrope négative, bathmotrope positive ventriculaire et tonotrope positive [2, 7].

La dose chez le chien est de 0,01 mg/kg/j par voie orale, en deux prises. La dose chez le chat est de la moitié de celle du chien, administrée quotidiennement, ou la même que chez le chien, administrée un jour sur deux.

La concentration efficace sanguine huit jours après l’initiation du traitement se situe entre 1,5 ng/ml et 2,5 ng/ml [1, 2, 4].

Des troubles digestifs, ainsi qu’une hypokaliémie, peuvent être observés en début de traitement. Des troubles du rythme ventriculaire et des blocs de conduction atrioventriculaires sont les principaux effets secondaires rythmologiques d’un surdosage (voir la FIGURE « Électrocardiogramme : fibrillation atriale lente et extrasystolie ventriculaire »).

• Lors d’inefficacité de la digoxine, l’amiodarone(1) peut lui être associée, ou utilisée seule en remplacement. L’amiodarone(1) est un anti-arythmique de classe III dans la classification de Vaughan-Williams. Elle agit sur les phases 3 et 4 du potentiel d’action. Elle est sans action sur l’inotropisme ou inotrope négative modérée, chronotrope négative, dromotrope négative et bathmotrope négative [1, 2, 4].

La dose est de 10 mg/kg/j par voie orale en une prise tous les deux jours pendant quatre à cinq mois, puis une prise/semaine à cette même dose. Lorsqu’elle est associée à la digoxine(1) il convient de diminuer de 20 à 30 % la dose de cette dernière.

• Lors d’inefficacité de la digoxine(1), de l’amiodarone(1) ou de leur association, le diltiazem(1) peut remplacer l’amiodarone(1). Le diltiazem(1) est un inhibiteur calcique, du groupe des benzothiazépines, d’action cardiaque et vasculaire (diminution du flux calcique transmembranaire myocytaire et des fibres musculaires lisses vasculaires par blocage des canaux calciques lents). Cet anti-arythmique de classe IV dans la classification de Vaughan-Williams agit sur la phase 2 du potentiel d’action. Elle est inotrope négative (modéré), chronotrope négative, dromotrope négative, bathmotrope négative et lusitrope positive.

La dose est de 5 mg/kg/j par voie orale en trois prises (une seule prise pour la forme retard) [1, 2, 4].

• Lors de fibrillation atriale isolée ou idiopathique [5, 9], l’administration de flécaïnide(1) a montré un bénéfice dans la seule étude réalisée chez le chien [5]. Cette molécule est un anti-arythmique de classe Ic dans la classification de Vaughan-Williams. Elle agit sur la phase 0 du potentiel d’action. Elle est inotrope négative, chronotrope négative, dromotrope négative et bathmotrope négative.

La dose est de 5 mg/kg/j à 10 mg/kg/j par voie orale en quatre prises.

• Lors de fibrillation atriale lente, des béta-mimétiques telles que la dopamine(1) (5 µg/kg/mn à 10 µg/kg/mn en perfusion par voie intraveineuse) ou la dobutamine(1) (5 µg/kg/mn à 20 µg/kg/mn en perfusion lente par voie intraveineuse, avec monitorage électrocardiographique) sont indiquées afin d’augmenter la fréquence cardiaque et la contractilité, et lutter ainsi contre le bas débit.

• Dans une stratégie thérapeutique globale, un traitement unique permet parfois de corriger les conséquences hémodynamiques de la FA et celle de la cardiopathie sous-jacente ; dans certains cas, le traitement cible la cardiopathie sous-jacente, qui provoque les troubles hémodynamiques les plus marqués.

Par exemple, lors de FA lente consécutive à une cardiomyoapathie dilatée (CMD), l’altération du débit est surtout consécutive à l’effondrement de la contractilité liée à la CMD : l’administration de pimobendane (molécule inotrope +, mais sans effet chronotrope +), indiquée dans le traitement de la CMD, peut apporter une amélioration suffisante de ce débit.

Quatrième étape : suivi du traitement

Un contrôle du traitement est systématiquement réalisé huit jours après son initiation.

Une évaluation clinique de l’animal permet d’estimer en premier lieu l’efficacité du traitement : amélioration de la tolérance à l’effort, diminution de l’apathie, reprise de l’appétit, etc. Un électrocardiogramme et un dosage sanguin (digoxinémie) évaluent ensuite l’efficacité de la correction rythmologique (contrôle de la fréquence cardiaque) et la tolérance des traitements (apparition de troubles ventriculaires lors de surdosage digoxinique en particulier).

La fibrillation atriale est un trouble dont le diagnostic est simple dans la majorité des cas, mais qui peut se présenter sous des aspects inhabituels. La reconnaissance de toutes ces formes, et la prise en compte de la maladie causale permettent d’orienter le traitement de façon raisonnée afin d’améliorer rapidement l’état hémodynamique de l’animal.

  • (1) Médicament à usage humain.

  • (2) Médicament réservé à l’usage hospitalier.

Électrophysiologie de la fibrillation atriale

La FA est principalement secondaire à une altération des fibres musculaires atriales lors de dilatation suite à une cardiopathie (endocardiose mitrale, cardiomyopathie hypertrophique ou dilatée, cardiopathie congénitale, etc.) chez les chiens et chez les chats, excepté lors de fibrillation atriale (FA) isolée ou de FA idiopathique, pour laquelle aucune anomalie morphologique cardiaque n’est observée,

Cette altération provoque de multiples foyers ectopiques dans l’atrium (400 à 500 par minute) qui sont transmis au nœud atrio-ventriculaire. Ce dernier « filtre » une majorité des dépolarisations avant de les transmettre ensuite à l’étage inférieur (ventriculaire) où elles sont conduites dans le faisceau de His et le réseau de Purkinje. L’influx électrique lors de FA prend donc toujours naissance à l’étage supraventriculaire. La présence d’une fibrillation atriale provoque systématiquement une baisse du débit cardiaque, de l’ordre de 25 à 30 %, liée à l’anomalie de remplissage diastolique.

Principes du traitement de la FA

Rétablir un rythme sinusal est illusoire lors de FA, et le but du traitement est donc d’améliorer le débit cardiaque en agissant en général sur la fréquence cardiaque (FC). Débit cardiaque = FC x volume d’éjection systolique (VES). Le VES est fonction du remplissage télédiastolique et de la contractilité du myocarde.

Lors de FA « classique », la fréquence cardiaque augmentée ne permet plus un remplissage diastolique suffisant, ce qui provoque une diminution du débit cardiaque.

FC  x VES  = Débit cardiaque 

Un traitement qui diminue la FC permet d’améliorer sensiblement le remplissage et de rétablir un débit acceptable.

Lors de FA lente, le faible débit est lié à une FC trop basse, mais également à un VES diminué, par défaut de contractilité.

FC  x VES  = Débit cardiaque  L’administration de molécules qui augmentent la fréquence cardiaque (+/- la contractilité) améliore le débit cardiaque. Dans certains cas (FA lente secondaire à une CMD), agir uniquement sur l’inotropisme est suffisant.

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