L’acheteur de deux chattes de race perd sa procédure - Le Point Vétérinaire n° 248 du 01/08/2004
Le Point Vétérinaire n° 248 du 01/08/2004

VICES CACHÉS ANTÉRIEURS À LA VENTE

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LÉGISLATION

Auteur(s) : Philippe Tartera

Fonctions : 6, impasse Salinié, 31100 Toulouse

En l’absence de convention explicite dérogeant à la législation sur les vices rédhibitoires, la réduction de prix pour vices cachés est refusée.

1. Les faits : Mes “chères” chattes

Le 8 décembre 1990, M. Acheteur achète à Mme Vendeuse une chatte de race dénommée “Shalim Garden Mauresk”, pour le prix de 2 200 €. Le 9 mars 1991, il lui achète une “jeune” chatte dénommée ”Jovan Sarah of Anouchka”, pour la somme de 1 500 €.

Or, un certificat établi le 23 avril 1991 par le Dr Véto énonce que ces deux chattes sont affectées de plusieurs défauts. “Shalim Garden Mauresk” présente une implantation dentaire défectueuse au niveau de la mâchoire supérieure, qui lui confère un aspect dévié. Ce défaut constitue un vice caché antérieur à la vente car la chatte a été vendue avant la sortie de sa dentition définitive.

“Jovan Sarah of Anouchka” est âgée en fait de neuf ou dix ans compte tenu de l’état de sa dentition, de la présence d’une cataracte sénile bilatérale, d’une insuffisance cardiaque avec souffle et d’une amyotrophie généralisée.

M. Acheteur assigne alors Mme Vendeuse en tromperie sur les qualités substantielles et rescision(1) des ventes intervenues.

Par jugement du 27 octobre 1994, le tribunal d’instance de Dax :

- déboute M. Acheteur de sa réclamation présentée au titre de l’acquisition de la chatte “Shalim Garden Mauresk” ;

- le déclare bien-fondé en son action en rescision concernant la vente de la chatte “Jovan Sarah of Anouchka” et réduit le prix d’acquisition de cet animal à la somme de 150 € ;

- condamne Mme Vendeuse à payer à M. Acheteur 1 400 € en réparation du préjudice subi par ce dernier, en raison de la tromperie dont il a été victime.

Mme Vendeuse interjette l’appel contre ce jugement. La Cour d’appel de Pau, dans un arrêt rendu le 20 novembre 1996, réforme partiellement la décision du tribunal de Dax. Elle accueille la demande de M. Acheteur concernant la chatte “Shalim Garden Mauresk” et réduit le prix de cet animal à la somme de 1 000 €.

Mme Vendeuse se voit donc encore plus sévèrement traitée par la cour d’appel que par les premiers juges. Elle se pourvoit en cassation.

2. Le jugement : Recours en garantie annulé par la Cour de cassation

Dans un arrêt rendu le 6 mars 2001, la première chambre civile de la Cour de cassation casse et annule dans toutes ses dispositions l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Pau et renvoie l’affaire devant la Cour d’appel d’Agen. La haute juridiction fait en particulier grief à la Cour d’appel de Pau d’avoir jugé sur le fondement de la garantie dite “de droit commun”, prévue par l’article 1641 du Code civil(2), alors que l’action en garantie dans les ventes d’animaux domestiques est régie légalement, sauf conventions contraires, par les articles L 213-1 et suivants du Code rural (garantie des vices rédhibitoires des animaux).

Or, il n’est pas allégué, ni démontré que les ventes intervenues entre M. Acheteur et Mme Vendeuse aient fait l’objet de conventions spécifiques sur la garantie due par la vendeuse. Les dispositions légales étaient donc applicables à ces ventes.

Comme les maladies ou les défauts constatés ne sont pas prévus par le Code rural comme vices rédhibitoires susceptibles d’annuler les ventes de chats(3), M. Acheteur est débouté de l’intégralité de ses demandes. Outre l’intégralité des frais de justice (les dépens), il est condamné à payer à Mme Vendeuse la somme de 1 500 €, en application de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile(4).

3. Pédagogie du jugement : Un revirement de jurisprudence confirmé

Depuis de nombreuses années, la jurisprudence admettait que, lors de ventes d’animaux, l’acheteur bénéficiait, non seulement de la garantie des vices rédhibitoires prévue par le Code rural, mais aussi de la garantie des vices cachés prévue par l’article 1641 du Code civil. En effet, les juges estimaient souvent que, même si elles ne l’avaient pas précisé, les parties avaient entendu déroger au Code rural de manière implicite. Cette “convention contraire” implicite pouvait être déduite en particulier de la destination des animaux vendus. En affirmant que, lorsqu’une convention contraire n’a pas été clairement stipulée, l’action en garantie dans les ventes d’animaux domestiques doit rester régie par le Code rural, cet arrêt de la Cour de cassation prend donc le contre-pied de la jurisprudence précédente. Il a été confirmé plusieurs fois depuis, la Cour d’appel ayant cassé deux autres jugements qui avaient prononcé la résolution de ventes d’animaux pour vices cachés.

La protection des acheteurs d’animaux se trouvant fortement amoindrie, il serait sans doute souhaitable de les inciter à prévoir systématiquement la garantie des vices cachés dans les contrats de vente, comme le propose l’Association française des vétérinaires experts(5). En outre, une réflexion sur ce sujet a été récemment initiée par l’Ordre(6).

  • (1) Rescision : annulation d’un contrat ou d’un acte pour cause de lésion.

  • (2) Article 1641 du Code civil : « Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage auquel elle est destinée ou qui diminuent tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il les avait connus. »

  • (3) Seules sont considérées comme des vices rédhibitoires pour l’espèce féline : la leucopénie infectieuse, la péritonite infectieuse féline, l’infection par le virus leucémogène félin et l’infection par le virus de l’immunodépression.

  • (4) Article 700 du nouveau Code de procédure civile : « Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. »

  • (5) Voir l’article “La Cour d’appel accommode le délai de rédhibition”, par A. et W. Grépinet, Point Vét. 2004;(35)244:72-74.

  • (6) Voir la Dépêche Vétérinaire n° 788 du 22 au 28 novembre 2003 en p. 1.

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