La mesure de la lactatémie : un nouvel outil pronostique - Le Point Vétérinaire n° 247 du 01/07/2004
Le Point Vétérinaire n° 247 du 01/07/2004

URGENCE ET SOINS INTENSIFS CHEZ LE CHIEN

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NOUVEAUTÉS

Auteur(s) : Laura Pouderoux

Fonctions : 150, chemin de Fontanières
69100 Sainte-Foy-lès-Lyon

Le suivi de la lactatémie, reflet de l’oxygénation tissulaire et de la détoxification hépatique, a une valeur pronostique en soins intensifs vétérinaires.

La cinétique de la lactatémie est un bon paramètre de suivi de la réponse de l’organisme à un traitement et, en particulier, à une réanimation cardiopulmonaire. Elle permet l’anticipation des complications postchirurgicales [6, 8]. Ce paramètre, en corrélation avec la clinique, permet ainsi une évaluation immédiate de l’état de santé de l’animal et possède, en soins intensifs, une valeur pronostique de son évolution [7].

En médecine humaine, la lactatémie est utilisée à l’admission des patients pour le tri des urgences, la caractérisation de l’acidose métabolique et le diagnostic des hypoperfusions locales ou systémiques [2, 3].

En médecine vétérinaire, des études sur le syndrome de dilatation-torsion de l’estomac ont révélé que la valeur préopératoire du lactate est corrélée au degré de nécrose gastrique et qu’elle est un paramètre pronostique en termes de survie [9]. Une étude similaire a abouti aux mêmes conclusions chez des chiens atteints d’affections diverses : polytraumatisme, affections cardiopulmonaires, gastro-intestinales ou neurologiques graves [10].

Un déchet du métabolisme anaérobie

Dans la cellule eucaryote, l’acide lactique est le produit de la dégradation du glucose en milieu anaérobie. Lors de la glycolyse, la transformation du glucose en pyruvate produit du nicotinamide adénine dinucléotide réduit et de l’énergie sous forme d’adénosine triphosphate (ATP). Le pyruvate produit peut ensuite intégrer le cycle de Krebs (anabolisme des glucides) ou être transformé en lactate dans des conditions d’anaérobiose.

La production de lactate à partir du pyruvate permet la régénération (oxydation) du nicotinamideadénine dinucléotide (NAD+), et donc le maintien de la glycolyse, seule voie métabolique anaérobie productrice d’ATP.

Les principaux tissus producteurs de lactate sont le tissu musculaire squelettique, les globules rouges, le cerveau et le tractus gastro-intestinal. Le lactate produit ne peut être recyclé en pyruvate que par le foie et le cortex rénal, qui possèdent une lactate déshydrogénase (LDH) capable de réduire le lactate en pyruvate. Les muscles squelettiques et cardiaque possèdent une LDH, mais qui fonctionne majoritairement dans le sens pyruvate-lactate.

Il existe deux voies par lesquelles le lactate peut être métabolisé dans le foie :

- une voie oxydative :

lactate- + H+ + 3O2 + 2(ADP + Pi) → 18 ATP + 3CO2 + 3H2O ;

- la néoglucogenèse hépatique :

lactate- + H+ + 3ATP → 0,5 glucose.

Causes d’hyperlactatémie

L’hyperlactatémie est due à une augmentation de la production ou à une diminution de la dégradation de l’ion lactate. Si le mécanisme à l’origine de l’hyperlactatémie persiste, les ions hydrogène ne sont plus tamponnés, ce qui entraîne une acidose lactique.

Deux grandes causes d’acidose lactique sont distinguées : le type A et le type B [11].

• L’acidose lactique de type A est liée à un déficit en O2 :

- déficit de la fonction pulmonaire (PaO2 basse) ;

- déficit circulatoire (faible distribution d’O2) ;

- déficit qualitatif ou quantitatif en hémoglobine (faible capacité de transport de l’O2).

• L’acidose lactique de type B est due à un trouble du métabolisme du lactate sans hypoxie :

- production excessive de lactate (besoin accru d’ATP, arrêt des réactions d’oxydations mitochondriales, intoxication au cyanure) ;

- détoxification insuffisante (dysfonctionnement de la LDH, incapacité à capter ou à recycler le lactate lors d’affection hépatique) ;

- une carence en biotine et/ou en thiamine pourrait bloquer le recyclage du pyruvate dans le cycle de Krebs.

Dosage immédiat

Les prélèvements peuvent être réalisés sur du sang veineux périphérique ou central. L’idéal est un prélèvement sur du sang artériel, bien que la différence entre les valeurs reste minime [5]. L’essentiel est de standardiser la méthode choisie. L’échantillon obtenu est rapidement mis dans un tube hépariné et le dosage est impérativement réalisé dans les cinq minutes qui suivent la prise de sang (PHOTOS 1 ET 2) [1]. Pour un dosage différé, il est toutefois possible de centrifuger le tube et de garder le plasma dans la glace. La lactatémie de l’échantillon augmente alors de 0,1 mmol/l en deux heures. Il n’existe pas de données sur sang congelé [10].

Pas de valeur seuil : interpréter la cinétique

La multitude des facteurs qui peuvent influencer la production ou le recyclage du lactate constitue une limite à l’interprétation de la lactatémie chez le chien. La lactatémie dans le sang veineux est voisine de 2 mmol/l chez le chien sain [10]. Une mesure ponctuelle de la lactatémie supérieure à cette valeur n’a toutefois pas de signification diagnostique ni pronostique. Une hyperlactatémie ponctuelle n’est pas suffisante pour affirmer qu’il existe une hypoxie ou une souffrance cellulaire marquée.

L’activité physique fait augmenter la lactatémie. Après l’effort, chez le chien, elle est ainsi en moyenne de 4 mmol/l. De l’acide lactique est synthétisé très rapidement, après quinze à trente secondes, lors d’un effort violent. La lactatémie revient ensuite à la normale dans le délai d’une heure.

Des valeurs très élevées (supérieures à 6 mmol/l) chez le chien suggèrent cependant une hypoxie cellulaire, une hypoperfusion locale ou systémique (surproduction de lactate) ou une insuffisance hépatique (dégradation insuffisante). Il convient alors de mettre en place, suivant le tableau clinique, une oxygénothérapie, une fluidothérapie et/ou de vérifier les paramètres hépatiques.

Plutôt que la quantité de lactate présent dans le sang à un donné, il convient d’interpréter la rapidité de sa diminution, qui traduit la capacité de l’organisme à rétablir une lactatémie normale. Il semble donc plus intéressant d’effectuer une cinétique de la lactatémie que des mesures isolées.

En association avec la mesure des gaz du sang, la cinétique de la lactatémie est un critère pronostique intéressant (voir le TABLEAU “Exemples d’interprétation de résultats de mesure de la lactatémie”). Des valeurs croissantes élevées, associées à une acidose métabolique (objectivée par la mesure des gaz du sang), sont des arguments en faveur d’un pronostic réservé et doivent influencer le choix de la thérapeutique. L’hyperlactatémie précède l’acidose lactique, qui n’apparaît que lorsque les ions H+ ne sont plus tamponnés par les bicarbonates. Une hyperlactatémie associée à une acidose est donc de plus mauvais pronostic qu’une hyperlactatémie isolée.

Mais la mesure de la lactatémie constitue surtout un indicateur précoce du risque d’acidose, particulièrement utile pour les praticiens qui ne sont pas équipés pour mesurer les gaz du sang. D’autant plus qu’en clientèle mixte l’appareil de mesure de la lactatémie est parfois déjà utilisé pour évaluer les acidoses métaboliques chez les ruminants.

Confronter la lactémie aux autres examens

• Une diminution progressive de la lactatémie suggère un pronostic favorable. La cinétique de la lactatémie doit toutefois être confrontée à l’évolution du tableau clinique. Une discordance entre la baisse de la lactatémie observée et l’aggravation de l’état de l’animal suggère ainsi un dérèglement complet du métabolisme énergétique chez l’animal agonisant et aggrave le pronostic.

• La kaliémie est parfois utilisée pour détecter une acidose lorsque la mesure des gaz du sang n’est pas disponible. Une hyperkaliémie suggère alors une acidose. La mise en évidence d’une discordance entre une hausse du lactate sanguin (en faveur d’une acidose) et une kaliémie basse ou normale (en contradiction avec l’hyperlactatémie) chez un animal insuffisant hépatique constitue, par exemple, un facteur de gravité.

Le suivi de la lactatémie est donc un outil qui permet une anticipation des complications dues à l’acidose lactique, une évaluation de la réponse au traitement et qui possède une valeur pronostique à développer en médecine vétérinaire.

La mesure de la lactatémie pourrait également avoir un intérêt dans le suivi des insuffisances hépatiques et rénales, et de certaines affections chroniques susceptibles de décompenser et de provoquer une acidose, comme le diabète acido-cétosique.

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