Traiter l’hypomotricité avec des médicaments humains - Le Point Vétérinaire n° 246 du 01/06/2004
Le Point Vétérinaire n° 246 du 01/06/2004

AFFECTIONS DIGESTIVES CHEZ LE CHIEN ET CHEZ LE CHAT

Se former

COURS

Auteur(s) : Catherine Folliot*, Martine Kolf-Clauw**

Fonctions :
*La Basse Croix,
53200 Loigné-sur-Mayenne
**Pharmacie-Toxicologie,
ENVT, 23, ch des Capelles,
31076 Toulouse Cedex 3

Certains prokinétiques humains, prouvés comme étant plus efficaces que leurs analogues vétérinaires ou comme ayant moins d’effets indésirables, peuvent être indiqués chez le chien et chez le chat.

Le traitement de l’hypomotricité digestive fonctionnelle est fondé sur la compréhension du fonctionnement du système nerveux entérique, qui constitue une entité à part entière du système nerveux autonome, et qui se caractérise par la mise en jeu de nombreuses substances neuro-hormonales agissant sur le muscle lisse digestif.

La coordination du système nerveux entérique est indispensable au bon déroulement des phénomènes de transit et de digestion assujettis au péristaltisme et aux contractions segmentaires. Une rupture de cette coordination, suite à une maladie ou à l’utilisation de médicaments, est à l’origine d’une hypomotricité digestive fonctionnelle (méga-œsophage, dysautonomie, reflux gastro-œsophagien, ralentissement de la vidange gastrique, iléus, pseudo-obstruction intestinale, constipation, mégacôlon, etc.). L’utilisation de molécules prokinétiques, qui favorisent le déplacement du contenu digestif de l’entrée de l’œsophage vers l’anus, permet de rétablir la motricité digestive. Dans les limites des règles de prescription hors AMM (voir l’ENCADRÉ “La cascade de la prescription hors AMM”), certains médicaments humains sont susceptibles d’être administrés lors d’hypomotricité fonctionnelle chez l’animal (voir le TABLEAU “Médicaments humains utilisables dans le traitement de l’hypomotricité fonctionnelle chez le chien et le chat”).

Le cisapride(1) : un agoniste de la sérotonine sans effet nerveux central

Le cisapride(1) a au moins trois mécanismes d’action dans la stimulation des contractions du muscle lisse gastro-intestinal (voir la FIGURE “Effets pharmacologiques du cisapride”) :

• une contraction dépendante de la voie cholinergique sérotoninergique (agoniste ou antagoniste) dans l’intestin grêle et l’œsophage chez le chat ;

• une contraction dépendante d’une voie cholinergique non sérotoninergique dans l’antre gastrique chez le chien ;

• une contraction dépendante d’une voie non cholinergique, mais probablement sérotoninergique, dans le côlon chez le chat.

Comme tous les prokinétiques, le cisapride(1) ne doit pas être administré lorsqu’une augmentation de la motricité gastro-intestinale peut être dangereuse (ulcération gastro-intestinale, obstruction, hémorragie ou risque de perforation). Administré à des doses raisonnables, le cisapride(1) dispose de peu d’effets indésirables, et présente l’avantage, contrairement au métoclopramide, de ne pas avoir d’effet indésirable sur le système nerveux central, étant donné qu’il ne franchit pas la barrière hémato-encéphalique (voir le TABLEAU “Intérêt du cisapride(1) comparé à la dompéridone et au métoclopramide”). Initialement, les seuls effets indésirables rapportés étaient une augmentation de la fréquence de défécation, une gêne abdominale ou des flatulences. Il a toutefois été démontré que le cisapride(1), utilisé à de fortes doses, a des effets embryotoxiques et tératogènes chez le rat et le lapin. Bien qu’aucune étude n’ait été réalisée chez le chien et le chat, l’emploi du cisapride(1) lors de gestation est déconseillé. Le cisapride(1) étant métabolisé dans le foie par le complexe enzymatique cytochrome P450, des interactions médicamenteuses sont susceptibles de provoquer des effets indésirables, comme des troubles du rythme cardiaque chez des patients humains sous traitements anti-arythmiques.

Le cisapride(1) est indiqué dans le traitement des reflux gastro-œsophagiens parce qu’il stimule la vidange gastrique et qu’il augmente la pression du bas sphincter œsophagien. Des études comparatives ont démontré que le cisapride(1) est plus efficace que le métoclopramide dans la stimulation de la vidange gastrique et dans l’augmentation de la pression du bas sphincter œsophagien. Le cisapride(1) stimule également le péristaltisme œsophagien distal chez le chat et chez l’homme, dont les œsophages distaux sont composés de muscle lisse. Le cisapride(1) ne peut toutefois pas être recommandé pour le traitement du méga-œsophage idiopathique chez le chien, dont l’œsophage est composé de muscle strié.

Le cisapride(1) accélère la vidange gastrique des solides comme des liquides chez les chiens et les chats en stimulant la motricité du pylore et du duodénum, en favorisant la coordination antro-pyloro-duodénale et en augmentant la distance moyenne de propagation des contractions duodénales.

Le cisapride(1) semble donc supérieur au métoclopramide et à la dompéridone pour stimuler la vidange gastrique.

Il semble en outre avoir une place rationnelle dans le traitement des pseudo-obstructions intestinales, du syndrome de l’intestin irritable, des obstructions intestinales par des boules de poils chez le chat et des iléus postopératoires.

Les contractions induites par le cisapride(1) dans la portion proximale du côlon facilitent le péristaltisme rétrograde et l’extraction d’eau, alors que celles induites dans la portion distale facilitent le péristaltisme antérograde et l’évacuation des fèces. Le cisapride(1) est par conséquent indiqué dans le traitement des constipations et des mégacôlons idiopathiques chez le chien et chez le chat [2, 3, 4, 7, 9].

L’érythromycine(1) à faible dose est prokinétique

Il a été démontré que l’érythromycine(1) utilisée à des doses antibactériennes stimule le péristaltisme rétrograde et le vomissement chez le chien. Plus récemment, il a été démontré que, à des doses plus faibles, l’érythromycine(1) stimule les complexes moteurs migrants et le péristaltisme antérograde comme le fait la motiline endogène. L’érythromycine(1) ne se comporte pas de la même façon chez toutes les espèces. Ainsi, chez le chien, la molécule n’a pas d’effet direct sur le muscle lisse comme chez le chat. Chez le chien, le mécanisme de la réponse prokinétique de l’érythromycine(1) impliquerait les voies nerveuses cholinergiques et non cholinergiques (voir la FIGURE “Effets pharmacologiques de l’érythromycine”).

Les effets indésirables de l’érythromycine(1) sont doses-dépendants et principalement liés au tractus gastro-intestinal : nausées, vomissements, douleur abdominale, diarrhée et anorexie. En outre, l’érythromycine(1) étant métabolisée par le système enzymatique hépatique cytochrome P-450, elle inhibe le métabolisme hépatique d’autres médicaments transformés par ce système, notamment la théophylline, la ciclosporine et le cisapride(1).

L’érythromycine(1) augmente la pression du bas sphincter œsophagien (BSO) chez le chien et chez le chat. Elle est donc indiquée lors de reflux gastro-œsophagien. Chez l’animal malade comme chez l’animal normal, elle accélère la vidange gastrique des solides, mais pendant la période de jeûne comme pendant les repas. Ainsi, la nourriture n’est pas triturée de façon adéquate et des particules de tailles supérieures à 0,5 mm passent dans l’intestin, ce qui perturbe leurs absorptions. Les contractions antrales induites par l’érythromycine(1) sont supérieures en fréquence et en amplitude à celles induites par le cisapride(1) et le métoclopramide.

L’érythromycine, comme la motiline, induit de fortes contractions intestinales similaires à celles qui se déroulent naturellement lors des complexes moteurs migrants interdigestifs. L’érythromycine(1) serait indiquée dans le traitement de la pseudo-obstruction et de l’iléus postopératoire. Son administration en tant que prokinétique gastro-intestinal est recommandée chez des animaux atteints de troubles moteurs (et particulièrement ceux de l’intestin proximal) qui sont réfractaires aux autres prokinétiques.

Les contractions induites par l’érythromycine(1) se propagent de l’estomac jusqu’à l’iléon terminal et le côlon proximal, mais elles ne semblent pas stimuler la motricité propulsive du côlon. L’érythromycine(1) ne serait donc pas efficace dans le traitement des troubles moteurs du côlon [2, 8].

Ranitidine et nizatidine : antisécrétoires et prokinétiques

La ranitidine(1) et la nizatidine(1) sont des antagonistes des récepteurs à l’histamine H2 qui, en plus de leur activité anti-sécrétoire sur l’estomac, stimulent la motricité gastro-intestinale en inhibant l’activité des acétylcholinestérases. Elles augmentent ainsi la quantité d’acétylcholine disponible pour se lier sur les récepteurs cholinergiques du muscle lisse (voir la FIGURE “Effets pharmacologiques de la ranitidine(1) et de la nizatidine(1)”). Les effets prokinétiques de la ranitidine(1) et de la nizatidine(1) sont donc indépendants de leurs actions sur les récepteurs H2 et sur la sécrétion d’acide gastrique.

En dehors de leurs indications anti-sécrétoires, la ranitidine(1) et la nizatidine(1), en tant qu’agents parasympathomimétiques, stimulent la vidange gastrique, la motricité intestinale, ainsi que celle du côlon. La ranitidine(1) et la nizatidine(1) ont une plus grande efficacité sur l’estomac et l’intestin proximal. Ces agents semblent efficaces dans le traitement des gastroparésies et tout particulièrement lorsque celles-ci sont le résultat d’une ulcération gastrique. Il a été démontré que la ranitidine(1) et la nizatidine(1) peuvent également être efficaces lors de troubles de la motricité du côlon. Ces molécules sont donc indiquées lors de constipations qui ne répondent pas au traitement à base de cisapride(1) [1, 2, 10].

Une large gamme de laxatifs humains

1. Les laxatifs rectaux

Les laxatifs rectaux facilitent l’évacuation des fèces impactées, soit par application locale directe, soit dans le cadre d’une extraction manuelle sous anesthésie générale si nécessaire. Il s’agit de suppositoires rectaux à base de laxatif émollient, lubrifiant ou stimulant, et de lavements qui ramollissent les fèces dans le côlon distal et stimulent ainsi la motricité du côlon et l’urgence de la défécation.

2. Les laxatifs oraux

Les laxatifs oraux favorisent la vidange de l’intestin en stimulant le transport des fluides et des électrolytes ou en augmentant la motricité propulsive.

Les laxatifs de lest augmentent le volume des selles et ont une action bénéfique sur la constipation par une augmentation du contenu fécal en eau, une diminution du temps de transit et une augmentation de la fréquence de défécation. Les laxatifs émollients sont des détergents anioniques qui augmentent la miscibilité de l’eau et des graisses dans les aliments, ils augmentent ainsi l’absorption des lipides, tout en diminuant celle de l’eau.

Les laxatifs lubrifiants inhibent l’absorption d’eau dans le côlon et facilitent le passage des fèces.

Les laxatifs hyperosmotiques sont des polysaccharides peu digestibles, dont les acides organiques, qui résultent de leur fermentation par les bactéries du côlon, stimulent la sécrétion de fluides par le côlon et la motricité propulsive du côlon.

Les laxatifs stimulants provoquent une diarrhée par une augmentation des phénomènes de sécrétion de la muqueuse et de propulsion du côlon [1, 5, 11, 12, a].

En raison de son action prokinétique large, le cisapride(1) est un médicament indispensable au traitement des troubles de la motricité digestive chez le chien et chez le chat. D’autres principes actifs sont susceptibles de modifier la motricité du tractus gastro-intestinal proximal, mais pas toujours avec la même efficacité. En revanche, peu d’alternatives thérapeutiques sont disponibles pour réguler la motricité du côlon.

De nouvelles molécules, encore à l’étude dans le traitement du syndrome de l’intestin irritable chez l’homme, pourraient élargir les possibilités de traitement des troubles moteurs du côlon chez les animaux et particulièrement du mégacôlon félin.

  • (1) Médicament à usage humain.

La cascade de la prescription hors AMM

D’un point de vue législatif, le vétérinaire peut prescrire des médicaments humains à condition qu’aucun médicament vétérinaire approprié ne soit disponible. Le principe d’un ordre de prescription en cascade est établi par une directive européenne retranscrite en droit français [6].

Le praticien doit prescrire en priorité un médicament vétérinaire autorisé dans l’espèce et l’indication, puis, à défaut de médicament approprié, un médicament vétérinaire non validé dans l’espèce et/ou l’indication, puis un médicament humain et, en dernier lieu, une préparation magistrale.

D’autre part, l’utilisation des médicaments humains doit se faire à bon escient et ne pas être à l’origine de dommages prévisibles pour l’animal, donc en accord avec les résultats de publications récentes et fiables, et en cas d’indications réelles seulement. Les risques de fautes professionnelles, qui peuvent faire l’objet de plaintes civiles ou disciplinaires, sont ainsi limités.

Points forts

Le cisapride(1) présente l’avantage, contrairement au métoclopramide, de ne pas avoir d’effet indésirable sur le système nerveux central, parce qu’il ne franchit pas la barrière hémato-encéphalique.

En raison de son embryotoxicité et de sa tératogénicité connue à forte dose chez le rat et chez le lapin, l’emploi du cisapride(1) lors de la gestation est déconseillé.

Des études comparatives ont démontré que le cisapride(1) est plus efficace que le métoclopramide dans la stimulation de la vidange gastrique et dans l’augmentation de la pression du bas sphincter œsophagien.

L’érythromycine(1) utilisée à des doses antibactériennes stimule le péristaltisme rétrograde et les vomissements chez les chiens. À des doses plus faibles, elle stimule les complexes moteurs migrants et le péristaltisme antérograde comme le fait la motiline endogène.

Les effets prokinétiques de la ranitidine(1) et de la nizatidine(1) sont indépendants de leurs actions sur les récepteurs H2 et sur la sécrétion d’acide gastrique.

La ranitidine(1) et la nizatidine(1) semblent efficaces dans le traitement des gastroparésies, tout particulièrement lorsqu’elles sont le résultat d’une ulcération gastrique.

Congrès

a - Dimski DS. Constipation : pathophysiology, diagnostic approach, and treatment. Seminars in Veterinary Medicine and Surgery (Small Animal). 1989 ; 4 : 247-254.

  • 1 - Boothe DM. Gastrointestinal pharmacology. Vet. Clin. N. Amer. Small Anim. Pract. 1999 ; 29 : 343-372.
  • 2 - Dowling PM. Life after cisapride : Prokinetic drugs for small animals. Vet. Medicine, 2000 ; 95 : 678-685.
  • 3 - Dowling PM. Prokinetic drugs : metoclopramide and Cisapride. Canine Vet. J. 1995 ; 36 : 115-116.
  • 4 - Fitzsimons H. Cisapride. Comp. Contin. Educ. Pract. Vet. 1999 ; 21 : 324-327.
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  • 6 - Pinault L. Vade-Mecum de législation en pharmacie vétérinaire. Éd. du Point Vétérinaire, Maisons-Alfort. 2003 : 99-100.
  • 7 - Washabau RJ, Hall JA. Cisapride. J. Amer. Vet. Med. Assn. 1995 ; 207 : 1285-1287.
  • 8 - Washabau RJ, Hall JA. Gastrointestinal prokinetic therapy : motilin-like drugs. Comp. Contin. Educ. Pract. Vet. 1997 ; 19 : 281-287.
  • 9 - Washabau RJ, Hall JA. Gastrointestinal prokinetic therapy : serotonergic drugs. Comp. Contin. Educ. Pract. Vet. 1997 ; 19 : 473-478.
  • 10 - Washabau RJ, Hall JA. Gastrointestinal prokinetic therapy : acetylcholinesterase inhibitors. Comp. Contin. Educ. Pract. Vet. 1997 ; 19 : 615-618.
  • 11 - Washabau RJ, Hall JA. Diagnosis and management of gastrointestinal motility disorders in dogs and cats. Comp. Contin. Educ. Pract. Vet. 1997 ; 19 : 721-734.
  • 12 - Washabau RJ, Holt D. Pathogenesis, diagnosis, and therapy of feline idiopathic megacolon. Vet. Clin. N. Amer. Small Anim. Pract. 1999 ; 29 : 589-601.
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