Un corps étranger abdominal chez une chienne - Le Point Vétérinaire n° 245 du 01/05/2004
Le Point Vétérinaire n° 245 du 01/05/2004

ÉCHOGRAPHIE CANINE

Pratiquer

IMAGERIE

Auteur(s) : Laurent Blond

Fonctions : Faculté de médecine vétérinaire
Département des sciences cliniques, Service d'imagerie
3200, rue Sicotte
CP 5000
J2S 7C6 St-Hyacinthe
Québec - Canada

Chez une chienne, un corps étranger en bois qui traverse l’estomac et la rate n’est pas détecté sur les radiographies abdominales. Il est en revanche mis en évidence grâce à l’échographie.

Une femelle stérilisée, bouvier bernois, âgée de cinq ans, est présentée en consultation pour de l’abattement et une perte d’appétit depuis quinze jours. Les propriétaires rapportent que son état fait suite à un épisode de vomissements bileux répétés.

Cas clinique

1. Examen clinique

À l’examen clinique, le chien est abattu. Il présente une hyperthermie (40,4 °C) et une respiration haletante. La palpation abdominale révèle une augmentation de volume de la rate et un léger inconfort.

Les diagnostics différentiels envisageables sont alors une splénomégalie secondaire à une torsion de la rate, une splénite, une infiltration tumorale diffuse (lymphome, histiocytose maligne, etc.) ou une masse splénique (hémangiosarcome, hématome ou abcès), éventuellement associée à une péritonite.

Une analyse biochimique sanguine et un ionogramme sont effectués pour tenter d’identifier un foyer inflammatoire et pour évaluer les fonctions rénales, hépatiques, le taux de protéines totales et l’équilibre ionique.

La numération-formule sanguine indique une leucocytose : 28,8 x 109/l (valeurs usuelles : 6 à 17) due à une neutrophilie : 25,3 x 109/l (valeurs usuelles : 3 à 11,5) et à une monocytose : 1,7 x 109/l (valeurs usuelles : 0,1 à 1,4). La biochimie montre une augmentation légère des globulines : 41,8 g:l (valeurs usuelles : 23,5 à 39,1) et une hypoglycémie : 2,20 mmol/l (valeurs usuelles : 3,38 à 6,88). Ce dernier résultat peut indiquer un début de septicémie ou être la conséquence d’une consommation du glucose par les globules rouges de l’échantillon avant analyse.

2. Examens complémentaires d’imagerie

Examen radiographique

Des radiographies thoraciques et abdominales sont réalisées. Sur les clichés thoraciques, un déplacement dorsal de l’espace pleural est noté en regard de la deuxième sternèbre. Cela est compatible avec une augmentation de volume des nœuds lymphatiques sus-sternaux.

Sur la projection latérale de l’abdomen, un effet de masse est visible en partie ventrale de la cavité péritonéale (PHOTO 1). La rate est augmentée de volume, donc en partie responsable de l’effet de masse. Sur la projection ventrodorsale, cet effet de masse est latéralisé à droite et repousse l’ensemble du tractus intestinal vers la gauche (PHOTO 2). La région concernée apparaît hétérogène. Une mauvaise visualisation des contours des organes voisins est constatée, ce qui indique la présence d’un épanchement péritonéal focal, plus ou moins associé à une infiltration des masses graisseuses et du péritoine. Certaines zones peu opaques semblent suggérer la présence d’air libre dans l’abdomen. Le diagnostic radiologique le plus probable est donc une splénomégalie de cause indéterminée, associée à une péritonite avec réaction des nœuds lymphatiques sternaux qui drainent une partie de la cavité abdominale. Une infiltration tumorale de la rate associée à une carcinomatose avec métastases au niveau des nœuds lymphatiques sternaux est une autre hypothèse à envisager.

Examen échographique

Une échographie abdominale est alors effectuée pour préciser la nature des lésions.

L’examen échographique révèle la présence d’une structure linéaire hyperéchogène aux contours irréguliers, proche du corps de l’estomac, qui traverse sa paroi et se prolonge de part et d’autre du parenchyme splénique (PHOTOS 3, 4 ET 5). Cette structure absorbe complètement les ultrasons, ce qui crée un cône d’ombre sur toute sa longueur. Autour de cette structure, la présence de plusieurs zones anéchogènes est notée. Elles contiennent de petits foyers hyperéchogènes et peuvent correspondre à du gaz. La rate semble de volume augmenté et un très léger épanchement échogène est présent (donc riche en particules ou cellules). Les masses graisseuses abdominales proches de la rate et de l’estomac apparaissent hétérogènes et hyperéchogènes.

Ces observations indiquent la présence d’un corps étranger qui a transpercé la paroi de l’estomac puis traversé la rate. Les foyers de gaz autour de ce corps étranger suggèrent la présence d’abcès ou d’air libre en provenance de l’estomac et diffusant dans la rate le long du trajet du corps étranger. L’épanchement peut être, soit un exsudat inflammatoire, septique ou non, soit un hémopéritoine.

Puisque le corps étranger n’est pas visible sur les radiographies, il n’est pas constitué de métal. Il est probablement en bois ou en plastique.

Un diagnostic de péritonite causée par un corps étranger, qui a perforé l’estomac et transpercé la rate, est donc établi.

3. Traitement chirurgical et suivi

Une laparotomie est décidée afin de confirmer le diagnostic et de préciser l’atteinte des organes concernés. La péritonite sera aussi traitée après le retrait du corps étranger éventuel par un lavage de la cavité péritonéale et l’exérèse des tissus endommagés.

Un pic de brochette en bois est découvert. Il perfore l’estomac puis la capsule de la rate. De nombreuses adhérences sont présentes entre la paroi de l’estomac et la rate, ainsi qu’entre la rate et la paroi abdominale. Une splénectomie et une gastrectomie partielle au site de sortie du corps étranger sont effectuées. L’épanchement retiré est très hémorragique. Un échantillon est prélevé pour analyse.

La cytologie du liquide abdominal révèle une péritonite septique. Des cultures mettent en évidence une population mixte de bactéries : Escherichia coli, Streptococcus canis et Pasteurella dagmatis.

Après cinq jours d’hospitalisation et la mise en place d’une antibiothérapie adaptée (enrofloxacine et amoxicilline) pendant trois semaines, l’animal est rendu à ses propriétaires, sans complication.

Discussion

1. Autres cas rapportés de corps étranger en bois

Les capacités de l’échographie à détecter des corps étrangers dans les tissus sont connues et décrites [1, 6]. Seuls quelques cas de corps étrangers intra-abdominaux en bois, diagnostiqués à l’échographie, ont été rapportés chez des chiens. Dans tous les cas (sauf un où cela n’a été que suspecté), le corps étranger a perforé l’estomac [3, 5]. Cependant, à la connaissance de l’auteur, aucun rapport ne fait mention d’une atteinte de la rate par un tel corps étranger. Tous les cas rapportés présentaient une tuméfaction, plus ou moins associée à une fistule sur une région de l’abdomen, souvent au niveau du flanc gauche, ce qui suggère une migration du corps étranger [3, 5]. La détection du corps étranger dans ce cas est sans doute assez précoce pour expliquer l’absence d’une telle lésion.

2. Visibilité du bois en imagerie

La mise en évidence d’un corps étranger de cette nature peut constituer un véritable challenge diagnostique. En effet, le bois est généralement invisible sur une radiographie ; en revanche, ses propriétés physiques atténuent les ondes échographiques par absorption. Comme la plupart des objets atténuants, le corps étranger en bois produit une ombre acoustique qui est précédée d’un rebord fortement échogène. Ce rebord prend généralement la forme de la surface du corps étranger. Il correspond à la réflexion des ondes produites à l’interface entre le bois et le milieu environnant. Cette réflexion s’explique par la grande différence d’impédance acoustique entre les deux éléments [7].

Un pic de brochette en bois apparaît ainsi échographiquement comme une structure linéaire, hyperéchogène et de contour irrégulier. Un corps étranger en bois peut toutefois devenir moins échogène avec le temps et éventuellement se confondre avec l’inflammation des tissus voisins [1]. Ce phénomène serait dû à l’imprégnation du bois présent dans l’organisme pendant une longue période par du liquide. Il perdrait ainsi ses caractéristiques échographiques [5].

Outre la détection du corps étranger, l’échographie permet de rechercher des modifications locales associées, comme une accumulation de liquide, un œdème, un séroma, un hématome, une inflammation de l’omentum ou du mésentère, ou encore d’identifier le site de perforation du tractus digestif et la présence d’air libre [5], comme dans le cas décrit.

3. Complémentarité de la radiographie et de l’échographie

Le cas présenté met aussi en évidence la complémentarité de l’examen échographique et de la radiographie. En effet, sur les radiographies, l’aspect hétérogène de la cavité péritonéale, communément décrite comme ressemblant à du verre dépoli, caractérise une péritonite. Lors d’une péritonite, l’œdème et l’inflammation des surfaces séreuses et du gras adjacent, en plus d’une quantité variable d’épanchement abdominal, entraînent une perte du contraste intra-abdominal. Toutefois, la dispersion d’un foyer néoplasique au niveau du péritoine peut aussi aboutir à une perte du contraste intra-abdominal en raison de l’opacité de tissu mou des nodules et de la possible coexistence d’un épanchement [2]. Les exemples de tumeurs qui peuvent induire ce type d’image radiographique incluent l’hémangiosarcome de la rate et les carcinomes de divers organes abdominaux, surtout le carcinome pancréatique [2, 4]. Le terme de carcinomatose peut alors être utilisé pour décrire la dissémination d’un cancer dans l’abdomen [2]. La carcinomatose a un pronostic beaucoup plus sombre qu’une péritonite ; il est donc nécessaire de poursuivre l’investigation pour la confirmer ou l’infirmer. Dans ce cas, l’échographie permet de confirmer la présence de liquide et de mettre en évidence des nodules au sein du mésentère ou sur le péritoine, ou d’identifier la tumeur primitive. Une abdominocentèse ou une ponction à l’aiguille fine de la tumeur ou des nodules pour analyse cytologique peuvent alors être effectuées de façon échoguidée.

Dans le cas décrit, l’échographie a permis d’éliminer la présence de masses ou de nodules d’allure maligne dans la cavité abdominale, et également d’identifier un corps étranger non visible sur les clichés radiographiques. La localisation de son origine au niveau de l’estomac a également fourni des renseignements précieux pour l’intervention chirurgicale.

La longueur et la rigidité du pic de brochette l’ont certainement empêché de passer l’antre pylorique et, lors d’une contraction stomacale, le pic a pu perforer sa paroi. La tête de la rate étant liée au fundus de l’estomac par les veines et les artères gastriques courtes, cette proximité anatomique entre les deux organes a pu faciliter l’atteinte splénique par ce long corps étranger.

Il est d’usage d’avoir recours à un transit baryté pour identifier un corps étranger.

Dans le cas présenté ici, aucun historique d’ingestion de corps étranger n’avait été rapporté par le propriétaire. En raison de l’état d’abattement de l’animal et de la présence d’une péritonite décelée par les radiographies standard, le transit baryté était contre-indiqué. Il aurait en effet augmenté les risques de fausse déglutition et aggravé la péritonite par fuite du produit de contraste par la perforation du tube digestif, alors suspectée. Un transit baryté aurait en outre donné peu ou pas d’informations sur l’implication de la rate.

L’échographie, en plus d’être un examen non invasif très efficace pour l’identification de corps étrangers gastro-intestinaux, fournit de nombreuses informations sur l’ensemble des organes abdominaux, et notamment sur les séquelles potentielles d’une obstruction telles que l’ascite, une lymphadénomégalie ou une pancréatite [7].

L’échographie est une méthode diagnostique de choix pour détecter des corps étrangers en bois ayant migré dans l’abdomen et pour évaluer les organes impliqués dans cette migration. Cette technique peut toutefois avoir ses limites lorsque le corps étranger est très petit ou s’il est proche de structures qui créent une ombre acoustique, comme l’os ou les gaz.

Points forts

Le corps étranger est visible sur les échographies, mais pas sur les radiographies : il est probablement en bois ou en plastique.

Un pic en bois apparaît comme une structure linéaire, hyperéchogène et de contour irrégulier à l’échographie.

Lors de péritonite, l’œdème et l’inflammation des séreuses et du gras, ainsi que l’épanchement abdominal, entraînent une perte de contraste intra-abdominale sur les clichés radiographiques.

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