Le vendeur professionnel doit informer sur les antécédents - Le Point Vétérinaire n° 245 du 01/05/2004
Le Point Vétérinaire n° 245 du 01/05/2004

CHIOT MALADE APRÈS L’ACHAT

Pratiquer

LÉGISLATION

Auteur(s) : Philippe Tartera

Fonctions : 6 impasse Salinié, 31100 Toulouse

Le vendeur d’un chiot a dissimulé que la portée avait été atteinte de saturnisme. Il est condamné pour dol.

1. Les faits : Comportement anormal

Le 20 février 2000, Mme Vendeuse, éleveuse de chiens de race berger allemand titulaire d’un affixe, vend à M. Acheteur le berger allemand “Podium”, né le 6 août 1999 et issu d’une portée de dix chiots, pour le prix de 730 €.

En raison d’un comportement anormal (troubles neuromoteurs et agressivité), l’animal est présenté le 9 mars 2000 au Dr Véto, dans la clinique duquel il est hospitalisé pendant sept jours, à compter du 17 mars 2000. Suspectant un empoisonnement, notamment par la strychnine, le Dr Véto adresse un prélèvement d’urine à l’École vétérinaire de Lyon, qui ne décèle pas de traces des convulsivants recherchés.

Au début du mois d’avril 2000, l’animal échappe à son maître.

Le 1er mai 2000, ce dernier apprend de Mme Vendeuse que la portée avait été victime auparavant de saturnisme. Le vétérinaire de l’éleveur confirme en effet au Dr Véto que l’autopsie d’un chiot avait révélé une intoxication par le plomb de la portée dont “Podium” faisait partie. Ce vétérinaire et le Dr Toxicologue, de l’École vétérinaire de Lyon, auraient évoqué avec lui la possibilité d’un relargage du plomb, à l’origine des troubles nerveux et physiques manifestés par l’animal après la vente.

M. Acheteur demande l’annulation de la vente pour vice caché. Le tribunal d’instance le déboute de son action, parce que le lien de causalité entre le saturnisme et les troubles n’est pas établi. M. Acheteur fait appel.

2. Le jugement : Réticence dolosive

En appel, M. Acheteur change de tactique. Il fonde cette fois sa demande principale sur la notion de vice du consentement par dol(1). Il soutient que, s’il avait su que le chiot avait été atteint de saturnisme, il n’en aurait pas fait l’acquisition. Il s’est en effet adressé à un éleveur disposant d’un affixe afin d’avoir le maximum de garanties d’acquérir un animal de pure race, dont il aurait pu obtenir la confirmation en exposition après l’âge de quinze mois. L’animal avait été immatriculé à la Société centrale canine à cette fin par l’éleveur. Le prix payé pour le chien et le montant des dépenses de santé consenties après l’achat (plus de 760 € en quinze jours) confirment son exigence et ses intentions. Il indique que le saturnisme, même après la disparition des symptômes initiaux, peut fragiliser un chien et le rendre inapte au dressage.

Suivant le raisonnement de M. Acheteur, la cour d’appel de Lyon infirme le premier jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, condamne Mme Vendeuse à payer à M. Acheteur une indemnité de 4 800 €.

3. Pédagogie du jugement : Controverse vétérinaire indifférente à l’acheteur

La résolution de la vente n’était plus possible, car l’animal avait disparu et n’a jamais été retrouvé. L’acquéreur était donc dans l’impossibilité de le rendre en contrepartie du prix. Mais le dol peut être invoqué pour réclamer uniquement des dommages et intérêts. La demande de M. Acheteur était donc recevable.

Mme Vendeuse a répliqué que le chiot ne présentait aucun trouble au moment de la vente et que le saturnisme, qui n’est pas une maladie contagieuse, n’avait pas à figurer sur le carnet de santé de l’animal. Elle prétend qu’elle n’avait donc pas à informer les acquéreurs d’un mal qui n’existait plus au moment de la vente.

La cour d’appel en a décidé autrement. Elle a estimé que l’acquéreur d’un animal de pure race était en droit d’acquérir un individu qui n’a pas été atteint d’une affection grave susceptible d’en affecter la durée de vie ou le comportement, et que tel n’était pas le cas d’un chiot ayant été atteint de saturnisme. En effet, selon l’article “Diagnostic et traitement du saturnisme chez le chien”, paru en février/mars 1995 dans le Recueil de médecine vétérinaire, et cité par la cour, « les troubles neuromoteurs apparaissent comme les plus fréquents […]. On décrit le plus souvent des contractures musculaires […], des crises épileptiformes et des phénomènes convulsifs cloniques souvent déclenchés ou aggravés par une excitation, un effort prolongé […] ou un stress - la cécité est plus rarement constatée, les animaux présentent parfois une agressivité ». Même si le relargage du plomb est cliniquement révélé « lors des phases de gestation ou de lactation », comme l’a rappelé le Dr Toxicologue, et ce que souligne l’article intitulé “Intoxication par le plomb dans un chenil” paru dans la même revue en octobre 1990, aucun des deux articles cités ne limite à la femelle le risque de relargage du plomb stocké dans le squelette pendant la phase aiguë du saturnisme. La cour d’appel en a conclu que le saturnisme confère ainsi à l’animal, mâle ou femelle, une fragilité particulière qui peut, en cas d’effort prolongé ou de stress, notamment au moment du dressage, provoquer des troubles neuromoteurs en raison du relargage du plomb encore stocké dans le squelette. Chaque partie ayant demandé des avis techniques à des vétérinaires, une controverse est née sur le degré de probabilité de ce relargage. La cour a toutefois estimé que cette controverse était indifférente au profane, lequel entendait simplement ne pas courir un tel risque en s’adressant à un vendeur professionnel.

Comme Mme Vendeuse n’était pas censée ignorer, au moment de la vente du chiot, les incidences possibles du saturnisme chez le chien, même après la disparition de la symptomatologie première, sa réticence à informer M. Acheteur a été considérée intentionnelle et qualifiée de manœuvre dolosive.

  • (1) Le dol est un comportement malhonnête qui a pour but de surprendre le consentement. Selon l’article 1116 du Code civil, « le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l’une des parties sont telles qu’il est évident que, sans ces manœuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté ».

Abonné au Point Vétérinaire, retrouvez votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr