Un syndrome respiratoire associant IBR et ehrlichiose - Le Point Vétérinaire n° 243 du 01/03/2004
Le Point Vétérinaire n° 243 du 01/03/2004

OBSERVATION CLINIQUE EN NORMANDIE

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CAS CLINIQUE

Auteur(s) : Christophe Leboeuf

Fonctions : Groupement départemental
de défense sanitaire des
animaux de la Manche, BP 231,
50001 Saint-Lô Cedex

Une enzootie de troubles respiratoires est observée dans un cheptel bovin reconstitué après abattage total. La présence d’ehrlichiose associée à une circulation du virus IBR pourrait rendre compte du phénomène.

L’observation concerne une exploitation située dans la vallée de la Sée, dans le département de la Manche. Quelques pâtures en lisière de bois y constituent un biotope favorable aux tiques (PHOTOS 1 et 2).

En avril 2002, le troupeau mixte de 300 animaux, comprenant un atelier laitier, un atelier d’engraissement et un atelier de vaches allaitantes, est abattu en totalité suite à la confirmation d’un cas d’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB).

Début mai 2002, 170 bovins sont introduits dans l’exploitation, puis 25 autres dans le courant du mois de juin. Dans le cadre du repeuplement, diverses recherches sont effectuées selon les catégories d’animaux (sérologies et coprocultures paratuberculose, virologies et sérologies BVD, sérologies IBR, sérologies néosporose). La signature préalable d’un billet de garantie conventionnelle vis-à-vis de la néosporose, de la BVD et de la paratuberculose est préconisée. L’éleveur entreprend dès l’arrivée des bovins un traitement antiparasitaire à base d’éprinomectine.

Les prélèvements sanguins sur les 170 bovins introduits début mai sont effectués le 10 mai. Selon les résultats obtenus le 17 mai, quatre bovins se révèlent séropositifs vis-à-vis de l’IBR :

- trois vaches charolaises âgées de 5 ans et demi, destinées à l’engraissement. Elles sont reprises par le vendeur le 23 mai, puis abattues le 25 ;

- une génisse normande âgée de 17 mois, reprise tardivement par le fournisseur.

Apparition des troubles

À la mi-juillet 2002, des troubles respiratoires apparaissent dans l’atelier d’engraissement. Ils rétrocèdent à la suite de traitements antibiotiques.

À la fin du mois de juillet, les vaches laitières toussent. L’éleveur réalise vers le 25 juillet une vermifugation à base d’oxfendazole.

Dans les premiers jours du mois d’août 2002, une quinzaine de vaches tombent malades, avec de la fièvre, une perte d’appétit, une baisse de lait importante, et parfois des œdèmes des boulets et une démarche ébrieuse. L’éleveur effectue alors un traitement à base d’éprinomectine, sans qu’aucune amélioration ne soit observée.

Le 27 août, le vétérinaire traitant effectue des prélèvements sur dix vaches laitières pour recherche sérologique IBR, BVD, RSV, PI3 et adénovirus.

Une vache meurt le 1er septembre.

Visite d’élevage et démarche diagnostique

Le Groupement de défense sanitaire (GDS) de la Manche est alors contacté et une visite d’élevage a lieu le 5 septembre.

L’une des vaches, atteinte d’importants troubles respiratoires, est euthanasiée puis autopsiée. L’autopsie révèle la présence d’une pneumonie chronique avec abcès (voir l’ENCADRÉ “Compte rendu d’autopsie” et les PHOTOS 3 et 4).

Compte tenu des symptômes décrits (hyperthermie prononcée et persistante, agalaxie marquée sur certaines vaches, œdème important des boulets s’étendant parfois jusqu’à la mamelle, démarche ébrieuse, toux persistante), une recherche sérologique d’ehrlichiose est effectuée.

Trois prises de sang sont effectuées sur des vaches laitières qui avaient été malades trois semaines auparavant. Elles s’avèrent positives vis-à-vis de l’ehrlichiose. La cinétique d’anticorps effectuée sur ces trois bovins révèle également des titres élevés en anticorps anti-RSV, sans augmentation des titres entre les deux prélèvements, et des résultats sérologiques positifs vis-à-vis de l’IBR.

Dix prélèvements de sang effectués sur les vaches laitières sont transmis au laboratoire le 13 septembre. Les résultats indiquent le 24 que ces dix vaches sont séropositives vis-à-vis de l’IBR. Les sérologies sont négatives vis-à-vis du BVD pour cinq bovins ou séropositives avec un titre faible pour trois bovins. Les sérologies RSV sont positives pour neuf bovins avec un titre élevé pour cinq d’entre eux. Une des vaches, malade depuis le début du mois d’août, se révèle séronégative vis-à-vis du RSV. L’ensemble de ces résultats permet d’exclure la participation des virus RSV et BVD.

Une autre vache, tombée malade le 25 septembre, fait l’objet d’un prélèvement le 15 octobre. Elle s’avère séronégative vis-à-vis de l’IBR et séropositive vis-à-vis de l’ehrlichiose.

Des prélèvements sont réalisés sur 286 bovins les 25 septembre, 15 octobre et 5 novembre 2002 dans le cadre d’un dépistage généralisé de l’IBR, avec recherche sur la totalité des animaux de plus de 18 mois de l’atelier laitier et sur quelques bovins à l’engraissement et allaitants : 101 bovins sont positifs (35 %), essentiellement des vaches en lactation.

Les résultats suggèrent une circulation du virus IBR avec des cas d’ehrlichiose clinique au sein du troupeau laitier.

Discussion et mesures entreprises

Le contexte d’introduction de bovins séropositifs vis-à-vis de l’IBR (qui n’ont pas été isolés du troupeau compte tenu de l’introduction massive de bovins dans le cadre d’un repeuplement de cheptel) suggère l’hypothèse d’une circulation virale au sein du cheptel.

L’IBR (rhinotrachéite infectieuse bovine), due au virus BHV-1, est actuellement surtout une maladie “sérologique”, dont les conséquences sont essentiellement économiques, en raison de son inscription sur la liste des vices rédhibitoires (mai 2001) et des démarches de certification engagées en France depuis 1998. Des signes cliniques peuvent cependant apparaître dans un troupeau nouvellement infecté ou lors de la réactivation du virus dans les élevages anciennement infectés. Ils peuvent se traduire par une forme aiguë avec une forte hyperthermie, une atteinte des voies respiratoires supérieures, de l’anorexie et une chute de la production laitière. Un ptyalisme, du jetage, de la toux et un larmoiement sont également observés. Éventuellement, certains animaux développent une infection des voies respiratoires profondes par surinfection.

Cependant, la confirmation de la circulation du virus IBR ne doit pas occulter la possibilité d’une maladie intercurrente immunodépressive telle que l’ehrlichiose à Anaplasma phagocytophilum, également impliquée dans certains troubles respiratoires (voir l’encadré “Ehrlichiose et toux d’été”).

L’analyse des symptômes revêt toute son importance, même si le tableau clinique de cette affection est souvent fruste et si les signes évocateurs (engorgement des paturons) ne sont pas systématiques.

Dans cet élevage, les signes cliniques décrits permettent difficilement de poser un diagnostic entre :

- une circulation généralisée avec expression clinique du virus IBR, potentialisée ou non par l’ehrlichiose ;

- une enzootie d’ehrlichiose sur le troupeau laitier, ayant pu être à l’origine, par immunodépression, de la diffusion du virus IBR apporté par des bovins séropositifs conservés à proximité des vaches laitières ;

- une ehrlichiose sur le troupeau laitier au sein duquel avait déjà circulé, de façon silencieuse, le virus IBR.

Compte tenu du contexte sanitaire, le choix a été proposé à l’éleveur entre l’abattage total du cheptel ou la mise en place d’un plan de lutte IBR, avec vaccination des lots infectés. C’est cette deuxième option qui a été retenue. Les lots de bovins infectés ont été vaccinés les 5 novembre 2002 et 12 décembre 2002 avec un vaccin à virus IBR inactivé.

Courant 2003, l’éleveur a noté une nette amélioration de l’état clinique des vaches laitières, avec absence de toux et excédent de production laitière. Il a cependant noté un gonflement des paturons sur deux ou trois vaches, avec une forte chute de lait et des difficultés locomotrices, mais aucune recherche n’a été effectuée.

En décembre 2003, une épidémie de toux dans la nurserie a provoqué la mort de six veaux, avec la mise en évidence à l’autopsie de lésions imputables au virus RSV.

Un dépistage sérologique de l’IBR a été effectué dans le courant du même mois sur 159 bovins non vaccinés âgés de plus de douze mois, soit :

- 91 génisses âgées de plus de douze mois ou jeunes mères (séronégatives lors du premier dépistage) ;

- 43 vaches blondes Aquitaine en finition (contrôlées négatives à l’introduction) ;

- 25 vaches allaitantes.

Parmi ces bovins, 122 (soit 77 %) se sont révélées séropositives, témoignant d’une recirculation importante au sein du cheptel.

L’intervention possible de l’ehrlichiose, maladie qui évolue lentement dans les cheptels infectés, avec des possibilités de rechutes, devrait donc être prise en compte dans la gestion technique de l’assainissement IBR. L’utilisation du vaccin IBR sur les bovins séropositifs, afin de limiter les risques de réactivation et de ré-excrétion du virus BHV-1, doit en effet être raisonnée dans un cheptel infecté par une maladie entraînant une immunodépression. Le risque d’échec, avec réactivation et rediffusion du virus IBR sur les jeunes générations est important.

Compte rendu d’autopsie

• L’une des vaches, atteinte d’importants troubles respiratoires, a été euthanasiée, puis autopsiée au laboratoire départemental d’analyses de la Manche. Les principales lésions observées sont les suivantes :

- Au niveau pulmonaire, un emphysème sous-pleural et interlobulaire est observé dans les lobes diaphragmatiques, ainsi que de petits abcès dans l’extrémité inférieure de chacun des lobes diaphragmatiques.

De très nombreux abcès de taille variable, contenant un pus blanchâtre à vert pistache, sont observés dans les lobes apicaux et dans la moitié supérieure du lobe cardiaque. Le tissu pulmonaire normal a pratiquement disparu.

Une réaction importante des ganglions trachéobronchiques est relevée.

- Une péritonite avec adhérence entre le diaphragme et le rumen est également notée à proximité du sternum.

• Les analyses bactériologiques réalisées sur les lésions pulmonaires et sur les ganglions trachéobronchiques mettent en évidence Arcano-bacterium pyogenes, un germe de surinfection.

La virologie en cultures cellulaires (IBR, BVD, PI3) est négative sur le poumon, la rate, l’intestin et la caillette. La mise en évidence du virus RSV par immunofluorescence indirecte sur coupe congelée de poumon est négative.

Points forts

 L’ehrlichiose à Anaplasma phagocytophilum peut être impliquée dans des syndromes respiratoires estivaux chez les vaches laitières.

• Les signes d’œdème des paturons, assez caractéristiques, sont inconstants.

• En zone favorable (biotope à tiques), le signe d’alerte de l’ehrlichiose est une forte chute de la production laitière.

• L’ehrlichiose est connue pour réduire les défenses immunitaires des bovins.

En savoir plus

- Argenté G, Collin E, Morvan H. Ehrlichiose bovine (fièvre des pâtures) : une observation en France. Point Vét. 1992 ; 24(144) : 181-182.

- Joncour G, Argenté G, Guillou L. Un épisode d’ehrlichiose dans un troupeau laitier. Bull. GTV 1999 ; 5 : 309-314.

- Thiry E, Lemaire M, Schynts F, Meyer G, Dispas M, Gogev S. Les conséquences de l’infection des bovins par le virus de la rhinotrachéite infectieuse bovine. Point Vét. 1999 ; 30(199) : 279-286.

- Voldoire E. Un cas d’ehrlichiose bovine en région Rhône-Alpes. Point Vét. 2002 ; 33(228) : 68-71.

Ehrlichiose et toux d’été

• Le syndrome respiratoire estival (la « toux d’été ») décrit classiquement chez la vache laitière associe une toux persistante, du jetage, une hyperthermie plus ou moins prononcée, une anorexie pendant quelques jours et une chute de la production laitière variable.

• De nombreuses causes peuvent en être responsables. Le principal parasite incriminé est Dictyocaulus viviparus. L’implication d’agents viraux, tels que le virus syncytial respiratoire (RSV), l’adénovirus et le virus para-influenza III (PI3) a parfois été avancée. Le virus BVD est cité comme cofacteur. La recherche de certains agents infectieux, tels que pasteurelles ou mycoplasmes, s’avère le plus souvent infructueuse. Anaplasma phagocytophilum, agent de l’ehrlichiose, semble également être impliqué dans ce syndrome, et pourrait être sous-diagnostiqué.

Il convient sans doute d’en tenir compte plus fréquemment, notamment dans les contextes suivants :

- présence de biotopes à tiques (environnement avec broussailles, haies, lisières de bois et/ou historique sanitaire du troupeau avec existence d’autres maladies transmises par des tiques, telle que la piroplasmose) ;

- troupeau “neuf”, suite à une fusion de cheptels ou à un vide sanitaire. Une fusion de cheptels ou un repeuplement de cheptel effectué au printemps devrait tenir compte de ce risque, avec une gestion sanitaire en conséquence (utilisation d’acaricide rémanent et sans délai d’attente sur les vaches laitières, interdiction de l’accès aux haies et lisières de bois, débroussaillage).

• L’ehrlichiose se manifeste par une neutrophilie avec immunodépression et souvent par une hyperthermie et par une toux forte et persistante, sèche au départ, puis grasse. La polypnée évolue en dyspnée. Les signes pulmonaires restent cependant frustes. L’agalaxie brutale et quasi-totale constitue souvent le signe d’alerte. Des signes articulaires (œdèmes des boulets, voire œdèmes des membres jusqu’aux quartiers postérieurs du pis) et locomoteurs (asthénie, démarche ébrieuse) sont parfois constatés. La maladie entraîne parfois des avortements et de la mortalité embryonnaire consécutifs à la forte hyperthermie.

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